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Full text of "Dieu dans l'école: le Collège Saint-Joseph de Lille, 1881-1888; discours ..."

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ARTES SCIENTiA VERITAS 



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ARTES SCIENTIA VERITAS 







DIEU DANS L'ÉCOLE 




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LE 



COLLÈGE SAINT-JOSEPH 



DE LILLE 

1881-1888 



PROPRIETE DE 




OUVEAGES DU MÊME AUTEUR 



ApAtre ■aint Jean (LO. 4« édition. 
In-18 jésng, aveo une gravure 
d'après Ary Schefler ... 4 fr. 

Catéchistes volontaires ( Les ). 
Appel aux catholiques présenté 
au congrès eucharistique de Lille, 
le 29 juin 1881. 2* édition. Bro- 
chure in-8o 25 c. 

Doute et ses victimes (Le) dans 
le siècle présent : Théodore Jonf • 
froy. — Maine de Biran. — Santa- 
Rosa. — Georges Farcy. — Vic- 
tor Ck)usin. — Edmond Schérer. 

— Lord Byron. —Frédéric Schil- 
ler. — Léopardi. — Les poètes 
du doute en France. 7« édition. 
In-18 Jésus S fr. 75 

Foi et ses victoires (La). Confé- 
rences sur les plus illustres con- 
vertis de ce siècle. 

— Tome I. Le comte Schonvalofl. 

— Donoso Certes. — Le général 
de La Moriclère. 4e édition. 
In-80 6 fr. 

— Tome II. Quatre maîtres de la 
science morale : Joseph Droz. — 
Frédéric Bastiat. — Alexis de 
Tocqueville. — Frédéric Le Play. 
In-S» 6 fr. 

Lb même ouvrage. Tome I. 3« édi- 
tion. In-18 Jésus. ... 8 fr. 75 

— Tome II. 20 édition. In-18 Jé- 
sus 3 fr. 75 

Histoire de saint Ambroite. 2« 

édition. In-8o, avec portrait et 
plan de Milan 7 fr. 50 

Histoire de la vénérable Mère 
Madeleine-Sophie Barati fon- 
datrice de la Société du Sacré- 



Cœur de Jésus. 3« édition. Deux 
volumes in-8«, avec portrait. 
Net 10 fr. 60 

La MÊME. 5» édition. Deux volumes 
in-18 Jésus 5 fr. 

Histoire de M»* DnchesnOi fon- 
datrice de la Société des reli- 
gieuses duSacré-Cœnr dans l' Amé- 
. rique, pour faire suite à l*J7{«to{re 
de Jlf"« Bq,rat. Iu*8« avec auto- 
graphe et carte . • . . 6 fr. 25 

Le même ouvrage. 2« édition. In-18 
Jésus 8 fr. 

Histoire dn cardinal Pie, évoque 
de Poitiers. 4e édition. Deux forts 
volumes in-8o, avec 2 port. 15 fr. 

Le Livre de la première Com- 
ntunion et de la Persévérance. 
Édition de luxe pliée en porte- 
feuille. Grand in-16 carré. 8 fr. 

Le même ouvrage. Édition ordi- 
naire. Grand in- 32 ... . 3 fr. 

Melun (Le vicomte Armand de), 
d'après ses mémoires et sa cor- 
respondance 7 fr. 50 

Le même ouvrage. 8 f r. 

En préparation : 

Dieu dans l'École : Le collage 
CHRÉTiEK. Instructions domini- 
cales données à l'École libre Saint- 
Joseph de Lille. 

L'ouvrage est ainsi divisé : I. Les 
autorités divines et humaines de 
l'école. — II. La Journée de l'école 
et ses exercices. — III. L'école et 
la famille.— IV. L'âme de l'école: 
J.-C, vie de piété.-— V. L'œuvre 
de l'école : l'homme, le chrétien, 
le saint.— VI. La sortie de l'école, 
La vocation, lacarriëre,lemonde^ 



DIEU DANS L'ÉCOLE 



LE . 



COLLÈGE SAINT-JOSEPH 

DE LILLE 

1881-1888 

DISCOURS, NOTICES ET SOUVENIRS 



PAR 

M"" BAUNARD 

SUPERIEUR 
RECTEUR DES FACULTÉS CATHOLIQUES 



PARIS 
LIBRAIRIE POUSSIELGUE FRÈRES 

OH. POUSSIELGUE, SUCCESSEUR 
RUE CA88BTTE, 15 

1888 
Droits de reproduction et de traduction réservés. 



02,335- 
./-73 

63r 



7^'?1S1- 1^^ 



A NOS ÉLÈVES 



Mes chers Fils, 

Voici un livre qui est bien vôtre, car tout 
s'y adresse à vous , tout n'y parle que de vous , 
tout y est dit pour vous. 

C'est le recueil des souvenirs de notre vie de 
famille, rappelés dans les divers discours de 
circonstance que je vous ai adressés pendant 
près de huit ans, depuis janvier 1881 jusqu'à 
la fin de l'année scolaire 1888. 

Cette période mémorable s'ouvre par notre 
expulsion du collège Saint-Joseph et les tribu- 
lations de l'exil. Elle se clôt par l'achèvement 
total de son édifice et la dédicace solennelle de 
l'église qui en est le couronnement. C'est donc 
un cycle complet. 

Ce cycle est fait , comme vous le voyez , de 
joies et de tristesses , de* fêtes et de deuils , de 
plus de deuils que de fêtes. C'est la vie. C'est 
particulièrement la vie de l'Église dans tous les 
temps, mais plus encore dans le temps mauvais 
où nous somme§. 

Cependant, malgré cela, ou plutôt à cause de 
cela, Dieu, dans cet intervalle, nous a visible- 
ment bénis. Au dedans l'union, qui fait la force , 
resserrant constamment les liens de la charité 



VI DÉDICACE 

eotre les membres si divers de notre famille de 
maîtres ; au dehors la confiance de tous les 
gens de bien ne cessant de grandir et de mul- 
tiplier notre famille d'enfants : telle a été, du- 
rant ces années difficiles , la bénédiction de la 
croix sur nous et la grâce finale de la persécu- 
tion. 

Vous lirez donc ce livre avec reconnaissance 
envers Celui de qui seul nous est venu le salut : 
misericordiœ Domini quia non sumus œnsumpti. 

Vous le lirez conséquemment avec modestie, 
vous souvenant, mes chers fils, que le bien qui 
se fait parmi nous se fait ailleurs que chez 
nous, et que d^autres, à notre "place, Toussent 
fait sans doute mieux que nous. 

Mais si, de ces pages familières qui rappel- 
lent les combats soutenus pour la bonne cause, 
la fidélité invincible de vos pères, la pieuse vie 
et la précieuse mort de vos frères, la sainteté 
do quelques-uns de vos maîtres qui ne sont plus, 
lu christianisme héréditaire de vos familles , les 
traditions de votre église et de votre patrie , les 
travaux de vos anciens, vos propres labeurs à 
vous, et vos jours de deuil et vos jours de 
gloire; si de tous ces enseignements, de ces sou- 
venirs et de ces exemples vous sentez se déga- 
ger un soufYlo de vertu, une étincelle de foi, un 
l>arAim d'amour do Dieu ou du prochain, lais- 
sex-vous aller à ce courant, mes chers fils : c'est 
U grâce qui passo^ et Dieu est avec elle. 



DÉDICACE VII 

Toutefois, comme vous le pensez bien, vous 
ne trouverez ici qu'une partie, une faible partie, 
des discours que je vous ai adressés régulière- 
ment dépuis que Dieu m'a donné à vous. Ceux- 
ci sont uniquement les discours de circonstance 
inspirés par les événements heureux ou mal- 
heureux de huit années de notre vie, dont ils re- 
tracent ainsi l'histoire particulière dans ses prin- 
cipales lignes. Quant aux instructions religieuses, 
doctrinales et morales que, durant cette période, 
je n'ai cessé de vous faire entendre à la messe 
de chaque dimanche sur le Collège chrétien, 
ses autorités divines et humaines, l'emploi de sa 
journée et chacun de ses exercices, son esprit 
et son âme , qui n'est autre que la vie de Jésus- 
Christ parmi nous, son œuvre et sa fin su- 
prême, qui est la formation de l'homme dans 
toutes les plus hautes acceptions de ce mot, 
enfin ses fêtes, ses modèles, son issue vers les 
carrières diverses de l'existence : c'est là tout 
un enseignement d'un ordre plus général, et 
trop étendu pour trouver place en ce livre. 

Nous aurons bientôt à voir s'il peut trouver 
place dans un autre, et si ces entretiens tout 
intimes et fort simples n'auraient pas trop à 
perdre à se produire au dehors. Que si, même 
sous cette forme, on peut en espérer quelque 
fruit pour la jeunesse, nous tâcherons de les 
recueillir dans un nouveau volume qui, avec ce- 
lui-ci, achèvera le tableau de l'œuvre que nous 



vin DÉDICACE 

avons voulu faire ou continuer parmi vous: 
mettre Dieu dans l'école. 

En attendant, mes chers fils, recevez ces pages 
du même cœur que je vous les dédie. Pourrai- 
je vous adresser encore des discours semblables? 
Pourrai -je reprendre auprès de vous le cours 
aimé des mêmes devoirs et des mêmes conso- 
lations? Le décret pontifical qui m'a imposé, 
hélas! un si lourd poids de sollicitudes ne me 
commandera-t-il pas un autre et grand sacrifice? 
Je tremble d'y penser, et je veux espérer encore. . . 

Toutefois, si, contre tous mes vœux, ces 
lignes de votre père se trouvaient être un tes- 
tament et un adieu, elles n'en seraient, j'en suis 
sûr, que plus sacrées pour vous. A défaut de la 
communauté de cette vie de religion et de cette 
vie de famille qui eût été le charme et qui fera 
le regret, l'inconsolable regret de mes dernières 
années, il restera toujours entre vous et moi, 
mes enfants, ce double lien auquel se rattachait 
Samuel, le jour où il déposait la judicature 
d'Israël : le lien de la prière que, comme lui, 
je me ferais un crime de briser : Absit a me 
hoc peccatum ut cessem or are pro vobis; puis le 
lien de la doctrine qui se trouvera perpétué par 
ces instructions : et docebo vos viam bonam et 
rectam. (l Reg. xii, 23.) 

Lille , ce 31 mai 1888 Jeudi de la Fête-Diea. 



f 



L'EXPULSION DU COLLÈGE SAINT -JOSEPH 



ET LE REFUGE A NOTRE-DAME 



I 



SOMMAIRE HISTORIQUE 

Le R. P. Pillon, de la compagnie de Jésus, recteur de 
récole libre Saint- Joseph , avait pu, môme après les si- 
nistres décrets de 1880, procurer encore à ses élèves 
rinstruclion quotidienne de quelques-uns de ses reli- 
gieux qui, dispersés et domiciliés en ville, ne paraissaient 
au collège que pour le temps des classes. 

Mais, dans l'été de cette année, ayant eu le généreux 
courage de recueillir dans son établissement les maîtres 
et élèves du collège de Boulogne expulsés de leur maison, 
ce fut le signal de dénonciations furieuses de la presse, 
suivies d'inspections inquiétantes de l'autorité académique. 
Finalement, après une. première instance au conseil aca- 
démique de Douai, dont la compétence fut repoussée, le 
R. P. Pillon fut jugé en appel devant le conseil supérieur 
de l'instruction publique, à Paris, et , à la majorité d'une 
voix seulement, suspendu de ses fonctions pour trois mois, 
sous l'inculpation d'avoir reconstitué dans son école une 
congrégation non autorisée par l'Etat. C'est ce que l'arrêt 
qualifiait dHmmoralité ! Le R. P. Pillon n'eut plus qu'à 
faire ses adieux à sa maison et à ses enfants. 

En effet, la suspension du recteur pour trois mois, 
laissant le collège sans directeur légal, avait pour consé- 
quence l'abandon de cet établissement jusqu'à ce qu'il fût 
pourvu à lui rendre un chef après les délais prescrits : 
c'était équivalent à une expulsion. 

Cependant un autre supérieur, qui depuis trois mois 
avait rempli par précaution les formalités voulues pour 
s'établir ailleurs, recueillit aussitôt, au milieu de jan- 
vier 1881, tous les élèves du collège dans une maison 
neuve du boulevard Vaùban, où nos cinq cent sept enfants 
inscrits immédiatement par leurs parents, tous fidèles, 
arrivèrent et s'entassèrent, coûte que coûte, sous cet abri. 

Cette translation ne fut l'affaire que de trois jours, 
pendant lesquels on fit des prodiges de diligence. L'en- 
trée scolaire fut précédée par la messe du Saint-Esprit , 



4 SOMMAIRE HISTORIQUE 

célébrée dans Téglise du Sacré-Cœur, mise généreusement 
par son curé, M. Tabbé Brandi, à notre disposition. C'est 
à celte messe de renlrée que fut prononcée Tallocution 
qu'on lira plus loin. 

Il fallut passer dans la maison du boulevard à peu près 
deux mois et demi de la plus rude saison , parmi le froid, 
la neige, la glace, les pluies; sans espace, sans cour de 
récréation, sans chapelle, au sein de privations, d'in- 
commodités et de souffrances de tous les instants, sup* 
portées , acceptées avec un entrain et une allégresse mili- 
taires. Nos enfants eux-mêmes ont appelé ce rude temps 
leur « campagne de Russie ». 

Des ecclésiastiques diocésains et autres , jeunes maîtres 
pleins de dévouement, vinrent nous prêter d*abord leur 
précieuse assistance et reconstituer les cadres de notre 
état -major. Plus tard, à Pâques, ce furent en outre 
MM. les professeurs de l'Université catholique qui s'of- 
frirent à professer la philosophie, les humanités, l'histoire 
elles sciences dans les hautes classes, lorsque les maîtres 
congréganistes durent forcément, par suite de nouvelles 
rigueurs, descendre presque tous de leurs chaires. 

Rien n'interrompit le travail, Tordre, la discipline; 
rien n'abattit les cœurs. La piété soutenait tout, l'hon- 
neur veillait sur tout. Chaque dimanche M. le Supérieur 
prêchait les enfants, avec leurs parents en grand nombre, 
dans l'église du Sacré-Cœur, entretenant les courages par 
l'exemple de « Jésus adolescent » à Nazareth et dans 
l'exil : c'était le sujet de ses instructions. Les familles 
tenaient bon, ainsi que leurs enfants, même les plus 
petits, qu'elles apportaient parfois dans leurs bras au 
temps de grande neige, de verglas ou de dégel. Un homme 
surtout était l'âme de Taction : c'était le père préfet, le 
R. P. Sengler, de sainte mémoire. On traversa la crise, 
on découragea Tenvie. La gloire de Dieu eut là de belles 
journées, et le « miséricordieux Jésus s'en souviendra 
longtemps », comme disaient nos vieilles chroniques. 



\ 



L'EXPULSION DU COLLEGE SAINT -JOSEPH 

ET LE REFUGE A NOTRE-DAME 



ALLOCUTION - 

Prononcée par le nonvean Sapén'ear à la messe dn Saini-Esprii 

eélébrée dans Tégllse paroissiale du Sacré - Cœur, 

le lundi 17 janyier 1881. 



Non relinquam vo$ orphanoê. 
Je ne voas laisserai pas orphelins. 

(JOAN.) 



C'est donc ici, mes enfants, que je vous ai donné 
notre premier rendez -vous. C'est dans cette église 
dédiée au sacré Cœur de Jésus que vous trouverez 
chaque matin une hospitalité dont je ne saurais assez 
remercier la cRarité courageuse de notre vénéré pas- 
teur. Que ce divin Cœur vous accueille aujourd'hui 
et vous abrite dans la crise présente ! Que le Saint- 
Esprit, que nous sommes venus invoquer en ce jour, 
TEsprit de lumière et de force, « nous couvre de son 
ombre » et « nous protège de ses ailes », car le nid 
est dispersé et un violent orage le secoue de toutes 



6 L'EXPULSION DU COLLÈGE SAINT-JOSEPH 

parts : Suh umbra alarum ttunrum, Dotnine, pro- 
tège nos! 

Ce premier cri d'alarme ne vous étonnera pas, 
car, vous le comprenez, mes chers fils, notre tristesse 
est grande. Gomment ne le serait-elle pas, envoyant 
l'extrémité où vous êtes réduits de quitter la maison 
de vos (( Pères », au sens littéral de ce nom? Mais il 
y a quelque chose de plus grand que notre tristesse, 
c'est notre invincible confiance en Celui dont il est 
écrit « qu'il juge les justices » ; et aussi notre recon- 
naissance envers Celui qui déjà nous a donné des 
gages de sa miséricorde. Aussi ne suis -je point 
venu ici pour me plaindre ou pour récriminer, mais 
seulement pour remercier; remercier Dieu d'abord, 
remercier vos parents, et vous remercier vous- 
mêmes. 

(( Qu'il soit donc béni, dirai-je d'abord avec l'Apôtre, 
qu'il soit béni le Dieu père de Notre-Seigneur Jésus- 
Christ, Dieu de toute consolation, parce que cette 
consolation s'est fait sentir au sein de la tribulation 
de toute sorte qui nous accable. » Quelle était donc 
:pour saint Paul la grande consolation dont il parlait 
en ces termes? C'était, explique-t-if ensuite, celle 
de pouvoir consoler ceux qui souffraient l'oppres- 
sion et de leur apporter l'encouragement que lui- 
même puisait dans le sein de Dieu : Ut possimus et 
ipsi consolare eos qui in omni pressura sunt, per 
éxhortationem qua ipsi exhortamur a Deo, Et moi 
aussi, mes chers fils, moi à qui il est donné pa- 



L»EXPULSION DU COLLÈGE SAINT -JOSEPH 7 

reillement d'apporter en ce jour quelque assistance 
à des pères et des enfants d'élite si étrangement 
frappés, je veux déclarer d'abord que ce m'est une 
grande joie et un insigne honneur. Et puisque Dieu, 
dans sa bonté, m'appelle à partager les combats 
de ses saints, laissez-moi l'en bénir comme d'une 
grâce de choix. On a si peu d'occasions, dans 
une pauvre vie d'homme, même dans une vie de 
prêtre , de témoigner solennellement son amour ^ 
Jésus- Christ, et à Jésus -Christ crucifié, qu'on doit 
s'estimer heureux qu'il veuille bien nous permettre, 
en un jour de péril, d'essayer du moins de faire 
quelque chose pour lui. 

Un autre sujet de consolation et d'action de grâces 
pour saint Paul, était la ferme espérance que ses 
fils bien- aimés sortiraient de cette angoisse et se 
sauveraient de leurs maux : Ut spes nostra firma sit 
pro vohis et pro vestra sainte. Cette confiance apo- 
stolique, je vous l'apporte, moi aussi ; et pour qu'elle 
soit plus assurée, ce n'est pas uniquement dans mon 
propre cœur que je l'ai puisée, je la puise dans le 
cœur affligé mais invincible du noble vieillard dont 
je tiens ici la place ; lui que nous entendions encore, 
ces jours derniers, nous dire tranquillement et 
magnanimement : « Les tempêtes de la terre, comme 
celles de la mer, obéissent à Dieu. » Je la puise 
surtout, cette confiance surhumaine, dans le sacré 
Cœur de Jésus, qui là, du haut de cet autel où 
règne son image, et de ce tabernacle où se cache sa 
présence , nous adresse ces paroles qu'on croirait 



8 L'EXPULSION DU COLLÈGE SAINT -JOSEPH 

dites exprès pour cette circonstance : « Venez à 
moi, vous tous qui êtes dans la peine et dans Tac- 
cablement, et je vous referai. » Oui, Jésus, vous 
nous referez. Vous nous referez notre ancienne vie , 
notre vie de travail, de régularité, de piété surtout 
et de tranquillité. Vous nous rendrez notre bercail , 
car, vous le savez bien , si nous vous le redeman- 
dons, c'est pour y vivre docilement sous votre hou- 
lette aimée , ô notre bon Pasteur ! 

Mon second remerciement sera pour les parents , 
pères et mères de famille , que je vois se presser ici 
autour de leurs enfants comme pour leur faire une 
garde contre un ennemi invisible. Je les remercie 
de n'avoir pas désespéré de l'avenir et de s'être 
obstinés, envers et contre tous, à ne vouloir pour 
leurs fils que l'éducation catholique donnée par la 
main de leurs prêtres. Je les remercie d'être venus 
fidèlement, et un à un, les faire inscrire tous à la 
nouvelle école comme ils l'étaient à l'ancienne ; tous 
jusqu'au dernier, sans qu'un seul nom, un seul sur 
plus de cinq cents noms , ait fait défaut à l'appel , 
sans qu'il y ait à regretter une seule défection. 

Et pourtant leur sollicitude paternelle et maternelle 
n'avait- elle pas quelque raison de concevoir des 
alarmes sur ce qu'allait devenir l'œuvre d'une éduca- 
tion dont l'exercice était entravé par de tels coups ? 
Et puis les maîtres éminents à qui on vient d'inter- 
dire d'élever vos enfants avaient droit à tant de re- 
grets! Ajoutons aussitôt : Et celui à qui leur chef, 



L'EXPULSION DU COLLÈGE SAINT -JOSEPH 9 

en s'éloignant de cette école , a transmis son poit- 
voir, vous était si inconnu 1 Mais qu'importe ! et ce 
sera là, chrétiens et éhrétiennes de Lille, votre 
grand acte de foi , vous n'avez nullement considéré 
la personne; et, ne voyant que le prêtre de Dieu, 
choisi par des hommes de Dieu , vous êtes venus à 
lui comme au mandataire de Dieu. Que ce Dieu 
vous en bénisse ! 

Il est vrai que quelques-uns parmi vous ont pu 
savoir que le nouveau supérieur qui leur était 
donné par le malheur des temps avait servi la jeu- 
nesse, et que son cœur ne s'était pas retiré d'au- 
près d'elle. On a pu leur dire aussi en quelles révé- 
rence et affection il tenait ceux qu'au collège les 
enfants appellent « les Pères » ; et ils ont pu en con- 
clure que, lui aussi, serait un père pour sa nou- 
velle famille. Vous l'avouerai -je? il n'est rien dont 
je leur sache plus de gré que de cette confiance, et 
il n'est rien que j'aie plus à cœur de justifier. Y 
parviendrai-je? je l'espère; car s'il me reste beau- 
coup à apprendre pour vous conduire, je n'ai abso- 
lument rien à apprendre pour vous aimer, mes très 
chers fils. Si donc c'est là le premier signe de la 
paternité, la mienne peut dès aujourd'hui vous don- 
ner l'assurance qu'elle vous est acquise, et que 
vous ne resterez pas orphelins : Non relinquam vos 
orphanos. 

Certes , vous le méritez bien, car je vous connais 
à peine, et voici que déjà j'ai à vous remercia, 

1* 



10 L'EXPULSION DU COLLÈGE SAINT-JOSEPH 

TOUS aussi, jeunes enfonts, et à vous féliciter. Je 
TOUS fôUcite doue et je vous remercie des larmes 
que VOUS avez versées, lorsqu'il y a quatre jours, 
réunis tous ensemble devant le saint Sacrement, 
VOUS avez reçu les adieux, temporaires je l'espère , 
de celui que cette unanime esplosion de votre dou- 
leur eût suQl à justifier, s'il en avait eu besoin 
auprès des honnêtes gens. Je vous remercie pareille- 
ment de votre fidélité à tous vos anciens maîtres , 
parce qu'elle vous honore et parce qu'elle honore la 
personne môme de Noire-Seigneur Jésus, dont ces 
glorieux expulsés portent le nom. Enfin je vous re- 
mercie de ce que, depuis trois jours, occupés à 
prendre ft l'improvîste possession de votre nouvel 
asile , aucun labeur, aucune intempérie n'a pu ef- 
frayer votre joyeuse vaillance au milieu des neiges 
et des frimas. Ah 1 volontiers je vous eusse souhaité, 
comme le Seigneur à ses disciples, que i votre 
fuite, mes chors fils, n'arrivAt pas en hiver ». Mais, 
puisqu'il on n été ordonné autrement par ceux qui 
ne vous aiment point, vous avez su leur montrerque 
volro intrépidité n'était pas au-dessous de leur ri- 
gueur. Kt iiuunt t. moi , en vous voyant le matin et 
le soir à l'cnavrc, si pleins de confiance et d'allé- 
gresse, j'ai hiitii compris alors que courage ^ient de 
coeur, la i;hom uuNfll bien que le mot; j'ai senti que 
ces onfanlH éliiimit déjà des soldats, et j'en ai tiré 

'e. 

tlanti* noas allons nous trans- 
(lanH notre maison d'emprunt. 



l'expulsion du collège saint -JOSEPH M 

à quelques pas d'ici, pour y ouvrir nos classes. 
Vous la trouverez, cette maison, bien petite pour 
votre grand nombre, surtout si vous la comparez au 
palais grandiose que vous venez de quitter. Mais ne 
l'oubliez pas, jeunes soldats de Jésus-Christ, vous 
faites campagne pour lui; et ce n'est pas un palais 
qu'habite le soldat en campagne, c'est une tente. 

Cette nouvelle maison, à peine achevée aujour- 
d'hui, nous lui avons donné pour patronne Notre- 
Dame, dont elle portera le nom. L'Université catho- 
lique, qui nous la prête pour le temps que durera 
notre exil, l'avait faite pour ce qu'elle nomme 
« une maison de famille ». Nous acceptons ce nom 
en l'élevant à la divine signification qu'elle eut à 
Nazareth. Nous n'en trouverions aucun autre qui 
dise mieux l'esprit que nous y ferons régner; et 
nous sommes heureux de penser qu'en passant, 
comme nous le faisons, de l'école Saint- Joseph 
à l'école Notre-Dame, nous demeurons toujours 
dans ce la sainte Famille d. 

Maintenant continuez l'hymne sainte; invoquez 
l'Esprit créateur : il a tant à créer sur cette terre 
nouvelle où nous allons entrer! Qu'il en éloigne 
l'ennemi et ses hostilités : Hostem repellas longiiis I 
Qu'il nous y donne la paix , et nous la donne au plus 
tôt : Pacemque donesprotinus! Qu'il nous fasse évi- 
ter tout mal et tout accident, du dedans au dehors : 
Ductore sic te prœvio, vitemiis omne noxium. Qu'il 
nous garde surtout du péché : c'est là le seul mal 
qu'il faille craindre. Ahl si, dans cette maison de la 



12 L'EXPULSION DU COLLÈGE SAINT -JOSEPH 

Yiei^e Immaculée, ce bonheur nous était donné que 
pas un péché grave, par un seul, n'offensât jamais 
ses regards de mère, que cette demeure d'exil de- 
viendrait belle à nos yeux! Rien ne serait plus que 
cela capable de nous consoler de ces douloureux 
changements d'habitation sur la terre , et de nous 
faire attendre patiemment le séjour de la cité per- 
manente, dans le Ciel. Ainsi soit-il! 



[I 



LE RETOUR AU COLLÈGE SAINT-JOSEPH 



Dans le mois de février, M. le Supérieur de Pécole 
Notre-Dame fit la déclaration et remplit les formalités 
requises par la loi pour la translation de son école dans 
les bâtiments de l'ancien collège Saint-Joseph. 

L'autorité académique elle-même, voyant Tunanimc 
obstination des familles à rester fîdèles à cette éducation , 
et, sans doute aussi, impressionnée par le sentiment pu- 
blic, très ému de ce douloureux entassement de plus de 
cinq cents enfants dans ce refuge improvisé en une telle 
saison, semblait disposée à suspendre ses rigueurs. 
MM. les inspecteurs, dans leurs visites réitérées, avaient 
demandé officieusement au Supérieur sUl n'y aurait pas 
lieu de penser au retour prochain dans le grand établis- 
sement, qui se dressait presque en face, de l'autre côté 
du boulevard, comme un regret pour les uns, un reproche 
pour les autres... 

Au bout du délai réglementaire d'un mois après la dé- 
claration, la translation se fit, à la grande joie univer- 
selle ; et Ton choisit pour celte rentrée la fête de l'An- 
nonciation, 25 mars 1881. Il y avait soleil dans le ciel et 
dans les cœurs ce jour-là. 

Saint Joseph rentrait chez lui. « Joseph, dit l'Évangile, 
se levant alors et quittant la terre d'Israël, prit l'enfant 
et sa mère, et il revint dans la terre d'Israël , et il se fixa 
à Nazareth, » d'où il était sorti. 



II 



LE RETOUR AU COLLÈGE SAINT-JOSEPH 



ALLOCUTION 

Prononcée à la mosse de la fête de rAnnonciation , 
dans la chapelle du collège, 25 mars 1881. 



Mes chers enfants, Dieu soit béni ! Vous voici donc 
rentrés dans votre beau collège , après presque trois 
mois d'exil, ainsi que vous en receviez l'annonce 
dimanche dernier avec une grande joie : Lxtatus 
sum in his quse dicta sunt mihi, in domum Domini 
ihimiis. 

C'est bien, en effet, la maison du Seigneur, que 
cette demeure royale que couronne la croix, et où la 
statue de Joseph tenant Jésus dans ses bras, placée 
au-dessus du portique, semblait vous presser de re- 
venir. C'est aussi votre maison, à vous, mes chers en- 
fants, qui allezy retrouver de si doux souvenirs, mais 
oîiyhélas ! vous chercherez vainement le Père vénéré 
qui vous l'avait bâtie ^ et qui, par un mystère que 



16 LE RETOUR AU COLLÈGE SAINT -JOSEPH 

VOS âmes honnêtes ne sauraient point comprendre, 
se trouve n'avoir plus le droit de demeurer chez lui. 
Vous y serez, vous du moins, complètement chez 
vous , et tout vous y dit : Entrez I Voici vos études , 
vos classes ornées du crucifix, de l'image de Marie 
et des blasons de votre chevalerie écolière. Voici 
vos vastes cours , qui tout à l'heure vont retentir de 
vos rires et de vos jeux. Voici vos jardins, qui com- 
mencent à reverdir aux premiers souffles du prin- 
temps. Et déjà j'ai pu voir, en me rendant ici , toute 
notre jeune famille qui nous arrive de tous les quar- 
tiers delà ville et d'au delà, qui se reconnaît, se 
dilate, s'épanouit dans ces vastes espaces où circule 
la lumière, se livrant tout entière à la joie de la dé- 
livrance et à la joie de l'espérance. 

La chapelle s'est donc rouverte ; et c'est surtout là 
que nous sommes chez nous, mes chers fils, puisque 
c'est là que nous sommes dans la maison de notre 
Père et de notre Mère des cieux. N'est-ce pas la 
main de Marie qui nous ramène auprès de Joseph, 
et n'est-il pas à la fois instructif et heureux que notre 
rapatriement se fasse en cette journée, qui est 
celle d'une fête de la Mère de Dieu : l'Annonciation 
de l'Ange à Marie et l'Incarnation du Verbe dans 
son sein virginal? 

Que se passait -il alors à Nazareth, et que se 
passe -t-il en ce jour parmi nous? 

En ce temps-là, dit l'Évangile , l'Ange salua Marie 
et lui dit : « Ne craignez rien, Marie, car vous avez 
trouvé grâce auprès de Dieu. Voici que vous conce- 



LE RETOUR AU COLLÈGE SAINT -JOSEPH 17 

vrez et que vous enfanterez un fils que vous appeUe- 
rez Jésus, et il sera le fils du Très-Haut..., et son 
règne n'aura point de fin. y> Et quand, répondant à 
ces paroles, Marie eut prononcé son Fiat créateur : 
« Voici la servante du Seigneur, qu'il me soit fait 
selon votre parole, » le Verbe de Dieu se fit chair et 
habita parmi nous. 

Ainsi en fut-il encore tout à l'heure, mes chers fils. 
L'incarnation s'est continuée dans la consécration. 
Ce matin, à une première messe qui a précédé 
celle-ci, le Verbe de Dieu est descendu ici comme 
à Nazareth. Depuis trois mois bientôt le tabernacle 
était vide, ce sanctuaire était solitaire, ce temple 
était désolé, les lampes étaient éteintes, les hymnes 
saints étaient muets. Mais voici que depuis un in- 
stant la vie est revenue ici avec l'Auteur de la vie; 
le très saint Sacrement a repris sa place en ce lieu ; 
tout à l'heure Thostie sainte rayonnera dans l'osten- 
soir; et je puis bien redire ici ce qu'un jour je lisais 
inscrit dans la Santa Casa de Lorette, où j'allais 
célébrer le sacrifice du Corps et du Sang du Dieu 
fait Homme : Hic verhum caro factum est, et hahitor 
vit in noHs, 

Nous avons donc, comme Marie, « trouvé grâce 
auprès de Dieu» d Cette grâce de recouvrer enfin 
votre collège, je sais ce qu'elle vous a coûté, mes 
chers enfants. Quelle lutte de près de trois mois 
contre le froid, la glace, la pluie, la neige battante 
ou la neige fondue, les chemins impraticables et 
qu'il fallait cependant pratiquer quotidiennement, 



18 LE RETOUR AU COLLÈGE SAINT -JOSEPH 

dès le matin avant la lumière et le soir déjà dans 
l'ombre; puis la gêne perpétuelle d'une maison trop 
exiguë, la difficulté des services, les menaces du 
dehors, les dérangements du dedans, sans compter 
les visites de ceux qui n'étaient pas précisément les 
anges de la bonne nouvelle. C'était bien le foris 
pugnœ, intus timorés du livre de l'Imitation. Rien 
de tout cela n'a découragé ni votre bon esprit , ni 
votre amour de l'Église et de ses serviteurs. La grâce 
que nous avons trouvée aujourd'hui devant Dieu , 
vous l'aviez bien méritée, mes enfants, devant les 
hommes. 

Vous n'oublierez jamais ces jours -là, je vous en 
conjure. Ils sont de ceux dont le souvenir a sa dou- 
ceur, comme dit le poète; mais ils sont surtout de 
ceux dont le souvenir est une force, parce qu'ils re- 
trempent l'âme dans l'idée du sacrifice , et remettent 
en mémoire l'austère image du devoir. Parfois, 
quand de vos fenêtres vous apercevrez, de l'autre 
côté du boulevard, cette maison à la façade archi- 
tecturale que vous les premiers vous aurez habitée, 
vous n'oublierez pas non plus ceux qui vous l'ont 
prêtée, ni ceux qui prochainement vont l'habiter 
après vous. Il est dit dans l'Écriture que, l'Arche 
d'alliance ayant reposé trois mois dans la demeure 
d'Obédedom, Dieu bénit Obédedôm et sa maison tout 
entière, à cause du séjour que l'Arche y avait fait. 
C'est plus que l'Arche d'alliance que nous avons fait 
reposer dans cette maison de famille, c'est le corps 
et le sang divins de la nouvelle alliance que nous y 



LE RETOUR AU COLLÈGE SAINT -JOSEPH 19 

avons gardés dans une modeste chapelle; et si la 
présence réelle de Jésus -Christ n'y est plus, sa 
bénédiction y reste et y restera, j'espère, sur ceux 
qui nous succéderont. 

Un dernier mot, mes enfants. La maison change, 
mais le devoir reste ; et vous y êtes d'autant plus 
obligés maintenant dans ce collège que rien, j'aime 
à le croire, n'en entravera plus désormais l'accom- 
plissement. L'Ange disait à Marie que Jésus son fils 
régnerait dans la maison de Jacob et que son règne 
n'aurait pas de fin. Qu'il règne de même à jamais 
dans cette maison de son peuple , qu'il abrite sous 
son sceptre cette jeune tribu de Benjamin, et que 
son règne ne connaisse pas de déclin parmi nous : 
Et regni ejus non erit finis. 

C'est la persévérance que je vous demande , mes 
enfants, par ces paroles de l'Ange. Marie, dans ce 
même mystère, vous en montrera les sentiers; et 
elle vous apprendra à quel prix, ainsi qu'elle, vous 
achèterez Jésus, le trésor des cieux. Vous l'achète- 
rez, comme elle, au prix de la pureté : Ecce, Virgo, 
concipies. Jésus est l'Agneau sans tache à qui les 
vierges font cortège. Vous l'achèterez , comme elle , 
au prix de l'humilité : Ecce ancilla Domini; moins 
vous serez pleins de vous-mêmes, plus il y aura 
de place en vous-mêmes pour Dieu. Vous l'achè- 
terez enfin au prix de l'obéissance : Fiat mihi 
secundum verhum tuum. L'obéissance, dit l'Écri- 
ture, assure des victoires; et la victoire la plus 
grande dont je vous félicite, ce n'est pas celle 



20 LE RETOUR AU COLLÈGE SAINT-JOSEPH 

qui VOUS rend aujourd'hui cette patrie visible de 
VOS âmes, c'est celle qui, ce matin, vous a rendu 
Jésus vivant en vous par sa grâce, en attendant 
qu'il y vive par sa gloire étemelle. Ainsi soit -il. 



III 



LE BULLETIN DU COMBAT 



Quelques jours avant la Iranslation du collège dans la 
maison Notre-Dame, le diocèse de Cambrai avait perdu 
son èminent archevêque, le cardinal Régnier, qui, dans 
les derniers mois de sa vie, avait donné de vive voix et 
par lettre à la future organisation de Técole sa chaleu- 
reuse approbation, sa meilleure bénédiction et son encou- 
ragement le plus énergique. 

Son vénérable successeur, M^' Duquesnay, continua le 
même intérêt pastoral à cette œuvre de sauvetage , si dé- 
cisive pour le maintien de Féducation chrétienne dans la 
plus grande ville du Nord. Peu de temps après son ins- 
tallation , il accepta de venir présider la distribution so- 
lennelle des prix, à laquelle se porta toute Pélite des 
familles catholiques de Lille. 

Ce fut une grande journée. Cette assemblée de nos ca- 
tholiques militants ressemblait à une revue passée par le 
général en chef le lendemain d'une bataille. C'était Fheure 
de lui présenter le Bulletin du combat. 



III 



LE BULLETIN DU COMBAT 



DISCOURS 

Prononcé par H. le Supérieur à la distribution des prix 
présidée par Mgr Duquesnay, archeyêque de Gambr&i , 

1^^ août 1881. 



Monseigneur, 

Que béni soit le jour qui vous amène parmi nous ! 
Il y a si longtemps que nous vous appelions de nos 
vœux! C'est que nous avons souffert une grande 
tribulation , Monseigneur. Il y a un an bientôt que 
nous sommes sur la brèche : Saint -Joseph fut as- 
siégé; Saint-Joseph s'est défendu. Nous avons eu 
nos assauts , nos sorties , nos campements , notre 
garnison décimée, nos meilleurs chefs enlevés. Nous 
avons tenu quand même, et nous avons tenu tous. 
Pas un soldat n'a déserté, la place est encore en- 
tière ; et puisque vous venez h elle , elle n'est pas 
près de se rendre. 



24 LE BULLETIN DU COMBAT 

Le grand cœur épiscopal qui, avant vous, Mon- 
seigneur, nous animait à ces luttes, nous criait de 
Cambrai : « Je suis avec vous, courage. Dussé-je me 
feire moi-même maître d*études chez vous, comptez 
sur moi! :» 

Et voici qu'aujourd'hui, lui succédant au com- 
mandement en chef de ce diocèse, vous venez vous- 
même dans nos murs, qui se sentent désassiégés 
par votre seule présence. Et voici que, passant en 
revue notre petite armée , vous allez bénir ses dra- 
peaux et récompenser ses braves. Ne vous étonnez 
donc pas si tout à l'heure, à votre entrée, les clai- 
rons vous saluaient, les tambours battaient aux 
champs : c'était l'espérance qui entrait, c'était déjà 
le salut, c'était l'envoyé de Dieu, c'était l'oint du 
Seigneur : Béni soit donc celui que le Seigneur nous 
envoie : Benedictus qui venit in noinine Domini ! 

Que Votre Grandeur, Monseigneur, me permette 
de le lui rappeler : Dieu vous fit pour consoler ce 
genre de souffrances, en vous en faisant connaître 
de semblables à celles-là dès votre première jeu- 
nesse. C'était au mois d'août 4828; vous étiez à 
Blamont, succursale de Saint -AcheuL La liberté, 
en France, entrait en agonie; on la tuait à coups 
de décrets. Ceux que vous appeliez justement vos 
Pères étaient enlevés à leurs enfants : près de 
huit cents enfants venus dé tous les points de la 
France ! 

Quel déchirement ce fut, vous pourriez nous le 
dire. Mais ce que vous avez oublié aujourd'hui , ce 



LE BULLETIN DU COMBAT 25 

que VOUS n'avez jamais su complètement peut-être, 
ce sont les destinées qu'on présageait dès lors à l'un 
de ces jeunes enfants , sur lequel reposaient déjà les 
plus heureuses et les plus brillantes espérances. Il 
venait de faire à cette époque sa première commu- 
nion. Quand il lui fallut quitter ces maîtres qu'on 
chassait de chez eux, il s'agenouilla en larmes pour 
recevoir de leurs mains une dernière bénédiction , et 
il leur fit le serment de ne les oublier jamais. 

Cette bénédiction a fructifié sur sa tête, où Dieu 
a mis le sacre des successeurs d'Aaron. Son ser- 
ment tient toujours; et aujourd'hui, devenu arche- 
vêque de Cambrai , le successeur de Fénelon s'est 
ressouvenu de la promesse du jeune enfant de Saint- 
Acheul. Et lui qui fut béni , en ces jours de dé- 
sastres, par ces hommes grands et bons qui s'appe- 
laient le P. Loriquet et le P. Cellier, le P. Mollet 
et le P. Barthez, est venu nous consoler, en des 
jours trop semblables, de n'être plus bénis, hélas! 
par le R. P. Pillon. 

Ahl que n'est- il à cette place, le vénérable vieil- 
lard que je viens de nommer! Que ne retrouvez- 
vous ici, pour vous ouvrir sa maison, celui qui vous 
connut jeune enfant dans une autre école, égale- 
ment chère à tous deux! C'eût été Saint -Acheul 
ressuscité dans Saint -Joseph à quarante ans d'in- 
tervalle. 

Dieu ne nous a pas donné la consolation d'un pa- 
reil spectacle; et la seule qui me reste, dans ma 
confusion d'occuper la même place, c'est de me re- 

2 



26 LE BULLETIN DU COMBAT 

tourner par le cœur vers ce père absent , et de lui 
dire la parole du Seigneur Jésus à son Père des 
Cieux : a Père, je vous rends grâces de ce que, 
entre tant d'enfants que vous m'avez donnés, je 
n'en ai perdu aucun ! » 

A qui en revient le mérite? 

Ce serait justice d'abord d'en renvoyer l'honneur 
à ceux qui, avant moi, ont semé dans le champ où 
moi, ouvrier de la dernière heure, je n'ai eu ensuite 
qu'à recueillir la moisson. Mais ces semeurs ont fait 
le vœu de ne chercher d'autre gloire que « la plus 
grande gloire de Dieu ». Ne leur infligeons donc pas 
le témoignage d'une reconnaissance qui , du reste , 
est gravée ici dans tous les cœurs. Aussi bien ce 
serait maladroitement les aimer que de dénoncer 
publiquement leur mérite, dans un temps où ce mé- 
rite fait, précisément le plus grand de leurs crimes. 

Je suis plus à l'aise , Monseigneur, pour publier 
les services d'un corps de volontaires venus sponta- 
nément combler les vides que l'ennemi avait faits 
dans nos lignes. 

Pour commencer par les jeunes , je m'en voudrais 
de ne pas mettre à l'ordre du jour ces courageux 
lévites de votre grand séminaire de Cambrai , qui , 
sur un seul mot, le mot de Jésus -Christ aux 
apôtres : Amas me? Amas me? ont quitté leurs 
études pour venir présider les nôtres, et à qui le 
Seigneur a fait soudain une âme de père et de pas- 
teur pour paître nos agneaux : Pasce agnos meos. 

Mais ce qu'il faut honorer ici au-dessus de tout, 



LE BULLETIN DU COMBAT 27 

c'est le dévouement sans nom de tous ces doyens et 
professeurs de nos Facultés catholiques, descendant 
de leurs hautes chaires pour balbutier avec nous le 
rudiment des lettres, des sciences, de la philoso- 
phie et de rhistoire. Avec quelle spontanéité, quelle 
persévérance, quel désintéressement!... Je ne puis 
dire ici tout ce que je sais. 

Que c'est bien toujours là le pays qui jadis, dans 
un siège fameux, a vu s'improviser une artillerie vo- 
lontaire pour la défense de la place! Seulement ici 
il se trouve que nos canonniers ne sont autres que 
des officiers supérieurs, se faisant simples soldats 
pour desservir nos pièces et reformer nos batteries 
une et deux fois démontées. 

Ah! Messieurs des Facultés catholiques de Lille, 
l'Église pourrait décréter, elle aussi, que a vous 
avez bien mérité de la patrie » chrétienne ! 

C'est qu'eux et nous. Monseigneur, nous nous 
sentions appuyés par ce ban et cet arrière-ban des 
pères et mères de famille que vous voyez ici, où ils 
sont venus demander pour leurs fils et pour eux 
l'encouragement de votre parole et la grâce de 
votre bénédiction. 

Sans doute , vous nous l'avez déjà déclaré élo- 
quemment dès votre entrée parmi nous, et, ce qui 
est encore plus éloquent que votre parole, vous 
nous l'avez fait voir, vous vous regardez comme le 
débiteur de tous. Mais si, dans cette charité qui ne 
fait point acception de personnes, votre cœur de 
père a quelquefois souhaité de toucher de plus près 



28 LE BULLETIN DU COMBAT 

le cœur de sa \'iUe de Lille ; si vous avez souhaité 
de sentir palpiter les forces catholiques de la grande 
cité, que vous êtes bien placé aujourd'hui pour cela, 
ici, entouré de nos nobles et vaillants administra- 
teurs, au centre des intrépides souteneurs des droits 
de l'Église et de la liberté , tant qu'il sera permis en 
France d'en évoquer le souvenir et d'en prononcer 
le nom. 

C'est ici , c'est dans ce sol des familles catholiques 
que la tradition chrétienne a des racines séculaires; 
on ne les arrachera pas. Et si, dernièrement encore, 
nous avons osé tant insister auprès de Votre Gran- 
deur pour qu'elle daigniât envoyer à notre xigae 
des ouvriers de choix, c'est que nous sentions 
qu'il y avait ici pour la foi d'une grande ville 
une question de vie ou de mort. C'est qu'ayant 
accepté, témérairement peut-être, d'accomplir dans 
cette école une œuvre de salut, je ne puis me faire 
à ridée, et certainement je ne me ferais jamais à la 
douleur de voir périr entre mes mains , si impuis- 
santes que je les sache , cet héritage du passé et 
cette sauvegarde de l'avenir. 

Heureusement, Messieurs, j'ai de quoi me rassu- 
rer et vous rassurer vous-mêmes. Nous avons lu, et 
aujourd'hui la France entière a lu l'admirable Lettre 
pastorale que le respect, Monseigneur, m'interdit 
de louer devant vous; mais dont tout catholique a 
le devoir de vous remercier. 

J'ai entendu ces paroles , et je les ai trouvées si 
fermes et si fières, qu'elles me semblaient un écho 



LE BULLETIN DU COMBAT 29 

de cet immortel discours prononcé ici même, il y a 
trois siècles, au sacre de l'Électeur de Cologne, 
dans notre collégiale de Saint -Pierre de Lille^ par 
notre premier pasteur, lorsque ce premier pasteur 
s'appelait Fénelon. 

J'étais là, à vos pieds, au pied de votre chaire 
de Cambrai , lorsque vous nous disiez : « Notre am- 
bition serait qu'un jour on pût graver sur notre 
tombe cette épitaphe que nous avons lue sur la tombe 
d'un évêque : Nemo tam pater : Personne n'a été 
,plus père qucflui. » Nous n'aurons pas de sitôt, 
j'aime à croire. Monseigneur, à la graver sur votre 
tombe ; mais nous n'avons pas attendu jusqu'à au- 
jourd'hui pour la graver dans nos coeurs. 

Et lorsque, il y a quatre jours, vous vouliez bien 
m'assurer que vous étiez entièrement dévoué à 
Saint- Joseph, dévoué jusqu'au sacrifice, j'ai com- 
pris cette paternité, et je me suis rappelé cette autre 
parole que Fénelon adressait aux pasteurs des âmes : 
« Soyez pères; je ne dis pas assez : soyez mères! » 

Confiance donc, mes chers enfants, vous n'êtes 
plus orphelins : Nolite timere, pusillus grexl En 
vous présentant à la bénédiction de l'Évêque de vos 
âmes, je vous place, vous et moi, sous une force 
qui nous couvrira de sa main. 

Me sera-t-il permis d'ajouter, mes chers fils, que 
je vous en crois dignes? 

Cette année de tribulation a été une année de 
sanctification : c'est le fruit de la divine fécondité de 
la croix. Que de fois , en vous voyant dans les mois 



30 LE BULLETIN DU COMBAT 

de notre campement, tous, les petits comme les 
grands, parmi la neige et la glace, plus compacts, 
plus ardents, plus joyeux que jamais, je me suis 
rappelé là parole d'un de vos poètes : 

Qui juvenes! quantas ostentant aspice vires! 

L'heure est venue de les renouveler, ces forces , 
dans le repos. Allez donc dans vos familles porter 
l'aimable exemple des vertus qu'ici même, durant 
cette année scolaire, je vous ai prêchées tant de 
fois. 

Et vous, nos aînés, vous qui êtes parvenus au 
terme de la carrière scolaire, allez grossir dans 
notre province les rangs des hommes de foi et des 
hommes de bien qui en sont l'honneur et la force. 
Nous en avons tant besoin! Mais, avant de vous 
éloigner, venez recevoir la couronne de vos travaux 
de l'année. Ce fut une année de campagne; les 
années de campagne comptent double pour l'avan- 
cement des soldats. Dieu fera ainsi pour vous. 



IV 



RÉPONSE ET PROTESTATION DE M°» L'ARCHEVÊQUE 



La Taillante improvisation qu^on va lire a été recueillie 
par la sténo^aphie et publiée dans le journal le Propa- 
gcUeur, du 2 août 1881. 

Elle a été souvent interrompue par les applaudisse- 
ments de rassemblée, et suivie d^une longue acclama- 
tion. 

A rissue de la distribution des prix, les élèves se sont 
rendus à Téglise paroissiale du Sacré-Cœur, où a été 
célébré le salut solennel d'action de grâces, pendant 
lequel tous les lauréats sont venus, selon Tusage, dé- 
poser leur couronne au pied du très saint Sacrement, au 
chant du Te Deum, 



IV 



RÉPONSE ET PROTESTATION 

DE MoR L'ARCHEVÊQUE 



Chers Parents, 
Chers Enfants, 

J'ai eu peine à maîtriser Témotion qui a envahi 
mon âme, lorsque tout à l'heure le discours de 
M. le Supérieur a évoqué les plus chers et en même 
temps les plus douloureux souvenirs de ma jeu- 
nesse. 

Qui eût dit, qui eût pensé que cette France, qui, 
au commencement de ce siècle , marchait à la tète 
de la civilisation par les conquêtes de l'esprit, plus 
encore que par ses armes victorieuses et par sa 
diplomatie , et qui imposait ainsi à l'Europe entière, 
que cette France, — comment dire cela pour ne 
pas offenser l'amour dû à la patrie, en gardant toute- 
fois le droit de la vérité? — que cette France serait 
infidèle à la cause sacrée de la liberté? 

Il y a cinquante -trois ans, à cette époque néfaste 

2* 



34 RÉPONSE ET PROTESTATION DE ll«« L'ARCHEVÊQUE 

de la dispersion des msdtres de ma jeunesse, la 
guerre était donc déjà déclarée à la religion sans 
doute, mais déclarée d'abord et surtout à la liberté. 
C'est un honneur pour l'une et pour l'autre qu'il 
semble qu'on ne puisse arriver à l'une sans passer 
par la poitrine et le cœur de l'autre. 

M. le Supérieur nous rappelait tout à l'heure cette 
triste page d'histoire. 

La malheureuse année 1828 voyait fermer Saint- 
Acheul, Montmorillon, Bordeaux, en un mot, les 
onze collèges que les Jésuites avaient alors en 
France. Ils n'en avaient alors que onze; en 1880 ils 
en possédaient vingt-cinq; c'était l'honneur du pays, 
c'était l'espérance de la religion. Elle reprenait par 
l'éducation son salutaire empire, et les hommes de 
mon âge peuvent comparer la situation religieuse 
actuelle avec celle de cette année 1828. Combien 
plus belle et plus forte la voyons-nous aujour- 
d'hui! 

Je n'en saurais dire autant de la cause de la 
liberté, qui m'est presque aussi chère que celle de 
la religion. La foi, elle, a jeté depuis le baptême de 
Clovis de si profondes racines dans l'âme de la 
France, qu'on ne parviendra pas à l'en arracher. 
Mais la liberté, la chère, la sainte liberté, qu'est-elle 
devenue, et que devient-elle tous les jours? Je les 
entends, ces hommes qui en sont, semblerait-il, les 
tenants les plus officiels ; ils l'invoquent hautement, 
ils proclament son avènement, ils la saluent avec 
emphase , ils en écrivent le nom sur tous les murs. 



RÉPONSE ET PROTESTATION DE MO» L'ARCHEVÊQUE 35 

Et cependant ce sont eux qui outragent, qui violent, 
qui égorgent la liberté! 

Je ne crains pas de dire ces choses , et bien haut. 
Je me rends compte de mon caractère officiel et de 
la portée de ma parole. Mais, s'il en est à qui mon 
langage porte ombrage et qui estiment que j'abuse 
de mon droit, qu'ils me reprochent, s'ils se sentent 
le triste courage de le faire , d'avoir élevé la voix 
pour la défense de la liberté attaquée et outragée ! 

Dans cette maison. Messieurs, vous avez fait 
autre chose que de la défendre par la parole; vous 
l'avez sauvée, vous et tous ceux qui ont prêté leur 
concours à votre œuvre, prêtres, lévites, profes- 
seurs de Facultés, et les élèves eux-mêmes. Tous 
ont droit à notre reconnaissance* Ils ont lutté avec 
tant d'énergie qu'on n'a pu les vaincre. Il y a véri- 
tablement eu de la gloire pour eux à se relever si 
vite après les coups si violents qui leur ont été 
portés. On est bien fondé à saluer en eux les cham- 
pions de la liberté et de la foi , les vainqueurs de la 
bonne cause. 

Ce qui doit nous consoler, c'est que cette mai- 
son vivra par cela même qu'elle personnifie l'union 
de la foi et de la liberté; cette double force la 
portera. 

On cherchera peut-être encore à entraver le dé- 
veloppement de votre établissement, à mettre en 
question son existence même; on se servira peut- 
être contre lui, — je ne dis pas de la loi, émanation 
de Dieu, devant qui nous nous inclinons tous, — 



36 RÉPONSE BT PROTESTATION DC »«» L ARCHEVÊQUE 

mais de la légalité, qui n^est pas toujours, malheu- 
rouftement, d*accord avec réq[uilé, 

La légalité, c*est là uq adversaire anqud il fàjai 
foires fooe, un ennemi qu^ ne faut pas craindre de 
regarder dans le« yeux. 

I>ui8qu*il faut toujoui^ s'attendre à quelque ten- 
tative) do sa (kcon, nous aurons recours, si cela 
eni n&i'OHm\n)^ aux jurï$o<msultes, aux hommes 
lia loi tiiil noua détondront ; et nous en avons d'é- 
iuiuc*ut«*, giAco h Diou, ix>ur parer les coups de 
MurpritiO dt^ lol onniMni astucieux! (Applandisse- 

MaiXi nrt Toubliox i>ns, vous puiserez toujours 
yoirti prliu*l|)rtlt^ foive dans le respecl des traditions 
dii l'HtiH nmlAOu ^ qtii sont ivJles de PiUustre compa- 

i'Miti«jiJ*)l lu l'ttul , nous n'nurcms plus ces chers 
l*L'tvt» ui lut» rliurH Fh'^ivs, nous n'aurons plus ces 
^i^hU uifUit» ) uli^iuiu, tlU d<^ saint I^ace; maissinous 
f^ij li M 4V0Mt» pliM, jmivo que cette affireuse légalité 
^ ^/.gi-H h )u^hl)^utto^lll^ nous jrwxlerons leur esprit, 
Uintf iht*hUnhti Miuti no som ohâu^^ dans leurmé- 
ih*^4*: tn *Uh» luiM ilittoiplino. tomaison continuera, 
>^»>v^ ^<*;''/^^ >)).'u^ {< ^Hrt U u^Aison selon le co^ir et 
i i,^j;A)i //i; |<^ < WiMfMMMlo do Jï^sus. (^ Aoolamations et 

A h\i^n^i^ U VMtt oiM'luhn u\rtttri\^,ct en particu- 
i'^^ *^'^ /* I' l'lll»ill, loulos Viv^ acclamations. 

^i ) V ><'>^/^ ' ' M<i uMnu|hl0 quoiquos Jésuites; ils 



RÉPONSE ET PROTESTATION DE M^» L'ARCHEVÊQUE 37 

y sont revenus comme tout citoyen poli et honnête 
en â le droit (sourires); ils auront la bonté de porter 
au R. P. Pillon l'expression de mes hommages res- 
pectueux, et d'ajouter que l'assemblée tout entière 
s'y est associée par ses acclamations. 

Maintenant je termine en ratifiant ce que mon 
vénérable prédécesseur avait dit, et les assurances 
que je donnais il y a quelques jours à trois de vos 
administrateurs. Les collaborateurs de mon cha- 
pitre et tout le personnel de mon clergé se feront un 
devoir de soutenir cette maison, et, si c'était pos- 
sible, d'ajouter à sa prospérité et à son éclat. (Longue 
salve d'applaudissements.) 



DIEU DANS L'ÉCOLE 



DIEU DANS L'ÉCOLE 



DISCOURS 

Prononcé à la distribution des prix présidée par Mgr Monnier, 

ÉTéque de Lydda, Auxiliaire de Cambrai, 

le 31 juillet 1882. 



Monseigneur , 

Notre première parole doit être un remerciement 
pour l'honneur et la joie que Votre Grandeur nous 
apporte aujourd'hui. Nous devons dire toutefois que, 
si nous sommes très touchés de cette marque de 
bienveillance, nous sommes loin d'en être surpris. 
Habitué que vous êtes à parcourir en tous sens 
ce vaste diocèse comme un champ de bataille, nous 
savons que vous aimez à porter de préférence votre 
présence et votre parole sur les points les plus 
menacés. Nous sommes un de ces postes de péril 
et de combat, et nous vous attendions. Nous ai- 
mons à croire, du reste, que vous-même vous ne 
serez pas sans goûter quelque douceur à trouver 



42 DIEU DANS L'ÉCOLE 

dans cette maison une Êunille sœor de celle à la- 
quelle TOUS avez consacré trente années de votre 
vie; et noos serions heoreox si, comme l'Andro- 
maqoe antique, vous pouviez reconnaître sur le 
firent de nos enfamts de Lille les traits qui vous rap- 
pelleront vos en£auQts du petit séminaire de Gam- 
rai : Sic ocuîos^ sic ille manus, sic ara ferebat. 

Mais, si je ne me trompe, Monseigneur, un autre 
et plus grand titre nous a mérité le r^ard du 
pontife de Jésus -Christ : c'est qu'en ces tristes 
jours du règne de l'école sans Dieu nous sommes 
et voulons être ici YÉcoîe de Dieu ! 

Yoilà, Messieurs, notre nom, notre fin principale 
et notre distinction. Non, certes, que nous dédai- 
gnions la distinction qui vient des études humaines 
et la gloire qui en rejaillit. Tous m en êtes, mes 
chers fils, nos garants les plus sûrs; et vos succès 
de toujours, en particulier vos succès de cette 
année, très fertile en lauriers universitaires, répon- 
dent pour vous à amis et ennemis la fière parole 
de l'Apôtre : Si guis audet, audeo et ego, plus ego. 
Mais si c'est là ce beau surcroît que Dieu accorde, 
quand il lui plaît, à ceux qui cherchent première- 
ment son règne et sa justice, ce règne en lui-même 
n'en demeure pas moins le grand , le premier but 
que nous poursuivons ici. Et puisque, par contre, 
il arrive aujourd'hui que ce règne de Dieu dans 
l'école est précisément mis en discussion dans les 
conseils publics; puisque l'étrange question qui se 



DIEU DANS L'ECOLE 43 

pose devant ce siècle est celle de savoir si, au sein 
d'une société foncièrement religieuse comme la 
nôtre , Dieu sera dans l'éducation un objet de neu- 
tralité avec le silence pour hommage et Tindiffé- 
rence pour culte, je vous dois une réponse. Mes- 
sieurs; ou plutôt cette réponse, vous l'avez déjà; la 
voici : 

Nous déclarons qu'en face de cette neutralité offi- 
cielle, publique, qui est une impiété, nous nous 
faisons une périlleuse, mais aussi une glorieuse 
singularité de mettre le nom de Dieu au fronti- 
spice de notre œuvre d'enseignement, qui est une 
œuvre de foi : In capite lïbri scriptum est de me. 
Cette singularité, nous la portons partout; nous la 
mettons sur tout, sur tout ce que nous sommes, sur 
tout ce que nous disons, sur tout ce que nous fai- 
sons. Elle nous marque d'abord le matin à la cha- 
pelle, puis elle nous suit à l'étude, elle descend à la 
classe, elle nous garde en récréation, elle nous dis- 
tingue dans la rue, elle entre dans toute notre vie, 
elle imprime comme un sceau sur toute notre ma- 
nière d'être, façonnant l'homme tout entier à une 
image divine. 

C'est tellement là notre signe, et ce signe répond 
tellement à notre essence même, que nous n'aurions 
plus de raison d'être, ne fût-ce qu'une heure, du 
moment où nous ne pourrions plus être pour vos 
fils les hommes de Dieu. La célèbre maxime Sint ut 
sunt, vel non sint s'applique ici sans réserve. Et 
cela, non pas seulement parce que tel est notre 



44 DIEU DANS L*ÉCOLE 

devoir et notre ministère devant l'Église, mais parce 
que tel est aussi notre devoir devant la famille ; 
non pas seulement en raison de ce que nous sommes 
par état, mais en raison de ce que vous-mêmes 
vous êtes par vos croyances et par vos traditions. 

Or ce que vous êtes. Messieurs, ce que vous êtes 
dans cette ville et dans cette contrée, ce que je vois 
de vous ici depuis six ans, ce qui me remplit de- 
puis lors de ce que vous me permettrez d'appeler 
une admiration mêlée de reconnaissance, j'ai au- 
jourd'hui le devoir et le besoin de le proclamer ; et 
peut-être, comme étranger, suis -je mieux placé 
qu'un autre pour le faire librement et impartia- 
lement. 

Le premier fait que je constate préliminairement, 
c'ent que le combat de l'heure présente est un combat 
engagé pour Dieu ou contre Dieu : voilà le champ 
de bataille. Le second fait qu'il faut reconnaître, c'est 
que ce combat à mort s'est concentré dans l'école, 
et porte avant tout sur la question de l'enseigne- 
jnent : voilà la place forte. Mais ce qu'il faut dire 
Humi, c*cHt qu'au cœur de cette place forte et au 
prfîfnier rang de la défense, il y a uije citadelle. Il 
y a quelque part on France, sur la frontière du pays, 
un cfïîitre do résistance et de fidélité sur lequel le 
p«ys «'habitue do plus en plus à tourner ses regards. 
VA c>st là un tel honneur, que certainement vous 
n'^ui^?^urA point osé vous l'attribuer vous-mêmes. 
M^û?; Tenneml Ta fait pour vous, et le jour où solen- 
/i^K^^oe/it le chef de l'autre camp vous a dénoncés 



DIEU DANS L'ÉCOLE 45 

comme la ce citadelle du cléricalisme ' » , il vous a 
délivré des lettres de noblesse et décerné un nom 
que n'eussent pas dédaigné Gharlemagne et saint 
Louis, dont Tun s'appelait le ce Chevalier » et l'autre 
le ce Sergent du Christ y>. 

Eh bienl c'est là, dans cette forteresse, que se 
présente chaque jour un spectacle qui est pour nous 
la révélation et l'encouragement du devoir. 

Qu'y voyons -nous, en effet? D'abord, en pre- 
mière ligne, un groupe d'hommes à part que j'ap- 
pellerai l'État -major de la foi et de la charité, se 
montrant peu, faisant beaucoup, aux aguets de 
toutes les questions , à l'affût de tous les besoins , 
au courant de toutes les manœuvres, à l'avant- 
garde de toutes les luttes; s'inspirant des principes 
plus que des expédients; prenant conseil de la droi- 
ture plus que de l'habileté; le cœur toujours ouvert 
pour se dévouer, les mains toujours ouvertes pour 
donner, l'oreille toujours ouverte pour recevoir le 
mot d'ordre, non de la politique ni de l'opinion, 
mais de la doctrine et de l'autorité parlant par Rome 
et Cambrai, lesquels ne font qu'un pour nous. Voilà 
la première ligne. 

Puis, à la suite de ces hommes d'action et de 



* M. Jules Ferry, Minisire de rinslruclion publique : « On 
a dit que la ville de Lille était une citadelle du cléricalisme. 
Messieurs, nous élevons ici citadelle contre citadelle. Nous 
élevons une forteresse de l'Université de France et de la libre 
science, etc. {Discours prononcé à Lille, le 24 avril 1880, à la 
pose de la première pierre de la Faculté de Médecine de VElat,} 



46 DIEU DANS L'ÉCOLE 

Cfimbat, viennent d'autres hommes de même con- 
viction , sinon de môme ardeur : un nombre incal- 
culable de familles chrétiennes, cantonnées dans leur 
foyer, enchaînées à leurs affaires, faisant la prospé- 
rité et la richesse du pays, mais plaçant la prospé- 
rité sous la condition de la dignité morale, et la 
dignité morale sous la garde de la religion; fa- 
milles unies dans le culte de toutes les fidélités, 
et marchant ensemble par groupes, par constel- 
lations, comme les étoiles dans le ciel; familles 
pacifiques et fixes au poste de travail où les a 
placées la tradition des ancêtres, mais décidées à 
tout le jour où une main de violence vient mena- 
cer de rompre cette chaîne séculaire dont un bout 
tient à la terre , mais dont l'autre tient au ciel et 
repose dans la main de Dieu. Voilà la seconde 
ligne. 

Enfin, derrière cette première et cette seconde 
ligne, tout un peuple, toute une ville, toute une 
province serrée comme on ne Test nulle part, une 
vaste ruche laborieuse et industrieuse, jetant ses 
essaims partout, mais habituée à prendre la religion 
pour reine, faisant son miel sans doute du suc des 
plantes de la terre, mais aussi de la rosée qu'elle 
demande au ciel; en un mot, hommes de labeur et 
hommes de prière , s'aidant pour que Dieu les aide, 
et lui rendant, par la charité, plus que la dime de 
ses dons. Quels hommes et aussi quelles œuvres! 
Je ne les énumérerai pas. A quoi bon, quand 
tout les dénonce , et lorsque chacun sait que la 



DIEU DANS L'ÉCOLE 47 

grandeur chrétienne est aujourd'hui une des gloires 
particulières de Lille? 

Et ce serait celte gloire qu'on voudrait vous ra- 
vir I Et ce serait celte chaîne que Ton voudrait bri- 
ser I Et ce serait ce faisceau que Ton voudrait dis- 
soudre! Et ce seraient ces races vigoureuses et 
saines que Ton voudrait déformer, étioler dans Tat- 
mosphère d'une éducation de sous-sol que n'éclaire 
aucune perspective supérieure, que ne vivifie ni ne 
purifie aucun souffle venu du Ciel ! Et ce serait tout 
ce passé avec lequel ils prétendraient que le présent 
doit rompre et l'avenir faire schisme! — Ce passé, 
qu'ils le connaissent du moins, et qu'ils souffrent que 
j'essaye de leur en rappeler une page! 

C'était au xvi" siècle, en l'an 4592; le protestan- 
tisme débordait partout; il arrivait à vos portes. Un 
grand évoque , un Lillois , Jean Vendeville , évoque 
de Tournai , votre évêque d'alors, proposa d'y oppo- 
ser une digue : c'était la fondation dans vos murs 
d'un collège de la Compagnie de Jésus. On s'adressa 
à Rome, où Vendeville avait connu le Père Aquaviva. 
On consulta Messieurs les curés, — qu'ils soient 
remerciés ici dans la personne de leurs successeurs 
présents à cette fête ! — ils furent les plus ardents 
à promouvoir cette œuvre : Peroptahant parochi 
admodum ferventer, dit l'historien de la Flandre. Le 
collège fut fondé et élevé à grands frais : il est aujour- 
d'hui devenu votre hôpital militaire. La chapelle fut 
bâtie : elle est devenue aujourd'hui votre église Saint- 
Étienne, — votre belle église, Monsieur le doyen, — 



48 DIBU DANS L'ÉCOLE 

de laquelle Notre- Seigneur prit possession triom- 
phalement le 40 octobre 4614. Mais église et collège 
devaient pareillement servir de barrière contre Thé- 
résie. Les bourgeois de Lille stipulèrent, par acte 
authentique, qu'en élevant ces édifices ils avaient 
prétendu que « leurs fils y apprissent le catéchisme, 
s'y formassent à la piété et aux habitudes chré- 
tiennes qu'excelle à donner l'Institut de la Compa- 
gnie de Jésus ». C'est le texte même du contrat; 
c'est le pacte fondamental de notre institution. 

On a pu supprimer le collège une première fois, 
et lui donner ensuite une autre affectation; mais 
l'esprit d'une maison n'est pas attaché à des 
pierres ; et quand , trois siècles après , vous fîtes 
Saint-Joseph , ce fut dans la même pensée et pour 
la même fin. Puis , quand hier le malheur des temp^ 
nous a appelés ici , nous avons à notre tour accepté 
tout entière cette succession de christianisme, et 
nous entendons bien n'en rien laisser périr. Prêtres 
et laïques , maîtres et disciples, nous sommes, sous 
un nom différent, ce que fut le passé, c'est-à-dire 
l'école de Dieu, l'école de Jésus-Christ. Nous le 
serons toujours, nous le serons quand même; et si, 
— ce qu'à Dieu ne plaise 1 — nous l'oubliions un in- 
stant, il y aurait autant de voix qu'il y a ici de pères 
et de mères de famille pour nous en faire souvenir. 

Conséquemment, Messieurs, nous mettrons Dieu 
dans VÉcole; ce sera encore le meilleur moyen d'y 
mettre l'ordre, la vérité, la paix et le bonheur. 
Nous ferons de vos fils des chrétiens, ce qui de plus 



DIEU DANS L'ÉCOLE 49 

signifie des hommes civilisés ; autrement ce seraient 
des barbares, s'il est vrai, comme Ta dit M. Saint- 
Marc Girardin, « qu'organiser l'école sans l'ensei- 
gnement religieux, c'est organiser la barbarie. » 
Nous leur enseignerons donc premièrement l'amour 
de Dieu et de Notre -Seigneur Jésus -Christ par- 
dessus toutes choses, convaincus que de la sorte 
ils en aimeront mieux tout ce qu'il faut aimer, rien 
que ce qu'il faut aimer. Ils aimeront n^ieux leurs 
pères et mères , quand dans l'un ils verront la 
puissance de Dieu et sa bonté dans l'autre* Ils ai- 
meront mieux leur pays, quand au-dessus des 
foyers ils verront les autels. Ils aimeront mieux 
leur prochain , quand , dans le pauvre et l'ouvrier, 
ils aimeront Celui qui se fit pauvre et ouvrier pour 
nous. Ils aimeront mieux tous leurs frères, quand 
ils auront appris à aimer et prier notre commun 
Père qui est dans les cieux. Alors la fraternité ne 
sera plus un grand mot qu'on écrit sur les murs, 
mais une grande chose que nous tâcherons d'écrire 
dans les cœurs; et le devoir ne sera plus un préjugé 
vulgaire, quand nous lui aurons donné la loi de Dieu 
pour principe, Jésus -Christ pour modèle et pour 
sanction le Ciel. 

Nous ne voilerons donc pas le Ciel aux regards 
de nos enfants. Nous n'arracherons pas Jésus-Christ 
de leurs âmes , ce serait en arracher la vertu et la 
vie. Nous ne décrocherons pas le crucifix de nos 
classes; nous ne ferons pas descendre de son pié- 
destal la Vierge Immaculée; nous ne fermerons pas 

3 



KO DIEU DANS L*ÉCOLE 

le tabernacle, et nous nous garderons de chasser 
Dieu de chez lui comme un malfaiteur : nous crain- 
drions trop de voir s'en aller derrière lui la pu- 
deur, le respect, la piété filiale et le patriotisme. 
Nous craindrions trop, pour notre société, le retour 
à ces âges d'anarchie et de décadence bysantines où 
les iconoclastes succédaient aux vandales, en atten- 
dant le Turc. 

Nous n'enseignons pas la morale indépendante, 
parce que nous savons qu'une fois indépendante de 
toute croyance elle se déclare à bref délai indé- 
pendante de tout devoir. Sans doute nous ne fai- 
sons pas fi de la morale civique, que nous mettons 
en pratique aussi bien que d'autres, ce me semble; 
mais, pour faire de bons citoyens, nous estimons 
qu'il faut faire de bons chrétiens; et pour nous 
le manuel du vrai patriotisme, c'est le livre divin 
de celui qui, ayant pleuré sur son infortunée 
patrie , n'a pas craint de mourir pour elle sur une 
croix. Nous ne nous flattons pas de la chimère 
d'établir une morale sans dogme, une loi sans foi, 
ff une justice sans tribunaux, d coname l'appelait 
un homme d'État. Nous ne fermerons donc pas 
lo conlVHHÎonnal au lendemain de la première com- 
munion ; car nous aimons mieux conduire nos en- 
funlH h co tribunal que de les voir traînés quelque 
Jour (liîvanl des tribunaux d'un autre genre. 

AIiihI Dliîu rostera ici le premier de nos amours, 
lu Kahitn communion la première de nos fêtes, le 
(ml(''<'hlHnu» 1(^ pronnor de nos livres, la piété le 



DIEU DANS L'ÉCOLE 51 

premier des devoirs, l'Église notre première patrie, 
le Ciel notre dernière fin. 

Ainsi, mais ainsi seulement, aurons-nous la con- 
fiance que vos fils seront dignes de vous. Ainsi 
aurons-nous jeté un pont par-dessus Tabîme qui se 
creuse chaque jour davantage, dans les habitudes 
et les mœurs, entre le passé et l'avenir. Ainsi ver- 
rons-nous encore à Lille des hommes de foi et des 
hommes de bien. Ainsi aurons -nous sauvé ce nom 
héréditaire qui chez vous signifie honneur et reli- 
gion, et vous pourrez espérer que vos fils à leur 
tour le transmettront à d'autres , après l'avoir eux- 
mêmes porté sans tache devant Dieu et devant les 
hommes. 

Ainsi, pour notre part, aurons -nous, Monsei- 
gneur, servi l'Église de Cambrai, et consolé le 
cœur de son vénérable archevêque, qui, par vous 
et avec vous, va tout à l'heure nous bénir. Ainsi 
aurons -nous payé un acompte de notre dette en- 
vers cette Flandre généreuse, de laquelle on pourra 
dire ce que le prophète disait de la citadelle de 
Sion, la citadelle du cléricalisme de ce temps-là : 
Deus in medio ejus, non commovebitur : « Dieu 
est au milieu d'elle, rien ne l'ébranlera! » 



VI 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT-JOSEPH 



Les vacances d'août et septembre 1882 furent pour 
notre collège une époque funèbre. Trois de nos èlè?es 
furent enlevés durant ces deux mois. 

Le premier, André Malapert du Peux, était un rhé- 
toricien de la plus grande espérance. Il aimait le beau, le 
grand, le bien; il cultivait les arts, l'éloquence. Surtout 
il aimait Dieu, et il cultivait son âme. Dieu rappela à 
seize ans cette âme, qui était digne de lui. Il mourut à 
Paris en se rendant à Lourdes. 

Le second , Robert Boutry, était un tout jeune enfant 
de onze ans. Il aimait les champs, les fleurs, les choses 
délicates et pures. 11 venait à peine de descendre de la 
table de sa première communion, quand le Seigneur le 
rappela pour une plus grande fête. Il mourut à Chantilly, 
dans sa famille maternelle. . 

Le troisième, Joseph CtéuENT, était un adolescent de 
quatorze ans. Il avait cette élévation et cette pureté de 
cœur qui permettent de voir Dieu. Après Dieu, ce qu'il 
aimait lo plus, c'était sa mère, son frère, son pays, son 
coUègo. L'approche de la mort le transGgura : ce fut 
comme une première et joyeuse entrevue de l'éternité. Il 
partit, aile» déployées, dans un élan de courage, d'espé- 
rance et d'omour. 

I/u8u|;a (lo notre collège est qu'immédiatement avant la 
nioHHe du Jour dos Morts, le célébrant lise les noms de 
tous ceux, maîtres et élèves, qui sont trépassés depuis 
rétttbllMemonl do l'école» avec la date de leur décès. C'est 
opi'èH ci*iiQ lecture que furent prononcées les paroles sui- 
vanloM, 



VI 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT-JOSEPH 



PAROLES 

Prononcées dans la chapelle au jour et pendant TOctave 
de la Oommémoration des morts. 



Vous venez d'entendre, mes chers fils, la liste fu- 
nèbre des chers défunts de notre collège depuis sa 
fondation. Vous avez vu que cette liste s*est récem- 
ment, hélas! grossie encore de trois noms pour 
lesquels je viens vous demander de prier. La main 
de Dieu s'est donc appesantie, cette année, sur 
notre jeune famille; et trois de vos frères, parmi les 
meilleurs, ont pris l'avance sur nous vers l'héritage 
des cieux. 

Avec quel charme ils croissaient, ces chers objets 
de nos regrets, vous vous en souvenez. Ils étaient 
au milieu de vous, il y a quelques mois. Ils étaient 
entrés comme vous dans la joie des vacances : elles 
se sont changées pour eux en vacances éternelles; 



56 TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 

et quand vous reveniez ici vous ne les retrouviez 
plus. Tous trois étaient partis, en échelonnant 
leur départ aux principales fêtes de Marie : l'As- 
somption, la Nativité, le Rosaire, comme pour 
mieux montrer ainsi quelle mère les appelait pour 
les embrasser, quelle reine s'apprêtait à les cou- 
ronner. 

C'est d'eux trois que j'ai voulu vous parler, mes 
chers fils. Mais j'ai craint que mon émotion ne tra- 
hit ma parole; et voilà pourquoi, ce matin, j'ai 
demandé au papier de me prêter contre mes larmes 
une assurance que je ne trouvais pas dans mon 
cœur. 

Au rosto, CCS larmes paternelles seront sans amer- 
tume. L'admiration, presque l'envie, y auront une 
plus grande part encore que la douleur; car ces 
chors prédestinés sont du nombre de ceux qui font 
i'oorior avec les Livres saints : t Que je meure de 
lour mort et que mes derniers jours ressemblent à 
la fin do lour vie. î> Moriatur anitna niea morte 
jmiorum rt fiant uovissima mea eorum similia, 
Aunni biim fut-ce un spectacle surhumain que cette 
mort, dlBonH mieux, que ce sacrifice; et chacune 
ïln (ui« Aino», on brisant son enveloppe, comme 
M«<Inlnlnt^ won vaso d'albûtre sur les pieds de Jésus, 
A IrtlNHrt un iJftrftnn dont notre maison est encore 
nnilmuinr^n ; Kf doinm impJeta est ex odore un- 

(lonllnuonf<-nn ro matin l'édification par le récit 
dn Iniu'N (lornlorM jours. C'est un récit que je vous 



TROIS ENFANTS DE L*ÉGOLE SAINT -JOSEPH 57 

dois : je le dois à votre amitié et à votre piété ; je le 
dois à notre mutuelle consolation et à nos espér 
rances : Consolamini invicem in verhis istis. 



I 



André 'Charles Malapert du Peux fut celui de 
vos trois amis qui nous quitta le premier. Il ache- 
vait sa rhétorique; il n'avait que seize ans. Tout 
fleurissait en lui : la piété, la bonne grâce, le talent, 
l'enjouement, la distinction parfaite, et jusqu'à ces 
dons charmants que la culture des arts ajoute aux 
études plus graves. Il savait peindre avec goût; il 
savait dire avec âme; il savait rire avec esprit; et 
les plus petits eux-mêmes se rappellent ce qu'il 
mettait de finesse et d'entrain dans nos représenta- 
tions dramatiques , pour nous faire plaisir. 

Mais par- dessus tout il était bon : bon par nature 
sans doute, mais bon surtout de cette bonté surna- 
turelle qui, dans une âme chrétienne, descend du 
cœur de Jésus par le cœur de Marie. Marie tient 
une grande place dans cette belle existence. Né un 
samedi, mort un samedi, consacré à la sainte 
Vierge, dont il avait porté les couleurs jusqu'à sept 
ans , André s'était habitué à faire de son cœur deux 
parts : l'une pour sa mère de la terre, l'autre pour 
sa mère du Ciel. Or il était constant que la part de 
celle-ci grandissait de jour en jour. Une des dévo- 
tions de l'enfant était de s'engager envers elle à lui 



58 TROIS ENFANTS DE L*ÉGOLE SAINT -JOSEPH 

payer, par exemple, telle petite somme pour cha- 
cun de ses succès : ses bonnes notes, ses bonnes 
places, ses prix. Cette dtme prélevée sur tout ce 
qu'il possédait ou recevait, il la distribuait aux 
pauvres, aux expulsés, aux autels, aux œuvres 
charitables, à tout ce que Dieu aime, embellissant 
et purifiant ainsi sa première gloire, sa gloire d'éco- 
lier, par cette gloire supérieure dont Fénelon a dit : 
n II n'y a, mon fils, qu'un grand cœur qui sache 
tout ce qu'il y a de gloire à être bon. » 

Il voulait faire davantage en se donnant lui-même. 
Comme vous tous, il rêvait un brillant avenir, et il 
en avait le droit. Encore à la fleur de l'âge il ache- 
vait ses études; demain il serait bacheUer; après- 
demain il serait un homme; et l'homme qu'il rêvait 
d'être, l'homme idéal qu'il concevait, il le trouvait 
réalisé dans un type vivant, vers lequel sa jeune 
ambition osait lever les yeux. M. le comte de Mun, 
soldat, orateur et apôtre : tel était le type chevale- 
resque qui posait sans cesse devant ce jeune et beau 
cœur. Épris jusqu'au transport de tout ce qui tom- 
bait des lèvres du grand cathoUque , il n'en voulait 
rien perdre , il en recueillait tous les accents , et 
il demandait à Dieu, en hsant ses discours, d'être 
un jour chevalier de Jésus- Christ comme lui. 

Rêves de vaillance dont Dieu lui réservait le prix, 
même avant le combat! Rêves de gloire dont il 
devait se réveiller bientôt dans les réalités splen- 
dides de l'éternité ! . . . 

Mais cette nature heureuse, fascinée par l'éclat, 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 59 

n'allait- elle pas prendre le change sur le monde et 
la vie, en y tenant plus de compte de la forme que 
du fond, et en se contentant des brillantes appa- 
rences qui suffisent au vulgaire? Non, certes, et j'en 
ai la preuve dans ces deux mots qu'un jour l'écolier 
avait inscrits en tête de sa composition, dans un 
concours de sa classe : Non videri, sed esse; non 
paraître, mais être! Quelles paroles! il y a à la fois 
de la modestie et de la fierté, de la droiture et de la 
grandeur dans cette devise. Elle devance son âge, 
et elle éclaire ce que l'avenir eût montré en lui, si 
l'avenir eût été donné à une existence qu'il nous 
faut voir, hélas I se changer en une belle mort. 

Mais comment vous la raconter, cette merveil- 
leuse mort? Elle ne fut pas imprévue, et vous savez, 
mes enfants , qu'André s'y achemina par une longue 
voie de souffrances. Sa dernière grande sortie avait 
été un pèlerinage accompli avec un groupe d'entre 
vous à Notre-Dame de Boulogne, pendant les va- 
cances de Pâques. Notre-Dame, en ce jour, le mar- 
qua du signe de ses élus, et elle l'appela à venir pro- 
chainement la rejoindre. Cet appel se manifesta, à 
quelque temps de là, par les symptômes trop visibles 
d'une phtisie galopante qui mit la mort dans l'âme 
de M. le docteur, son père. Je me souviens encore 
du jour où il vint ici m'en faire la révélation, avec ces 
larmes devant lesquelles toute consolation est muette. 

Il ne prévoyait que trop vrai. André ne devait 
plus vivre que dans cette alternative de souffrances 
et d'illusions qui caractérise cette maladie. A chaque 



60 TROIS ENFANTS DE L*ÉGOLE SAINT -JOSEPH 

visite nous le trouvions amaigri, fiévreux, trempé 
de sueurs, haletant, tantôt dans sa chambre sur 
un lit ou un fauteuil, tantôt dans son atelier en- 
touré de ses peintures, tantôt dans son jardin qu'il 
voyait renaître au soleil. Mais lui ne renaissait pas; 
et quand vous alliez le voir, vous vous souvenez 
combien le dernier salut qu'il vous donnait ressem- 
blait parfois à un adieu. Il se préparait au départ, 
mais silencieusement, n'en disant rien à sa mère. 
Mais n'en parlait-il pas à Marie, sa mère du ciel? 

Il crut comprendre que celle-ci s'apprêtait à le 
guérir miraculeusement; et dès lors il implora la 

faveur de l'aller prier à la sainte grotte de Lourdes. 

• 

Un jour même il put se croire exaucé par avance. 
Le 6 août, il avait reçu le divin Viatique pour se 
préparer à ce voyage des montagnes. Mais n'était-ce 
pas tenter Dieu que de l'entreprendre? Il était si dé- 
faillant! Ne suffirait -il pas de le porter plus près, 
aux pieds de la même Madone représentée dans l'é- 
glise de Sainte- Catherine, de Lille? « Non, non, 
répondait- il aux larmes paternelles, allons à Lourdes ; 
ce n'est pas à Sainte -Catherine, c'est à Lourdes que 
je serai guéri ! ï Après quoi il ajouta avec résigna- 
tion : c( Enfin j'aurai fait tout ce que je pouvais. » 

La nuit du jeudi 10 fut très agitée, très mauvaise; 
il était évident qu'André ne pouvait vivre quarante- 
huit heures encore dans ces continuelles défail- 
lances. Sa mère l'avait veillé jusqu'à deux heures 
du matin; son père restait auprès de lui, craignant 
à chaque instant de le voir expirer, lorsque tout à 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 61 

coup, vers quatre heures, le malade se réveille 
subitement et s'assied sur son lit comme mû par 
un ressort. Ses yeux étaient grands ouverts; d'une 
voix naturelle et forte il s'écrie : a Merci, mon 
Dieu! merci, sainte Vierge Marie, Mère de Dieu! 
merci, saint Joseph! Je suis guéri miraculeusement. 
Mère, mère, où es -tu? » Sa figure rayonnait. On 
crut qu'il avait le délire; son père le prit dans ses 
bras : « Père, dit André, tu vois, je suis guéri, j'ai 
retrouvé mes forces, j'ai retrouvé ma bonne voix; je 
puis parler maintenant, je puis chanter, je puis 
courir, je puis me lever, je veux boire! » Et il se 
lève, et il boit seul le bouillon qu'on lui présente, 
lui dont la gorge brûlée ne recevait plus rien qu'à 
l'aide d'un chalumeau. 

La mère , les frères , la sœur, tous étaient dans le 
ravissement, et chacun, en l'embrassant, constatait, 
admirait l'état transfiguré de ce cher malade. La 
famille bénissait Dieu, et il n'y eut pas jusqu'à une 
vénérable grand'mère, qui, chancelante et souf- 
frante, ne voulut venir et monter l'escalier de la mai- 
son pour constater le prodige opéré sur le petit-fils 
qu'elle vit, hélas, ce jour-là pour la dernière fois. 

On fut chercher à la campagne les Pères Jésuites 
qui, la veille, l'avaient laissé mourant. Ils n'en pou- 
vaient croire leurs yeux et leurs oreilles. Ils le trou- 
vaient sur son lit, assis, sans être soutenu. André 
dit au Père Ministre : « Ah! Père, vous prétendiez 
hier que j'étais trop faible pour aller à Lourdes. 
Qu'en pensez -vous maintenant? Nous allons partir 



«2 TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 

tout h riieure. d Quelqu'un lui ayant demandé s'il 
n'éprouvait plus aucune douleur, aucun malaise; il 
montra sa poitrine : n Je sens bien, dit -il, qu'il y a 
là encore quelque chose de terrestre, mais cela va se 
diHHJpor. n Knfln, son père lui demandant s'il avait 
ou une apparition do la sainte Vierge : « Non, ré- 
pondit-il, je mo suis senti éveillé subitement, et 
tout mon corps comme transformé. » 

liO prodige dura vingt-quatre heures, assez pour 
qu(' Mario constatAt qu'il ne tenait qu'à elle de 
nnuiro son onfant à ce monde. Mais elle lui tenait 
(«ri n^Hcrvo un don plus excellent que celui de la vie. 
Lo nmiado (Hait sorti, il s'était promené quelque 
p(Mt. Il |)()uvait donc partir : « Marie veut que j'aille 
wvH (^lln; allons à Lourdes maintenant! > 

Il partit l(^ Ham(Hli l'2, entre son père et sa mère. 
llnlaNi iv Tut Hon diTuierjour, et Marie n'attendait 
qitn col («ITort do son courage pour lui en payer le 
piiH, Il \w (lovait pas arrivtn* au delà de Paris. Dé- 
pop(^ U\ (lauH une clmmbiv d'hôtel près de la gare, il 
p'alîalppia tout fv coup d'une H^ijon si alarmante, qu'on 
parla do ronontvr à poursuivre le voyage et de le 
ramoMoi* t\ Llllo. (h\ ci\>yail que le pauvre malade 
nVnhMHlail \h\h oo qu\>u disiil. Mais lui, tout entier 
h m\{ uiilquo ponî^(H> ; w A l.ouixies! à Lourdes! 2> 
dit il. 

(lo U\\ pon donilor uu»(» Ou lo trvUisporta à demi- 
in(»rl dMM^ la ^mv du NoiM^ CVst là, sur les ge- 
\M\\ do pa iiUM'is OiMuuïo dans un l>eroeau, qu'il 
«**oMd(M'mll doOiHMuouL ^an?* un soupir, sons un 



TROIS ENFANTS DE LȃCOLE SAINT -JOSEPH 63 

signe, trois jours avant la fête de l'Assomption de 
Marie. Il avait dit : A Lourdes ! Marie lui avait ré- 
pondu : Au Ciel! 

Esse, NON videri, mieux vaut être que paraître, sa 
magnifique devise avait raison aujourd'hui. Il avait 
quitté le lieu des vaines apparences pour celui des 
réalités éternelles : Et tempus omnis rei tune erit. 

Charmant jeune homme! Ne vous semble-t-il 
pas que, le voyant arriver là -haut en sa présence, 
Jésus le regarda et l'aima, comme il fit du jeune 
homme de l'Évangile qui avait pratiqué la loi dès 
son enfance? Intuitus eum, dilexit eum. Mais il 
nous est ravi. Pleurons -le donc tous ensemble. 
Pleurez-le, vous tous qui fûtes ses frères par le 
cœur; et répétez sur lui la plainte qu'exhalait David 
sur son cher Jonathas : Doleo super te, f rater mi 
Jo7iatha, décore nimis et am^bilis. Et moi, ache- 
vant ces paroles, je lui dirai à mon tour avec le 
même prophète : Sicut mater unicum amat filium 
suum, ita ego te diligebam. 

Pleurez -le surtout, vous ses frères de la Congré- 
gation, car elle était pour lui une famille dans notre 
famille, une famille dont il disait: « Oh! qu'il fait bon 
servir la bienheureuse Mère de Dieu dans sa Con- 
grégation! » une famille où il comptait, comme au- 
tant de frères célestes, les jeunes saints qu'il nomme 
dans cette prière de lui : « bonne Vierge Marie, 
ma mère ainsi que celle des trois anges de la Com- 
pagnie de Jésus, saint Stanislas, saint Louis de 
Gonzague, Jean Berchmans, accordez -moi d'imi- 



64 TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 

ter votre pureté, et de vous aimer de tout mon 
cœur jusqu'à la mort. » 

Pleurez -le enfin, vous tous, enfants de cette mai- 
son, car elle était pour lui une autre maison mater- 
nelle. On n'y pouvait toucher sans l'atteindre , pour 
ainsi dire, à la prunelle de l'œil. La proscription 
douloureuse dont , il y a deux ans , furent frappés 
les Pères qui l'avaient élevé, passionna sa belle 
âme jusqu'à l'exaltation. Et naguère encore, dans le 
délire de sa maladie, on l'entendait qui disait fière- 
ment et fortement, comme s'il répondait à' des in- 
sulteurs invisibles : ce Respectez mon uniforme; 
voyez l'habit que je porte, n'insultez pas ces bou- 
tons! » 

Ce cher uniforme du collège , il ne l'a pas quitté. 
Après l'avoir porté si dignement et noblement du- 
rant huit années de sa vie , il l'a emporté dans le 
cercueil. Il dort encore dans ses phs, en attendant 
le jour de la résurrection , où Dieu le changera en 
un vêtement de gloire. 



II 



Hélas I la porte funèbre qu'André Malapert du 
Peux venait d'ouvrir ne devait pas se refermer 
de sitôt pour notre famille. Dans le même moment 
où ce jeune prédestiné rendait son âme à Dieu, 
un autre entrait dans son lit pour ne plus le quit- 
ter; et il vous faut maintenant, vous, mes jeunes 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 65 

enfants de la classe de cinquième, assister aux der- 
niers instants d'un de vos plus aimables condis- 
ciples, Robert-Paul Boutry. 

Vous VOUS souvenez, mes chers fils, de cet en- 
fant de onze ans que nous voyions. Tannée der- 
nière, monter au Temple, lui aussi, comme Jésus 
son modèle , y demeurer trois jours dans les exer- 
cices de la retraite, tout occupé du service de son 
Père du ciel, pour s'y préparer à sa première 
Pâque. Vous vous souvenez de la candeur parfaite 
qu'il apportait à cette solennité de sa première com- 
munion , en ce jour d'épanouissement où tout était 
paix en lui, autour de lui et par lui. 

C'était bien de cet enfant, si ingénu, si droit qu'on 
pouvait dire la parole que le Sage disait de lui- 
même : Puer eram ingeniosu^ , et sortitus sum ani- 
mam bonam. Tous les goûts délicats étaient dans 
cette nature véritablement exquise. On nous rap- 
porte qu'il aimait singulièrement les fleurs; il était 
heureux de s'en procurer de ses deniers; il vivait 
au miUeu d'elles, comme un compagnon et un frère; 
elles lui parlaient de la beauté et de la bonté de 
Dieu; elles lui prêtaient leur langage pour dire ses 
sentiments d'affection filiale; et son meilleur plaisir, 
après celui de les voir croître, était de les offrir 
en souvenir à ses proches. Cette ingénuité de na- 
ture et cette beauté de grâce avaient passé de l'âme 
de l'enfant dans son regard, et il faisait penser à 
cette parole de Jésus -Christ à une de ses épouses : 
« Si tu voyais la beauté d'une âme en grâce avec 



66 TROIS ENFANTS DE L'ECOLE SAINT -JOSEPH 

moi , fût-ce celle du plus petit enfant, tu ne pourrais, 
après cela, plus rien voir en ce monde I » 

Un mot suffit pour exprimer le trait qui marque 
Robert de son signe distinctif : il fut l'enfant du 
devoir. Chez lui le devoir s'inspirait d'une profonde 
piété. Il était en habitude de société filiale avec la 
Vierge Marie; le chapelet était vraiment une covr 
ronne pour lui, comme l'appelle l'Église; il s'en fai- 
sait honneur, il le portait partout, et jusqu'à son 
dernier jour il ne s'est jamais endormi sans l'avoir 
dans sa main. Il se plaisait aussi dans la société 
de son ange gardien, dont l'image toujours pré- 
sente dans sa chambre, sur son pupitre, le faisait 
vivre en pensée avec ce frère du ciel qu'il aimait, 
qu'il invoquait, qu'il cherchait à imiter, en atten- 
dant, hélas I l'heure prochaine de se réunir à lui. 

Il commençait d'ailleurs à se détacher de la terre, 
en se désappropriant de tout ce qu'il avait. Ne 
tenant rien , il lui semblait que rien ne lui apparte- 
nait en propre, mais que tout était à tous. Le trésor 
de l'enfant céleste était dans un autre monde, là où 
était son cœur. 

Le même attrait supérieur le portait à se purifier 
avec une ardeur que j'appellerais insatiahle. Il se 
confessait tous les huit jours; et si quelqu'un s'éton- 
nait de cette extrême délicatesse de conscience : 
ce C'est mon besoin, disait-il; j'aime à me confes- 
ser I » Aussi jusqu'où n'allaient pas sa jalousie de 
pureté, ses scrupules de modestie I On nous l'a re- 
dit, mes enfants; et nous savons que jusque dans 



TROIS ENFANTS DE LȃCOLE SAINT -JOSEPH 67 

sa maladie, jusque dans son délire, il savait la res- 
pecter et la faire respecter, par une habitude de pu- 
deur qui était devenue une seconde nature. 

Des cœurs si purs sont -ils faits pour notre monde 
de péché? Beati mundo corde, quoniam ipst Deum 
videbunt. Quoi donc empêcherait ces âmes, qui 
n'ont rien contracté de notre poussière terrestre, de 
reprendre leur vol vers les deux? Notre Robert se 
sentait appelé de ce côté. Le jour de sa première 
communion, sa mère lui ayant donné à choisir 
entre plusieurs images commémoratives, il avait 
choisi celle qui portait cette prière : « Jésus m'ap- 
pelle, je viens à lui. » Le soir de cette fête, on l'avait 
entendu dire naïvement : « Cest dommage que le 
jour de la première communion ne dure qu'un 
jour. 1 Ce jour allait bientôt s'éterniser ailleurs. En 
cette journée le jeune Samuel, endormi devant 
l'Arche du sommeil de l'innocence, avait entendu 
une voix d'en haut qui l'appelait, et il avait répondu 
au Seigneur : « Me voici ! » 

Il ne savait pas encore d'où lui venait cet appel; 
il n'en parlait à personne , mais il semblait avoir 
un pressentiment de sa fin. On remarqua, par 
exemple, qu'un des derniers jours où il assista à 
la classe, comme on parlait de la mort et de la 
préparation qu'il y fallait apporter, Robert s'était 
mis la tête dans ses mains, en la posant sur la 
table dans une attitude extraordinaire de méditation 
qu'il garda jusqu'à la fin. On nous raconte aussi 
qu'au moment du départ pour son voyage à la cam- 



68 TROIS ENFANTS DE L*ÉCOLE SAINT -JOSEPH 

pagne, qui devait être son dernier voyage, il ne 
s'arracha de sa chambre qu'avec mélancolie, et il 
se demanda tout haut s'il y rentrerait jamais. 

D'ailleurs des avertissements lui venaient de l'état 
de langueur où le mettait un dégoût constant de 
la nourriture. Il ne mangeait presque rien. On eût 
dit un de ces êtres tout spirituels qui s'asseyaient 
jadis à la table des hommes, mais qui avaient un 
autre et invisible aliment dans une meilleure patrie : 
Videhar quidem vohiscum manducare et hïbere : 
sed ego cibo invisibili et potu, qui ab hominïbus 
videri non potest, utor. (Toh. xn, 19.) 

C'est loin d'ici, à Chantilly, dans ces vallons si 
riants, dans cette campagne si verte, dans ces lieux 
si pleins de vie, que l'attendait la mort. Il y fut pris 
soudainement par une de ces affections cérébrales 
qui paralysent les puissances de l'intelligence. La 
sienne ne jetait plus que de rares étincelles : 
c'étaient des étincelles de foi et de piété. Anéanti 
par la fièvre , il ne voulut jamais omettre de réciter 
ses prières du matin et du soir; et quand il ne 
les retrouvait plus dans sa mémoire défaillante : 
« Ah! je ne sais plus! je ne sais plus..., disait-il 
avec tristesse, achevez pour moi; avec moi dites 
le Souvenez " vous ! y> 

Il s'était aUté le jour de l'Assomption , fête de 
joyeux présage pour lui. Il se confessa et reçut les 
derniers Sacrements en pleine intelligence : il la re- 
trouvait tout entière pour les choses de Dieu. Puis 
il se ^er tous ceux qui l'entouraient; sa 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 69 

mère, à qui ce tendre fils défendait de pleurer; son 
père, qu'il exhortait à se reposer des veilles 
passées à son chevet : « Prenez mon oreiller, re- 
posez-vous, dormez. » 

Ce furent là à peu près les dernières paroles qu'il 
fit entendre à la terre. Tranquillement, doucement 
Fâme déploya ses ailes , et la parole que les saints 
Livres disent de l'ange Raphaël s'accomplit sur l'en- 
fant : ce Ayant ainsi parlé , son aspect leur fut dé- 
robé, et on ne le vit plus en ce lieu. » Cum hœc 
dixisset, ah aspectu eorum ablatus est, et ultra eum 
videre non potuerunt, (Toh. xii, 21.) 



III 



Pourquoi faut -il, mes chers fils, que ces deux 
coups si rudes n'aient pas été les derniers! J'étais, 
pendant ce temps -là, loin de ma famille d'enfants, 
et, semblable à Job, tandis que mes fils ^ allaient de 
l'un chez l'autre se divertir dans leurs maisons, 
moi, me levant dès le matin, j'allais offrir pour eux 
le sacrifice au Très -Haut, afin qu'aucun n'offensât 
le Seigneur par ses œuvres ». Mais, hélas! comme à 
Job aussi, de terribles messages m'apportaient coup 
sur coup de lugubres nouvelles. A peine le second 
malheur nous avait-il frappés, qu'un troisième 
fondit sur nous : Vse secundum àbiit, et ecce vx 
tertitim veniet. (Apoc. xi, 14.) 

C'était le samedi qui précédait votre rentrée au 



70 TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 

collège. Vos maîtres, vos pasteurs, sortis de leur 
retraite spirituelle, étaient de retour au bercail. Ils 
apprirent alors qu'une de leurs meilleures ouailles 
allait leur être ravie : Joseph-Ignace Clément pre- 
nait le funèbre chemin où Pavaient précédé André 
Malapert et Robert Boutry. 

Celui-là était le fils de la veuve. Tout ce qu'il y a 
d'affection dans un cœur de mère, tout ce qu'il y a 
de religion dans un cœur de chrétienne, cette veuve 
l'avait concentré sur ce fils et un autre fils que 
Dieu lui avait laissés. Elle se rattachait à eux dans le 
naufrage de son bonheur, et toute sa sollicitude 
était de leur procurer une éducation chrétienne, en 
leur faisant suivre les traces de leur père qui n'était 
plus. C'est dans ce dessein que la courageuse veuve, 
quittant son pays de Comines, avait laissé tout, mai- 
son, famille, intérêts, pour venir prendre à Lille un 
asile d'emprunt, à côté du collège où elle voulait 
que ses fils fussent élevés dans la foi et la piété de 
leurs aïeux. 

Mais une mère est une prêtresse; et à celle-ci 
comme aux prêtres de l'Ancien Testament, Dieu 
allait commander le sacrifice prescrit au livre du 
Lévitique : ce II sera offert deux passereaux ; l'un 
des deux sera immolé, et l'autre, étant teint de ce 
sang rédempteur, sera lâché et rendu à la liberté 
des champs. » Et afferet duos passeres vivos, et 
unum ex passerïbus immolari juhehit, et tinget in 
sanguine passeris immolati, et dimittet passerem 
vivum, ut in agrum avolet, {Levit, xiv, 4.) 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT-JOSEPH 71 

Ce fut bien, en effet, une immolation que la mort 
de Joseph, mais une immolation joyeuse, triom- 
phante, où la victime, faisant de son lit de douleur 
un autel, s'offrit à Dieu avec un élan, une ferveur, 
un détachement de la terre, un enthousiasme du ciel, 
qui en faisaient déjà une véritable transfiguration. 

Nulle exaltation n'avait cependant jusqu'ici signalé 
cet enfant : nature calme, douce, silencieuse, même 
souffreteuse vers la fin, et montrant alors dans ses 
yeux et ses traits le travail d'une secrète désorgani- 
sation. Mais la mort, comme Moïse, en le frappant 
de sa verge, en fit sortir une source d'amour de 
Dieu si abondante, que tous ceux qui l'entouraient 
en furent comme inondés. Écoutez, mes chers fils, 
et vous-mêmes serez dans l'admiration en enten- 
dant les paroles qui jaillissaient de son cœur vers 
la vie éternelle. 

Notre Joseph, depuis une semaine, avait beau- 
coup souffert. Le lundi 25 septembre, il reçut la 
sainte communion avec une piété et un recueille- 
ment extraordinaires. L'expression de son visage 
était tout angélique. Il se tenait silencieux, uni aux 
prières de l'Église. On voyait dans ses yeux des 
larmes qu'il voulait retenir. Il était comme abîmé 
dans l'Eucharistie. 

Le mercredi 27, il parut saisi de quelque appré* 
hension surnaturelle. « Ma tante, dit -il à la per- 
sonne qui le gardait alors , il faut prier saint Michel 
avec moi et pour mou » On comprit que Satan s'ef- 
forçait de l'effrayer. Il demanda qu'on plaçât près de 



72 TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 

lui une image de l'archange vainqueur. Il le pria; 
et à partir de ce moment tout sentiment de crainte 
disparut comme perdu et noyé dans celui de l'espé- 
rance et de la confiance en Dieu. 

Le samedi 30, vers les neuf heures du soir, on 
l'entendit s'écrier : « J'étouffe , ouvrez portes et fe- 
nêtres, je vais mourir, je m'en vais. » 

Alors il commença à faire à chacun ses adieux et 
ses embrassements. Il tendit les bras vers sa mère : 
« Mère, je vais mourir, dis -moi adieu, embrasse- 
moi pour la dernière fois. » — Puis tout autour de 
lui : « Adieu, mon oncle; adieu, tante; adieu, 
Charles : soyons unis... toujours! » 

Il chercha à se rappeler ce qu'il pouvait donner, 
comme souvenir de lui, à chacun de ceux qui 
l'entouraient. « A vous, mon oncle, ma carabine; à 
vous, ma tante, mon livre de prières. » Et le reste. 

Il semblait que la mort lui donnait la seconde 
vue. Une intuition extraordinaire lui faisait lire dans 
les désirs les plus secrets des cœurs. A l'un de ses 
parents qui depuis longtemps souhaitait d'obtenir 
un enfant : « J'appelle sur ton premier-né les béné- 
dictions d'un mourant, prononça le malade avec 
solennité. Tu relèveras bien, tu l'appelleras Joseph, 
du même nom que moi, ce sera son premier 
nom. » 

Le médecin entra : ce M. Wouters, lui dit gra- 
cieusement l'agonisant, vous ne pouvez pas me 
guérir, mais je ne vous en remercie pas moins de 
vos bons soins, et je prierai pour vousl » Le méde- 



TROIS ENFANTS DE LȃCOLE SAINT-JOSEPH 73 

cin pleurait. Il n'avait pas souvent rencontré de tels 
malades. 

Le vénérable doyen de Comines était venu pour 
le bénir encore encore une fois : ce Monsieur le Curé, 
merci I Je vais m'en aller prier pour Comines et pour 
vous! » Le prêtre le regardait, l'admirait, l'écou- 
tait, contemplant ce spectacle, et conservant dans 
son cœur ces paroles qu'il devait redire le lende- 
main, en chaire, à ses paroissiens. 

Il était alors dix heures. Joseph baissait de plus 
en plus. Il estima qu'il était temps de ne plus penser 
à la terre et de se tourner tout entier vers le ciel où 
il touchait : ce Maintenant que je vous ai fait mes 
adieux à tous, laissez-moi m'entretenir seul avec 
mon Dieu. » 

On le vit alors saisir son crucifix et le tenir em- 
brassé avec une sorte de violence d'amour, en 
répétant plus de dix fois de suite : « mon Dieu ! 
combien je vous aimel Oui, je vous aimel je vous 
aime! :» 

Il ne cessait d'invoquer la Trinité terrestre de la 
maison de Nazareth : « Jésus, Marie, Joseph, je 
vous donne mon cœur, mon esprit et ma vie. — 
Jésus, Marie, Joseph, assistez -moi dans ma der- 
nière agome! » 

Puis c'étaient de longs remerciements à la Mère 
du Ciel : « Merci , ô Marie , de m'accorder la grâce 
de mourir un samedi ; merci d'avoir exaucé un de 
mes plus grands désirs : celui de mourir à Comines. 
— Merci , ô ma Mère , de m'avoir accordé la grâce 



74 TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT-JOSEPH 

de mourir dans votre Congrégation affiliée à celle de 
Romel » 

Tous les plus beaux sentiments de la piété chré- 
tienne, cachés dans le fond de ce cœur, débordaient 
maintenant en expressions brûlantes. Après la voix 
de l'action de grâces ce fut celle de la propitiation. 
Joseph s'offrit comme victime. D'un accent indi- 
cible il répétait : t Pardon, mon Dieu! pardon pour 
tous mes péchés , pour les plus petits comme pour 
les plus gro§. Pardon pour les péchés des autres... 
Pardon, Jésus, pour tous les pécheurs. Pardon pour 
Comines, pardon pour la France. » Il répéta plus 
de quatre fois l'acte de contrition. 

Cependant la vie s'éteignait; ce n'était plus qu'une 
étincelle. On ne comprenait pas qu'elle pût encore 
jeter de si vives flammes. Le corps tombait, mais 
Tûmo montait. Joseph sentit que c'était l'instant 
des paroles suprêmes ; il voulut laisser à chacun le 
dernier mot de son ûme : 

« Venez tous! venez, je ne veux oublier per- 
sonne. 

« Toi, maman, tu es au-dessus de tous, viens 
que je t'embrasse... Bonne mère, que j'aimais tant 
et qui m*Ov^ tant uimé, je vais te quitter bientôt. 
Jo sons que mon heuiv approche. Mais ne pleure 
pas. Je vais me réunir ;\ mon Dieu , et je prierai bien 

pour toi. 

Il s\ulroSv^^ à son fiS>re : c Mon bon petit frère 
Charles, tu consoleras maman, tu Faimeras bien 
pour nous doux, (u la consoleras... » Il lui donna 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 7^ 

ensuite avec une grande énergie les conseils les plus 
graves sur le choix d'un avenir, et la fidélité à l'appel 
de Dieu , quel qu'il fût. 

Il recommanda sa mère à son oncle , h sa tante, 
et ajouta tendrement : « C'est bien dur, ô mon 
Dieu! de quitter des parents si bons. Mais enfin 
que votre volonté soit faite ! » 

Puis, ne considérant que leur bien suprême, le 
salut, il leur légua ce dernier souhait appuyé de 
son exemple : « Je meurs en bon chrétien , en catho- 
lique fervent. Vous tous ici présents, vivez et mou- 
rez en bons chrétiens, en fervents catholiques. Ce 
n'est pas assez d'être chrétiens, il faut être bons 
catholiques, d 

Il se souvint aussi de ses msdtres absents, nomma 
les Pères du collège qui l'avaient élevé, en disant 
à sa mère avec insistance : « Je regrette bien de ne 
pas les voir avant de mourir. Mais dis -leur bien 
à tous que je prierai pour eux. » 

En entendant toutes ces paroles on s'étonnait 
autour de lui d'un accent si nouveau , si extraordi- 
naire. On voyait un enfant et l'on croyait entendre 
un homme mûr, un vieillard, un chrétien consommé. 
On touchait la vérité de cette parole de la Sagesse : 
JEtas senectutis vita immaculata. (Sap. iv, 9.) 

Il fit à Dieu l'oflfrande de sa vie, de sa mort : 
« mon Dieu , votre puissance est infinie. Si vous 
aviez voulu me sauver, vous le pouviez. Mais vous 
avez fait toutes ces choses pour mon plus grand 
bien. 



76 TROIS ENFANTS DE L'ECOLE SAINT -JOSEPH 

• « Depuis dix jours j'ai beaucoup souffert. J'ai 
offert toutes mes souffrances au bon Dieu. Mais que 
sont- elles en comparaison de celles que vous avez 
endurées pour moi sur la croix, ô Jésus I — Je vous 
offre mon sacrifice, je vous offre ma vie pour Gé- 
minés, pour la France! > 

Il remercia encore avec effusion tous ceux qui 
l'avaient aimé, allant ainsi successivement de la 
terre au ciel et du ciel à la terre, comme suspendu 
entre les deux, avant que le dernier fil se brisât et 
rendit à l'âme la liberté de son vol. Quant au corps, 
que lui importait? Parlant de ses obsèques avec 
l'humilité d'un chrétien et le dédain d'un immortel : 
« Mère, dit- il, point de grand enterrement, n'est-ce 
pas? » 

A ces mots les pleurs redoublèrent autour de lui : 
c Allons, Charles, ne pleure pas. Mère, ne pleure 
pas. N'assombrissez pas par vos larmes mes der- 
niers instants. Moi, je ne puis pleurer. C'est un 
jour de fête pour moi. Je vais au Ciel!... Je suis au 

Ciel!... » 

Il en était bien près. Il continua de prier d'une 
voix haletante : t Jésus , Marie , Joseph , je vous 
donne mon cœur. » 

Une prière à Tangélique patron de la jeunesse 
laissa sortir de sa conscience le témoignage d'une 
pureté qui explique cette belle mort par la beauté 

de sa vie : 

t Saint Louis de Gonzague, vous avez toujours 
conserva votre innocence. Vous n'avez jamais com- 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 77 

mis de péché mortel; j'espère que je n'en ai jamais 
commis non plus, priez pour moi. 

« Bon saint Joseph , mon bon patron et patron de 
la bonne mort, saint Louis de Gonzague, venez au- 
devant de moi avec la milice céleste , pour me réunir 
à vous. » 

Il baisa de nouveau son crucifix : « mon Dieu ! 
que je vous aime ! . . . Que tous les soupii's qui sortent 
de ma poitrine soient autant d'actes d'amour. » 

Il ne lui restait plus, à ce généreux enfant, qu'à 
denner le signal de la séparation : 

« Et maintenant, mère, à toi mon dernier baiser, 
le dernier que tu recevras de ton petit Joseph. 
Viens, Charles; venez tous deux. » 

Il tint sa mère et son frère embrassés quelques 
instants. Puis il se remit sur son oreiller, joignit les 
mains et dit : « C'est tout... je meurs. — Jésus! 
Marie 1 Joseph... » 

Tels furent ses derniers mots. Il ne parvint pas 
à prononcer la suite de cette prière; sa voix expi- 
rante ne pouvait plus articuler; mais il n'en était 
plus besoin. Jésus, invoqué par lui, venait de lui 
répondre la parole qu'il disait jadis au fils de la 
veuve : Adolescens, tihi dico : Surge : « Jeune 
homme, je te le dis, lève- toi. » Et le jeune homme 
s'était levé pour aller à Lui. 

Il était onze heures moins le quart quand Joseph 
expira. C'était la veille du premier dimanche d'oc- 
tobre , auquel l'Église célèbre la fôte de Notre-Dame 
du Rosaire , la fôte de VAve Maria , la fête de Celle 



78 TROIS ENFANTS DE L'ECOLE SAINT -JOSEPH 

à qui Joseph avait dit tant de fois : Orapro nohispec- 
catorihus, nunc et in hora mortis nostrœ. Amen! 

J'ai terminé, mes chers fils. Je vous ai dit ce que 
fut la mort de vos trois frères , si finir de la sorte 
peut s'appeler mourir. Heureux qui meurt de cette 
mort! Les anciens avaient dit : « Celui-là meurt 
jeune qui est aimé des dieux. » L'Écriture dit 
mieux : « Aimé de Dieu, agréable à son cœur, il 
a été enlevé, de peur que la malice ne séduisît son 
esprit et que l'illusion ne fascinât son âme. Ayant 
vécu peu de jours , il a fourni néanmoins une longue 
carrière, car la grâce de Dieu et sa miséricorde sont 
avec les saints qu'il aime , et son regard repose sur 
ces jeunes élus. » 

Demandons-lui maintenant, à ce Dieu, à ce Père, 
qu'il les re^çoive dans son sein; et que cette triple 
immolation lui soit un sacrifice d'agréable odeur. 
Ah! Seigneur! dans ces deux mois, l'avons -nous 
assez offert, ce sacrifice du matin que vous deman- 
diez aux prêtres de votre ancienne loi! Et l'agneau 
d'un an, l'agneau sans tache que vous requériez 
autrefois pour vos autels, était-il aussi pur et aussi 
innocent que nos jeunes victimes? 

Pleurez -les donc, je le veux bien, vous qui les 
avez aimés, mortuumplora, mais pleurez -les avec 
mesure, sed modicum plora, car leur mort est 
pleine d'une immortelle espérance. Comme les trois 
jeunes Hébreux captifs à Babylone, ils ont échappé 
aux ardeurs de la fournaise de ce siècle; l'ange de 



TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT-JOSEPH 79 

la mort est descendu vers eux pour les sauver ; il 
les a trouvés qui tranquillement louaient Dieu de 
ses miséricordes à leur heure dernière; et mainte- 
nant encore entendez-les qui, réunis dans le lieu 
du rafraîchissement, de la lumière et de la paix, bé- 
nissent tous trois le Seigneur. 

Unissez -vous à leur cantique. Vous, leurs pères 
et leurs mères, commencez, et, avec eux, glorifiez 
le Seigneur, car ils sont allés là -haut chanter le 
Dieu de leurs pères : Benedictus es , Domine , Deus 
patrum nostrorum. Vous, prêtres du Seigneur, qui 
êtes pères aussi, venez à votre tour et bénissez le 
Seigneur : Benedicite, sacerdotes Domini, Domino, 
car cette précieuse mort de vos chers disciples est 
la bénédiction du Ciel sur vos travaux. Vous tous 
aussi, religieux qui appartenez au Seigneur Jésus - 
Christ, Dieu des Dieux, bénissez -le, louez-le : Be- 
nedicite, omnes religiosi, Dom,ino, Deo Deorum, lavr 
date et confitemini ei; car même dans Babylone, où 
vous êtes opprimés, vous voyez que sa miséricorde 
vous est demeurée fidèle : Quoniam in omnia 
sœcula misericordia ejus. Bénissez -le, jeunes gens 
qui êtes ses serviteurs : Benedicite, servi Domini, 
Domino, car vous venez d'apprendre comment le 
servir c'est régner. Bénissez-le, vous les petits et 
les humbles de cœur qui voulez vous sanctifier : 
Benedicite, sancti et humiles corde. Domino , car 
vous venez d'apprendre comment la sainteté fleurit 
dans le cœur des petits. 

Et vous, André, Robert, Joseph, vous les sauvés. 



80 TROIS ENFANTS DE L'ÉCOLE SAINT -JOSEPH 

VOUS les heureux , louez le Seigneur, qui est ou qui 
sera bientôt votre récompense, et appelez- nous un 
jour à le louer éternellement avec vous : Benedicite, 
Anania, Azaria, Misaël, Domino, laudate et super- 
exaltate eum in sxcula. Amen, 



VII 

FONDATION 

D'UNE CONFÉRENCE DE SAINT-YINCENT-DE-PAUL 



Extrait du procès -verbal de la séance dHnFtallalion de la 
conférence de Saint- Vincent-de-Paul au collège, 

tt Le 21 mai 1883, à huit heures du soir, quinze élèves 
appartenant aux classes supérieures de la maison se sont 
réunis dans une des salles de Técole , sous la présidence 
de M. Féron-Vrau, président du conseil particulier des 
conférences de Lille, dans le dessein de fonder une confé- 
rence au sein du collège. 

« M. le Supérieur a bien voulu honorer cette réunion 
de sa présence. 

« Après la prière et la lecture de piété, dans le saint 
Évangile, M. je Président a exposé brièvement le but de 
Tœuvre et les dispositions que chacun doit y apporter. Il 
se félicite de voir cette conférence s'ajouter aux dix-huit 
conférences établies à Lille et aux quatre mille dix confé- 
rences réparties sur la surface du monde catholique... 

« Vers la fin de la séance, M. le Supérieur, invilé par 
M, le Président à adresser quelques paroles d'édification, 
commente rapidement certains passages de TEvangile sur 
le devoir et la consolation de considérer Jésus-Christ dans 
le pauvre... 

« Finalement on échange des paroles de confiance dans 
la prospérité de l'œuvre commencée, et on y joint le vœu 
et l'espoir qu'en raison de leur âge les jeunes confrères 
présents puissent en grand nombre assister, dans cin- 
quante ans, à la célébration du centenaire de la fondation 
de la société. » 

Le dimanche suivant, M. le Supérieur donna commu- 
nication de cette installation au collège réuni dans la 
chapelle , au prône de la messe solennelle. 

Aujourd'hui (mars 1888) la conférence de Saint-Louis- 
de-Gonzague compte vingt-huit membres, tous congréga- 
nistes, très assidus à visiter les familles pauvres et à 
catéchiser des enfants. 



VII 

FONDATION 

D'UNE CONFÉRENCE DE SAINT-VINCENT-DE-PAUL 



COMMUNiCATION FAMILIÈRE 

Faite au prône du Dimanche , 27 mai 1883. 



Mes chers Enfants, 

Ce matin j'ai à vous annoncer une bonne nou- 
velle : nous avons établi parmi vous, dans cette 
maison, une conférence de Saint -Vincent-de -Paul. 

Il y a bien longtemps que je le désirais, mes 
chers fils. Il me semblait que nous n'avions pas 
accompli tout entière notre tâche d'éducateurs chré- 
tiens auprès de vous, tant que nous n'avions pas 
mis cette institution de charité dans notre pro- 
gramme et la visite des pauvres dans nos exer- 
cices. Il me semblait aussi que Notre- Seigneur 
Jésus -Christ ne pouvait pas être tout à fait content 
de nous , parce que nous n'avions pas donné à ses 
amis les pauvres une place régulière dans l'emploi 
de nos semaines. 



84 FONDATION D'UNE CONFÉRENCE 

Ah! sans doute je n'oublie point que nous sommes 
un externat, et que vous ne manquez pas de secon- 
der dans les bonnes œuvres vos pères et vos mères 
qui sont membres de ces conférences, et auxquels 
nous vous rendons quotidiennement chaque soir. Je 
sais encore que pour la plupart, mes chers fils, 
vous trouvez au foyer domestique une sorte de con- 
férence privée et familière, où Ton ne manque guère 
de faire une part de son bien aux malheureux. Mais 
notre devoir, à nous, n'en subsistait pas moins tout 
entier à cet égard : le devoir de vous initier à la vie 
de bonnes œuvres , qui est le fond pratique de la 
vie chrétienne; le devoir aussi d'attirer sur votre 
éducation et sur notre collège la bénédiction qui 
s'attache à l'aumône et la miséricorde que Jésus- 
Christ a promise giux miséricordieux. 

Dieu soit béni! voilà que maintenant la chose 
est faite. Après de très faciles négociations avec le 
conseil particulier de la société de Saint-Vincent-de- 
Paul, nous possédons au collège et nous avons 
installé une jeune conférence qui se recrutera parmi 
l'élite de nos congréganistes des classes supé- 
rieures. 

Chaque semaine elle se réunira, selon son règle- 
ment , pour la prière , la lecture sainte , l'entretien 
fraternel sur les besoins des pauvres et sur la 
manière la plus chrétienne de les soulager, la répar- 
tition de l'aumône entre les familles assistées, et 
l'action de grâces à Jésus-Christ, père des indigents 
et rémunérateur de ceux qui leur viennent en aide. 



DE SAINT -VINCENT -DE -PAUL 85 

Tels sont les exercices ordinaires de ces réunions , 
dans lesquelles on a voulu voir des clubs de conspi- 
rateurs contre la sûreté de l'État! Un homme de 
bien, et que je louerais plus à mon aise s'il n'avait 
quatre de ses fils assis devant moi sur ces bancs , 
a bien voulu provisoirement diriger la conférence , 
en attendant qu'un jour celle-ci trouve dans son 
propre sein le jeune président qui conviendra à de 
si jeunes présidés. Que Dieu rende à son servie 
teur ce qu'il daigne faire pour nous ! A partir 
de cette heure il nous permettra de le considérer 
comme nôtre. Si la charité est la première des 
vertus, comme le déclare saint Paul, M. Focque- 
dey est désormais intronisé professeur de notre 
première classe. 

La conférence portera le nom de Saint- Louis -de- 
Gonzague. Ce saint patron de la jeunesse est aussi 
un excellent patron de la charité. Dès son enfance , 
Louis de Gonzague eut pour les pauvres de ses do- 
maines une bonté secourable qui le faisait s'atten- 
drir sur leurs misères sans nombre soit du corps , 
soit de l'âme; et je ne souhaiterais rien tant que 
d'apprendre, mes chers fils, que nos visiteurs des 
pauvres sont, par leur modestie, leur discrétion, 
leur religion, d'autres Louis de Gonzague. Puis 
plus tard, devenu novice de la Société de Jésus, il 
donna sa vie pour eux , puisque ce fut au service 
des pestiférés de Rome qu'il contracta la maladie 
qui l'emporta au Ciel. 

Saint Vincent de Paul n'en reste pas moins le 



86 FONDATION D'UNE CONFÉRENCE 

premier patron de notre œuvre , et j'éprouve 
personnellement une joie singulière à penser que 
nous entrons ainsi dans sa grande famille. J'ai 
toujours eu pour cet admirable modèle du prêtre 
français une dévotion qui m'a fait rechercher tout 
ce qui se rapporte à lui ou rappelle son souve- 
nir. Je puis bien vous dire, à vous, puisque nous 
sommes en famille , qu'étant jeune prêtre , en 1861 , 
j^i tenu à faire mon pèlerinage, à son berceau, à 
Pouy, un pauvre village des Landes, son village 
natal. J'étais malade alors; j'étais en route pour 
aller chercher la guérison aux eaux des Pyrénées ; 
mais, chemin faisant, je m'avisai que saint Vin- 
cent de Paul se trouvait sur mon passage, ou à 
peu près; je pensai donc que je ferais bien d'aller 
lui faire ma visite , à lui qui s'était montré si secou- 
rable aux malades; et là, chez lui, de le prier de 
me rendre les forces nécessaires pour continuer 
mon ministère, si c'était le bon plaisir de Jésus- 
Christ , notre commun maître. Oh I que je priai 
de bon cœur dans sa maison champêtre, sous le 
chêne qui l'avoisine, et surtout dans l'église où 
il fut baptisé il y a trois cents ans! Mais vous 
devinez bien que je ne pensai pas qu'à moi seul : 
il est si insipide de ne prier que pour soi! Tan- 
dis que je célébrais le saint Sacrifice à l'autel 
où le petit pâtre de Pouy avait fait sa première 
communion, ma pensée se portait au delà. Je 
voyais ces multitudes de fils et de filles de saint 
Vincent de Paul qui remplissent le monde. Je 



DE SAINT -VINCENT -DE -PAUL 87 

voyais surtout ces milliers de conférences que sa 
charité communicative a fait naître sur notre globe, 
qu'elle réchauffe et vivifie ; et plein d'admiration 
pour ce que peut faire, Dieu aidant, un homme 
de Dieu, fût -il originairement un pauvre petit 
paysan tel que Vincent de Paul, je demandai à 
Notre -Seigneur la grâce d'être moi -môme un 
humble mais utUe imitateur de sa charité et zéla- 
teur de ses œuvres, partout où Dieu me placerait. 

Comme souvenir de ma visite je demandai à em- 
porter un rameau, si petit fût- il, du chêne sous 
lequel le jeune pâtre abritait son troupeau. Ce pré- 
cieux rameau que j'obtins du curé, non sans 
quelque peine, savez -vous, mes bons enfants, ce 
que j'en ai fait aujourd'hui? Eh bien, je viens de le 
planter dans un terrain très fertile : celui de l'école 
Saint 'Joseph. Il y poussera, mes chers fils; il y 
deviendra un grand arbre, et bien des infortunes 
et bien des charités trouveront leur abri sous son 
ombrage. 

Vous serez ce rameau vivace, jeune et chère 
conférence de Saint-Vincent-de-Paul. Mais souffrez 
que, pour trouver votre premier instituteur, je 
remonte plus haut que l'homme, plus haut que 
M. Focquedey, même plus haut que saint Louis de 
Gonzague et que saint Vincent de Paul. Car savez- 
vous quel est, selon moi, l'ancêtre évangélique 
de tous ces jeunes et zélés servants de la charité? 
Souvenez-vous de ce que l'Évangile nous raconte 
de ce jeune homme ou enfant, puer, qui apporta à 



88 FONDATION D*UNB CONFÉRENCE 

Notre-Seigneur les cinq pains et les poissons que 
Jésus multiplia entre ses mains divines et fit distri- 
buer au peuple afiamé dans le désert. Voilà votre 
premier modèle, voilà votre aimable ancêtre. Comme 
lui, vous venez présenter à Jésus -Christ ce que 
vous avez recueilli pour secourir les malheu- 
reux. C'est bien peu de chose trop souvent : Quid 
hxc inter tantos? Mais le maître à qui vous Tofifrez 
a la puissance des miracles : il bénit votre offrande; 
il la fait distribuer, et il se trouve que vos dons, en 
se multipliant sous cette bénédiction, nourrissent 
et soutiennent je ne sais combien de familles qui , 
à leur tour, bénissent Dieu et vous bénissent. 

Cela m'amène, mes enfants , à vous recommander 
de faire la charité comme Notre-Seigneur la fit au 
peuple, sur cette colline de la multiplication des 
pains. — D'abord faites -la religieusement : Notre- 
Seigneur commence par prier et bénir avant de 
faire faire cette distribution à la multitude des 
disciples. Comme lui priez, offrez, consacrez votre 
bonne œuvre avant que de donner. — Faites l'au- 
mône respectueusement : vous remarquerez que 
Notre-Seigneur fait d'abord asseoir la foule avant 
de la rassasier. Ainsi honorerez -vous les pauvres 
que vous assistez. — Faîtes l'aumône largement, 
autant que vous le pourrez, pourvoyant à tout ce 
qui est vraiment dans leurs besoins : c'est ainsi 
que les assistés de Jésus eurent du pain et des 
poiHsons autant qu'ils en voulurent pour se rassa- 
sier. fJnfln, comment dirai -je? faites l'aumône 



DE SAINT -VINCENT -DE -PAUL 89 

économiquement, mais dans le sens le plus libé- 
ral de ce mot : Jésus veut que rien ne se perde , 
et, quand tous sont rassasiés, il ordonne de re- 
cueillir les restes, ne pereant, et douze corbeilles 
se trouvent remplies de cette surabondance. C'est 
le fruit d'une économie large et sage à la fois. 

Et puis voilà le principal. Quand Jésus -Christ a 
distribué les pains d'orge à la foule, il lui distribue 
aussitôt le pain de la vérité , et il finit par lui parler 
du pain de l'Eucharistie. C'est la suite de ce même 
chapitre de l'Évangile... Que de choses, mes chers 
fils, j'aurais à vous dire là- dessus. Que de leçons 
à recueillir pour votre apostolat I Mais dès mainte- 
nant ne puis -je pas vous dire qu'il y aurait quel- 
que chose de plus beau et de meilleur encore que 
défaire l'aumône aux pauvres? ce serait de leur faire 
le catéchisme. Vous savez peut-être que l'instruc- 
tion religieuse est proscrite de l'école; j'ai beaucoup 
prôné, par parole et par écrit, l'œuvre des « Caté- 
chistes volontaires d. Si mes chers fils de la confé- 
rence prenaient du service parmi ces volontaires-là, 
combien je serais fier d'eux ! que j'en tirerais un 
heureux présage pour leur avenir de chrétiens, et 
que tout cela serait digne de gens de foi et de cœur * ! 

1 Présentement (mars 1888), chaque semaine une quinzaine 
de membres de la conférence de Saint -Louis- de -Gonzague, 
élèves de sciences, philosophie, rhétorique et seconde , se pri- 
vent spontanément d^une grande partie de leur congé du mer- 
credi soir pour revenir au collège catéchiser de jeunes pauvres, 
les plus dépourvus en tout genre, dont ils se font les apôtres 
et les patrons. 



90 FONDATION D'UNE CONFÉRENCE 

Pour aujourd'hui je n'ai voulu que vous faire cette 
communication, tout familièrement. Mais je ne 
veux pas finir sans vous dire combien favorable- 
ment j'augure de cette conférence pour les grâces 
qu'elle méritera à notre famille d'écoliers. Quelle 
espérance c'est pour moi, mes enfants, que de 
penser ù tant de prières, tant d'actions de grâces, 
qui (les mansardes, des galetas, des courettes, des 
riU^a ouvrières de Lille monteront vers Dieu pour 
vouhI Tenez, cent fois je me suis dit, depuis trois 
ans, que si notre collège, toujours menacé, et 
c(ipondant toujours prospère, se maintenait et gran- 
diHsuit H0U8 le feu de l'ennemi, c'est qu'il était 
porté par une grande prière. J'ai bien pensé que 
c'était la prière de tels saints religieux, pères et 
utniN (lo cotto maison, qui nous était cet appui. 
Main Hurtout j'ai mis ma confiance dans la prière 
(loH inalliouroux. Il y a déjà longtemps que nous 
avoUH Inil alliance avec les Petites Sœurs des 
pauvros ; c'est notre première puissance auxiliaire 
que C(^ll<>^l^, Maintenant nous avons pour nous les 
puMvn^H (le notre conférence de Saint-Vincent- de- 
Paul, llch^uu Hur coH doux auci^s de la charité, au 
inilliMt di» la tt^ujpélo, notice navire ne chavirera pas, 
(MIT (I cwl aiuané A une foive divine. 



VIII 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 



90 FONDATION D*UNE CONFÉRENCE 

Pour aujourd'hui je n'ai voulu que vous faire cette 
communication, tout familièrement. Mais je ne 
veux pas finir sans vous dire combien favorable- 
ment j'augure de cette conférence pour les grâces 
qu'elle méritera à notre famille d'écoliers. Quelle 
espérance c'est pour moi, mes enfants, que de 
penser à tant de prières, tant d'actions de grâces, 
qui des mansardes, des galetas, des courettes, des 
cités ouvrières de Lille monteront vers Dieu pour 
vous! Tenez, cent fois je me suis dit, depuis trois 
ans, que si notre collège, toujours menacé, et 
cependant toujours prospère , se maintenait et gran- 
dissait sous le feu de l'ennemi, c'est qu'il était 
porté par une grande prière. J'ai bien pensé que 
c'était la prière de tels saints religieux, pères et 
amis de cette maison, qui nous était cet appui. 
Mais surtout j'ai mis ma confiance dans la prière 
des malheureux. Il y a déjà longtemps que nous 
avons fait alliance avec les Petites Sœurs des 
pauvres : c'est notre première puissance auxiUaire 
que celle-là. Maintenant nous avons pour nous les 
pauvres de notre conférence de Saint-Vincent- de- 
Paul. Retenu sur ces deux ancres de la charité, au 
milieu de la tempête, notre navire ne chavirera pas, 
car il est amarré à une force divine. 



VIII 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 



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•8 « 7 



TES S 



DIEU DANS L'ÉCOLE 




/i 



LE 



COLLÈGE SAINT-JOSEPH 



DE LILLE 

1881-1888 



DIEU DANS L'ÉCOLE 




LE 



COLLÈGE SAINT-JOSEPH 



DE LILLE 

1881-1888 



DIEU DANS L'ÉCOLE 




LE 



COLLÈGE SAINT-JOSEPH 



DE LILLE 

1881-1888 



90 FONDATION D*UNE CONFÉRENCE 

Pour aujourd'hui je n'ai voulu que vous faire cette 
communication, tout fomilièrement. Mais je ne 
veux pas finir sans vous dire combien favorable- 
ment j'augure de cette conférence pour les grâces 
qu'elle méritera à notre famille d'écoliers. Quelle 
espérance c'est pour moi, mes enfants, que de 
penser à tant de prières, tant d'actions de grâces, 
qui des mansardes, des galetas, des courettes, des 
cités ouvrières de Lille monteront vers Dieu pour 
vous! Tenez, cent fois je me suis dit, depuis trois 
ans, que si notre collège, toujours menacé, et 
cependant toujours prospère , se maintenait et gran- 
dissait sous le feu de l'ennemi, c'est qu'il était 
porté par une grande prière. J'ai bien pensé que 
c'était la prière de tels saints religieux, pères et 
amis de cette maison, qui nous était cet appui. 
Mais surtout j'ai mis ma confiance dans la prière 
des malheureux. Il y a déjà longtemps que nous 
avons fait alliance avec les Petites Sœurs des 
pauvres : c'est notre première puissance auxiliaire 
que celle-là. Maintenant nous avons pour nous les 
pauvres de notre conférence de Saint-Vincent- de- 
Paul. Retenu sur ces deux ancres de la charité, au 
milieu de la tempête , notre navire ne chavirera pas, 
car il est amarré à une force divine. 



«ÉÉi 



VIII 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 



VIll 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 



Extraits des comptes rendus annfÂets, 

L'Association des anciens élèves du collège Saint- 
Joseph est une société de piété et d'étude, une confrérie 
et une académie. 

Elle a deux réunions par mois : Tune à la chapelle 
pour rinstruction religieuse, la messe et la communion; 
Tautre dans une des salles du collège pour une confé- 
rence littéraire, historique, scientifique, économique, etc., 
où sont lus des travaux et ouvertes des discussions sur 
ces divers sujets. 

L'Association compte plusieurs centaines de membres. 
Elle tient chaque année, en juillet, une séance solennelle 
de clôture , à laquelle préside un dignitaire ecclésiastique 
ou laïque invité par le conseil , et dans laquelle est donné 
le compte rendu des travaux de Tannée, qui est ensuite 
imprimé avec les discours prononcés dans cette circon- 
stance. 

L'origine de celte société remonte aux premiers temps 
de la fondation du collège. Elle est ainsi rappelée dans 
quelques paroles prononcées par M. le Supérieur au ban- 
quet annuel des anciens présidé par le R. P. Pillon, le 
24 novembre 1884 : 



MMH 



VllI 



r « 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ELEVES 



(a Un jour de Tannée 1877, un groupe de nos élèves 
de philosophie, près de se séparer, avait voulu 
couronner les exercices d'une retraite par un pèle- 
rinage à Notre-Dame d'Ostaker, près de Gand. La 
fête fut complète, fête de la piété et de l'amitié, 
fête du souvenir et de l'espérance. Mais elle avait 
duré ce que durent les roses. — Si nous recom- 
mencions? se demandèrent quelques-uns; si nous 
refaisions cette matinée, cette soirée chaque mois? 
Si nous perpétuions cette réunion par une associa- 
tion amicale, religieuse et littéraire qui participerait 
de la famille, de la congrégation et de l'académie?... 
— C'était une pensée du Ciel. Vous l'avez bénie, 
mon très vénéré Père : cette bénédiction lui avorté 
bonheur; et quand, le soir de ce jour de fête, nos 
pèlerins rentraient à Lille , ils y rapportaient une 
bonne œuvre de plus. » 

1878 

L'année suivante, 12 juillet 1878, une première réunion 
•solennelle de clôture était célébrée au collège. On lit 



94 L*ASSOCUTION DES ANCIfiNS ÉLÈVES 

dans le compte rendu : M. Pabbé Baunard, professeur à 
rUnÎTersité catholique de Lille, arait bien voulu en ac- 
cepter la présidence. Il termina ainsi son allocution : 

€ Que votre Révérend Père Recteur veuille bien 
me permettre une citation profane qui me semble 
formuler le programme et la fin de votre Associa- 
tion. Ce sont ces vers si forts et si fiers d'un grand 
poète romain, Lucrèce : 

Certare ingenio, conlendere nobilitate, 

Noctes atque dies niti praestante labore, 

Ad summas emergere opes , rerumque potiri. 

<( Certare ingenio : Luttez d'émulation à qui l'em- 
portera dans ces exercices de l'esprit qui font de 
vos réunions de si brillants tournois, et qui vous 
apprennent à manier cette arme de la pensée et de 
la parole par laquelle vous vaincrez et régnerez 
dans le monde. 

« Contendere nobilitate : Rivalisez de grandeur 
d'âme, de force de caractère, de générosité de 

cœur : c'est la noblesse morale. 

« 

« Noctes atque dies niti prxstante lahoi^e : Le tra- 
vail, un travail sans repos, un travail de jour et de 
nuit, je n'ose vous le demander tel, Messieurs. 
Mais je viens tout à l'heure de vous parler de no- 
blesse. Or j'entends dire que votre Flandre est par 
excellence le pays d'une noblesse nouvelle, d'une 
noblesse solide, d'une grande et puissante noblesse 
qui a l'avenir devant elle : la noblesse du travail. 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 95 

Or cette noblesse s'achète, cette noblesse rapporte 
aussi ; et si vous voulez savoir ce qu'elle vous vau- 
dra , écoutez : 

« Ad summas emergere opes : Elle nous vaudra la 
richesse, la grande richesse surtout, celle qu'on 
porte en soi-même, celle qui vous fait trouver dans 
son propre fonds ce trésor inépuisable dont on tire, 
dit le Seigneur, des choses anciennes et nouvelles , 
et qui ne peuvent nous être ni détruites par la 
rouille ni ravies par les voleurs. 

(( Rerumque potiri : On y gagne d'arriver à la tête 
des affaires, dans son milieu, dans son pays, dans 
sa cité, plus haut que cela peut-être; et d'y faire 
arriver par ce moyen Celui dont le règne doit être 
l'ambition dominante de vos cœurs. 

« Que si à ce rerum, dont ie vous souhaite d'entrer 
un jour en possession, vous me permettez. Mes- 
sieurs, d'ajouter cœlestium, j'aurai fini cette petite 
causerie familière comme d'ordinaire se terminent 
les homélies et les sermons, par le vœu le plus 
élevé que puisse vous offrir un ami qui est un 
prêtre. » 

1879 

Le 17 juillet 1879, la séance solennelle avait Theureuse 
fortune d'être présidée par M. Amédée de Margerie, 
doyen de la Faculté des Lettres. Ce fut un charme de Ten- 
tendre évoquer des souvenirs qui étaient d'éloquentes 
leçons. 



96 L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 

ce Vous m'avez fait, Messieurs, remonter de trente- 
quatre années le cours de ma vie. En vous écoutant, 
je me sentais magiquement transporté dans une 
réunion semblable à la vôtre, et dont je faisais 
partie à cette date lointaine, sous la présidence 
d'Ozanam. Il y apportait le charme infini de son 
commerce, la profondeur et retendue de ses con- 
naissances, l'exemple contagieux d'une vie enflam- 
mée et illuminée par quatre grands et inséparables 
amours : l'amour de Dieu et de son Église, l'amour 
de la France, l'amour de la science, l'amour des 
pauvres. Nous travaillions pour tout de bon sous 
son impulsion vaillante et douce , et plusieurs ont 
commencé là à prendre une part active à la défense 
des intérêts de l'Église et de la patrie. . . » 

Puis, s'adressant au R. P. Recteur : 

« Vous avez déjà, mon Révérend Père, formé plu- 
sieurs générations de bons soldats de la bonne 
cause. En voici de nouveaux qui abordent le champ 
de bataille à une heure où la mêlée est chaude. 
Gomme leurs aînés, ils vous feront honneur. Et 
quand vous aurez atteint cet âge des patriarches 
que nous vous augurions naguère, avant d'aller re- 
cevoir le magnifique salaire d'un siècle de bon tra- 
vail, peut-être aurez -vous ici -bas ces trois der- 
nières joies qui sont les trois vœux de nos cœurs : 
la joie de voir l'Église catholique triompher de ses 
ennemis et faire son œuvre de salut dans une 
liberté rassurée, — la joie de voir Dieu rentrer en 



J 



l'association des anciens élèves 07 

maître et en père dans notre pays de France, — la 
joie enfin de voir vos "fils, ceux qui vous entourent 
aujourd'hui, leurs devanciers, leurs successeurs, 
prendre une part glorieuse à cette « instauration de 
toutes choses dans le Christ ». 

1880 

Nous n'étions pas près de voir s'accomplir cet espoir, et, 
Tannée suivante, 21 juillet 1880, la réunion do clôture 
entendait son éminent président, M. le vicomte de Va- 
REiLLEs-SoMMiÈRES, doyou do la Faculté de droit à PUni- 
versité catholique de Lille, rappeler, dans le discours à la 
fois le plus fin et le plus énergique, ces souvenirs d'une 
année remplie par de grandes douleurs supportées par de 
grands courages : 

Mieux que mes paroles, Messieurs, les exemples 
qui vous sont donnés doivent exciter en vous l'am- 
bition du dévouement. Des choses admirables s'ac- 
complissent sous vos yeux. Vous êtes assez avancés 
dans la vie pour comprendre ce qu'il y a de grand 
et de généreux dans la retraite volontaire de ces 
deux cents magistrats du parquet, qui se dépouillent 
de leur toge à la seule pensée qu'on peut demander 
leur concours pour la consommation d'une grande 
injustice, et renoncent à une carrière attachante, 
à des ressources assurées, aux honneurs, pour res- 
ter fidèles à l'honneur dans l'obscurité et peut-être 
dans la pauvreté. 

Un autre exemple plus beau encore, c'est l'hé- 
roïque attitude des Congrégations religieuses en 

présence de la persécution violente et lâche qui les 

5 



93 L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 

assaille, c'est la fermeté calme et fière avec laquelle 
les révérends Pères Jésuites ont subi l'acte brutal 
que, malgré les lois, malgré un vote fameux du 
Sénat, malgré les protestations indignées de tout 
ce qui compte en France, des ministres et des pré- 
fets français sont descendus à commettre. 

Je remercierai Dieu toute ma vie d'avoir été 
Tun des témoins de la dernière nuit et de la der- 
nière matinée passée par les Jésuites de Lille 
dans leur résidence de la rue Négrier. Je n'ai ja- 
mais rien vu et je n'imagine pas qu'on puisse 
rien voir de plus simplement grand et beau que 
toutes les scènes qui se sont déroulées dans ces 
quelques heures. Ces prêtres calmes et souriants, 
récitant leur bréviaire , accomplissant la règle de 
leur ordre comme si le lendemain devait ressem- 
bler aux autres jours ; ces nombreux laïques tout 
émus, campés dans le jardin et dormant à la belle 
étoile , tandis que les Pères prenaient un peu de re- 
pos dans leurs pauvres cellules ; celte messe à trois 
heures du matin célébrée sur une commode , dans 
L'humble réduit où Notre -Seigneur avait dû se ré- 
fugier pour n'être pas mis sous les scellés; ces 
hommes de tout âge , graves et tristes , agenouillés 
dans les allées et sur les pelouses , et assistant au 
sacrifice divin par les fenêtres ouvertes de la cha- 
pelle improvisée; celte communion si fervente; 
puis l'arrivée de la police, ces coups de marteau, 
ces vitres brisées, celte apparition par une porte 
enfoncée d'un bataillon de gendarmes et de sergents 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 99 

de ville tout pâles et tout honteux de leur consigne; 
ces invasions dans chaque cellule; ces réponses si 
nobles, si éloquentes, si françaises des Pères Jé- 
suites; leur visage illuminé par la joie douloureuse 
de souffrir pour la vérité et pqHr la liberté : tout ce 
spectacle restera éternellement gravé dans la mé- 
moire de ceux qui Tont contemplé, comme la plus 
éloquente leçon de dignité, de courage et d'énergie. 

M. de Vareilles ajoutait : 

Après les Jésuites de la rue Négrier les Jésuites 
de la rue Solférino, vos maîtres, auront sans doute 
l'occasion de nous montrer comment on doit sup- 
porter la mauvaise fortune et préparer la meil- 
leure... 

1882 

L'orateur ne disait que trop vrai. La condamnation et 
l'expulsion du R. P. Pillon et la fermeture du collège 
Saint-Joseph allaient donner lieu à des scènes semblables, 
et présenter les mômes contrastes entre les persécuteurs 
et les persécutés. 

En conséquence de ces événements, ce fut seulement 
deux ans après que TAssociation ou Conférence des an- 
ciens put reprendre ses réunions et avoir sa séance solen- 
nelle de clôture. Elle se tint le 20 juillet 1882. Le rappor- 
teur, M. Alfred Dugardin, l'ouvrit ainsi : 

Messieurs et chers collègues , 

Il y a deux ans, à pareil jour, au lendemain d'un 
premier acte de persécution et à la veille d'une per- 



100 L»AS80CIATI0N DES ANCIENS ÉLÈVES 

sécution plus cruelle encore , nous nous séparions 
la douleur dans l'âme et la prière sur les lèvres. 
Pour notre œuvre comme pour nos Pères nous em- 
portions au cœur Tespoir d'un meilleur avenir. Cette 
heure est venue pour nous. 

Celte heure de la résurrection de la conférence des an- 
ciens fut rendue solennelle par le discours de M. Amédée 
DE Margerie, président de la séance. Dans une fiction 
saisissante, Tentralnant orateur, voulant montrer ce que 
pourraient les catholiques s'ils remplissaient tous leur 
devoir public dans la crise présente , imagina trois rêves 
qui mettaient la chose sous les yeux. Il nous transporta 
d'abord à Castelfidardo , et supposant qu'au lieu d'avoir 
été trois cents, les zouaves de Lamoricière s'étaient trou- 
vés là six mille, il refaisait le récit de la bataille, qui se 
changeait en victoire pour rÉglise et le pape. — Dans un 
second rêve, il voyait les héros de Loigny qui, au lieu 
d'être abandonnés par deux régiments de marche, étaient 
appuyés énergiquement par eux, et là encore la défaite se 
changeait en triomphe. — Enfin il voyait Tarmée de 
rÉglise en présence de Tarmée de la Révolution : Satan , 
au lieu d'être maître, était finalement vaincu par Jésus- 
Christ, parce que cette fois encore chacun avait fait son 
devoir. 

Je m'éveillai et je méditai sur ces visions. Et je 
me dis : le premier rêve est un rêve et le second 
aussi; ce qui aurait pu être n'a pas été. Mais ce qui 
pourrait être et qui devrait être, pourquoi donc ne 
serait-il pas? 

Année par année toute une jeunesse sort de nos 
collèges catholiques : elle forme un nombre respec- 
table, et ses contingents annuels, dix fois répétés, 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 101 

s,ont vraiment une armée. Si cette armée faisait tout 
son devoir, le devoir inscrit sur son enseigne : Pro 
Deo et patria, la bataille serait gagnée. Pourquoi ne 
ferait-elle pas tout son devoir? C'est là, Messieurs, ce 
que je suis venu vous dire avec le vieux Corneille : 

Faites votre devoir, et laissez faire à Dieu. 

Je voudrais bien savoir ce qui vous empêche- 
rait de faire tout votre devoir? — Mais ce serait hé- 
roïque ! — Je ne dis pas non. — Mais c'est à tous que 
vous demandez d'être des héros! — Pourquoi pas, 
quand il s'agit d'héroïsme obligatoire? — Mais l'en- 
nemi est plus nombreux que nous! — Je le sais, et 
je ne m'en plains pas. Je ne me plains pas que les 
ennemis soient trop nombreux, je me plains que les 
bons ne soient pas assez braves. Nous sommes une 
minorité, c'est la loi de notre combat. Mais que du 
moins, dans cette minorité, il n'y ait pas de non- 
valeurs. Est-ce trop demander des soldats de la 
Patrie, de l'Église et de Dieu? 

1883 

L'année suivante, 12 juillet, rAssociation avait appelé 
au siège de la présidence de sa séance de clôture rhomme 
que Ton avait vu, à Douai, à Lille, partout, à la tête des 
défenseurs de Técole des Jésuites et du Père Recteur, 
devant les tribunaux comme devant ropinion. M. Gus- 
tave Théry fut reçu avec applaudissements par tout ce 
collège, qui semblait lui dire avec le poète : 

Si Pergama dextra 
Defendi possent , etiam bac defensa fuissent. 



102 L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 

M. l'avocat Théry nous apportait un vaste programme 
d'études pour nos conférences, comprenant le sommaire 
des questions de droit social , d'histoire et d'économie qui 
intéressent le temps présent. Il disait de l'histoire : 

Scrutez-la , et vous y puiserez de précieux ensei- 
gnements. Par exemple, il n'y a qu'un instant, en 
entendant rappeler les douloureux événements d'il 
y a deux ans, et ces expulsions qui chassèrent illé- 
galement de leur domicile les légitimes proprié- 
taires , un souvenir de l'histoire locale me revenait 
à l'esprit, et je me disais : Que ne sommes- nous au 
moyen âge, à cette époque que l'on appelle si volon- 
tiers un temps de ténèbres I 

Le 16 juin 1400, à cinq heures du matin, une 
arrestation illégale avait lieu à Lille ; un sergent de 
la prévôté arrêtait sans droit, après l'avoir expulsée 
de sa maison, une habitante de la rue du Pétrin. 
Immédiatement le magistrat s'émeut ; il prend en 
main la défense de son bourgeois , adresse au Pré- 
vôt d'énergiques réclamations , et à onze heures le 
sergent rétablissait dans son domicile celle qu'il en 
avait expulsée sans droit. 

Six heures avaient alors suffi pour réparer une 
illégalité. Voilà deux ans que les Jésuites expulsés 
réclament des juges, et Dieu sait quand ils en 
trouveront... 

M. Théry concluait ainsi son discours : 

Étudiez donc. Messieurs, étudiez. Et quand môme, 
•'^u ne plaise, notre œil devrait chercher 



•* T-y; 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 103 

en vain celui qui pourrait mettre en pratique les 
principes dont vous aurez reconnu la nécessité, 
souvenons -nous que Dieu ne meurt pas, 

M. le Supérieur remercia en ces termes M. Gustave 
Théry de la sympathie qu'il voulait bien témoigner aux 
anciens élèves de Saint-Joseph et des encouragements que 
son éloquente parole venait de leur apporter : 

Et moi aussi, Monsieur le Président, j'ai le be- 
soin et le devoir de vous remercier, et de Thon- 
neur de votre présence à ce modeste fauteuil, et 
de vos paroles si substantielles à nos anciens. 

Personne ne connaît mieux que vous notre mai- 
son , Monsieur. Vous en connaissez le passé : vous 
êtes un de ses fondateurs; vous en connaissez le 
présent : vous êtes un de ses plus actifs administra- 
teurs. Nous ne pouvons surtout oublier que vous 
fûtes son défenseur en des jours de violence; et vous 
ne cessez encore de la couvrir de votre parole vail- 
lante comme Tépée. Enfin aujourd'hui vous venez 
en préparer l'avenir, en encourageant au travail 
cette jeunesse distinguée qui sera demain la so- 
ciété catholique du Nord, spécialement la société 
dirigeante de Lille. 

Et moi aussi, après vous, je veux féliciter la Con- 
férence des anciens des travaux de tout genre dont 
elle vient de faire passer le tableau sous nos yeux; 
J'espère qu'en la louant ainsi je ne serai pas sus- 
pect de parler en compère; car, tout en étant un 
vieux, je ne puis pas me flatter d'être un ancien 



104 L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 

parmi vous. Je suis encore un nouveau dans tous les 
sens de ce mot; et lorsque, comme ce soir, je me 
vois entouré de ces jeunes hommes d'élite qui ont 
quitté le coUège avant que j'y fusse entré, je ne 
puis, m'empècher de dire avec le poète d'Athcdie : 

D^où me viennent ces fils que je n^ai point portés? 

Mais si. Messieurs, je ne suis pas mêlé à vos sou- 
venirs, je n'en sais pas moins prendre ma grande 
part de vos bonheurs. Or aujourd'hui mon bonheur, 
— comme le vôtre, n'est-il pas vrai? — est de voir 
que le fil qui rattache le passé au présent vient 
de se renouer, et de se renouer solidement. Oh I je 
sais qu'il a bien souffert dans ces derniers temps. 
Ce. fil électrique qui transmettait naguère à vos in- 
telligences l'enseignement chrétien, nous l'avons 
vu fortement ébranlé par un orage que le diable 
avait déchaîné. Tous les supports avaient été se- 
coués, quelques-uns renversés. Mais ils se relè- 
vent peu à peu. Le fil sacré a été replacé sur ses 
appuis, et voici que, grâce à eux, le courant s'est 
rétabli entre les générations d'hier et d'aujourd'hui; 
et le fluide passe, et l'amitié passe, et la vérité 
passe, et la charité passe, et nous nous tenons tous 
par cette chaîne électrique qui va des intelligences 
aux cœurs , et dont l'extrémité est entre les mains 
de Dieu. 

Nous continuerons ainsi. Ce ne sera pas, Mon- 
sieur, la matière qui manquera à nos dissertations. 
Vous venez de nous en offrir un programme capable 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 105 

d'alimenter nos réunions pour des années entières. 
Nous nous en souviendrons. Répondant à votre 
appel , nous n'oublierons pas surtout de nous pré- 
parer à servir dans les rangs militants de ces classes 
dirigeantes qui ne sont telles que par la doctrine et 
le courage. Vous venez de nous l'apprendre mieui^ 
que par des paroles. Avec la leçon, Monsieur, nous 
avons le modèle : soyez deux fois remercié. 

4884 

La séance du 4 juillet 1884 fut présidée par M. Grous- 
SAU, professeur de droit administratif à TUniversité catho- 
lique. Sa réponse au rapporteur des travaux de Tannée 
fut une vibrante improvisation de laquelle nous détachons 
cette forte exhortation . 

L'impression qui se dégage de tout ce que je 
viens d'entendre, c'est que vous aimez la vérité. 
Ici la vérité est maîtresse du logis. Je vous en féli- 
cite, Messieurs, et je vous demande ardemment de 
rester ses fidèles et au besoin de vous constituer 
ses apôtres. 

Bossuét affirme, dans son puissant langage, 
que « l'âme, aussi bien que le corps, a sa faim et 
doit avoir sa nourriture », et il ajoute : ce Cette 
nourriture c'est la vérité, et la vérité c'est Dieu 
môme. j> Mais, hélas ! combien peu s'en nourrissent 
aujourd'hui! combien à cette perle précieuse pré- 
fèrent le moindre grain de mil dont parle La Fon- 
taine ! Il faut bien le reconnaître , ceux qui le plus 

5* 



106 L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 

souvent forment la majorité , ceux qui ont la toute- 
puissance, ce sont les partisans du grain de mil, les 
affamés de jouissances; c'est l'ambition, Torgueil, 
les passions , la haine de Dieu. 

Quand donc la vérité sera- t-elle reine du monde? 
quand donc cette lumière inondera-t-elle la terre de 
ses clartés? Messieurs, demandez-le d'abord; ne 
vous lassez pas de dire chaque matin au Maître de 
vérité : Adveniat t*egnum tuum. Et puis, quant à 
vous, restez, et toujours et quand même, les servi- 
teurs de la vérité. Jetez votre esprit dans ce moule, 
forgez-le à cette image , et puisez le métal à sa source 
la plus pure. 

Est-ce tout? Non; ne soyez pas seulement les 
fidèles, mais soyez les apôtres de la vérité. Le 
devoir de l'apostolat est notre devoir à tous. Si 
vous aimez la vérité , vous la ferez aimer, et votre 
action sera la force d'expansion de ce saint et ardent 
amour... 

Prenez donc ce soir, avant de vous séparer, de 
viriles ix^solutions. Cette belle réunion doit produire 
des fruits : qu'elle vous décide. Messieurs, à fixer 
bien haut, toujours plus haut, votre idéal et vos 
ambitions, vos pensées et vos cœurs. 

M» le Supérieur, traduisant la vive reconnaissance de 
rAsscmbl(^^, adressa à M. le professeur Groussau quelques 
moi» de remoreiement : 

r,\\^l .\ U fois une lumière et une flamme que 
voti^ l>ai\>lo , Monsieur» ot vous venez de nonmier 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 107 

le foyer où elle s'allume : l'amour de la vérité. 
Notre jeunesse vous a compris... En la voyant tout 
à l'heure, cette brave jeunesse, suspendue à vos 
lèvres, écoutant votre discours duquel s'exhalait une 
odeur de poudre, un souvenir me revenait. Je me 
rappelais un tableau célèbre de Protais , que la gra- 
vure a popularisé. La lettre porte : Ava^it l'attaque. 
Une troupe de jeunes militaires postée sur un mame- 
lon est près d'engager le combat; les chefs sont en 
observation; on aperçoit l'ennemi derrière un pli de 
terrain; les soldats amorcent leurs armes, rajustent 
leur fourniment; on va ouvrir le feu; le trompette 
porte déjà le clairon à ses lèvres; le commandant, 
l'épée nue, suspend du geste le signal qu'il va 
donner à l'instant. C'est ce signal, Monsieur, que 
vous venez de nous donner ; et c'est un coup de 
clairon que nous venons d'entendre. 

Nous retiendrons votre mot d'ordre : l'Union 
dans la vérité. La Belgique, notre voisine, porte 
sur son blason : « L'union fait la force. » C'est en 
mettant en action cette devise nationale que les ca- 
tholiques belges viennent de remporter une victoire 
politique qui a fait tressaillir d'espérance notre fron- 
tière française. Or ne l'oublions pas. Quelques jours 
avant l'engagement électoral, on avait vu des jeunes 
gens, comme ceux qui sont ici, assemblés à Louvain 
pour leur jubilé universitaire, se compter, s'animer 
et s'entre-jurer de vaincre pour la patrie et pour 
Dieu. Nous avons le même Dieu et une plus grande 
datrie. Vous venez de nous exciter à d'aussi dignes 



i08 L*A880CUT10N DES ANCIENS ÉLÈVES 

combats. Nous allons serrer nos rangs; et si jamais 
la victoire passe enfin de notre côté, vous aurez 
droit, Monsieur, à ce que votre nom soit mis à 
Tordre du jour. On inscrira sur le trophée cette 
date du 4 juillet 1884 ; cette journée aura été une de 
celles qui auront préparé le salut. 

1885 

En Tannée 1885, le 16 juillet, ce fut le R. P. Félix, de 
la Compagnie de Jésus, qui daigna présider la séance de 
clôture. Son discours aux anciens rappelait, par son élo- 
quence, ses belles conférences de Notre-Dame de Paris. 
C'est une œuvre magistrale sur. le grand devoir de 
Theure présente : celui d'être partout et en tout les vrais 
témoins et confesseurs de la vérité chrétienne ou du Christ 
Vérité. Le Révérend Père démontra que t la vérité elle- 
même Texige, que notre christianisme Texige, que notre 
siècle surtout Texige ». Puis il passa aux moyens de bien 
remplir ce devoir, et il nous demanda, avec la haute au- 
torité de son exemple, de nous armer de la parole, comme 
étant l'instrument le plus puissant des influences con- 
temporaines : 

Autrefois, Messieurs, le chrétien, simple fidèle, 
pouvait laisser au sacerdoce le droit de parler aux 
multitudes et de porter au milieu des générations 
vivantes , selon les besoins et les situations , la pa- 
role enseignante ou militante. Aujourd'hui tom, 
dans une certaine mesure, nous avons le devoir 
de parler; tous par conséquent nous avons Tobli- 
gation de cultiver la parole. Il ne nous suffit plus 
même d'avoir le courage de la parole, nous devons 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 109 

en avoir la puissance. A l'intrépidité il faut joindre 
l'habileté, et au courage de dire l'art de parler; 
donc de bien dire. 

D'autres temps, d'autres mœurs, dit le proverbe. 
J'ajoute : d'autres luttes, d'autres armes. Au moyen 
âge, vos pères les chevaliers défendaient le Christ 
par la force du glaive. Aujourd'hui nous avons à le 
défendre par la force de la parole, qui est un glaive 
aussi, le glaive de l'esprit. Donc à vous d'aiguiser, 
de polir, de perfectionner cette arme et d'apprendre 
à la manier, c'est-à-dire de continuer à faire ce que 
vous faites ici avec un succès et un éclat que j'ad- 
mire et dont je vous félicite. 

Et en effet, ce talent vous l'avez tous. Messieurs, 
dans des mesures diverses sans doute; mais enfin 
vous l'avez. Tous les compagnons d'armes de Gharle- 
magne ne tenaient pas «dans leur main une épée 
lourde comme sa grande épée; mais tous avaient 
une épée; et tous dans le combat frappaient leur 
coup, un coup proportionné à la puissance de leur 
arme et à la force de leur bras. Ainsi tous nous 
devons porter les coups de notre parole; que celui 
qui est plus fort frappe plus fort, et que celui qui 
est plus faible frappe aussi selon sa force. Mais tous 
sachez tirer le glaive pour le service de Dieu. 

Ce glaive, vous travaillerez à le perfectionner, 
c'est-à-dire à lui donner à la fois, avec la force et 
la souplesse, la pointe capable de blesser et môme 
de tuer toutes les erreurs, en les perçant d'outre en 
outre et en les frappant au cœur. Par là vous rem- 



110 L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 

porterez des victoires dignes de vous et de toutes 
les saintes causes que vous avez la vocation de dé- 
fendre, et vous pourrez dire, en contemplant vos 
ennemis vaincus, cette parole triomphante de la 
sainte Écriture : « J'ai vaincu les multitudes, non 
par la puissance de la force ou de l'armure, mais 
par la puissance de la parole. » Vici turmas non 
virtute potentiœ aut mmiaUira, sed verho. 

M. le Supérieur se leva ensuite, et il adressa au véné- 
rable conférencier ce remerciement et cet hommage : 

Vous êtes bien bon, mon Révérend Père, vous 
qu'on a vu dix ans dans la chaire de Notre-Dame, 
de condescendre à nous apporter aujourd'hui votre 
forte et grande parole... Il est vrai, mon Père, que 
vous aimez tant la jeunesse! que vous êtes si bien 
chez vous quand vous êtes avec elle! Nous l'avons 
bien reconnu à l'accent de cette éloquence dont 
l'Évangile a dit que le cœur en est la source : Ex 
ahundantia cordis os loquitur. Que vous avez bien 
fait de vous fier, pour cet entretien , à cette source 
d'eau vive ! Elle est intarissable. 

... Mais s'il est une jeunesse qui vous doive être 
chère entre toutes, il me semble que c'est la jeu- 
nesse chrétienne de votre province natale. Elle vous 
appartient plus spécialement aujourd'hui que vous 
êtes revenu à demeure dans cette ville. Elle en 
est heureuse et fière. Elle a béni le Ciel, qui, après 
les travaux de votre long apostolat, vous a ramené 
au point de départ de votre carrière, pour y trouver, 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 111 

sinon le repos dont vous ne voulez point, du moins 
cette retraite rehaussée de dignité, otium cum 
dignitate, que l'antiquité souhaitait à ses sages et 
à ses héros. Il est bien juste, mon Père, qu'après 
avoir porté plus qu'un autre le poids du jour et de 
la chaleur, et avoir longtemps labouré , ensemencé 
le champ de Dieu, aujourd'hui, parvenu au bout 
de votre sillon, vous puissiez, au soir de votre vie, 
vous asseoir sous le chêne qui abrita votre enfance. 
Ce grand chêne de votre diocèse de Cambrai vous 
devait bien cet ombrage; vous savez d'ailleurs 
combien il est réjoui d'abriter vos cheveux blancs, 
auxquels il peut fournir encore plus d'une verte 
couronne. 

... Vous venez de célébrer, mon Père, ce que 
vous appeliez V Epiphanie de la véHté. Dociles à 
votre appel , nous en serons les mages. Nous avons 
vu l'étoile dès le matin de notre vie ; elle s'est levée 
sur notre berceau : Vidimus stellam. Nous avons 
adoré Celui qu'elle nous a montré : Et venimus ado- 
rare eum. Nous ferons davantage encore : disciples 
de la vérité, nous en serons les apôtres, et, s'il le 
fallait , les martyrs ! Pour cela, nous nous tiendrons 
en défiance d'Hérode, et nous ne nous compromet- 
trons pas avec lui ou avec sa cour. Nous lui ferons 
savoir en face quel est notre Prince, à nous, le divin 
Roi que nous cherchons; et dédaignant ses avances, 
ses places, ses faveurs, ses honneurs, nous ferons 
comme les mages, qui retournèrent chez eux sans 
s'occuper de lui. Ainsi nous nous en retournerons 



Î12 L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 

et nous resterons chez nous, dans ce bon pays 
de Flandre, qui a toujours pour Jésus de l'or, de 
l'encens et de la myrrhe... 

Encore un mot, s'il vous plaît : le mot de l'espé- 
rance après celui du remerciement. Revenez vers 
nous, mon Père, et faites- nous entendre encore, 
comme dans cette soirée, des accents qui ne sont 
pas ceux « d'une voix qui tombe et d'une ardeur 
qui s'éteint ». Vous n'oublierez pas qu'ici, dans ce 
collège, vous êtes dans votre maison, que les reli- 
gieux y sont vos frères , que les enfants y sont vos 
fils, que tous les maîtres y sont vos fidèles admira- 
teurs; et tant que vous vivrez, mon Père, vous ne 
compterez, ici surtout, que des amis, selon la 
parole du poète, parce detorta : 

Donec eris , Félix , multos numerabis amicos. 

Le R. P. Félix s^est rendu, Tannée suivante, à ce désir. 
Le 2 août 1886, il présidait notre distribution solennelle 
des prix, et il y prononçait, sur la Paternité et la Mater- 
nité chrétiennes dans l'éducation, un discours mémo- 
rable qui a été publié. A Touyerture de la séance , M. lé 
Supérieur remercia d^avance le grand orateur par les pa- 
roles suivantes : 



Mon Révérend Père, 

Je n'aurais pas osé monter à cette estrade, et 
paraître à cette place que vous occuperez tout à 
l'heure, si ce n'eût été pour vous en ouvrir le 
chemin. 



L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 113 

n y a longtemps, mon Père, que nous aspirions 
à l'honneur de vous voir présider la grande solen- 
nité scolaire d'un collège où vous êtes deux fois 
chez vous, comme prêtre du diocèse de Cambrai 
et comme Père de la Compagnie de Jésus. Quant 
à moi, je suis heureux d'en faire les honneurs à 
l'illustre prédicateur du Progrès chrétien, parti- 
culièrement à la fin d'une année dont les succès 
aux examens universitaires attestent comment nos 
fils aînés comprennent le progrès , eux aussi , et le 
mettent en pratique. 

Daignez, mon Révérend Père, les encourager par 
votre grande parole. Aussi bien je ne suis pas à 
cette place pour prononcer le discours, mais pour 
annoncer le vôtre; et, si le respect me permettait 
une anecdote familière, elle dirait bien quelle 
est ici l'humilité de mon rôle et la grandeur du 
vôtre. 

On raconte donc qu'un jour un grand prédicateur, 
— c'était Bourdaloue, je crois, — venait de prêcher 
solidement et éloquemment, comme toujours. A 
l'issue du sermon, des groupes s'étaient formés à 
la porte de l'église, où les auditeurs se communi- 
quaient leur admiration : 

(( Quelle puissante logique ! disait l'un. 

— Quelle belle et forte langue I reprenait l'autre. 

— Et quelle vigueur encore à cet âge! i» ajoutait 
un troisième. 

Le concert d'hommages en était là, quand tout 
à coup paraît et s'avance un personnage resté jus- 



114 L'ASSOCIATION DES ANCIENS ÉLÈVES 

qu'alors inaperçu, mais qui pour son compte per- 
sonnel ne s'était pas désintéressé de ces louanges. 
C'était le sonneur de l'église , qui , tout fier, se dres- 
sant et prenant la parole : « Eh bien, Messieurs, 
dit- il, eh bien, ce beau sermon, c'est moi qui l'ai 
sonné! j> 

Messieurs, Mesdames, mes Enfants, un discours 
qui n'est pas de Bourdaloue, mais de son frère, va 
se faire entendre à l'instant. Daignez le prononcer, 
mon Père, je viens de le sonner. 



IX 



FÉLIX DÉTREZ 



Le 18 janvier 1884 , nous eûmes la douleur de perdre , 
dans FÉLIX Détrez, un des meilleurs et des plus fenrents 
élèves de notre collège. Il était assistant de la Congréga- 
tion de la Sainte-Vierge, et il se préparait secrètement à 
entrer bientôt dans la Compagnie de Jésus, après le cours 
de ses études, qui touchaient à leur terme. Sa mort, 
comme sa vie, fut celle d^un novice déjà consacré à Jésus- 
Christ dans son cœur. 11 faisait penser â Berchmans et 
à Stanislas Kostka. 

Un si pieux exemple ne devait pas périr. Puisse-t-il 
revivre dans ces pages pour Tédification de ses amis et la 
consolation de sa famille ! 



IX 



FÉLIX DÉTREZ 



ÉLÈVE DE RHÉTORIQUE DU COLLÈGE SAINT-JOSEPH DE LILLE 

RAPPELÉ A DlBt; LE 18 JANVIER 1884 



PAROLES 

Prononcées au prône du dimanche 2 mars 1884, 



Le temps est venu, mes enfants, de vous entre- 
tenir du cher fils que nous avons perdu aux premiers 
jours de cette année. Il fallait commencer par laisser 
la parole aux pleurs d'une famille que cette mort 
met en deuil : en deuil de ses enfants pour la sep- 
tième fois I II fallait commencer, comme Marthe et 
Marie, par pleurer nous-mêmes sur notre frère 
Lazare, qui s'est endormi. Mais voici enfin l'heure 
de nous lever, nous aussi, du sein de notre 
affliction , et de nous transporter en esprit là où il 
repose, non dans la terre des morts, mais dans 
celle des vivants. « Venez donc, vous dirai- je avec 
le saint Évangile, venez et voyez. » Dixerunt ei : Veni 



118 FÉLIX DÉTREZ 

et vide. Venez, il y a de belles instructions à re- 
cueillir auprès de cette tombe; il y a là aussi de 
grandes consolations et de grandes espérances. Que 
si néanmoins, mes chers fils, en vous parlant de 
celui que nous appelions notre ami, je ressens, moi 
aussi , quelque chose de Témotion que mon Maître 
éprouva au tombeau de Lazare, ne m'excuserez- 
vous pas, comme firent les Juifs fidèles, par Taffec- 
tion que méritait notre cher endormi : Ecce quo- 
modo amahat eum? 

Félix Détrez était dans la classe de rhétorique. 
Né le 8 février 1868 , il allait avoir seize ans. Il était 
le neuvième de douze enfants sur lesquels reposait 
la bénédiction promise autrefois par le Dieu des 
patriarches aux nombreuses familles. Mais cette bé- 
nédiction ne devait pas porter ses fruits de bonheur 
en ce monde, car sur ces douze enfants déjà six 
avaient été successivement rappelés ce dans la mai- 
son du Père » , comme l'Évangile appelle notre 
demeure céleste. Ils étaient partis tour à tour, les 
uns de leurs berceaux, les autres du foyer dont ils 
étaient le charme, une autre du monastère dont 
elle était l'espérance; de sorte que, dans cette 
famille, entre la vie et la mort , entre la terre et le 
ciel, le partage s'était fait égal, et tous ces frères et 
sœurs en se rejoignant là-haut avaient reformé une 
seconde maison aussi nombreuse que l'autre. 

N'était-ce pas assez. Seigneur? Et fallait-il qu'un 
nouveau départ vînt rompre l'égalité et enrichir le 
ciel aux dépens de la terre ! 






FÉLIX DÉTREZ 119 

On eût pu le pressentir, car la vie de Félix s'était 
orientée vers ce but éternel dès ses premiers pas. 
Et quels pas résolus! Vous en jugerez vous- 
mêmes. 

C'était le 11 juin 1879, veille de sa première 
communion. S'adressant par lettre à sa très honorée 
Mère du ciel : a Je viens, lui écrit -il, me jeter 
à vos pieds pour vous demander les grâces que je 
désire obtenir de votre divin Fils. Je vous demande : 
1° la grâce d'une bonne mort. Je vous la demande 
pour moi, pour mes parents, mes maîtres, mes 
amis , mes frères de première communion et tous 
mes autres condisciples. Je vous demande en outre 
la délivrance de ceux de mes parents qui souffrent 
dans le purgatoire. » 

Mais déjà se révèlent les ardeurs de ce cœur 
apostolique, et il ajoute aussitôt : ce Je demande : 
2® le triomphe du catholicisme. » Telle est sa se- 
conde prière. 

Enfin ce règne de Dieu, il le veut surtout en lui; 
et la dernière ligne de cette page intime est « la 
demande de mourir plutôt que de jamais commettre 
un péché mortel ». Le lendemain de ce grand jour, 
il signait, entre Jésus et lui, un pacte dont la te- 
neur était l'antique devise de nos pères : Potius 
moH quam fœdari : ce Ou vivre de Dieu ou aller à 
Dieu; ou l'innocence ou la mort. » Ce sont ses 
propres termes. 

Bien des fois, mes chers fils, dans mes instruc- 
tions, je vous ai dit ces trois paroles : « Ayez votre 



120 FÉLIX DETREZ 

idéal, respectez votre idéal, réalisez votre idéal. » 
Celui que Félix avait conçu vient de vous appa- 
raître : il voulait être chrétien dans une vie de sain- 
teté qui fût la parfaite copie de celle de Jésus-Christ. 
Y a-t-il été fidèle? Vous-mêmes, mes chers fils, 
vous en avez porté le témoignage authentique dans 
ces notes et souvenirs que vous m'avez fournis sur 
votre condisciple, et qui sont comme autant d'aro- 
mates précieux dans lesquels nous aimerons à con- 
server sa mémoire : Et ligaverunt corpus cwm aro- 
matihtis. 

Là j'ai compris, mes enfants, ce que Félix était 
pour vous : un ami et un modèle ; vous l'aimiez et 
vous l'admiriez en même temps. Ce que vous admi- 
riez de lui c'était sa régularité, sa fidélité à ses exer- 
cices, son exactitude à l'obéissance, son ardeur, je 
dirais presque son âpreté au travail, toutes ces 
choses qui sont le joug que l'homme doit porter 
dès son adolescence, et qui font qu'une vie marche 
dans l'ordre et la paix, parce qu'elle marche dans 
le devoir. Ce que vous aimiez de lui, c'était sa 
cordiale bonté, sa franche amabilité, son enjoue- 
ment habituel, son obligeance toujours prête, 
tous ces dons du cœur joints à ceux de l'intelli- 
gence, mais supérieurs à eux, et composant en- 
semble ce que l'Écriture appelle : vir amàbilis ad 
societatem. 

Et cependant, mes chers fils, ce n'était là que 
l'extérieur. Vous ne pouviez voir que ce qui paraît, 
mais chez le chrétien l'invisible est plus grand que 



FÉLIX DÉTREZ 121 

le visible. Il m'a été donné d'aller plus loin que 
vous, jusqu'à ce foyer d'amour, dont les papiers de 
Félix m'ont apporté l'ardent et doux rayonnement. 
Or, quand j'ai vu ce qu'était chez lui cet amour de 
Dieu, de Jésus -Christ, de Marie, des anges, des 
âmes, des pauvres, des pécheurs, des petits, je 
dois vous le déclarer, j'en ai été étonné , j'en ai été 
ravi. Et admirant ce que la grâce avait déjà opéré 
et préparait dans une âme si jeune, je me suis mis 
à genoux pour remercier le Ciel de ce qu'il faisait 
tomber de telles grâces sur cette maison; et, tout 
compte fait, j'ai trouvé que nous étions payés sur- 
abondamment de nos pauvres peines , puisque dans 
ce collège, si éprouvé parfois, Jésus -Christ était 
aimé, Jésus -Christ était servi avec enthousiasme, 
et que ce le règne de Dieu était au dedans de 
nous ». 

Et d'abord c'était bien , en effet , un ami de Dieu , 
que cet enfant de grâce et de bénédiction. Affamé et 
altéré de la présence de Jésus -Christ, il le cher- 
chait sans relâche partout où il savait qu'il se 
révélerait à lui. 

Il le cherchait chaque jour dans la méditation, 
qu'il n'avait plus abandonnée du jour où son direc- 
» teur lui en avait donné la méthode et le devoir. Il 

aspirait dès le matin au délice surnaturel de cet 
entretien céleste : Deus, Deus meus, ad te de luce 
vigilo! Qi Demain, écrivait- il sur un de ses cahiers, si 
je puis me réveiller à temps, je ferai avant la messe 
une bonne méditation sur la bonté divine. y> 

G 



122 FÉLIX DÉTREZ 

Il le cherchait jusque dans le silence des nuits, 
interrompant son sommeil pour méditer et prier : 
De nocte surgeham ad confidendum tibi, pouvait-il 
dire, lui aussi. Il avait fallu que son directeur re- 
tranchât cet excès. 

Il le cherchait au tabernacle ; même son cœur l'y 
sentait, et sa foi Ty voyait à travers les murailles et 
les clôtures de nos temples. « Voici que Celui que 
j'aime se tient derrière cette enceinte, disait- il avec 
le Cantique : ipse stat post parietem nostrum; il me 
voit, il me regarde, respiciens per fenestras, prospi- 
ciens per cancellos, » et il lui envoyait ses adora- 
tions. C'est ainsi que jamais Félix n'eût passé devant 
une de nos églises sans se découvrir. Ici même, 
dans ce collège, on l'a surpris plusieurs fois flé- 
chissant le genou devant la porte de votre chapelle 
de la Congrégation , quand le temps lui manquait 
pour en franchir le seuil. 

Il le cherchait au saint sacrifice de la messe, 
qu'il aimait à servir; avec quelle religion! cet autel 
pourrait le redire. Il s'était fait une loi et un besoin 
de cœur d'entendre la messe chaque jour, non 
seulement durant l'année, mais durant ses vacances, 
à la campagne, à Lille, en voyage, partout. 

Il le cherchait dans les visites au très saint 
Sacrement : Félix avait la passion de la présence 
réelle. Il y a dans notre ville un sanctuaire où 
Jésus -Christ demeure exposé nuit et jour. Là, 
chaque soir, à la même heure, on voyait arriver un 
jeune adorateur qui s'avançait, joignait les mains, 



FÉLIX DÉTREZ 123 

s'agenouillait , s'abîmait dans la présence de Dieu , 
et passait là de longs instants comme plongé dans 
la lumière de la face divine. C'était lui , c'était Félix 
qui, au sortir de la classe, plaçait, entre notre col- 
lège et la maison paternelle , cette station à la cha- 
pelle de la Réparation, où l'on garde le souvenir de 
cette visite quotidienne comme d'une apparition et 
d'une vision céleste. 

11 le cherchait dans les sanctuaires où il savait 
que se célébraient les prières des Quarante Heures 
ou la solennité de l'Adoration perpétuelle , n'épar- 
gnant ni son temps, ni ses démarches, ni ses forces, 
dès qu'il avait appris que le Soleil eucharistique 
resplendissait en quelque endroit. C'était son cœur 
qui lui disait : Magister adest et vocat te : « Le Maître 
est là et t'appelle. » Et il se levait et partait. 

Il le cherchait surtout là où il se trouve réelle- 
ment et substantiellement , dans la divine commu- 
nion. Elle faisait sa joie. On me raconte qu'une 
fois, ayant reçu la permission de communier un jour 
de fête et le jour suivant, le soir du premier jour 
son respect s'effraya du formidable bonheur qui 
l'attendait encore le lendemain matin. Oserait-il se 
présenter à la sainte Table une seconde fois? En l'ab- 
sence de son confesseur, son professeur le rassura. 
Alors son bonheur éclate : ce Eh bien oui, répondit- 
il, j'obéirai, je communierai. » Et, descendant l'es- 
calier, il bondissait comme transporté. 

Communiant tous les dimanches et aux fêtes de 
Marie, il s'était fait une règle, à l'exemple des 



124 FÉLIX DÉTREZ 

saints, de consacrer trois jours à la préparation et 
trois jours à l'action de grâces. Ainsi cette âme 
était- elle continuellement en présence de son Dieu, 
semblable à ces autels toujours illuminés, où la 
sainte Hostie est perpétuellement exposée aux re- 
gards. 

Quand il s'approchait de la Table sainte, son âme 
semblait sortir et passer dans ses yeux, dans ses 
traits, sur ses lèvres, pour aller au-devant de son 
Dieu. Ceux qui Font communié ont essayé de me 
peindre ce recueillement et cette ardeur. En était-il 
besoin? et moi-même, plus d'une fois, n'avais -je 
pas remarqué ce visage transfiguré, sur lequel on 
pouvait lire la parole qui descendit du ciel sur le 
Thabor : « Celui-ci est mon flls bien -aimé! » 

Comme il cherchait et recevait Jésus- Christ à la 
cène, de même Félix le cherchait et le suivait au 
Calvaire. Il avait eu, dès l'enfance, la dévotion à la 
pratique du Chemin de la. Croix. On le surprenait 
dès lors , comme tant de fois plus tard , se traînant 
à genoux de station en station, sur les traces de 
l'Homme de douleurs. Et vous-même vous souvenez- 
vous de l'ardeur avec laquelle il baisait son crucifix, 
toujours placé devant lui? 

. Enfin il cherchait Jésus dans un autre sanctuaire, 
celui de son propre cœur, trouvant là, à lui parler 
et à l'entendre, un charme dont nul autre entre- 
tien, si aimable qu'il fût, ne pouvait le déprendre. 
Cet entretien se poursuivait même par les rues de 
la ville; et il a dit quelquefois : « Volontiers je 



FÉLIX DÉTRBZ 125 

cause avec mes condisciples quand nous allons 
ensemble; mais j'aime mieux être seul pour causer 
avec Dieu, » Noble enfant I s'il est vrai que l'homme 
se mesure à ce qu'il aime, je vous demande quelle 
fut la mesure d'un cœur où l'amour de Dieu occu-' 
pait tant de place? 

Il est un autre amour inséparable de celui-là : 
Félix était excellemment un enfant de Marie. Il 
s'était donné pour émule , dans ce sentiment filial , 
le Fils de Dieu lui-même. On lit en tête de ses réso- 
lutions , renouvelées chaque mois : ce Je veux essayer 
de rivaliser avec Jésus d'affection pour Marie I » Il 
ne se contentait pas de dire son chapelet; il trou- 
vait le temps de réciter chaque jour le petit office. 
Les meilleures joies de ses vacances étaient des 
pèlerinages aux sanctuaires consacrés à sa grande 
patronne. 

Le plus cher de tous ses titres était celui* de 
congréganiste de la sainte Vierge : il y revient sans 
cesse dans les billets qu'en bon fils il écrit chaque 
mois à sa mère céleste. Mais il compte bien qu'en 
retour elle prendra soin de lui, et le 4 novembre 
dernier il lui adressait encore cet humble et con- 
fiant appel : « Je ne désespère pas de ma conver- 
sion, puisque je suis votre enfant. » 

Mes chers fils, c'est la vie de piété dont je viens 
de vous montrer quelque chose dans votre frère. 
Mais saint Paul dit de la piété qu'elle a est utile à 
tout ». Elle n'a pas seulement surnaturalisé la vie 
de notre Féhx, elle l'a perfectionnée en le rendant, 



H2t FÉLIX DÉTRBZ 

le plus qu'il pouvait, semblable à Jésus -Christ par 
amour. Ne désire-t-on pas ressembler à ce qu'on 
aime? 

Jésus -Christ était pur, son disciple veut l'être. 
« L'amour de Dieu virginise , » répétait un grand 
évêque. L'amour de Marie fait de même, ce Très 
sainte Vierge, écrit Félix, si par hasard je venais 
à me trouver quelque part avec un scandaleux, je le 
réduirais au silence, sinon je m'en éloignerais immé- 
diatement, j) — « Saint Joseph, écrit -il ailleurs, est 
le patron du collège, et saint Joseph nous est re- 
présenté tenant un lis à la main : son collège doit 
donc être celui de la pureté. » 

Jésus -Christ est patient, son disciple saura l'être. 
Un jour qu'un de ses maîtres avait cru devoir 
adresser à Félix une parole sévère, il le vit qui vi- 
vement s'empara de son chapelet, dont il pressa 
la croix fortement sur ses lèvres, pour en fermer 
la porte à tout murmure, à toute plainte, 

Jésus-Christ veut qu'on se renonce, le disciple se 
renoncera. Je lis dans ses papîers : ce Les mathéma- 
tiques ne me vont pas; raison de plus pour que je 
m'y applique : cela me domptera, d 

Jésus-Christ est obéissant , son disciple le sera. Je 
ne sais si on eût trouvé d'écolier plus déférent , plus 
respectueux, plus soumis, plus prévenant que Félix. 
Au foyer domestique il était dans la main de son 
père et de sa mère. Il y a peu de jours , cette mère 
en larmes me décrivait les attentions délicates, in- 
génieuses, qu'avait pour son père et pour elle ce 



FÉLIX DÉTREZ 127 

fils incomparable. On ne le voyait occupé qu'à pré- 
venir leurs désirs et deviner leurs besoins , depuis 
le salut qu'il leur apportait le matin jusqu'à l'heure 
où le soir il venait recevoir leur bénédiction. Il n'y 
manqua jamais. 

Jésus-Christ aima les siens ; il pleura sur son ami , 
il pleura sur sa patrie; son disciple fera de même. 
On se souvient, par exemple, que lorsque Félix eut 
le malheur de perdre sa sœur la religieuse, sa 
douleur fut telle, qu'un jour il lui fallut sortir de la 
classe à deux reprises , étouffe par les sanglots que 
soulevait en lui ce souvenir. 

Voilà la piété chrétienne : elle fait les cœurs purs, 
elle fait les âmes fortes, elle fait les fils respectueux, 
elle fait les frères tendres; que ne produit-elle pas ! 
piété , bien volontiers je dirais de toi ce que l'É- 
criture a dit de la Sagesse, que « tous les biens 
viennent avec toi , et qu'incalculable est le prix de 
l'honneur qui te revient ». 



II 



Mais voici bien un autre prix de Tamour de Jésus- 
Christ. « Simon fils de Jean, m'aimes -tu, m'aimes- 
tu? » demande le Seigneur à Pierre. Et quand, par 
trois réponses, Simon -Pierre -a satisfait à cet exa- 
men sublime, le Maître lui confère le grade d'apôtre 
et de pasteur : Pasce agnos meos; jpasce oves meas. 

En effet, l'amour de Dieu allume la flamme de 
l'apostolat : on veut faire aimer ce qu'on aime. Ce 



128 FÉLIX DÉTREZ 

n'est pas pour rien que Félix a écrit en tête de son 
programme d'action et de prière : a Le triomphe 
du catholicisme. » Lui-même y travaillera, oonpas 
seulement par l'influence du bon exemple, mais 
par la parole et les œuvres; non pas seulement ici 
parmi ses condisciples, mais en dehors parmi 
les pauvres et les pécheurs. C'est le grand côté de 
cette jeune vie que j'aborde, mes chers fils. Écoutez, 
et si vous ne pouvez pas tout imiter en lui, édifiez- 
vous du moins et admirez. 

Il y a à Lille, dans les bas -fond s de la misère en 
tout genre, de pauvres gens que la foire annuelle 
du mois d'août amène encore plus nombreux dans 
vos murs : bateleurs, saltimbanques, amuseurs des 
foules, qui traînent de ville en ville une vie de 
hasard; et avec eux, derrière eux, des troupes d'en- 
fants qui ne savent eux-mêmes d'où ils viennent, 
mais qui n'en sont pas moins des enfants de Dieu 
comme vous , rachetés de son sang comme vous , 
pour être ses saints dans le Ciel, comme vous et 
avec vous. C'est au service de ces âmes abandon- 
nées que, par une prédilection que j'appellerais 
divine, s'attachait, pendant les vacances, cet apôtre 
de quatorze et quinze ans. Une association existe 
pour les instruire, les convertir, les amener au 
prêtre, leur faire recevoir la communion, la confîr. 
mation, à quelques-uns même le baptême. Félix, 
sous la direction du président de l'œuvre , se fit le 
catéchiste de ces infortunnés. 

Il y a deux ans déjà, il n'était qu'en troisième 



. FÉLIX DÉTREZ 129 

quand, écrivant à un de nos plus chers maîtres, il 
lui disait sa joie d'avoir été enrôlé dans cette humble 
mission ; « Benedicamiis Domino I C'est bien à moi 
que s'adresse cette invitation , car voici que le bon 
Dieu, voulant bien me permettre d'annoncer son 
Évangile pendant ce temps des vacances, m'em- 
ploie à faire le catéchisme aux enfants des saltim- 
banques qui se préparent à leur première commu- 
nion. La même œuvre s'exerce aussi durant l'année 
auprès des bateliers; et, demain même, un petit 
batelier de mes élèves fait sa première commu- 
nion dans la chapelle des Sœurs de Notre-Dame de 
la Treille... » 

Ici je m'ajrête, mes enfants, et je passe la ligne 
suivante, où la reconnaissance de Félix signale les 
compagnons de son zèle dans le même ministère. 
Les noms qu'il y trahit sont les noms de plusieurs 
de ceux qui sont encore ici ou qui y étaient hier. 
Ces complices du cher apôtre , je ne les dénoncerai 
pas; il suffit que Dieu les connaisse. Qu'ils me 
laissent seulement leur dire que, au nom de Jésus 
petit, pauvre et délaissé, je les bénis! 

Mais c'est aux vacances dernières qu'éclata cette 
vaillance du jeune volontaire de l'apostolat. Deux 
petits saltimbanques furent confiés à ses soins pour 
la première communion. L'un des deux était le fils 
d'une espèce d'hercule exerçant en même temps 
l'industrie de ventriloque : l'enfant s'appelait Zé- 
phyre. L'autre avait été trouvé , je ne sais où , par 
une montreuse de vues stéréoscopiques : il s'appe- 

6* 



130 FÉLIX DÉTREZ 

lait Fernand. Il fallait voir Félix s'acharaant à ces 
deux âmes pour les instruire d'abord, pour les sau- 
ver ensuite! Il ne reculait devant rien; et je tremble 
encore en lisant qu'il ne craignait pas, le brave 
enfant, d^entrer dans la voiture de la montreuse de 
vues , de monter, rue de la Vignette , dans le misé- 
rable garni de l'hercule ventriloque, et là de prêcher, 
de catéchiser, de conquérir ces pauvres, auxquels 
il annonçait qu'à eux appartenait le royaume des 
cieux. C'était plus habituellement au patronage de 
Saint -Michel qu'il donnait ses leçons. Il les donnait 
si bien que Zéphyre, lors de l'examen pour la pre- 
mière communion et la confirmation, étonna les 
prêtres qui l'interrogèrent par sa connaissance de la 
doctrine chrétienne. Ce fut le triomphe de Félix que 
cette première communion de ses catéchumènes. Il 
les accompagna jusqu'à la Table sainte : il était leur 
ange visible. 

Mais pour Fernand, si sympathique, si intelli- 
gent, si bien disposé d'ailleurs, Félix eût voulu 
davantage. Cet enfant sans famille que l'on venait 
de baptiser, que l'on venait de communier, allait-il 
demeurer dans ce foyer de perdition? L'arracher 
à ce milieu, à cette misère, à ces périls; assurer 
sa persévérance en lui donnant un état ou en le 
plaçant à gages chez des maîtres chrétiens, c'avait 
été la pensée et c'était devenu l'entreprise d'un 
homme de grand bien, qui se dévouait à cette 
œuvre comme à tant d'autres œuvres. Mais décider 
Fernand à quitter sa vie d'aventure n'était pas 



FEUX DÉTRKZ 131 

chose £su^e. Ce fdt le travail de Félix. U exhorte > 
presse, insiste sur tous les avantages capables 
d'être compris d'un enfant de dix ans. Mais d'autres 
disaient à Femand que, s'il suivait les Messieurs, 
on allait l'enfermer; qu'on ne le fadsait sortir de sa 
barraque que pour cela. C'était, on le devine, ses 
amis les forains qui lui parlaient ainsi; et, devant 
cet épouvantail, Félix avait beau parler, caresser et 
prier, l'en&nt pleurait en disant : t On m'enfer- 
mera ! » On n'en tirait pas autre chose. 

Cependant le temps de la foire expirait; Fernand 
allait quitter la ville, on ne le reverrait plus. Le 
dernier jour, le jour de l'adieu , fut le jour d'un 
dernier assaut. L'enfant n'était pas venu ce jour-là 
au rendez-vous fixé par son catéchiste; Félix va le 
trouver, le prend avec lui, le conduit au patro- 
nage, et là épuise sur lui tous ses raisonnements; 
mais tout échoue devant Fidée fixe : « On va m'en- 
fermer! » Que faire? A bout de raisons, Félix n'a 
plus qu'une ressource : il se jette aux genoux de 
l'enfant assis près de lui, et là, les larmes aux 
yeux, lui demande à mains jointes d'avoir pitié 
de son âme et de ne pas se perdre pour l'éter- 
nité! 

Ce fut en vain. Il dut se relever sans avoir rien 
gagné sur ce pauvre aveuglé , qui dans ses bienfai- 
teurs ne voulait voir que des geôliers : « On va 
m'enfermer ! » Félix le vit s'éloigner et se mit à 
pleurer : a Espérons que le bon Dieu nous le ren- 
verra plus tard? » dit- il consterné. Plus tardi 



132 FÉLIX DÉTREZ 

Fernand reviendra peut-être, mais le catéchiste ne 
sera plus là désormais pour le recevoir; ce plus 
tard, pour Félix, devait être l'éternité. 

Ce jour- là, quand Fapôtre rentra à sa maison, 
midi , l'heure du ^déjeuner, était passé depuis long- 
temps. Comme on lui témoignait quelque étonne- 
ment de ce retard, il s'en excusa sur le ministère 
qu'il venait d'accomplir : « Que voulez-vous ! ré- 
pondit-il, il s'agissait d'une âme à sauver! » 



III 



Et cependant ce ministère, si saintement pas- 
sionné que déjà il vous paraisse, n'était, dans son 
espérance, qu'un apprentissage de celui qu'il devait 
exercer un jour. L'étoile de la vocation sacerdotale 
s'était levée sur cet enfant; elle s'était montrée à 
lui dès son matin, presque sur son berceau. Vous 
n'en serez pas surpris quand vous saurez que ce 
berceau avait été entouré des plus sanctifiants sou- 
venirs ecclésiastiques. 

Deux de ses grands-oncles, l'un du côté paternel, 
l'autre du côté maternel , avaient servi l'Église : ce 
jeune homme était de la tribu de Lévi. 

A la fin du dernier siècle et au commencement de 
celui-ci, un prêtre de son nom, M. l'abbé Louis- 
Adrien Détrez, avait laissé dans ce diocèse de Cam- 
brai la mémoire toujours vivante d'un grand homme 
de Dieu. On a écrit sa vie. Dernier bachelier en 
théologie qu'eût reçu la célèbre Faculté de Douai 



FÉLIX DÉTREZ 133 

avant sa dispersion , ordonné prêtre à la veille de 
l'année 4793, et, pour ainsi dire, sous la hache de 
la Terreur; fugitif et caché, et ne reparaissant aux 
heures de péril que pour pénétrer, avec l'absolution 
et la sainte hostie, dans les cachots des moines et 
des prêtres fidèles; se glissant, durant la nuit, 
auprès des moribonds qui appelaient son ministère; 
le portant de refuge en refuge , à Lille , à Tournai , 
à Loos, à Haubourdin, à la Bassée, jusques aux 
portes de Béthtine, dans plus de quarante pa- 
roisses qu'il raffermit dans la foi , en se jouant des 
délateurs, des soldats, de la mort; emprisonné enfin 
et joyeux de ses chaînes que des amis dévoués par- 
vinrent enfin à briser; puis, quand revinrent les 
jours plus calmes, restaurateur des églises, des 
monastères , des bonnes œuvres ; le conseiller des 
évêques, le soutien de Pie VII lui-même, qui, 
apprenant sa grande réputation de sainteté , voulut 
le voir à Fontainebleau , s'entretenir avec lui , et 
même, disait -on, se confesser à lui; grand direc- 
teur d'âmes et fondateur de la communauté des re- 
ligieuses Bernardines d'Esquermes, particulière- 
ment regardé comme le père de la maison religieuse 
de l'Enfant-Jésus; incarcéré de nouveau au moment 
des Cent jours; refusant les dignités, mais accep- 
tant les charges; finalement, entre tant de fonctions 
qui lui étaient offertes, n'agréant que la moins 
aimable à la nature , et se dévouant au service des 
deux mille détenus de la prison de Loos; l'ami des 
pauvres, le frère des petits, le serviteur de Marie 



134 FÉLIX DÉTREZ 

en son sanctuaire de Notre- Dame, à l'ombre duquel 
il vécut et il voulut mourir, en 4832 : tel était cet 
arrière -grand- oncle. 

Ou je me trompe grandement, ou de pareilles tra- 
aitions sont, dans une famille, une noblesse qui 
oblige. Cette obligation, pour Félix, telle qu'il la 
comprenait, était de suivre ces belles traces. La 
première communion , qui avait montré à ses yeux 
l'idéal du chrétien , y avait fait luire en même temps 
l'idéal du prêtre. Ce jour-là, il avait mis de côté et 
en lieu sûr, pour n'y plus toucher, les jouets qui 
lui avaient servi à simuler les offices de l'Église : 
Cum Gssem parvulus, loquehar ut parvulus, sapie- 
ham ut parvulus, cogitabam ut parvulus. Mainte- 
nant qu'il est devenu homme , ce ne sont plus ces 
simulacres enfantins qu'il lui faut : Factus autem 
vir, evacuavi qux erant parvuli. Je dis homme, 
vir : c'est trop peu; déjà il sait qu'il sera prêtre; et 
comme cela est écrit fortement dans son cœur, 
vous ne vous étonnerez pas que cela soit écrit fré- 
quemment dans ses notes ; la plume écrit comme la 
bouche parle , de l'abondance du cœur. 

Une première marque de prédestination à l'hon- 
neur du sacerdoce c'est le respect des âmes. Notre 
Félix s'était fait une loi , à l'exemple des saints , de 
ne jamais traiter avec qui que ce soit sans commen- 
cer par saluer l'ange gardien de ce frère. Il se rap- 
pelait la parole par laquelle le Seigneur, parlant 
des petits enfants , déclare que leurs anges voient 
la face du Père qui est au CieU 



FÉLIX DÉTREZ 135 

C'est une autre marque de prédestination à la 
mission sacerdotale que le zèle de la gloire de Dieu. 
Félix en était dévoré. Au mois de juin de Tannée 
dernière , quelques congréganistes s'étaient engagés 
à la communion des neuf vendredis en l'honneur du 
sacré Cœur. Mais arrivent les vacances : la neu- 
vième communion n'est pas encore faite. Ne va-t-on 
pas l'oublier dans la dispersion? Félix s'en émeut, 
vient en dire son inquiétude au collège; puis spon- 
tanément il écrit à chaque confrère un billet qu'il 
va porter lui-même, de maison en maison, dans 
tous les quartiers de la ville et des faubourgs. Il lui 
en coûta de longues courses et le sacrifice de toute 
une journée de vacances. Mais qu'importe? Jésus- 
Christ allait être glorifié par une communion ! 

C'est une autre marque , et plus particulière , de 
prédestination à l'honneur du sacerdoce que le res- 
pect pour le prêtre. Notre Félix le portait jusqu'à 
une sorte de culte. Il n'est pas rare de lire dans ses 
résolutions : « Je veux être docile à mon directeur 
en tout, me rappelant que ce n'est pas un homme 
qui me parle, mais Dieu lui-même. » Un jour qu'il 
était allé en pèlerinage à Loos , un de vos maîtres le 
vit, sur le seuil du presbytère, s'agenouiller devant 
un des prêtres de la Mission qui desservent cette 
église, et le prier de lui donner sa bénédiction. 
Cette maison de Loos, où le portrait de son saint 
oncle est en honneur, avait d'ailleurs l'avantage de 
lui rappeler ainsi le type à la fois le plus cher et le 
plus élevé de la sainteté dans le prêtre. 



136 FÉLIX DÉTREZ 

Quelques-uns de vous, mes chers fils, se sou- 
viennent sans doute d'un vénérable Père Jésuite , 
à tète blanche, à barbe blanche, le R. P. Thro, que 
vous avez vu souvent monter à cet autel. Il n'enten- 
dait plus guère les paroles des hommes, mais il 
n'en entendait que mieux la parole de Dieu. Le 
charitable Féhx s'était donné à lui, le visitant, le 
distrayant dans la longue solitude et le profond 
silence auquel le condamnait sa dure surdité. 
L'entretien ou seulement la vue de cet enfant lui 
était une joie. Quand des décrets prescripteurs for- 
cèrent le religieux de chercher un asile au dehors, 
Félix l'y allait trouver fidèlement. Puis, lorsque 
l'année dernière le missionnaire obtint de partir 
pour le Canada, Félix ne l'oublia point. Lui trans- 
mettant ses vœux avec ses respects par delà l'Océan, 
il lui écrivit une lettre dans laquelle il disait : a Nous 
resterons unis par le lien d'or de la prière. » Le 
23 août 4883, le missionnaire le remercia par ces 
lignes, qui portent le timbre de Trois- Rivières, pro- 
vince de Québec : 

« Mon cher enfant, votre bonne lettre m'a trouvé 
à Trois -Rivières, ma résidence actuelle. Que vous 
êtes aimable ! Votre pensée est aussi gracieuse que 
l'expression en est touchante. Oui, cher enfant, 
vos vœux , comme le vin , ont gagné en valeur en 
traversant la mer. 

. « Que j'aimais à vous voir à Lille, dans mon gre- 
nier, rue des Poissonceaux, n° 5. Hélas! nous ne 
nous y retrouverons plus! Mais, comme vous me 



FÉLIX DÉTREZ 137 

le dites , « nous resterons unis par le lien d'or de la 
prière. » C'est bien là l'expression qui burine le reli- 
gieux sentiment qui vous anime, tant la piété chré- 
tienne est industrieuse pour exprimer ce qu'elle 
sent! D 

Un autre de ses anciens maîtres, celui-là moins 
éloigné, lui envoyait ce témoignage et cet encou- 
ragement : 

a Soyez donc sage et gai, un peu plus gai 
encore que je ne vous ai rencontré l'autre jour, rue 
d'Angleterre. Pourquoi ne seriez -vous pas gai, 
bon petit enfant de Dieu? Est-ce que Dieu n'est pas 
un Père? Et quel Père! Adieu, cher Félix. Sis bonus 
Felixque tuis, d 

Il était gai pourtant le jeune homme que vous 
avez connu. Mais il y avait des heures où , retom- 
bant sur lui-même et se plaçant en face de sa con- 
science d'un côté, de son idéal de l'autre , il s'at- 
tristait, s'inquiétait de se voir si au-dessous de ce 
qu'il avait entrevu dans ses lectures ou ses mé- 
ditations. De là des tremblements, des scrupules, 
des angoisses que seule pouvait faire taire la voix 
de l'obéissance, toujours sacrée pour sa foi. 

Son rêve, à lui, l'idéal de sa vie, c'était la per- 
fection; et non plus seulement la perfection du 
chrétien , non plus même la perfection du prêtre. Il 
s'en était fait un autre, comprenant ces deux -là, 
mais les dépassant encore; et ici je vous dois une 
révélation qui n'en sera pas une pour plusieurs 
d'entre vous : Félix voulait être religieux. 



138 FÉLIX DÉTREZ 



IV 



Je n'en suis pas surpris. Quand je lis dans ses 
notes qu'il vivait en société habituelle d'esprit avec 
les religieux qui sont maintenant glorifiés au Ciel , 
Louis de Gonzague, Stanislas Kostka, Berchmans, 
saint Ignace, saint Xavier, le bienheureux Rodri- 
guez, le bienheureux Pierre Claver, le bienheureux 
André Bobola, comment serais-je étonné qu'il ait 
désiré d'entrer dans la compagnie de leurs frères 
qui vivent sur la terre? 

« Saint Louis de Gonzague, écrit-il, je veux être 
pur, comme vous l'avez été. Saint Stanislas Kostka, 
donnez- moi les sentiments que vous aviez pour la 
sainte Eucharistie. Bienheureux Jean Berchmans, 
obtenez -moi la faveur de mourir comme vous, mon , 
crucifix, mon chapelet, mon livre de règle dans les 
mains , et dé pouvoir dire : Cum his tribus lihenter 
moriar, y> Un autre mois, il écrit : (( Saint Louis de 
Gonzague, saint Stanislas Kostka, bienheureux 
Jean Berchmans, apprenez -moi comment, pour 
Jésus, on doit tout quitter. » Un peu plus loin, je 
lis : « Notre père saint Ignace, je veux supporter 
vaillamment la chaleur de ce mois de juillet, pour 
me préparer à votre fête. » En 4882 sa résolution 
était : « Je prierai tous les jours pour l'effet de la 
vocation que Dieu m'a fait entendre. » En 4883 il 
se tient pour exaucé, et le 4 mars de cette année il 
écrit résolument : « Saint François Xavier, obtenez- 



FÉLIX DÉTREZ 139 

moi la grâce d'être un bon jésuite , et de finir mes 
études le plus vite possible, pour partir au noviciat, d 

C'est chaque mois que Félix adresse ces billets 
à ses patrons du paradis , et qu'il se place sous leur 
garde, en face de leur exemple , dans un jour de re- 
traite et de communion. C'est aussi de mois en mois 
que l'on voit grandir cette clarté supérieure que le 
Ciel a fait lever sur sa destinée, jusqu'à ce qu'elle 
devienne la pleine lumière du midi , et qu'elle 
allume dans ce jeune cœur d'ardentes impatiences 
d'offrir son sacrifice. 

Ces impatiences généreuses lui donnaient cette 
fièvre de travail qui , en préparant le succès de ses 
examens , devait hâter le jour où il pourrait entrer 
dans la société de laquelle il disait : (( Le monde ne 
pourra me donner le vrai bonheur. Il ne se trouve 
pour moi que dans la Compagnie de Jésus. » 

D'où lui venait cet attrait? car je dois vous l'expli- 
quer : ce n'est et ce ne peut être qu'un attrait 
d'exception. Pour la plupart, presque tous, vous 
êtes appelés, mes enfants, à vivre dans le siècle, 
où vous irez porter, parmi les emplois et les devoirs 
publics, le type du grand chrétien et du grand 
citoyen , serviteur de son pays et serviteur de son 
Dieu. Le sacerdoce demande autre chose. Il faut 
une grâce spéciale , une grâce de privilège, de rares 
dispositions , de grandes préparations , de sublimes 
raisons, pour entrer dans un état qui est un état 
d'éminenle sainteté et d'héroïques sacrifices. Or 
cela n'est pas de l'homme, cela ne vient que de 



140 FÉLIX DÉTREZ 

Dieu , et voilà pourquoi cela se nomme la vocation , 
c'est-à-dire l'appel particulier de Dieu. 

Or Dieu , en ceci , en agit avec vous comme avec 
ce jeune homme qui vint trouver Jésus et lui 
demanda : « Seigneur, que faut -il que je fasse pour 
avoir la vie éternelle? » La réponse du Maître est 
bien simple : a Si vous vouler entrer dans la vie, 
observez les commandements. » C'est la condition 
du salut, c'est le devoir obligatoire, c'est la voie de 
tout le monde : il y va de la vie , si vis vitam ingredi. 
Que si vous faites ainsi, si vous observez la loi, si 
vous pouvez répondre comme le jeune fidèle : « J'ai 
observé ces choses depuis mon premier âge, » ahl 
le Seigneur aura pour vous le même regard de 
dilection qu'il jeta sur lui; car vous êtes de ses 
amis ; intuitus eum, dilexit eum; on est toujours 
l'ami de Dieu quand on observe sa loi, dans le 
monde comme dans l'Église. 

Mais si, comme cet adolescent, vous lui demandez 
en outre : Quid adhuc mi deest? ce Que me manque- 
t-il encore pour être tout à vous? que puis -je faire 
de plus pour vous satisfaire? » écoutez ce qu'il dit : 
« Si vous voulez être parfait, laissez les biens de ce 
monde, faites-vous un trésor dans le Ciel ; venez alors 
et suivez- moi. » Mais cela n'est plus l'obligation, 
c'est la perfection : si vis perfectus esse; cela n'est 
plus le précepte, c'est le conseil : si vis. Le Seigneur 
n'y contraint personne; et nous qui sommes ses mi- 
nistres nous agissons comme lui. Il y en a alors qui 
s'effrayent, même entre les meilleurs, semblables 



FÉLIX DÉTREZ 141 

à ce même jeune homme que Jésus aimait, et dont 
il est écrit que la parole de Jésus le jeta dans la 
tristesse : Cum autem audisset verhum adolescens, 
abiit tristis. Je comprends ce regret, car l'Évangile 
ajoute qu'il était fort riche. Et ce regret était un 
remords, car manifestement il était appelé. Notre 
Félix ne connut ni ces hésitations ni ces désola- 
tions. Jésus lui avait dit : Veni et sequere me. 
L'appeler à le suivre, c'était l'appeler à être de sa 
compagnie, et le disciple répondit qu'il entrerait 
dans la Compagnie de Jésus. 

Mais cette grâce de choix, qui la lui avait value? 
par la médiation de qui lui venait-elle? C'est le 
secret du Ciel. Ce que nous savons seulement, c'est 
que près de lui, à son foyer, un encouragement 
à entrer dans ces voies lui avait été donné par 
l'exemple d'une sœur consacrée à Dieu. M"e Maria 
Détrez était entrée au monastère des Bernardines, 
qui l'avaient élevée. Instruite, dévouée, modeste 
jusqu'à la timidité, cette jeune religieuse promettait 
à ce pensionnat une maîtresse excellente. Hélas! 
l'état de sa santé ne devait pas lui permettre d'y 
exercer d'autre emploi que celui de souffrir; mais 
c'est le plus divin de tous , quand on sait souffrir 
pour Dieu. Elle s'y était attachée avec une ardeur 
passionnée. Comme son état maladif, continuel, 
irrémédiable, faisait hésiter à la garder plus long- 
temps : (( Plutôt mourir que partir, y> disait l'héroïque 
victime. Elle partit néanmoins, mais pour le para- 
dis, le 21 décembre 1881. 



i42 FÉLIX DÉTREZ 

Vous savez déjà combien elle fut pleurée de son 
frère. Mais en mourant, celle qu'en religion on 
nommait dame Ambroisine avait laissé à Félix autre 
chose que des regrets. Elle lui avait montré le che- 
min qui conduit au noviciat, et du noviciat au Ciel. 
Son jeune frère n'oublia ni Tune ni l'autre de ces 
leçons, ce Ouvrez -moi, ma sœur aimée, » Aperi 
mihi, soror mea, arnica mea, semblait- il lui crier 
avec le Cantique. Elle ne devait pas lui ouvrir la 
porte d'une communauté, mais lui ouvrir la porte de 
l'éternité ; c'est la congrégation immortelle que celle- 
là. Elle y précéda Félix; et lui, la voyant partir, elle 
sixième de la famille, semblait dire à tout ce cortège de 
frères et de sœurs ses devanciers et ses précurseurs 
dans la patrie, la parole que disait le jeune Nivar- 
dus, frère de saint Bernard, envoyant le départ des 
siens pour le monastère de Giteaux : « Gela n'est pas 
juste, mes frères, et je suis réclamant à l'héri- 
tage, car vous prenez le Ciel et vous me laissez la 
terre. » 



Maintenant il les a rejoints; et de tant d'espé- 
rances il ne nous reste plus que la douleur de 
dire avec saint Jérôme pleurant sur son disciple : 
ce II n'est plus, mon Népotien, votre Népotien, le 
nôtre, ou mieux encore le Népotien de Jésus- 
Christ : Nepotianus meus, tuus, noster, imo Christî, 
idcirco plus noster. Il nous a devancé, nous qui 



FÉLIX DÉTREZ 143 

touchons à la vieillesse, reliquit senes. Et voici que 
nous n'avons plus d'autre consolation que celle de 
semer ces quelques fleurs d'hommages sur son 
tombeau : Super ttimulum ejus epitaphii hujus 
flores spargere. Mais encore fa\jt-il qu'au regret 
d'avoir perdu un tel fils nous joignions le remer- 
ciement de l'avoir possédé si bon : Ne quid minus, 
7iec doleas quod talem amiseris, sed gaudeas quod 
talemhahuems. Donc, s'il se peut, pour un instant, 
fermons notre blessure, faisons taire notre doflleur, 
et apprenons ce que fut la beauté surnaturelle de 
son heure dernière : Ohligatoque parumper vulnere, 
ejus audias laudes, » 

Depuis longtemps Félix se préparait à mourir. 
La mort qu'il eût souhaitée, vous l'apprendrez, mes 
enfants , par cette belle prière de lui : « Bienheu- 
reux André Bobola, demandez à mon Dieu que j'aie 
la force de mourir et de souffrir d'aussi cruels 
tourments que les vôtres , s'il me fallait confesser 
Jésus -Christ et sa doctrine. » Mais, quel que fût le 
genre de mort que Dieu lui envoyât, il l'envisageiiit 
fermement, non sans effroi, mais sans faiblesse : 
« La mort, écrivait-il, peut venir demain, dans mon 
sommeil, dans mon travail. . . Je la crains, j'en ai peur ; 
mais saint Joseph m'obtiendra la grâce d'une bonne 
mort. » Enfin, le l^r janvier 1883 : « Une année vient 
de se passer; un pas de plus vers la tombe. L'année 
qui va s'ouvrir sera peut-être la dernière pour 
moi. Il importa donc que je me mette bien au 
service du bon Dieu. » Cette année, en effet, fut 



\\\ FÉLIX DËTRBZ 

In ilt'vnli'Tc année pleine qui lui fut donnée en ce 

IIIIUIlIli. 

r:Ui! «'achevait quand nous apprimes que la fièvre 
ly|ilMiïd(! mettait en grave danger cette pieuse et 
liuiocnntc vie. Biçntdt les alarmes furent grandes 
Hlllour de ce lit de malade; les prières étaient vives. 
I m proposa une neuvaine : c Maria en sera , elle s'y 
iinii'a de là-haut, » dit Félix, dont le regard ne se 
diHnchait plus de cette sœur couronnée. Et comme, 
il ce fcuvenir triste et doux, il voyait que sa mère 
i!MMuyait des larmes : a Pourquoi pleurer? demanda 
t-il. Ce n'est pas triste d'être au Ciel, Maria y est, 
ne la pleurons point, s 

Elle pouvait pleurer, cette mère chrétienne, qui, 
comme celle dont parle le livre des Machabées, allait 
voir tout à l'heure expirer sous ses yeux le septième 
enfant que lui prenait la mort : Supra modum mater 
admirabilis qux percuntes septem filios conspiciens, 
hono anima fîebat, propter spem quant inDeum hàbe- 
bat. Il pouvait bien pleurer, ce père septuagénaire 
qui, dans cet ûge avancé, se voyait, comme Jacob, 
emmener, après tant d'autres, le Benjamin dont le 
départ allait condamner ses vieux jours à une mor- 
telle douleur : Et deducetis canos meos cnm dolore 
•"' '"iferos. 

!st pour ménager cette douleur des siens que 
se priva de leur faire des adieux qui les 
}nt édifiés, mais qui les eussent brisés. La 
e raison lui faisait craindre l'appareil funèbre 
îerniers sacrements. Quand le Père ministre,: 



FÉLIX DÉTREZ i4î5 

son directeur, lui proposa de recevoir la sainte 
communion, il le vit d'abord tout heureux d'une 
annonce qui lui ouvrait les bras de l'Ami éternel. 
<( Oh! oui! » s'écria- 1- il avec un profond soupir. 
Mais il en fut autrement quand le prêtre ajouta que 
le moment était venu de recevoir aussi le sacrement 
des malades. 

<( Quel sacrement voulez -vous dire? demanda-t-il 
étonné. 

— L'extrême -onction, mon fils. 

— Non, non! » s'écria l'enfant. 

Et il y avait dans ce cri une telle énergie, que le 
prêtre en fut tout surpris. 

c( Comment, Félix, lui dit -il, vous qui aspirez si 
vivement au bonheur d'appartenir à Notre-Seigneur 
Jésus -Christ, vous avez peur de lui? 

— Peur de Jésus? Oh! non. Mais je ne veux pas 
effrayer ma mère et lui causer cette peine. 

— Rassurez -vous, votre mère est chrétienne; 
elle vous aime. Elle sait que ce sacrement est pour 
le soulagement du corps comme de l'âme. Ne voulez- 
vous pas de ce remède que Notre-Seigneur vous 
offre? 

— Mais tout le monde ici va pleurer, ma mère , 
mes sœurs, mes frères. » 

Et c'était à ces pleurs qu'il ne pouvait se ré- 
soudre. Il fallut que le prêtre l'assurât qu'il allait 
doucement prévenir la famille et la disposer à ce 
coup. Il fallut surtout que le Père en appelât aux sen- 
timents, à lui bien connus, du jeune religieux futur : 



146 FÉLIX DÉTREZ 

« Vous agirez en vrai novice, en fils d'obéis- 
sance. » 
A ce mot Félix consentit : 
a Oui, c'est bien; mais quand sera-ce? 

— Tout à l'heure, 

— Alors qu'on dispose ma chambre, qu'on y 
dresse une chapelle, d 

Et lui-même s'occupa de ces préparatifs. 

Une faveur qu'il demanda fut que ces derniers 
sacrements lui fussent administrés par son direc- 
teur. (( Eh bien, répondit celui-ci, je vais faire 
cette démarche auprès de M. le curé. Mais s'il faut 
se passer de mon ministère, vous offrirez à Jésus ce 
nouveau sacrifice avec tous les autres. Vous n'avez 
plus , en ce moment , qu'à vous pénétrer des pen- 
sées de la foi. Plus aucune attention aux personnes, 
aux ministres. Oubliez le monde, et ne voyez que 
Jésus qui vient à vous. » 

Ce fut un rare spectacle que cette scène de l'admi- 
nistration du divin viatique et de l'extrème-onction. 
Le sacristain, qui pourtant assiste chaque jour les 
prêtres dans cette fonction sacrée, disait tout haut 
qu'il ne rencontrait pas souvent de pareilles choses. 
(( Que c'est beau! répétait- il, de voir comment ce 
jeune homme reçoit le bon Dieu! d 

Il est vrai que notre Félix avait tout le Ciel sur ses 
traits, dans ses yeux, sur ses lèvres, n était tout 
effusion, tout action de grâces, souriant, remer- 
ciant, répétant : « Ohl Père, merci, merci; cela 
m'a fait du bien. » C'était inénarrable. 



FÉLIX DÉTREZ 147 

Il demanda que l'autel provisoire disposé pour 
cette cérémonie restât dressé devant lui , pour en 
rappeler sans cesse le spectacle à ses regards et en 
raviver la reconnaissance dans son cœur. 

Cependant, depuis le commencement de l'inexo- 
rable maladie, nous le visitions, nous le bénis- 
sions; nous le trouvions entouré des objets chers 
à sa piété, son crucifix, son chapelet, en face de 
l'oratoire qu'il s'était élevé, où il avait passé de si 
bons instants, où il ne lui serait plus donné de 
s'agenouiller. Il nous remerciait de la parole , des 
yeux et du sourire ; il nous disait de remercier ses 
frères de congrégation et ses frères de classes qui 
priaient pour lui. Je lui disais d'espérer ; je lui don- 
nais rendez -vous au collège pour la fête de la Pré- 
sentation de Jésus -Christ au temple. Mais secrète- 
ment je pensais à un autre rendez -vous où l'appe- 
laient d'autres frères , et à un autre temple où l'at- 
tendait son Dieu. Le dénouement se précipitait , et 
l'espérance, s'enfuyant tristement de nos cœurs, 
s'éloignait de plus en plus du côté de ce monde pour 
se tourner vers l'autre. 

Félix y montait déjà par le chemin du calvaire. Il 
dissimulait sa souffrance par attention filiale; par 
exemple, un jour il s'accusa d'un cri qui lui avait 
été arraché par son mal, parce que ce cri avait re- 
tenti dans le cœur de sa mère , qu'il avait vue tres- 
saillir, puis sortir en s'essuyant les yeux. Il voulait 
la faire reposer, durant la nuit du moins; et il ne 
se lassait pas d'admirer le dévouement de sa sœur 



148 FÉLIX DÉTREZ 

Léonie, qui, elle, ne voulait le quitter ni le jour ni 
la nuit, prenant là, près de son frère, parmi de 
longues fatigues , le germe de la même maladie qui , 
bientôt après, devait donner à sa famille de nou- 
velles alarmes. 

Ce que Félix taisait par tendresse filiale il le confiait 
à Dieu. On l'entendait qui disait, regardant son 
crucifix : Crux, ave, spes unica! Parfois c'étaient 
des actes de charité parfaite, tels que cet élan de 
son cœur : a Oh! qu'il est bon le bon Dieu!... si 
bon ! si bon ! » 

Une seule pensée l'occupait : celle de sa vocation. 
N'était-ce pas le moment de s'ouvrir à ses parents 
de son dessein arrêté de se consacrer à Dieu dans la 
Compagnie de Jésus? Il profita d'un moment où il 
était seul avec sa mère pour lui annoncer confiden- 
tiellement, mais déterminément , qu'il entrait, cette 
année-là même, après sa rhétorique, au noviciat 
de Gemert. Il savait bien que ce n'était pas une telle 
mère qui y mettrait jamais opposition ; mais cette 
déclaration lui semblait un grand pas en avant vers 
le terme. 

(( Père, dit-il ensuite à son directeur, j'ai confié 
à maman que je voulais entrer, cette année même, 
à Gemert. 

— Mon enfant , c'est une chose qu'il faut laisser 
maintenant à la bonne Providence. Pour l'instant , 
c'est votre vie qu'il faut commencer à donner tout 
entière à Jésus- Christ. 

— Oui, c'est bien ce que je veux. » 



FÉLIX DÉTREZ 149 

L'offrande fut faite. En signe d'union à la société 
de Jésus , le Père lui remit le crucifix qu'il avait 
reçu à ses vœux, 

(( Voyez, Félix, lui dit-il, je vous traite en reli- 
gieux en vous remettant ce crucifix de ma profes- 
sion; je vous le laisse. » 

Félix y colla ses lèvres à plusieurs reprises. 

« Encore, encore, répétait-il. Il ne me quittera plus.» 

Ce fut la dernière fois qu'il put s'entretenir avec 
le père de son âme. Quand celui-ci le revit, Félix 
ne parlait plus. Seulement il faisait signe de la tète 
qu'il acceptait tout ce que Dieu voulait, et qu'il 
priait pour ses parents inconsolables. Ses lèvres, 
dévorées par la fièvre et les ravages de son mal, 
cherchaient le crucifix que ses yeux ne quittaient 
plus, et qui ne se détournaient de Jésus que pour se 
lever vers le Ciel. 

Le voyant offrir si magnanimement son sacrifice , 
maintenant les pieux parents y unissaient le leur. 
Comme la mère des M^chabées à son dernier fils 
martyr, sa mère lui disait, non des lèvres, mais du 
cœur : « Oui, mon fils, regarde le Ciel : peto, note, 
ut aspicias ad cœlum. Ne crains point le trépas : 
non timeas camificem istum; va partager le sort de 
tes frères et de tes sœurs : dignus fratrihus tuis, 
effectus particeps ; reçois la mort comme une amie , 
en attendant que, par la même miséricorde, nous 
allions à notre tour vous rejoindre tous sept et vous 
posséder encore : suscipe moHem ut in illa misera- 
tione cum fratrihus tuis te suscipiam. » 



i»;0 FÉLIX DÉTREZ 

Pendant ce temps-là, ici môme, du haut de ce 
sanctuaire, je vous recommandais cette âme frater- 
nelle. Je vous disais son agonie, je vous disais 
aussi notre profonde édification. Vous nous com- 
preniez, vous nous interrogiez; vous vous réunis- 
siez dans votre chapelle de la congrégation pour 
prêter à votre ami le secours de vos intercessions 
auprès de la Mère des mères. Mais un matin il nous 
fallut paraître devant vous au pied de cet autel, en 
ornements de deuil. Félix venait de succomber, et 
celui dont nous portions chaque jour le nom aimé 
au Mémento des vivants, nous allions le recomman- 
der au Mémento des morts ! 

C'était le 18 janvier, un jour de vendredi, qu'il 
était retourné à Dieu. Ce jour -là, j'en ai la confiance, 
il y eut une belle fôte de famille dans le Ciel. 

Trois jours après nous en avions, nous aussi, 
une autre sur la terre. Comment appeler d'un autre 
nom cette pompe virginale des obsèques de votre 
frère; ces tentures blanches et bleues, remplaçant 
pour lui les tentures funèbres; cette chambre ar- 
dente, cet autel, ces statues de Jésus, de Marie, de 
Joseph; ces statuettes d'anges agenouillés; ce cer- 
cueil revêtu, enveloppé de blancheur; cette profu- 
sion de hs, ces couronnes, cette ceinture de l'en- 
fant de l'autel? C'est une belle et expressive cou- 
tume de votre pays que celle qui éloigne l'appareil 
de la tristesse de la dépouille de ceux qui ont quitté 
ce monde dans la fleur de la vie, surtout quand ils 
l'ont quitté dans la fleur de l'innocence. Cela lui 



FEUX DÉTREZ 151 

convenait, à lui. A cette vue, je me disais que de ià- 
haut Félix devait sourire à une telle solennité et 
être content de nous. 

Comment ne Teût-il pas été? Il voulait entrer 
dans la Compagnie de Jésus, et ce jour de ses 
obsèques était précisément celui de la fôte patronale 
de la Compagnie de Jésus. Il voulait porter toute sa 
vie le nom de son Sauveur, et ce jour de dimanche 
était celui auquel l'Église solennise la fête du très 
saint nom de Jésus. Cette église, où vous veniez en 
foule lui faire cortège , retentissait encore et allait 
retentir toute cette journée de chants et d'hymnes, 
tels que ceux-ci, que je me plaisais à lire dans 
l'office liturgique, à côté de son cercueil entouré 
de lumières : 

Seigneur, j'ai eu soif de votre saint nom. 

Quiconque invoquera^ votre nom sera sauvé, 

Void qu'à jamais je me réjouirai dans le Sei- 
gneur, et je tressaillirai au nom de mon Jésus. 

Le Seigneur a fait en moi de grandes choses, et 
son divin nom est saint. 

Désormais je vous sacrifierai une hostie de louange, 
j'invoquerai ce nom du Seigneur à jamais *. 

Déjà même il me semblait l'entendre qui, de l'é- 

^ Sitivit anima mea ad nomen sanctum tuum, Domine. 
Omnis qui invocavôrit nomen Domini, salvus erit. 
Ego autem in Domino gaudebo, et ezsultabo in Deo Jesu meo. 
Fecit mihi magna qui potensest, et sanctum nomen ejus. 
Tibi sacrificabo hostiam laudis, et nomen Domini invocabo. 

(Brbv. roii., Of/ic, SS, Nominis Jesu.) 



152 FEUX DÉTREZ 

ternelle et béatifique et inamissible société de Jésus, 
s'unissait à cet admirable Jubilus de saint Bernard, 
que rÉglise nous mettait sur les lèvres en ce jour : 

Jesu dulcis memoria , 
Dans vera cordis gaudia ; 
Sed super mel et omnia 
Ejus dulcis praesentia... 

Jesu, flos matris virginis, 
Amor nostrae dulcedinis, 
Tibi laus, honor nominis, 
Regnum beatitudinis. Amen ^. 

Amen! ainsi soit- il : c'est par ce vœu que je ter- 
mine. Ah ! que cet amen signifie que c'en est bien 
fini, et fini pour jamais, avec ces deuils de famille! 
Vivez, mes chers enfants, vivez tous, et que le 
ministère que j'accomplis aujourd'hui pour un de 
vos amis , je n'aie plus à le remplir jamais pour 
aucun de vous. Il m'est trop cruel de pleurer sur 
les enfants que le Ciel m'avait donnés ; et il ne con- 
vient pas que nous, qui sommes déjà, et depuis 
bien longtemps, sur l'autre versant de la vie, nous 
menions le deuil de ceux qui ne font encore que 
mettre le pied dans la carrière. 

1 De Jésus l'aimable pensée 
Est pour mon cœur une rosée; 
Mais plus douce que le doux miel 
Est sa présence dans le ciel. 

Jésus, fleur que porta Marie, 
Jésus, seul amour de ma vie, 
Béni soit ton nom glorieux 
Dans le royaume des heureux. 



FÉLIX DÉTREZ 153 

C'est la quatrième fois depuis Tannée dernière 
que je paye ce tribut funèbre à la mémoire de mes 
jeunes fils, et vous m'êtes témoins qu'ils le méri- 
taient tous. C'est là notre consolation; c'est aussi 
le sujet principal de notre espérance : nous n'avons 
perdu d'eux que la présence visible , l'autre nous 
reste; réunis là-haut, ils reforment un autre col- 
lège, le collège éternel; ils sont encore nos fils, ils 
sont enèore vos frères ; et quand nous élevons nos 
regards de ce côté, il nous semble y voir accourir 
au-devant du dernier venu ceux que, les années 
dernières , nous y voyions partir. 

Aussi bien c'est à eux que je m'adresse en finis- 
sant; et, les pressant d'accueillir ce nouveau venu 
dans leurs rangs, je leur envoie avec confiance cet 
invitatoire que l'Église psalmodie près des restes de 
ceux qui viennent d'expirer : Subvenite , sancti Dei; 
occurrite, angeli Domini. 

i( Venez donc, saints, accourez, anges, y> que 
nous avons connus, André, Robert, Joseph; venez 
au-devant de Félix : occurrite, angeli. Et vous, que 
je ne puis oublier dans ces diptyques de notre École, 
vous dont le départ a précédé de peu de semaines 
celui de cette jeune âme, serviteur de Jésus, vé- 
nérable frère Hourdin, qui fûtes bien un saint de 
Dieu, vous aussi venez prêter l'assistance de vos 
longs mérites à l'enfant d'un collège que vous avez 
aimé, à l'aspirant qui voulait porter dans votre 
Compagnie le même nom que vous : Subvenite, 
sancti Dei! Vieux et jeunes, saints et anges, unis- 

7* 



154 FÉLIX DÉTREZ 

sez-vous, et tous ensemble introduisez dans le Ciel 
cette âme altérée du Ciel : Suscipientes animam 
€JU8, afférentes eam in conspectu Altissimi, 

« Et vous, Seigneur Jésus, qui l'aviez appelée 
à vous appartenir, recevez-la sur votre cœur : susci- 
piat te Christus qui vocavit te; qu'elle y repose 
à jamais dans le sein de ses aïeux, et in sinum 
Ahrahœ deducant te; et qu'elle y demeure au sein 
de la famille immortelle dont vous êtes le Père. 
Ainsi soit-il. y> 



LE MANDATUM DU JEUDI SAINT 



Conformément à rinsUtution de la sainte Église, 
Tusage du collège, comme celui d'un grand nombre de 
paroisses , est de célébrer le jour du Jeudi saint la céré- 
monie dite du Mandatum. Nous y appelons seulement 
les congréganistes des premières divisions. 

Douze enfants pauvres sont rangés dans le sanctuaire, 
OÙ, après le chant de PEvangile qui raconte comment 
Jésus lava les pieds de ses apôtres, le célébrant, suivant 
ce divin exemple, se met à genoux devant ces douze 
pauvres et leur lave les pieds, quMl essuie et baise en- 
suite , selon le cérémonial. 

Le diacre et le sous-diacre, puis les prêtres et les di- 
gnitaires des Congrégations viennent de même leur baiser 
les pieds à genoux. 

Une des Congrégations a, chaque année, à tour de 
rôle, rhonneur de remettre à chacun de ces petits 
pauvres une aumône en argent et une autre en nature, 
par la main de son préfet. 



LE MANDATUM DU JEUDI SAINT 



EXHORTATION 

Ayant le layement et le baisement des pieds. 



Mes chers Fils, 

La cérémonie à laquelle vous assistez, à laquelle 
vous allez vous-même participer, n'est pas un vain 
spciptacle. Vous y avez été conviés à un titre parti- 
culier, en qualité de congréganistes , donc par un 
privilège qui suppose justement que plus que les 
autres vous en comprenez la signification, et que 
plus que les autres aussi vous en recueillerez des 
fruits de grâce et de salut. Aussi bien Jésus- 
Christ, notre augi:^te précepteur, a-t-il déclaré 
lui-même à ses disciples qu'il ne l'avait voulue et 
instituée que pour cela. 

Regardez, Voici rangés en couronne, dans ce 
sanctuaire, ces douze pauvres enfants qiii repré- 
sentent les douze apôtres, ces pauvres pêcheurs 



158 LE MANDATUM DU JEUDI SAINT 

que le Seigneur Jésus, en ce môme jcuir du Jeudi 
saint, avait réunis dans le Cénacle. Ils sont pieds 
nus. Qu'attendent -ils? Il n'y a qu'un instant, le 
diacre chantait cette page de l'Évangile où il est 
raconté que Jésus prit un linge et en ceignit ses 
reins , prit de l'eau dans un bassin et se mit à laver 
et à essuyer ensuite les pieds de ses apôtres , avec 
une humilité et une charité qui les confondait d'é- 
tonnement et d'amour. Or voici qu'à son exemple, 
moi son prêtre, je vais me ceindre de ce linge que 
vous voyez là : Cum accepisset linteum, prxdnxit 
se. Je vais, comme lui, prendre ce bassin et y ver- 
ser de l'eau : Mittit aquam in pelvim, et puis, 
comme lui encore, laver les pieds de ces petits et 
les essuyer de ce linge : Et cœpit lavare pedes 
discipulo^^m et extergere linteo. Qu'est-ce que tout 
cela signifie? Cela signifie, mes chers fils, qu'un 
commandement nouveau , mandatum novum, nous 
a été donné : le commandement de nous aimer, le 
commandement de nous servir; celui dont Jésus- 
Christ, notre modèle, disait en c^tte même journée : 
flc Je vous ai donné l'exemple, afin que ce que j'ai 
fait pour vous, vous le fassiez de môme les uns 
aux autres. » 

Et vous, obéissant à ce mandat divin, vous, les 
congréganistes et conséquemment les apôtres de 
chacune de vos divisions, voici que dans un instant 
vous allez vous traîner, les uns après les autres, aux 
genoux de ces malheureux, poser vos lèvres sur 
leurs pieds nus et mettre l'aumône dans leurs 



LE MANDATUM DU JEUDI SAINT 159 

mains, avec une humilité qui n'a d'égale que la cha- 
rité qui vous dévoue à leur service, devenu depuis 
Jésus- Christ un service divin. 

Ah! avancez, ne craignez point! Point de ces 
délicatesses que n'ont pas connues ou qu'ont vain- 
cues les saint Louis, roi de France, les sainte Eli- 
sabeth de Hongrie , les sainte Jeanne de Qiantal, et 
combien d'autres qui, certes, étaient de plus grands 
seigneurs que vous. A genoux devant les pauvres , 
comme devant Jésus- Christ : telle est votre place, 
mes chers fils, non seulement pour aujourd'hui, 
mais pour votre vie tout entière ! Entendez là-dessus 
le Seigneur : « Vous m'appelez Maître et Seigneur, 
dit -il en se relevant, et vous avez raison. Or si moi, 
votre maître, je vous ai traités avec ce respect, 
vous devez à votre tour vous traiter de même 
sorte. » 

Eh bien, mes chers fils, étant de la condition 
dont vous êtes pour la plupart, il arrivera que vous 
aussi,vous aurez un jour des serviteurs, des ouvriers, 
des employés, de3 hommes qui vous seront assujet- 
tis. Dans votre maison, votre terre, votre comptoir, 
votre atelier, votre usine, votre administration, 
votre escadron, votre régiment, on vous saluera, 
vous aussi , du ïiom de chef, de maître ou de pa- 
tron ; et vous le serez en effet. Mais , ne l'oubliez 
pas , vous ne serez jamais plus maître que lorsque 
vous vous ferez serviteur par amour, mais ne serez 
jamais plus grand que lorsque vous vous serez fait 
volontairement petit. L'autorité ne vous est donnée 



160 LE MANDATUM DU JEUDI SAINT 

que pour Texercer dans la bonté. Elle a d'ailleurs 
pour elle-même si grand besoin de ce tempéra- 
ment d'humilité et de charité, et, faute de ce contre- 
poids, elle court tant de risque de se précipiter aux 
écueils de l'orgueil et de la violence! 

Que ferez-vous donc? Vous rétablirez vous-même 
l'équilibre social par une abdication volontaire de 
votre grandeur entre les mains de Jésus pauvre. 
Chaque jour, chaque semaine du moins , las de la 
charge d'avoir à commander les hommes, vous vous 
déroberez pour une heure à un pouvoir importun , 
vous gravirez l'escalier croulant de quelque man- 
sarde; et là, assis au foyer de quelque misérable, 
au chevet de quelque infirme, que vous appellerez 
votre frère , votre main dans sa main , vous vous 
referez chrétien dans cet abaissement, parce que 
vous vous rapprocherez de la grandeur humiliée 
du Maître qui, étant Dieu, s'est néanmoins anéanti 
jusqu'à se faire esclave et mourir comme tel. 

Ne vous effrayez donc pas d'entendre les guides 
des âmes donner à de jeunes hommes des conseils 
tels que celui-ci, que je crois avoir lu dans le Père 
Lacordaire : « Ayez un pauvre à vous, visitez-le sou- 
vent; et là, lorsque vous serez seul à seul avec lui, 
mettez- vous à ses pieds comme aux pieds de Jésus- 
Christ, demandez -lui la permission de baiser ses 
haillons, ses infirmités, ses plaies, si vous en avez 
le courage... » 

Je m'arrête, mes chers fils, vous ne seriez pas 
capables de comprendre ces choses. Mais il est une 



LE MANDATUM DU JEUDI SAINT 161 

chose du moins que votre cœur a comprise, un 
devoir que tout vous rappelle ici, dans cette jour- 
née de la Cène, dans cette chapelle qui, ce matin, 
était le Cénacle pour vous. 

D y a quelques heures donc, ici même , vous avez 
reçu Jésus-Christ, Dieu des pauvres, dans la sainte 
communion de son corps et de son sang. C'était 
votre grande communion, la communion pascale; 
et maintenant encore, tout pleins de sa présence di- 
vine, vous lui demandez du fond de ce cœur efifrayé 
de sa dette et de son indigence : « Maître, que puis- 
je faire pour vous qui m'avez tant donné , en vous 
donnant vous-même? » Mes chers fils, ètes-vous 
sincères quand vous parlez ainsi? Est-il bien vrai 
que vous désirez payer Jésus de retour? Eh bien, 
écoutez sa réponse : ce Ce que vous aurez fait à l'un 
de ces petits, vous l'aurez fait à moi-même. » A lui- 
même? est-ce possible? Oui, le Maître l'a dit. Allons 
donc à ces petits, c'est Jésus-Christ encore. Com- 
muniants de ce matin, mettons notre action de 
grâces à leurs pieds, dans leurs mains : ce senties 
mains de Jésus, ce sont les pieds de Jésus; et, les 
prenant, les adorant, comme les membres d'un Dieu 
caché sous ces humbles espèces et apparences du 
pauvre, allons et tâchons, s'il se peut, de lui rendre 
amour pour amour : Et tenuerunt pedes ejus et ado- 
raverunt Eum, 



XI 



MESSE ET ADIEUX D'UN MISSIONNAIRE 



Le 25 mars 1884, un des ancieDS élèves du collège 
Saint- Joseph , M. Tabbé Paul Gennevoise, prêtre du sé- 
minaire des Missions étrangères, venait, peu de jours 
après son ordination, célébrer une de ses premières 
messes dans notre Ecole, en présence de nos enfants et 
de plusieurs membres de sa famille, à laquelle il était 
venu faire ses adieux avant de s^embarquer, quelques 
jours après, pour la mission de Siam. 

Ce fut une fête pour le collège, qui s'honore d'avoir 
donné déjà plusieurs apôtres aux missions étrangères. Ce 
fut aussi une récompense et un encouragement pour le 
concours généreux que les élèves de toutes les divisions 
apportent aux œuvres de la Propagation de la foi et de la 
sainte Enfance, auxquelles ils contribuent annuellement 
pour une somme importante (de 16 à 1800 fr.), dignes 
eu cela d'un diocèse qui se place aux premiers rangs 
pour ses offrandes annuelles à ces deux grandes œuvres. 



XI 



MESSE ET ADIEUX D'UN MISSIONNAIRE 



ALLOCUTION 

Prononcée à la Messe célébrée au collège par M. Paul Genneyoise , 

ancien élèye, prêtre des Missions étrangères, 

missionnaire apostolique à Siam , 

le 25 mars 1884, fête de T Annonciation. 



Mes chers Fils, 

C'est un de vos frères d'autrefois , devenu prêtre 
depuis quelques jours; qui va monter ce matin à 
cet autel du sacrifice, au pied duquel il a communié 
tant de fois. 

ê 

Que s'est-il donc passé, et en lui et pour lui? 
Exactement ce qui s'est passé en Marie dans ce 
mystère de l'Annonciation et de l'Incarnation que 
nous célébrons en ce jour. Un jour l'ange de Dieu, 
le ministre de Dieu, l'a visité, comme Marie, ici, 
dans sa jeunesse. Il lui a dit que lui aussi, étant pur, 
étant vierge, étant un enfant de grâce et de béné- 
diction, donnerait Jésus -Christ au monde; que la 



166 MESSE ET ADIEUX D*UN MISSIONNAIRE 

force du Très-Haut assisterait sa faiblesse en le cou- 
vrant de son ombre, et que Celui qui naîtrait de lui 
dans le saint Sacrement serait appelé le saint de 
Dieu! Le jeune homme a tressailli de reconnais- 
sant à cet appel : Fiat tnihi secundum verhum tuum! 
Et c'est pourquoi, ces jours derniers, Celui qui est 
le Tout-Puissant a fait en lui de grandes choses par 
l'ordination. Et c'est pourquoi vous allez voir se 
renouveler entre ses mains le mystère de Nazareth 
dans celui des autels : c'est par lui que tout à 
l'heure « le Verbe sera fait chair et habitera parmi 
nous ». 

Mes très chers fils, laissez-moi vous le dire, ces 
vocations sacerdotales , chaque fois qu'elles viennent 
à éclore au sein de notre collège , me font bénir et 
remercier Dieu par- dessus tous ses autres bien- 
feits. C'est la grâce des grâces pour ceux qui en 
sont favorisés ; c'est le signe de la complaisance du 
Ciel sur la maison tout entière. Une nation est une 
bonne nation, une province est une bonne pro- 
vince , une famille est une bonne famille qui produit 
des prêtres , et beaucoup de prêtres. Il en est de 
même d'un collège. C'est une terre saine que celle 
où Jésus-Christ cherche et trouve ceux que lui-même 
a nommés « le sel de la terre » ; c'est un ardent foyer 
que celui auquel il allume « la lumière du monde ». 
Et puis ces fils de l'autel sont ici comme le levain 
mêlé à la pâte dont parle l'Évangile : ils la font lever 
et lui donnent son goût et sa saveur. Dans une mai- 
son comme la nôtre, laïque par destination, le bien- 



MESSE ET ADIEUX D'UN MISSIONNAIRE 167 

fait de cet élément est d'élever le niveau de la 
vertu commune en faisant paraître au-dessus d'elle 
l'idéal du sacerdoce, c'est-à-dire de la vertu hé- 
roïque, sublime. 

Enfin ne vous semble- 1- il pas que Dieu doit 
abaisser des regards d'une bienveillance toute par- 
ticulière sur une maison dans laquelle ces dévoue- 
ments , depuis quinze ans , se succèdent sans inter- 
ruption, se multipliant de jour en jour? Comptez le 
nombre de ceux qui sont sortis d'ici pour aller se lier 
à Dieu par -ces nœuds éternels, soit dans le clergé 
séculier, soit dans les ordres religieux! En vérité, 
mes chers fils, nous avons bien payé notre dîme à 
la tribu de Lévi. Il me semble que Dieu doit être 
content de nous. Et nous le lui devions bien, nous 
qui avons tant de motifs d'être contents de lui ! 

Mais aujourd'hui c'est un don encore plus excel- 
lent dont le Ciel nous gratifie. Celui que nous re- 
voyons ce matin dans ce collège, entouré de sa 
famille, demain, ou après -demain, il va quitter et 
amis, et famille, et patrie. Cette visite, c'est un 
adieu; ce prêtre, c'est un missionnaire; ce mission- 
naire, c'est un apostolat. Des contrées lointaines 
l'attendent; il part. Reviendra-t-il jamais?... Je puis 
dire cela devant vous, mon cher frère en Jésus- 
Christ, sans effrayer votre courage; car je sais que 
même la gloire de l'apostolat ne vous suffit pas, et 
que votre jeune et grand cœur, tout épris de Jésus- 
Christ, ne sera pas satisfait tant qu'il n'aura pas 
obtenu encore celle du martyre. 



168 MESSE ET ADIEUX D*UN MISSIONNAIRE 

Allez donc porter à ce Dieu crucifié par amour ce 
suprême et généreux témoignage de Tamour. Allez, 
fils d'obéissance, allez par delà les mers plan- 
ter la croix de Celui qui se fit pour vous obéis- 
sant jusqu'à la mort de la croix. Aussi bien votre 
part est belle, et vous n'avez pas à craindre que 
le champ qui vous est ouvert ne puisse suffire 
à l'immensité de votre ambition de labeurs et de 
douleurs. Regardez plutôt. 

Mes chers fils , à quatre mille lieues environ de 
notre France, entre l'océan Indien et le grand 
Océan, s'étendent de vastes régions qui, descendant 
graduellement du ^rand plateau asiatique, forment 
la péninsule déchiquetée de l'Indo- Chine, où le 
royaume de Siam occupe la plus grande place. Il y a 
deux cents ans, le plus illustre de vos archevêques 
de Cambrai , Fénelon , prêchant à Paris dans cette 
même église des Missions étrangères d'où sort notre 
frère d'aujourd'hui, parlait ainsi des espérances que 
cette contrée infidèle donnait à la religion : « C'est 
à Siam, disait -il, que se rassemblent les hommes 
de Dieu. C'est là que se forme un clergé composé 
de tant de langues et de peuples sur qui doit dé- 
couler la parole de vie; c'est là que commencent 
à s'élever jusque dans les nues des temples qui 
retentiront des divins Cantiques. » 

Siam! voilà, mon cher frère, votre patrie de 
demain. Fénelon, qui a béni vos pères, doit vous 
bénir aujourd'hui : vous répondez à ses vœux. Et 
moi qui, <^s serviteurs de Dieu, envie 



MESSE ET ADIEUX D'UN MISSIONNAIRE 169 

votre bonheur, je veux vous redire encore, avec ce 
grand évêque, ces paroles du même discours : 
a Que ne puis -je aujourd'hui m'écrier, comme 
Moïse aux portes du camp dlsraël : Si quelqu'un 
est au Seigneur, qu'il se joigne à moi I Dieu m'en 
est témoin, Dieu devant qui je parle. Dieu à la face 
duquel je sers chaque jour... Seigneur, vous le savez 
que c'est avec confusion et douleur qu'admirant 
votre œuvre , je ne me sens ni les forces ni le cou- 
rage d'aller l'accomplir. Heureux ceux à qui vous 
donnez de le faire! Heureux moi-même, malgré ma 
faiblesse et mon indignité , si mes paroles peuvent 
allumer dans le cœur de quelque saint prêtre cette 
flamme céleste dont un pécheur comme moi ne mé- 
rite pas de brûler I » 

Mais du moins, mon cher frère. Dieu ne m'a pas 
refusé d'admirer et de vénérer ce que je ne puis 
imiter ; et il y a bien longtemps que , par sa grâce , 
toute gloire humaine a pâli devant la gloire de ces 
conquérants des âmes. Il y a plus de trente années 
qu'elle m'a été révélée providentiellement, dan? 
votre église des Missions étrangères à Paris, of? 
j'avais été conduit, sans le savoir, à cette inefî'able 
cérémonie du départ des missionnaires et du baise- 
ment de leurs pieds, à laquelle j'assistais pour la 
première fois , dans une circonstance qui en faisait 
jaillir pour moi une éloquente leçon. C'était le soir 
même du jour où la Sorbonne venait, après de 
laborieux examens, de me conférer un grade auquel 
j'attachais trop de prix; et là, à genbux dans le 

8 



170 MESSE ET ADIEUX D*UN MISSIONNAIRE 

sanctuaire, aux pieds de ces jeunes hommes qui 
allaient partir un instant après pour cueillir de tout 
autres palmes, et qui joyeux, radieux, chantant le 
psaume du départ, daignaient me relever et me re- 
cevoir, moi aussi, moi inconnu, dans leurs bras... 
le pauvre docteur de quelques heures se trouvait 
bien petit, et il n'estimait vraiment grand que celui 
dont le Seigneur a dit dans TÉvangile : Qui sic do- 
cueHt et fecerit, hic magnus vocahitur in regno 
cœlonim ! 

Mais que parlé- je de moi, jeune et cher confrère, 
lorsque j'ai la pensée et le cœur uniquement plein de 
vous? A vous donc nos vœux, missionnaire de 
Jésus-Christ, évahgéliste de la paix, qui allez 
demain porter la bonne nouvelle près des régions 
où présentement la France porte le hasard de ses 
armes. Ce sont des millions d'âmes en ruine qui 
crient vers vous comme cet homme de Macédoine 
que saint Paul vit en songe sur les ruines de Troie : 
« Viens vers nous I » Allez sous un autre ciel , au 
bord de ces grands fleuves qu'ombragent les bam- 
bous, que bordent les palmiers, où boivent les 
éléphants, au sein de cette nature grandiose où tout 
chante la gloire d'un Dieu qui n'y est pas connu. 
Allez, au pied de ces montagnes qui cachent les 
rubis et les saphirs dans leurs flancs, présentera 
ces multitudes aveugles cette perle de l'Évangile, 
qu'il faut acquérir à tout prix pour acheter le 
royaume des Cieux. Allez montrer à ces pèlerins de 
Siam et de Bangkok , qui cherchent sur les collines 






MESSE ET ADIEUX D'UN MISSIONNAIRE 171 

les traces sacrées de Bouddha, les traces divines de 
celui qui seul est le « saint Pasteur ». Relevez -les 
de la poussière où ils sont prosteraaés devant la face 
de leur roi, pour leur faire adorer le vrai «c Maître 
de la terre » , le vrai o: Maître de la vie » , et de la 
vie éternelle. 

Sans doute , soyez désormais tout entier à cette 
famille que Jésus -Christ vous donne , mais ne cessez 
pas pour cela d'être encore à tous ceux que vous 
laissez ici. Parfois, lorsque, errant sur les rives du 
Menam ou dans les forêts du Laos, vous reporterez 
votre souvenir vers l'Europe et la France, que vous 
aurez quittées pour l'amour du Seigneur, si le regard 
de votre cœur, perçant la profondeur de l'horizon 
des mers , vient à rencontrer dans le lointain l'école 
où vous fûtes formé, les maîtres et les amis que 
vous y avez laissés , élevez pour eux vers le Ciel vos 
mains chargées du prix des âmes que vous aurez 
sauvées. Votre prière les servira comme faisait jadis 
votre exemple; et qui sait si. Dieu aidant, des 
germes de vocation et des excitations à marcher sur 
vos traces n'écloront pas dans l'âme de quelques- 
uns de vos jeunes frères, sous cette bénédiction 
qui aura traversé l'immensité des océans pour arri- 
ver jusqu'à eux? 

Quoi qu'il en soit , vous , mes chers fils , vous 
vous souviendrez désormais que vous tenez à l'apo- 
stolat des Missions étrangères par des liens de 
famille. Ici déjà prospère et fleurit parmi vous 
l'association de la Propagation de la foi, versant 



172 MESSE ET ADIEUX D'UN MISSIONNAIRE 

chaque année pour cette œuvre du premier ordre 
des sommes considérables, dont je ne saurais assez 
bénir votre charité. On vous demandera de placer 
votre nom, si déjà vous ne Tavez pas fait, sur les 
listes d'honneur de cette grande aumône catho- 
lique, et vous l'y placerez. Peut-être un jour, dans 
votre contrée, votre ville, votre paroisse, on vous 
demandera d'en être les zélateurs volontaires et les 
organisateurs; c'est une mission à accomplir, et 
vous l'accomplirez. Plus tard, devenus soldats, 
marins, magistrats, consuls, on vous demandera 
de porter, de protéger, de défendre sur les mers 
ou sur les côtes les missions et les missionnaires : 
vous les transporterez, vous les protégerez. Enfin, 
qui sait? peut-être un jour, hommes publics, 
on vous demandera votre parole ou votre suf- 
frage pour le soutien de ces grands serviteurs de 
l'Église , de la civilisation et de l'honneur du nom 
français : vous les soutiendrez. En vérité, c'est bien 
le moins que nous puissions faire pour une si belle 
cause; c'est bien le moins qu'on donne quelque 
cflose de son temps, de ses forces, de son bien, de 
son cœur, pour ceux qui payent de leur vie le salut 
de leurs frères. 



XII 



PÈLERINAGE k NOTRE -DAME -DE -LA -TREILLE 

ET 
ANNONCE DE LA FONDATION 

DE L*ÉCOLE DE SAINT-LOUIS-DE-GONZAGUE 

JUIN 1884 



NOTICE 

SLR LA FONDATION DE l'ÉCOLE DE SATST- LOUIS- DE -GONZAGUB 

Dès le 2 novembre 1883, une réunion plénière des ac- 
tionnaires de la société civile du collège Saint- Joseph 
avait été saisie par nous du projet d^étabiir une succur- 
sale de cette école >dans un quartier plus central, pour 
les plus jeunes enfants qui ne pouvaient, à cause de leur 
âge, arriver jusqu'à nous. 

La société donna son entier assentiment à ce projet, 
présenté et démontré comme très opportun par M. le 
Supérieur. On a étudié sur un plan de la ville les 
quartiers où un tel établissement serait le mieux placé 
pour recruter des élèves à l'éducation chrétienne. On dé- 
cida que cette étude serait poursuivie , qu'on chercherait 
entre les maisons à louer ou à vendre celles qui pour- 
raient se prêter à recevoir ce petit collège, et qu'en 
attendant on prierait. 

C'est plus tard, le vendredi 4 mars 1884, que fut con- 
clu l'achat d'un ancien pensionnat, rue Masurel, proche 
l'église Notre-Dame-de-la-Treille, tout au bord de la 
Deûle, qui en baigne les murs. On se mit aussitôt aux 
travaux d'appropriation. 

Dans le dessein premier, la aouvelle maison devait 
avoir le même Supérieur que le collège Saint -Joseph, 
dont elle eût été regardée comme une annexe , et les for- 
malités furent remplies en conséquence. Mais l'autorité 
académique s'étant refusée à considérer comme annexe 
une école aussi distante de la maison principale, la fon- 
dation reçut un supérieur particulier dans la personne du 
R. P. Motte, à qui succéda ensuite le R. P. Dubuisson, 
qui la dirige actuellement suaviter et fortiter. 

Elle prit le nom d'école de Saint-Louis-de-Gonzague, 
reçut plus tard une classe de sixième, et compte aujour- 
d'hui près de cent petits enfants qui en font la joie et 
l'honneur, et dont une partie est déversée chaque année 
dans le grand collège. 



XII 



PÈLERINAGE A NOTRE -DAME -DE- LA-TREILLE 

ET 

ANNONCE DE LA FONDATION 

DE L'ÉCOLE DE SAINT-LOUIS-DE-GONZAGUE 

JUIN 1884 



Mes chers Enfants, 

Nous sommes ici au foyer de notre famille divine, 
et cette maison est celle de notre Mère du Ciel. 
Nous lui devions cette visite. L'antiquité, même 
païenne , que vous étudiez , connaissait et accom- 
plissait le rit du pèlerinage. Elle lui donnait un 
autre nom. C'étaient les théories sacrées qui chaque 
année amenaient à Délos les citoyens, qui dépo- 
saient des couronnes de fleurs sur les autels de 
Diane. Nous avons mieux ici que la Diane -Arté- 
mis , mère du dieu Apollon ; le pèlerinage de ce 
jour nous a conduits aux pieds de la Mère de 
Jésus, « Dieu de Dieu, lumière de lumière et 
vrai Dieu fils du vrai Dieu. » Nous avons mieux 
ici que la Minerve antique, déesse de la sagesse, 



176 PÈLERINAGE A NOTRE - DAME - DE - LA - TREILLE 

car celle que nous venons honorer et invoquer est 
le <c Siège d'une sagesse » qui n'est autre que le 
Verbe descendu du sein même de Dieu dans le sein 
d'une Vierge de la terre : De qua natus est Jésus qui 
vocatur Christus. 

Je regarde d'abord autour de ce sanctuaire, et les 
paroles que j'y vois, gravées ici sur la frise, sont une 
instruction que je recueille pour vous comme pour 
moi. Lisez -les : Posuerunt me custodem civitatis : 
<( Ils m'ont établie gardienne de la cité. » En effet, mes 
enfants , telle est en quatre mots la raison de notre 
visite. Une cité existe, que nous venons demander 
à la Reine du Ciel de garder contre l'ennemi qui la 
menace de toutes parts. — C'est d'abord la cité de 
Dieu , cette sainte Église que Jésus- Christ a nom- 
mée lui-même « la Cité placée sur la montagne » , et 
dont les méchants ont juré Fextermination. Marie 
la défendra : Custodem civitatis/ — C'est ensuite la 
cité de l'homme, la ville de Lille, ville chrétienne 
sans doute, place forte de la foi et de la charité, 
mais dont un ennemi intérieur est occupé à miner 
l'antique fondement religieux dans les souterrains 
ténébreux de ses sociétés secrètes; Marie le re- 
poussera : Custodem civitatis. — C'est encore une 
autre cité, celle de la famille et de l'école. Là, en 
nos jours de malheur, l'enfant est sans cesse aux 
prises avec les suppôts d'Hérode, « qui en veulent 
à son âme » , comme il est dit de Jésus : Marie le 
défendra : Custodem civitatis. 

Eh bien, puisque tout, en ce lieu, vous parle et 



PÈLERINAGE A NOTRE -DAME- DE -LA -TREILLE 177 

VOUS appelle, le passé, le présent, l'avenir, que 
ferez -vous en conséquence et qu'apporterez- vous 
ici aux pieds de votre patronne? Apportez -y vos 
souvenirs, apportez -y vos prières, apportez -y vos 
espérances. 

Apportez-y vos souvenirs, vos pieux souvenirs 
4'histoire. Le nom de Marie y est écrit à la première 
page. Et, en effet, si je m'enfonce dans la profon- 
deur des âges, que vois -je ici originairement? De 
vastes forêts placées sous la main de forestiers plus 

m 

féroces que les bêtes fauves. Et puis, des mœurs 
encore plus sauvages que les hommes : là une 
femme, une mère, une persécutée qui, dans sa 
détresse, reçoit la visite de Marie et par elle la pro- 
messe d'un puissant libérateur. ville de Lille, tu 
reconnais les légendes de ton berceau : c'est depuis 
le jour de ta naissance que tu es à Marie; et qu'elle 
est bien pour toi l'étoile du matin î 

Voici le moyen âge. Un homme, un moine, un 
docteur, un saint, sorti des solitudes austères de 
Clairvaux, « la vallée d'absinthe, » arrive dans ce 
pays, que sa parole soulève pour la défense des 
saints Lieux. Mais, en vous donnant la croix, saint 
Bernard en même temps vous prêche le culte de 
Marie, dont son cœur est un autel; et par lui vous 
voyez s'élever près d'ici notre première abbaye cis- 
tercienne de Loos , et son sanctuaire dédié à Notre- 
Dame-de-Grâce : Custodem civitatis. 

Nous sommes au xv« siècle; c'est en 1430. L'ordre 
de la Toison d'or vient d'être institué dans la ville 

8* 



178 PÉLERIIfAGC A BK)TRE-DA]fE'DE-LA-TBflILLC 

de Bruges; et Philippe le Boa, votre comte, vent 
consacrer cette chevalerie en votre ville de Lille, 
devant l'image de Marie. Et un jour, dans l'église 
qui a précédé celle-ci, vous eussiez vu entreries 
vingt- quatre nouveaux chevaliers dont les écussons 
armoriaient les murailles; puis après la messe so- 
lennelle, célébrée par l'évéque de Nevers, vous les 
eussiez entendus jurer fidélité aux statuts de leur 
ordre, dont le premier article était que le chevalier 
ne doit jamais fuir, mais vaincre, et, s'il le faut, 
mourir. C'était le plus beau code d'honneur mili- 
taire qui se puisse lire; et c'est ici que Marie en 
recevait le serment. 

Le xvio siècle est venu , et avec lui la Réforme, 
entraînant à sa suite la dévastation et la ruine. Des 
voix hurlent contre l'Église, le pape, les sacre- 
ments : « Vivent les gueux, brisons les idoles! » 
Les malheureux! ce que, dans leur haine, ils ap- 
pellent les idoles , ce sont les images de Jésus , les 
statues de sa Mère, les reliques de nos saints et 
jusqu'à nos Tabernacles! Cependant des pères et 
des mères accourent aux autels de la Libératrice; 
un rempart est élevé contre l'impiété : celui des 
écoles chrétiennes. C'est dans le même temps qu'on 
voit se détacher, sur la façade d'un si grand nombre 
de vos demeures privées, ces pieux édicules portant 
une statue de la Vierge, qu'on a soin d'orner chaque 
jour de lumières et de fleurs. Elle est vraiment 
Reine de la ville, et l'on peut dire de Lille que tout 
y chante son nom : Omnia sortant Mariam. De là 



PÈLERINAGE A NOTRE - DAME - DE - LA - TREILLE 179 

sortit notre salut, et le protestantisme ne vous con- 
quit jamais. 

Vous reporterai -je aussi vers le milieu du 
xvii® siècle, au jour où vos échevins et tout le sénat 
municipal vinrent processionnellement consacrer 
à cette Reine la ville dont ils déposèrent les clefs 
entre ses mains? Vous ne l'avez pas oublié, et vous 
voyez chaque année les catholiques fidèles venir ici 
en célébrer solennellement la mémoire. 

Mais vous n'avez pas besoin de remonter si haut; 
et les aînés d'entre vous se souviennent peut-être 
d'avoir vu, dans leur enfance, défiler par les rues 
l'immense procession qui se rendait ici pour la bé- 
nédiction des fondements de' cet édifice resté encore 
inachevé, mais qui s'achèvera, j'espère, dans les 
proportions que lui veut la piété croissante des 
fidèles et l'immensité du secours dont nous avons 
besoin. A un assaut comme celui de l'antichristia- 
nisme, avec ses effroyables engins de destruction, 
il faut une citadelle inexpugnable, invincible; cette 
basilique en présentera l'image à nos regards. 

Mes chers fils , de tels souvenirs sont un traité 
d'alliance que vous n'avez pas le droit de violer ni 
de rompre. Vos pères l'ont signé, non pas seulement 
pour eux, mais encore pour vous. Vous devez donc 
faire honneur à leur signature en tenant tous leurs 
engagements. Renouvelez- en le serment vous, êtes 
venus pour cela. 

Mais ce n'est pas assez : avec vos serments vous 
êtes venus en second lieu apporter vos prières. 



180 PÈLERINAGE A NOTRE - DAME - DE - LA - TREILLE 

Et, de vrai , quand en avez- vous eu plus grand be- 
soin que dans ces jours, tous tant que vous êtes ici? 

Vous , mes petits enfants , qui êtes là au premier 
rang dans la tenue de fête du jour de votre première 
communion, vous êtes venus demander àNotre-Sei- 
gneur Jésus -Christ la grâce de vous asseoir aujour- 
d'hui à son festin pour la seconde fois. Vous aviez 
écrit naguère sur les souvenirs imprimés de cette 
journée toute divine cette parole , qui devait vous 
en rappeler l'honneur et le devoir : « Dieu avec 
nous! D Vous l'avez gardé, en effet, ce Dieu qui se 
plaît parmi les lis. Depuis quatre semaines vous 
avez éprouvé combien le Seigneur est doux. Et 
maintenant, expérience faite, et comme après un 
premier et heureux noviciat de la vie eucharistique, 
vous venez lui protester que c'est à jamais que 
vous êtes à lui; et vous allez entrer dans cette 
longue carrière dont chaque grand pas sera marqué 
par la sainte communion, jusqu'au jour où ce sera 
le viatique suprême qui vous sera donné pour le 
passage à la vision de Jésus, contemplé face à face 
et goûté cœur à cœur. Oh î que vous êtes grands I 
que vous êtes heureux 1 

Et vous nos aînés, vous êtes à la veille de 
combats décisifs pour lesquels vous avez besoin 
d'auxiliaires d'en haut. D'abord, dès demain, vous 
vous rendrez sur le champ de bataille où vous devez 
cueillir la palme des victorieux, dans des examens 
de ttn d'études qui pour plusieurs décideront de 
toute leur destinée. Or il est raconté qu'un jour 



PÈLERINAGE A NOTRE - DAME - DE - LA - TREILLE 181 

Marie retrouva son fils Jésus assis au milieu des 
Docteurs, qui admiraient les réponses que leur 
faisait l'Enfant divin. Sera-ce la même admiration 
qu'inspireront demain vos réponses aux docteurs 
d'un autre genre qui vous interrogeront? Demandez 
à Marie qu'elle daigne vous recommander à ce Père 
des lumières : la recommandation d'une mère a 
souvent tant d'influence pour le succès de telles 
causes ! 

Enfin tous vous allez partir et vous disperser 
pour deux mois de vacances. Il en est même parmi 
vous pour qui ce sera un départ sans retour; ceux- 
là passent définitivement de l'école dans le monde. 
Pour les uns comme pour les autres ce sera la 
liberté; ce sera donc aussi le danger. Qui vous 
assistera? Suh tuum praesidium! recourez à Marie. 
Mes chers fils, vous savez, vous qui lisez. Homère, 
que le héros de l'Iliade reçut de sa mère Thétis une 
armure impénétrable. Marie, vous qui êtes mère, 
revêtez- nous des armes de force et de lumière! Et 
si nous venions à faiblir, vous ne feriez pas moins 
que ces mères de la Fable, qui couvraient in visible- 
ment leurs fils dans les combats, ou qui les empor- 
taient blessés du champ de bataille afin de les 
guérir. 

Mes enfants, j'ai finalement parlé des espérances 
que vous apportez ici. Il en est une qui nous est 
particulièrement chère et que nous prenons la con- 
fiance de recommander à Marie , qui d'ici présidera 
au développement du germe planté à l'ombre de son 



182 PÈLERINAGE A NOTRE- DAME -DE -LA -TREILLE 

temple. C'est près d'ici, à quelques pas, que se dis- 
pose à cette heure une maison qui deviendra, à la 
rentrée prochaine, la succursale du collège, auquel 
elle fournira ensuite de jeunes recrues. Là, dans 
cette pépinière, croîtront les plantes encore tendres 
des classes élémentaires, jusqu'au jour où la sixième 
les réunira à leurs frères de l'école Saint-Joseph. 
C'est bien l'arbre que le Seigneur a placé auprès 
des eaux courantes, comme s'exprime l'Écriture. 
Puisse-t-il, lui aussi, se couvrir d'un feuillage qui 
ne perde point sa fraîcheur : Et folium ejus non dc- 
fluet! 

La maison sera consacrée à saint Louis de Gon- 
zague, dont elle portera le nom, et qui y tiendra 
école d'angélique innocence. Là, presque sur le 
seuil de Notre-Dame-de-la-Treille, il présentera 
ses enfants à la Vierge qu'il aima; et vos jeunes 
frères seront particulièrement les enfants de Marie , 
comme nous sommes ceux de Joseph. Nous reste- 
rons frères ainsi, et frères de Jésus; et les uns 
comme les autres se retrouveront chaque année 
au moins, en un grand jour, dans la même chapelle, 
à la table du même Père, pour recevoir Celui que 
la sainte Liturgie appelle le Pain des enfants sur la 
terre et le Pain des anges dans le Ciel. 



XIU 



L'EXTERNAT 



Le collège Saint-Joseph est exclusivement un externat. 
Les élèves se partagent en trois calégories : 

« Les externes libres, qui ne viennent à l'établissement 
que pour les classes et les exercices religieux. 

« Les externes restants , qui passent dans Pécole toute 
la journée, excepté le temps du dîner. Ils y reçoivent le 
goûter. 

« Les demi-pensionnaires, qui passent toute la journée 
dans rétablissement. Ils y prennent le dîner et le goûter. 

a Le matin, tous les élèves doivent être entrés à l'école 
avant sept heures un quart, exceptés les enfants qui n'ont 
pas fait encore leur première communion , lesquels n'ar- 
rivent qu'à huit heures. 

« Le soir, à six heures, départ des classes élémentaires; 
à six heures et demie, départ des 3° et 4° divisions ; à six 
heures trois quarts, départ de la 2° division; à sept 
heures, départ de la 1"^^ division. 

« Depuis la rentrée d'octobre jusqu'à Pâques, les demi- 
pensionnaires et les externes restants doivent être recon- 
duits, après l'étude du soir, par leurs parents, ou par 
une personne de confiance. 

« En tout temps, il est à désirer que les plus jeunes 
enfants soient accompagnés en venant en classe ou en 
rentrant dans leurs familles. » 

( Extrait du Règlement. ) 



XIIÎ 



L'EXTERNAT 



D I SCOURS 

Prononcé à la distribution solennelle des prix, sous la présidence 

de Monseigneur Gartupels, 
vice -recteur de l'Université catholique de Louvain, 

le 31 juillet 1884. 



Monseigneur, 

Soyez deux fois remercié et deux fois le bienvenu : 
vous venez à nous de la catholique Belgique, et 
vous en venez au lendemain d'une grande victoire*. 
Il convient donc de vous acclamer et de vous rece- 
voir en vainqueur. Aussi bien, cette victoire, une 
part en revient, et la principale peut-être, à FUni- 
versité dont vous êtes le cœur. C'est elle, c'est 
vous, Monseigneur, qui aviez formé d'abord, puis 
posté par toutes vos provinces ce vaillant état-major 

1 La victoire politique des catholiques sur les libéraux , en 
Belgique, dans les' élections législatives du mois précédent. 



186 L»EXTERNAT 

d'hommes de science et de foi qui, maîtres de Tin- 
ftuence avant de l'être du pouvoir, n'attendaient 
pour le conquérir que le signal de combattre. C'est 
vous encore qui le donniez, ce suprême signal, 
dans cette brillante réunion de votre Jubilé univer- 
sitaire, qui ressemblait à une revue passée le matin 
de la bataille, et dans laquelle vous distribuiez à 
votre corps d'élite le mot d'ordre de la journée *. Je 
serais ingrat pour mon compte si j'oubliais cette 
assemblée et ses illustres chefs, puisqu'ils ont eu 
la bonté de se souvenir de moi pour me conférer 
l'honneur de vous appartenir à un titre qui m'oblige 
en me confusionnant. Mais je serais ingrat aussi 
pour le compte de notre pays si je manquais à saluer 
devant vous un triomphe qui est principalement 
celui de la religion , et dont notre frontière a tres- 
sailli d'espérance. 

Maintenant, pères et mères, voulez -vous me per- 
mettre de m'adresser à vous et de m'entretenir 
avec vous de vos chers enfants? Naguère je vous 
disais ici, dans une de nos séances du mois, que 
nous faisions ensemble , dans le champ du père de 
famille^ un même et grand travail, un travail de 
labourage, dans lequel vous teniez un des manches 
de la charrue et nous l'autre. Tel est, en eflfet, le 
partage de l'œuvre de l'éducation entre le foyer et 
l'école , dans les externats. Quels bienfaits en ré- 



^ Le jubilé ciaquantenaire de rUûiversité catholique de 
Louvain , célébré par de grandes fêtes leà 12 et 13 mai 1884. 



L^EXTEHNAT t87 

sultent et à quelles conditions peut -on les obtenir^ 
Je Yeux moins vows le dire que vous le demander, 
dans un conseil commun où je n'aurai que l'avan- 
tage d'être le préopinant , le conseil du fermier qui 
se permet de délibérer avec le maditre du champ sur 
le meilleur mode de culture, parce que l'un et 
l'autre sont intéressés à une belle moisson. 

Lequel des deux régimes, de l'externat ou de l'in- 
ternat, doit être préféré pour l'éducation de l'enfant? 
A Dieu ne plaise, Messieurs, que j'établisse ici une 
comparaison sur un sujet qui m'est interdit plus 
qu'à tout autre peut-être par ses délicatesses, et sur 
lequel d'ailleurs je puis dire en deux mots toute 
ma conviction. Ma conviction bien sincère est qu'il 
faut des internats et qu'il faut des externats. Quant au 
choix entre les deux, il est subordonné à des condi- 
tions de lieux, à des conditions diverses d^esprit et 
de caractère, à des conditions enfin de milieu et 
de famille qui seules le déterminent , si même très 
souvent elles ne l'imposent pas. Laissons donc le 
bien se faire partout où il se fait et sous quelque 
forme qu'il se fasse. Et pour ce qui nous regarde, 
puisque c'est d'un externat que Dieu nous a remis 
la houlette, qu'on nous permette de le bénir d'une 
mission que Lui et vous nous rendez plus facile : 
vous, pères et mères, en prenant la plus lourde 
moitié de la charge, et Lui en nous aidant, par sa 
grâce, à porter l'autre. 

Ce fut un jour solennd entre les grands jours de 
votre paternité que celui où, regardant votre fils 



188 L»EXTERNAT 

qui grandissait, vous avez délibéré, en la présence 
de Dieu, sur le choix de l'école qtti convenait à Ten- 
fant ; puis , toutes raisons pesées , vous avez préféré 
la forme d'éducation qui l'a amené ici. « Ainsi 
placé, vous êtes -vous dit, entre le foyer et l'école, 
mon fils bénéficiera et de l'un et de l'autre. Nous 
n'en resterons pas moins pères et mères pour lui, 
nous ne nous découronnerons pas de notre auto- 
rité; et si nous sommes impuissants à donner à 
cet enfant la forme de son esprit par les sciences 
humaines, du moins nous garderons le droit et 
nous remplirons le devoir de lui donner à la mai- 
son, par la parole et l'exemple, la forme de sa 
conscience et la trempe de son caractère et de son 
cœur. Ce que nous ne pourrons faire, d'autres le 
feront pour nous; -mais ils ne le feront pas sans 
nous , et notre main sera dans leur main pour la 
formation de l'homme qui portera notre nom. 
Comme cet enfant, qui est le nôtre, est encore 

plus celui de Dieu , c'est aux prêtres de Dieu 

» 

que nous remettrons son âme. Alors il nous sem- 
blera que nous serons prêtres comme eux, en exer- 
çant de concert le même ministère au foyer do- 
mestique, que nous tâcherons de rendre pur et 
saint comme un temple. Ainsi la maison, l'école, 
l'église, s'associeront comme une sorte de trinité 
terrestre, pour la création d'un homme à l'image et 
ressemblance de la Trinité du Ciel; et ensemble elles 
formeront dans ce cœur « un triple faisceau d'affec- 
tions qui ne saurait se rompre ». 



L'EXTERNAT 189 

Lorsque vous avez concerté ce dessein , pères et 
mères dignes de ce nom, il me semble que « la 
Sagesse s'est assise près de vous pour vous assis- 
ter », comme s'exprime TÉcriture. Et lorsque le 
soir d'un tel jour vous vous êtes agenouillés devant 
Celui de qui vient toute paternité, j'estime qu'il ne 
vous a pas rejetés de sa face, et que son regard 
de père a recherché le vôtre. 

Et, en effet, à certaines conditions que je dirai, ce 
régime, que j'appelle mixte, procure un triple bien- 
fait; car il est profitable à la famille d'abord, h 
V enfant ensuite, enfin à V école elle-même. 

Voulez- vous bien que je l'explique? 

Quel profit, premièrement, peut tirer la fa- 
mille de la présence de cet enfant qui y rentre 
chaque' jour? Ah! le plus grand de tous; mais com- 
ment oserai -je le dire , et entrer si avant dans votre 
sanctuaire intime? J'en appelle à vous-mêmes. Si 
votre foyer est investi de dignité et de décence, si 
vous en écartez tout ce qui serait, non un scandale, 
mais un simple étonnement pour les oreilles ou pour 
les yeux, n'est-ce pas parce qu'à ce foyer, dans ce 
salon, à cette table, vient prendre place à côté de 
vous un de « ces petits dont les anges voient la face 
de notre Père des cieux »? Si vous aimez votre 
maison, si vous en préférez l'austère solitude à la 
dissipation du monde et des soirées, n'est-ce pas 
parce que cette solitude est peuplée et charmée par 
la présence d'un écoUer qui vous y retient par la 
chaîne du devoir? Si la femme forte, le matin. 



124 FÉLIX DÉTREZ 

saints, de consacrer trois jours à la préparation et 
trois jours à l'action de grâces. Ainsi cette âme 
était-elle continuellement en présence de son Dieu, 
semblable à ces autels toujours illuminés, où la 
sainte Hostie est perpétuellement exposée aux re- 
gards. 

Quand il s'approchait de la Table sainte, son âme 
semblait sortir et passer dans ses yeux, dans ses 
traits, sur ses lèvres, pour aller au-devant de son 
Dieu. Ceux qui l'ont communié ont essayé de me 
peindre ce recueillement et cette ardeur. En était-il 
besoin? et moi-même, plus d'une fois, n'avais-je 
pas remarqué ce visage transfiguré, sur lequel on 
pouvait lire la parole qui descendit du ciel sur le 
Thabor : « Celui-ci est mon fils bien -aimé! » 

Comme il cherchait et recevait Jésus- Christ à la 
cène, de même Félix le cherchait et le suivait au 
Calvaire. Il avait eu , dès l'enfance , la dévotion à la 
pratique du Chemin de la Croix. On le surprenait 
dès lors, comme tant de fois plus tard, se traînant 
à genoux de station en station, sur les traces de 
l'Homme de douleurs. Et vous-même vous souvenez- 
vous de l'ardeur avec laquelle il baisait son crucifix, 
toujours placé devant lui ? 

. Enfin il cherchait Jésus dans un autre sanctuaire, 
celui de son propre cœur, trouvant là, à lui parler 
et à l'entendre, un charme dont nul autre entre- 
tien, si aimable qu'il fût, ne pouvait le déprendre. 
Cet entretien se poursuivait même par les rues de 
la ville; et il a dit quelquefois : « Volontiers je 



L»EXTERNAT 191 

grand d'entre les enfants des hommes i» , lui prédit 
qu'il était donné pour « tourner le cœur des pères 
aux sentiments de leurs fils ; pour tourner les in- 
croyants à la sagesse des justes, et ainsi préparer 
au Seigneur un peuple parfait *? » Le règne de 
Jésus-Christ n'a-t-il pas parmi vous de ces jeunes 
précurseurs, et ne peut -on pas expliquer de la sorte 
« le peuple parfait » , que vous êtes? 

Maintenant, mes enfants, c'est vers vous que je 
me retourne; car qui plus que vous profite de cette 
collaboration de l'école et du foyer dans l'œuvre de 
votre éducation? Peut-être de ce régime vous n'ap- 
préciez que le bonheur que vous en recueillez, le 
bonheur quotidien de ce retour à la maison qu'a 
chanté le poète Brizeux : 

Alors que sur la porte et tâchant de sourire, 
Une mère inquiète est là qui vous attend , 
Vous baise sur le front, et pour vous à l'instant 
Presse les serviteurs , et que le feu pétille, 
Et que nul n'est absent du repas de famille. 

Mais permettez -moi d'y voir autre chose, et d'y 
reconnaître de meilleurs et de plus grands gains 
pour vous. 

C'est votre tenue qui y gagne, et quand je vous 
vois arriver le matin dans cette netteté extérieure, 
luisante, polie, lustrée, qui est l'emblème et sou- 

* Ut converlat corda patrum in /ilios et incredulos ad pru- 
dentiam justorum, parare Domino plebem perfectam. (Luc 
1,17.) 



192 L»EXTERNAT 

vent la marque de la pureté de l'âme, je n'ai pas de 
peine à y reconnaître la main délicate d'une mère, 
le culte religieux d'une mère qui a vu dans vos 
corps les temples du Saint-Esprit, et qui a voulu 
les vêtir, les parer comme Dieu vêt les lis des 
champs. Or, quoi que d'autres puissent faire, ces 
soins maternels ne se remplacent pas. 

C'est aussi votre sagesse qui y gagne ; et si nous 
remarquons que chaque jour, aussitôt que vous 
entrez dans ce collège, vous devenez tout à coup 
des fils d'obéissance, de discipline et de silence, 
n'est-ce pas parce que le séjour que vous faites 
ici alterne avec un autre où vous venez de jouir 
de plus de liberté? N'est-ce pas parce qu'ayant dé- 
tendu votre esprit dans le repos de la famille, vous 
êtes mieux disposés à vous assujettir à une juste 
contrainte dès que l'école s'ouvre devant vous, et 
qu'en entrant dans cette maison, au sortir de la 
vôtre, vous sentez que la règle vous saisit sur le 
seuil? 

C'est encore et enfin votre pureté qui y gagne. 
Ces affections du foyer, dont nous venons de parler, 
ne sont pas seulement pour le cœur une satisfac- 
tion, elles lui sont, dans l'école même, une préser- 
vation. Il ne cherchera pas en dehors de ce cercle 
d'affections domestiques l'aliment de sa tendresse , 
il ne l'égarera pas sur des objets indignes , l'en- 
fant qui chaque soir s'appuiera sur le cœur de son 
père et de sa mère, de ses frères et de ses sœurs. 
C'est là qu'il trouvera l'écoulement légitime de ce 



l'externat 193 

vase d'amour creusé en lui par Tinnocence et la 
grâce de Dieu. Cela est d'expérience; et si notre 
externat est heureusement préservé de certaines 
affections inférieures et malsaines qui font gémir les 
anges, c*est à Dieu premièrement, mais c'est aussi 
au contact journalier de la famille, à son contact 
vivifiant et purificateur que nous en sommes rede- 
vables. 

Je n'ai rien dit encore de nous , vos pères et vos 
maîtres, en ce sujet qui pourtant nous touche de si 
près. N'avons-nous rien à gagner au régime dont je 
parle? Je ne dirai pas, mes enfants, que nous y ga- 
gnons le repos et le soulagement, surtout le sou- 
lagement de notre colossale responsabilité, partagée 
qu'elle est ainsi avec ceux qui ont, comme nous, la 
charge de vos âmes devant Dieu. Je ne dirai pas 
non plus que nous y gagnons le loisir recueilli de 
nos soirées et la paix de nos nuits. Après l'heure de 
travailler en vivant avec vous, n'est- il pas juste 
que nous trouvions l'heure de travailler loin de 
vous, mais pour vous encore, par l'étude et la 
prière, en vivant avec Dieu? Je ne vous dirai pas 
même que nous y gagnons de combattre sous le 
regard de la famille, avec laquelle le régime de 
l'externat nous met en communication de toutes 
les journées, presque de toutes les heures, pour 
votre gouvernement ou votre correction. Car c'est 
un gain pour nous que notre maison soit ainsi une 
maison de cristal, où le regard de vos parents 
pénètre quand il veut : cette pénétration de ce 

9 



194 L'BXTBllNAT 

que nous Msons et de ce que nous sommes, est 
bien moins h nos yeux une importune inspection 
qu'un utile avertissement et un encouragement. 
Mais le plus grand bienfait, laissez-moi vous le dire, 
que nous recueillons de ce régime, c'est l'accrois- 
sement de votre salutaire aflTection pour le collège. 
L'écolier, qui généralement pardonne peu à son 
école, qu'à tort ou à raison il regarde comme une 
geôle, regardera- 1 -il du même œil la maison qui 
deux fois le jour le rend à sa propre demeure, avec 
laquelle plus tard elle se confondra dans ses sou* 
venirs d'enfance? Non, c'est un second foyer qu'il 
aime comme le premier. Nous en avons pour gage 
ce besoin de revenir à nous, ce retour familier de 
nos anciens élèves auprès de ceux qui ont été et 
sont toujours leurs pères , cette participation habi- 
tuelle à nos fêtes, ces réunions régulières, reli- 
gieuses et littéraires , qu'ils ont formées entre eux. 
Combien d'autres témoignages je pourrais dire 
encore de leur reconnaissance et de leur affection 1 
Or, après votre estime, ce que nous désirons le 
plus, c'est cette affection, parce qu'elle est pour 
nous le meilleur et plus doux moyen de vous afiec- 
tionner au devoir et de vous attacher à Dieu. 

N'ai -je pas dit aussi que nous y gagnons le res- 
pect, ce respect dont on a dit : Major e longinquo re- 
verentia''? Mais ici je veux être compris. Ahl d'abord 
qu'on le sache bien : personne plus que moi n'ad- 
miro l'abnégation du prêtre ou du religieux, qui, le 
même jour où il est monté au saint autel, puis dans 



L'EXTERNAT 19»^ 

sa chaire de professeur et sur son siège de président 
d'étude, condescend à se faire l'humble compagnon 
de dortoir et le serviteur de l'enfant dans les plus 
humbles pratiques de sa vie matérielle. N'a-t-on pas 
vu Jésus lui-même se ceindre d'un linge et laver 
les pieds de ses disciples? Je le sais, mais je sais 
d'autre part que les apôtres ont déclaré se réserver 
le ministère de la parole et de la prière, en lais- 
sant aux diacres le service des tables *. C'est ainsi, 
pères et mères, que dans le régime mixte que je 
préconise , vous abandonnant volontiers le rôle des 
diacres et des diaconesses , pour l'accomplisse- 
ment de ces offices domestiques que personne n'est 
plus apte à remplir que vous, nous estimons que, 
pour nous, notre autorité gagne, notre prestige 
gagne aux yeux de vos enfants , notre prestige mo- 
ral et notre prestige religieux, à n'avoir pas à des- 
cendre auprès d'eux à de tels soins; de sorte que, 
dégagés de la matière, pour ainsi dire, nous ne 
leur apparaissions que comme des maîtres et des 
prêtres, les hommes de la prière et de l'enseigne- 
ment : Nos vero orationi et ministerio verbi ins- 
tantes erinrns. 

Maintenant que l'enfant devienne homme ; qu'après 
avoir passé ainsi chaque jour du foyer à l'école, il 
passe, ses études terminées, de l'école dans le 
monde. Pour lui la transition sera moins dange- 
reuse; elle se sera faite journellement. Plante élevée 

* Aon xquum est nos derelmqttere verbum Dei, et mini- 
9li'are mensis^ ( AcL ti , 2.) 



196 L'EXTBRNAT 

en plein air, il aura moins à redouter l'atmosphère et 
les vents du siècle, qui peut-être seront mortels 
à la plante de serre chaude. Il y aura moins lieu 
pour lui à ces éblouissements de Téphèbe qui, hier, 
revêtu de la robe \'irile, promène aujourd'hui par 
la Suburra ses yeux surpris et séduits : 

... Totaque impune Suburra, 
Permisit sparsisse oculos jam candibus umbo. 

Notre jeune chrétien s'est appris et formé de 
longue main à connaître le monde et à le redouter; 
or c'est déjà l'avoir à demi \^aincu que de savoir le 
craindre. 

Mais, disons- le en finissant, et ici mon discours 
devient une prière, ces a\*antages de l'externat ne 
s'obtiennent qu'à certaines conditions nécessaires, 
impérieuses, sans lequelles il pourrait, au contraire^ 
devenir pernicieux; et je ne vous aurais faiit con- 
sidérer qu'une des faces de ce régime, si, vous en 
ayant fait voir Tincontestable bienfait, je ne vous en 
signalais pareillement le péril. 

Il y a le péril de la rti^ dans ce va-et-vient de cha- 
cune des journées de TenfanL UÉcriture parle de 
€ la mort qui eaitre par les fent^tres •. Eh bien, dans 
Tair empesté du siôde où nous vivcns, U m<Ht 
morale est partout prête à entrer chez Tenfuit el 
chejt 1 adolcscont, par le^? yeux, par les oreilles, et 
à lui inoculer ies poisons qui le tuent, Xe Fen défen- 
drez-vous pas"? Car c\*^ à vous, pères et mères, de 
le tenir éloipiè de tout foyer dlnfoclion, et de le 



L'EXTERNAT 197 

conduire ou de le suivre dans ces voies de chaque 
jour où il ne saurait avoir de meilleurs guides que 
vous. Ne vous fiez donc qu*à vous ou à un autre 
vous-même. A défaut de votre présence, que Fen- 
faut, du moins, se sente toujours sous votre re- 
gard, comme nous lui enseignons à être sous le 
regard de Dieu. Ce jeune Tobie, qui quitte chaque 
jour la maison paternelle, ne rencontrera -t- il pas 
sur sa route, si courte soit- elle, les monstres ca- 
chés dans les eaux , ou n'a-t-il pas à craindre le dé- 
mon qui déjà en a tué sept autres avant lui? Il lui 
faudrait un ange pour le conduire et vous le rame- 
ner sain et sauf; soyez vous-même cet ange visible 
de votre enfant. 

Il y a secondement le péril de la maison. Ah! 
sans doute votre maison est une maison de religion, 
de sagesse et de vertu : l'externat ne peut être un 
bienfait qu'à ce prix. Mais il faut en outre qu'elle 
soit, pour l'écolier qu'elle abrite, une maison de 
travail. Une infériorité du régime que j'expose 
serait d'occasionner, par ses déplacements fré- 
quents , une perte de temps notable. Cette infério- 
rité , c'est à vous de la racheter ou de la supprimer 
en assurant au travail ses heures réglementaires, 
dans une solitude à la fois surveillée et respectée. 
Vous épargnerez donc à vos fils ces fêtes, ces plai- 
sirs, ces réunions dissipantes qui ne se traduiraient 
pour lui que par des pertes de toute sorte. Et si cela 
vous coûte quelque gêne et quelque sacrifice, vous 
vous souviendrez que tous les bonheurs s'achètent; 



198 L»EXTERNAT 

€t que, tout compte fait, ce n'est pas payer trop 
cher de quelques privations imposées à lui et à 
vous la joie de le posséder et la gloire de le 
couronner. 

Ces succès de l'externat, nous n'avons plus à vous 
les promettre aujourd'hui : ils nous sont encore une 
fois assurés cette année. Bien que la session des 
examens pour le baccalauréat soit loin d'être termi- 
née, déjà plus des deux tiers de nos nombreux can- 
didats ont remporté la victoire, et plusieurs avec 
mention. 

Mais il faut tout vous dire et je vous dois un aveu : 
c'est que nous avons eu recours à une haute et 
puissante recommandation; et, sans vouloir dimi- 
nuer le mérite des vainqueurs, je crois qu'ils doi- 
vent beaucoup à cette protection. Vous le confes- 
serai -je ? Nous avons même essayé de gagner par 
un riche présent le Maître par excellence ; car c'est 
dans ces mêmes semaines, au plus fort de ces 
épreuves universitaires, que nous avons dédié et 
dressé à Notre -Seigneur, à l'extrémité d'une de nos 
galeries , un vitrail tout de circonstance, représen- 
tant Jésus au milieu des Docteurs, qui sont ses 
examinateurs et qui décernent à ses réponses la 
mention très honorable dont parle l'Évangile : Stu- 
pehant super responsis ejus. 

Monseigneur, j'ai fini. Ces paroles peut-être nous 
auront montré quelque chose de la lutte que l'Église 
continue à soutenir de ce côté de la frontière pour 



L'EXTERNAT 199 

défendre ses fils contre l'erreur et le mal. Il est 
raconté au II® livre des Rois que Respha, fille de 
Aïa, ayant eu ses deux fils crucifiés sur la mon- 
tagne par les Gabaonites, elle ne voulut pas s'éloi- 
gner de leurs corps. Elle prit un cilice et retendit 
sur une pierre pour s'en faire une couche de deuil; 
et, s'établissant là, elle ne quitta plus le pied du 
gibet ni le jour ni la nuit. Le jour elle défendait ses 
fils contre les oiseaux de proie, la nuit contre les 
bêtes féroces. Rien ne put l'éloigner de ce lieu ; elle 
y resta sous la pluie, depuis le commencement de 
la moisson jusqu'à l'hiver. Cette veille héroïque 
dura donc six mois; elle dura jusqu'à ce que David, 
admirant ce courage , eût fait donner une sépulture 
royale aux fils de Saul. 

Ainsi fait l'Église, Messieurs. Seulement, ce que 
cette mère défend contre les vautours et les loups , 
ce ne sont pas les cadavres inanimés de vos fils , ce 
sont leurs âmes immortelles. Aussi ne quittera-t-elle 
pas sa garde vigilante. Elle restera à son poste et 
y luttera sans trêve, jusqu'à ce qu'elle ait fait son 
œuvre de salut, dût-elle y mettre des siècles ^ 

^ Nous nous faisons un devoir et un plaisir de déclarer que 
nous sommes redevables de cette dernière comparaison au vé- 
nérable et éloquent M. Tabbé Pergeline, supérieur du collège 
des Enfants nantais, à Nantes, dans son beau discours pro- 
noncé à la fête des écoles catholiques, le 25 octobre 1883. 



XIV 

LES DERNIERS MOMENTS DE M»» DUQUESNAY 

ARCHEYÊQUB DE CAMBEUl 



9* 



M'' Duquesnay n^était archevêque de Cambrai que de- 
puis trois années lorsquMl succomba aux fatigues de ses 
courses apostoliques à travers son vaste diocèse. 

Outre les témoignages de sa bienveillance, déjà men- 
tionnés dans ce recueil, nous rappellerons encore Thon- 
neur quUl daigna nous faire de présider une séance 
académique donnée par nos philosophes sur les doctrines 
positivistes. Nous lui disions ensuite: « Vous excuserez. 
Monseigneur, ces philosophes de dix-huit ans de s^étre 
pris, avec la témérité de leur âge, à de si hautes questions. 
Ce sont de bien jeunes conscrits pour se mesurer avec de 
tels ennemis, pour manier de telles armes; et il était 
bien à craindre que, pareils au jeune David encore ber- 
cer, ils se trouvassent bien gênés dans cette armure de 
la dialectique, à laquelle ils n'ont pas eu encore le temps 
de s'habituer : non enim habebat consueiudinem. Mais 
enfin, à défaut de Tépée du soldat exercé, ils ont la fronde 
des enfants. Ils ont ramassé dans le courant de leurs 
études philosophiques quelques pierres qu'ils ont polies , 
limpidissimos lapides, pour les lancer à la tête du mo- 
derne Goliath. Je n'ose pas assurer qu'ils l'ont abattu du 
coup, qu'ils lui ont tranché la tête, et qu'il ne s'en relè- 
vera plus. Mais je me porte garant qu'ils sont pleins de 
vaillance dans une guerre d'idées qui est aujourd'hui plus 
que jamais la guerre de Dieu : Dei est enim belium. 
C'est « au nom de Dieu » qu'ils s'avancent comme le jeune 
David, et il ne tiendra pas à eux que tous les philistins 
ne soient mis en faite. C'est sur ce bon vouloir que je vous 
prie, Monseigneur, de faire descendre votre bénédiction. » 

A tous ces titres nous devions payer à noire arche- 
vêque l'humble tribut qui suit: 



XIV 



LES DERNIERS MOMENTS DE M««^ DUQUESNAY 



PAROLES 

Prononcées an service fonèbre, 

Célébré an collège pour le repos de son âme, 

le 15 octobre 1884. 



Le service funèbre qui nous rassemble ici, mes 
chers enfants, n'est pas une cérémonie ordinaire, 
semblable à celle qui nous appelle trop souvent 
à prier ensemble pour Tâme des bienfaiteurs ou 
amis de cette maison. C'est de notre pontife, de 
notre premier pasteur, du père de ce diocèse que 
nous venons recommander l'âme au très miséricor- 
dieux Jésus : Pie Jesu Domine, dona ei requiem! 

Jamais, mes chers fils, vous n'aurez l'idée totale 
et complète de ce qu'est l'éminente dignité épisco- 
pale, au regard de l'Église et des âmes éclairées de 
la lumière de la foi. Il faut même croire qu'elle 
touche de près à la dignité divine, puisque l'apôtre 
saint Pierre appelle Jésus- Christ le Pasteur et 
l'Évêqûe de nos AiŒS , couversi estis ad Pastorem 
et Episcopum animarum vestrarum. Je ne m'étonne 
donc plus d'entendre l'illustre cardinal de Poitiers 



204 LES DERNIERS MOMENTS DE Mgk DUQUESNAY 

en parler de cette sorte : « La race d'Adam ne peut 
monter plus haut dans Tordre des choses surnatu- 
relles. Quand elle est arrivée, là elle n'aperçoit au- 
dessus d'elle que l'humanité du Verbe •fait chair et 
la dignité de la maternité divine. » Quel respect, 
mes enfants, ne devez -vous donc pas avoir pour 
ces représentants du pontife éternel dans le ministère 
du salut I 

Un autre sentiment vous commande de pleurer 
sur lui et de prier pour lui. Ce bon archevêque 
vous aimait. Il aimait ce collège , il estimait le grand 
bien qui s'y accompUt, et il n'a pas tenu à lui qu'il 
ne s'en fît parmi vous un plus étendu encore. 

Vous vous souvenez avec quelle liberté aposto- 
lique, la première fois qu'il vint ici, il répondit au 
discours qui racontait notre exil de 1881 , par cette 
nette et hardie revendication de la hberté reli- 
gieuse qui fut couverte de si vifs applaudissements. 
Vous n'avez pas oublié non plus avec quelle indul- 
gente satisfaction il accueillit une de nos séances 
académiques de philosophie , encourageant la vail- 
lance de nos aînés à la défense de la vérité parmi 
les hommes. Enfin plusieurs d'entre vous ont reçu 
ici de se? mains le sacrement de confirmation, et tous, 
dans cette circonstance, nous l'avons entendu nous 
exhorter à la force chrétienne, avec cette ardeur 
d'âme que symbolisait d'une manière expressive le 
glaive de feu du chérubin représenté dans ses armes. 
Il avait, en effet, au cœur la flamme de l'apostolat, 
et c'était elle qui le poussait sans relâche et en tous 



LES DERNIERS MOMENTS DE Mgb DUQUESNAY 205 

lieux dans les villes et les campagnes, où il allait 
porter la grâce, la parole et la bénédiction. C'est 
elle aussi qui Fa consumé dans ces travaux qu'il ne 
savait pas interrompre : ce bon pasteur a véritable- 
ment donné sa vie pour ses brebis. 

Mais je dois m'abstenir de faire son éloge. 
Ce serait contrevenir aux ordres de celui à qui 
nous avons promis révérence et obéissance, et dont 
l'autorité survit pour nous au trépas. Une de ses 
dernières volontés est celle-ci : « Ni oraison fu- 
nèbre, ni rien qui y ressemble. » J'emprunte donc 
seulement à la Semaine religieuse du diocèse de 
Cambrai le simple et édifiant récit de ses derniers 
jours. Ce furent ceux d'un grand serviteur de 
Jésus-Christ et de l'Église. Vous y trouverez de 
quoi alimenter pour longtemps votre foi et votre 
respect, en vous formant de votre archevêque une 
image qui restera belle et sainte dans le trésor de 
vos souvenirs. Écoutez donc, mes chers fils, et ap- 
prenez comment s'achève ce combat de la vie pour 
ceux qui sont nos chefs dans l'armée du Seigneur. 

Le 27 août dernier, à la suite d'une lettre de 
MM. les vicaires généraux du diocèse prescrivant 
des prières et des communions pour l'auguste ma- 
lade, on écrivait de Cambrai le détails suivants : 

« M^sr l'archevêque a reçu les derniers sacrements 
mercredi dernier, à cinq heures du soir. Le très 
saint sacrement a été porté par M^^ de Lydda, 
escorté de tout le chapitre, de tous les membres 



206 LES DERNIERS MOMENTS DE M»» DUQUESNAY 

du clergé de la ville et des fidèles qui remplissaient 
toute la cathédrale, refluant jusque sur la place du 
Saint- Sépulcre et dans les jardins de Farchevêché. 

€ Lorsque Uf^ Tévéque de Lydda eut lu à Sa 
Grandeur la profession de foi usitée, Mif l'arche- 
vêque, revêtu du rochet et de Tétole, ne put résis- 
ter aux élans de son cœur, et, faisant un effort su- 
prême, il voulut remercier dans un dernier adieu 
tous ceux qui l'entouraient : 

a Je m'en vais. Messieurs, dit- il, je m'en vais à 
« Dieu. Je vous ai plutôt montré que donné : magis 
« ostensus quam datus. Je suis venu ici pour m'édi- 
« fier et pour mourir; c'est une grande grâce que 
« Dieu m'a faite, et dont je le remercie. Je meurs au 
« milieu d'un clergé excellent, entouré de prêtres 
« tous dignes du caractère dont ils sont revêtus... » 

« Après avoir remercié spécialement Me^Monnier, 
son auxiliaire, ses vicaires généraux, M. le supé- 
rieur du grand séminaire et son secrétaire général, 
en ayant pour chacun un mot d'affection et de re- 
connaissance , il demanda pardon de toutes les 
peines qu'il avait pu causer, soit aux prêtres, soit 
aux fidèles de son diocèse : a Je n'ai jamais voulu 
(( blesser personne, dit- il; ce que j'ai fait, je l'ai fait 
« toujours avec affection. » 

« MÉ^^'de Lydda lui donna alors le viatique. Lorsque 
le très saint Sacrement fut emporté, Ms^ l'arche- 
vêque, se tournant vers lui, s'écria : a Au revoir, 
ce mon doux Jésus, au Ciel! » 

« Ces beaux sentiments ne se démentirent point 



I 



LES DERNIERS MOMENTS DE M^b DUQUESNAY 207 

tout le temps que dura encore cette longue mais 
paisible agonie. Notre pontife était admirable à voir 
et à entendre offrant à Jésus- Christ le sacrifice de 
sa vie et aspirant au Ciel par des désirs enflam- 
més. » 



I 

/ La mort, en brisant le sceau de son testament, 

devait nous révéler, sous des traits non moins 
beaux, cette âme simple et grande. Ce testament 
s'ouvrait par ses paroles : a Au nom du Père, et du 
Fils, et du Saint-Esprit, moi, Alfred Duquesnay, 
présentement archevêque de Cambrai... , je me pro- 
sterne très dévotement aux pieds de mon adorable 
Sauveur Notre -Seigneur Jésus -Christ, le priant de 
me pardonner tous mes péchés. Je me réclame de 
la protection de la très sainte Vierge, de l'assistance 
de saint Joseph, de mon ange gardien et de mon 
saint patron. Je déclare que je meurs fermement 
attaché à la sainte Église et à la personne sacrée du 
pape , le reconnaissant comme le Docteur infaillible 
de la vérité , admettant tout ce qu'il enseigne , re- 
jetant et condamnant tout ce qu'il condamne. Je 
demande très humblement pardon à tous ceux que 
j'ai pu contrister ou scandaliser; je remercie tous 
ceux qui m'ont prêté aide et assistance : vicaires 
généraux, secrétaires, chanoines, et surtout mon 
vénérable confesseur. » 

Mais où l'humilité de ce cœur et sa simplicité se 
révèlent sous un jour profondément religieux, c'est 
dans les dispositions ique M^^ l'archevêque avait 
prises pour ses obsèques. Dès après son arrivée 



208 LES DERNIERS MOMENTS DE Moa DUQUESNAY 

à Cambrai, le 29 août 1881 , trois ans avant sa mort, 
il avait écrit de sa main des recommandations à ses 
vicaires généraux, dans lesquelles il leur disait : 
oc Je prie MM. du chapitre, dans l'annonce qu'ils 
feront de la vacance du siège, de ne me décerner 
aucune louange; qu'ils se bornent à demander des 
prières pour le repos de mon âme. 

« Le cérémonial des évêques ne prescrivant pas 
l'embaumement, je déclare que ma volonté très for- 
melle est de n'être point embaumé. 

« On ne m'exposera point le visage découvert, mais 
on m'enfermera aussitôt dans le cercueil. 

ce Le cercueil sera en chêne, sans aucun orne- 
ment; on y mettra une simple plaque en cuivre, sur 
laquelle sera gravée l'inscription suivante : Alfridus 
ah anno 1872 ad annum d881 episcopus Lemovicen- 
sis, ah anno 1881 ad annum (1884) archiepiscopus 
Cameraceîisis. 

ce A l'église, tout se passera selon le cérémonial 
des évêques. Or ce cérémonial ne prescrit point 
l'oraison funèbre..., et je demande très formellement 
qu'on n'en prononce aucune. On me contristerait en 
ne tenant pas compte de ma répugnance très vive 
à cet égard. 

ce Ni oraison funèbre, ni rien qui y ressemble. 

<( J'exprime le désir d'être inhumé dans le caveau 
OÙ reposent mes éminents prédécesseurs. Si l'au- 
torité civile ne l'autorisait pas, on me portera au 
cimetière commun. Je ne 'veux pas de caveau en 
maçonnerie; que l'on me couche dans une fosse et 



LES DERNIERS MOMENTS DE M»» DUQUESNAY 209 

que Ton y mette une pierre, avec cette inscription en 
français : Alfred Duquesnay, de 4872 à 1881 évêque 
de Limoges; de 1881 à (ISSé) archevêque de Cambrai. 
Priez pour lui. 

« Et on établira solidement en tête de la pierre 
tombale une belle croix en fer, avec l'image de 
Notre -Seigneur. » 

Je m'arrête. Notre archevêque a commandé le 
silence; ne contristons pas sa mémoire en faisant 
sur sa tombe rien qui ressemble à un bruit de re- 
nommée indiscrète. Je me rappelle que de toutes 
les louanges auxquelles il aurait eu droit, il décla- 
rait qu'une seule aurait pu le toucher : c'était celle 
qu'un évêque comme lui avait choisie pour épi- 
taphe : Nemo tampater. Cette parole, mes enfants, 
nous la lui avons fait lire en lettres d'or ici, dans 
une solennité de distribution des prix. Déposons-la 
sur sa tombe comme un remerciement, et surtout 
déposons -la, comme une prière et une espérance, 
dans le cœur de Celui qui , étant Père par excel- 
lence, appelle à lui ceux qui sont vraiment pères 
comme lui. 



XV 



JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 



Extrait du compte rendu imprimé de la fête. 

tt Le 20 décembre 1884, le R. P. Pillon* avait le bonheur 
d^accomplir sa cinquantième année de prêtrise. Sa fa- 
mille religieuse, se^ enfants, ses amis, voulurent célé- 
brer solennellement ce grand anniversaire par une nom- 
breuse réunion au pied des autels , dans une fête où ils 
lui offriraient les témoignages de leur filiale reconnais- 
sance. 

« Le collège Saint- Joseph, fondé il y a douze ans par 
rillustre religieux, devait y avoir la première part. 
M«^ le Supérieur s^empressa d'offrir sa chapelle au véné- 
rable Recteur d'autrefois pour la messe de ses noces d'or. 

a Gomme le 20 décembre de cette année coïncidait avec 
le samedi des Quatre -Temps, on remit la célébration de 
la solennité au dimanche 28, consacré à la mémoire des 
saints Innocents. 

« Le matin de cette journée se trouvaient réunis dans 
la chapelle du collège, outre tous les élèves avec un grand 
nombre de leurs parents, les amis du R. P. Pillon, plu- 

> Né à EsTRÉES (Somme), le 25 avril 1804; 
Entré dans la Compagnie de Jésus en 1823; 
Admis aux premiers vœux à Montrouge, le 8 septembre 1825; 
Professeur à Dole, de 1827 à 1828; 
Professeur au Passage, en Espagne, de 1828 à 1830; 
Étudiant en théologie à Madrid, de 1830 à 1834; 
Ordonné prêtre à Annecy, en 1834; 
Préfet des études à Melan, en Suisse, 1834-1836; 
Préfet et Recteur à Brugelette, 1836-1850; 
Admis à la Profession à Brugelette, le 15 août 1842; 
Fondateur et Recteur à Vannes, 1850-1861; 
Uecteur à Sainte-Geneviève de Paris, 1861-1866; 
Hecteur à la Providence d'Amiens, 1866-1867; 
Provincial de Champagne, 1867-1872; 
Fondateur et Recteur à Lille, 1872-1880; 
Supérieur des Jésuites dispersés, 1880-1884. 



JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 213 

sieurs membres de sa famille, les administrateurs de la 
société civile de Saint-Joseph, les anciens élèves de cette 
maison, et au premier rang la députation des anciens 
élèves de Brugeletle. 

a Un clergé nombreux remplissait le chœur ; on y voyait 
représentés les divers ordres religieux de la ville. 

« A huit heures et demie, le clergé en procession alla 
prendre le R. P. Pillon dans la salle où il attendait, re- 
vêtu des habits sacerdotaux , et le ramena à la chapelle , 
en traversant les cloîtres au chant du Benedictus Deus 
Israël, dit par les soixante voix de nos jeunes choristes. 

« En tête de ce cortège se déployait cette brillante troupe 
d'enfants de chœur dont Saint-Joseph conserve la tradi- 
tion comme aux jours de Brugelette et de Saint -Acheul. 

tf Le vénérable Jubilaire fermait la marche, s'avançant 
vers le sanctuaire, au milieu de la foule recueillie, avec la 
majesté de sa personne, de son âge et de son sacerdoce. 

« Il monta au saint autel assisté du P. Bastien, le com- 
pagnon et le soutien de sa retraite depuis les jours de la 
grande épreuve. 

9 

« Après FEvangile, M. le Supérieur, revêtu des insignes 
de la prélature pontificale, adressa au vénéré Père ces 
paroles d'hommage, de souhaits et de filial dévouement: » 



HOMMAGES ET SOUHAITS DE M. LE SUPÉRIEUR 

au r. p. pillon 

Mon très révérend Père, 

Votre présence parmi nous, en ce lieu, en cette 
fête , nous apporte plus que le spectacle d'une so- 



214 JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. POXON 

* 

lennité ordinaire : c'est la grandeur et la beauté 
d'une scène biblique. Cest Jacob , chargé d'années, 
descendant , lui et ses fils , dans la maison de Joseph. 
Vous comprenez bien que, par ce nom, j'entends 
cet autre Joseph que vous-même avez donné pour 
patron à notre collège, et qui en est le premier et 
céleste supérieur. C'est lui, mon révérend Père, qui 
a dit à vos fils : « Hâtez -vous, allez, montez vers 
notre Père, et amenez-le vers moi. d Festinate, ascen- 
dite ad patrem nostrum, et adducite eum ad me. 
C'est lui qui, sur le seuil, vous a reçu au chant du 
Benedictus, attendri de vous revoir après de si longs 
regrets : videns, irruit super collum ejus, et inter 
amplexus flevit. 

Il vous est donc rendu pour aujourd'hui, mon 
Père, cet enfant de votre vieillesse, dont naguère des 
jaloux avaient comploté la mort, et dont vous aviez 
pu dire : a Une bête cruelle a dévoré mon fils. » Il est 
vivant devant vous : filins tuus vivit.Yoyez : même il 
a grandi, et sa famille s'est accrue dans la captivité. 
Voici que, vous présentant les enfants de votre enfant, 
il vous demande de les tenir pour vôtres et de 
les bénir : ecce filii tui mei sunt,.. adduc eos ad me 
ut henedicam illis. Enfin voici qu'auprès de vous je 
puis saluer en ce jour ceux qui furent jadis, sous 
votre autorité , les maîtres de notre cher troupeau , 
et qui peuvent bien dire, eux aussi, dans ce lieu 
rempli de leur zèle pastoral : « Nous sommes des 
pasteurs, nous, ainsi que furent nos pères. i> Pasto- 
n^s ovium sumus, et t%os et pcUres nostri. 



JUBILÉ SACERDOTAL DU B* P. PILLON 215 

Hélas I que ne puis -je pousser jusqu'au bout le 
parallèle, et que ne m'est- il donné de hâter le jour 
désiré où Saint- Joseph de Lille aura la joie de vous 
dire, comme le Joseph de l'Egypte aux flls du 
Patriarche : « Vous resterez ici dans la terre de 
Gessen , car c'est une terre excellente , et vous y 
habiterez, vous, vos fils, les fils de vos fils; la pos- 
session vous en est assurée à jamais ! » Et hahitàbis 
in terra Gessen, in loco optimo, et eris ihi tu et filii 
tui, et filii filiorum tuorum.., hi possessionem sem- 
pitemam. 

En attendant, mon Père, ayant à célébrer le ju- 
bilé de votre sacerdoce, pouviez- vous le faire ail- 
leurs que dans cette maison que vous avez fondée? 
Ceux qui naguère vous en ont interdit le foyer ne 
vous en ont pas, que je sache, interdit les autels. 
Aussi bien , nulle part ailleurs vous ne seriez autant 
chez vous. Si vous n'êtes plus le père de cette jeune 
famille, vous en êtes le grand -père, mon cœur de 
fils vous en répond. Ahl qu'il ne soit pas dit de 
vous comme il a été dit du plus auguste des expul- 
sés : In propria venit, et sui Eufn non receperunt. 

Aussi bien ce jour est bon pour vos petits enfants. 
Il est bon qu'ils aient sous les yeux le spectacle 
des respects dont l'Église sait entourer les vieux 
jours de ceux qui ont combattu si longtemps pour 
sa gloire; il est bon qu'ils vous voient, escorté de 
nos hommages, monter à cet autel du Dieu qui , il y 
a cinquante ans, réjouissait votre jeunesse, et qui 
sera tant suppUé de vous la rendre aujourd'hui. 



216 JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 

Il y a donc cinquante ans. Vous aviez alors trente 
et un ans passés , l'âge auquel le souverain Prêtre 
offrit son sacrifice. C'était dans le mois de dé- 
cembre 1834. Vous étiez loin de la patrie : vous 
aviez dû aller chercher un refuge dans le Valais, 
demandant à la Suisse la liberté d'enseigner que la 
France refusait aux meilleurs des Français. Du col- 
lège de Mélan, dont vous étiez préfet, vous partîtes 
à pied, en pauvre de Jésus -Christ; vous fîtes dix 
lieues dans la neige, au cœur de l'hiver, par des 
chemins de montagnes. Vous vous encouragiez en 
pensant qu'ainsi sans doute avaient dû voyager 
Joseph et Marie marchant à l'accomplissement de 
ce même mystère qui allait, peu de jours après, se 
renouveler entre vos mains. Vous arrivâtes à Annecy : 
c'était Bethléhem pour vous. C'est là, dans la cité de 
saint François de Sales , de la main de son succes- 
seur, l'illustre M^"^ Rey, que vous reçûtes l'onction 
du sacerdoce éternel. 

Ah! mon Père, l'Ananie, l'homme de Dieu, qui 
alors vous imposa les mains, vous a-t-il, ce joui- 
là, révélé, comme à l'Apôtre, « ce que vous auriez 
à souffrir pour ce nom de Jésus , » qui était devenu 
le vMre par votre profession? Quand, en cette ora- 
geuse année 1824, du haut des sommets des Alpes, 
vous tourniez vos regards vers cette France qui 
alors ne voulait pas de vous, avez-vous pu prévoir 
ce qu'un demi -siècle allait vous y apporter de com- 
bats, suivis de belles victoires et de défaites plus 
belles encore, et demandiez-vous à Dieu de fortifier 



JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 217 

votre bras pour ces incessants travaux dont vous 
venez aujourd'hui déposer à son autel l'hommage et 
l'action de grâces ? Gratias ago ei qui me conforta- 
vit, Christo! 

Et quels travaux que ceux-là I Certes, vous auriez 
le droit de dire que peu d'autres les ont surpassé en 
ce siècle : In quo quis audet, audeo et ego, plus ego ! 
Vous le savez, vous, Messieurs, et vous le saurez 
un jour, vous, mes chers enfants : dans cet engage- 
ment général entre la vérité et l'erreur, qui est de 
tous les temps, qui est surtout du nôtre, il est un 
point où la lutte, plus décisive, plus ardente, n'a pas 
cessé un instant : c'est le terrain de l'éducation et 
de l'enseignement de la jeunesse. Nous en avons 
reçu la mission de Dieu même : en obtiendrons- 
nous des hommes le droit et la liberté? C'est la 
première question, elle regarde tous les catholiques. 
Puis voici la seconde, qui regarde les religieux. 
Parce qu'on a fait le vœu de pratiquer les conseils 
évangéliques, pour se tenir ainsi plus près du Père 
des âmes; parce qu'on appartient à une Compagnie 
qui, depuis trois cents ans, a porté dans l'instruc- 
tion des jeunes chrétiens des deux mondes le plus 
de lumières, le plus de dévouement et le plus d'é- 
clat; parce que, sur son blason, on a inscrit le nom 
de Jésus, c'est-à-dire du docteur suprême, du 
divin éducateur qui bénissait les enfants et les. pre- 
nait dans ses bras pour les élever vers le Ciel, est-ce 
une raison pour qu'on soit exproprié du droit d'éle- 
ver cette jeunesse et de la conduire au Ciel par un 

iO 



218 JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 

chemin de science, de vertu et de grâces? Voilà le 
litige d'hier, d'aujourd'hui, de demain; voilà l'en- 
jeu d'une lutte dont notre génération n'a pas vu le 
commencement, dont elle ne verra pas la fin, mais 
où elle aura vu se lever et briller des chefs dont sa 
reconnaissance n'oubliera pas le nom. De ces chefs 
de la grande armée catholique enseignante, si je 
disais , mon Père , que vous fûtes un des plus il- 
lustres , je craindrais de vous déplaire ; mais vous 
ne me contredirez pas si je dis que vous en êtes 
aujourd'hui le doyen; et que, grâce à votre longue 
et laborieuse carrière, vous êtes devenu pour nous 
comme la représentation même de l'enseignement 
chrétien , dans ses fortunes diverses. 

Aussi bien , du premier au dernier jour de cette 
guerre, vous n'avez pas manqué une seule cam- 
pagne. Vous étiez au premier rang à Dôle, lorsque, 
en ;1828, sonnait déjà l'heure de la proscription; et 
c'est vous qui eûtes l'honneur de rallier, en Suisse, 
les débris de cette armée d'enfants et de jeunes 
gens qui avaient préféré l'exil à la patrie, parce 
que Dieu était avec vous ; parce que , dans cet exil , 
vous aviez, comme Joseph, emporté Jésus et sa 
mère : accepit Puerum cum matre ejus. 

Quand ensuite vous fûtes allé vous retremper, en 
Espagne, à ces sources de science et de sanctifica- 
tion qui fécondent le pays de sainte Thérèse et de 
saint Ignace, c'est vous qu'on envoyait gouverner 
en Belgique cette colonie de Brugelette, chère à 
votre souvenir, où , pendant vingt années , la France 



JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 219 

VOUS amena les plus nobles et les plus généreux 
de ses enfants. Et enfin, lorsque vint l'heure répa- 
ratrice oh, rougissant d'elle-même, et épouvantée 
de l'abîme creusé sous ses pieds, la France de 1850 
rouvrit ses portes à vos écoles, vous rentrâtes parmi 
nous avec la liberté. 

Mais l'heure de la délivrance ne fut pas celle du 
repos. Au retour de la captivité il fallait rebâtir la 
ville sainte, les murailles, le temple : Zorobabel 
était prêt. Vous avez élevé Vannes plus splendide 
que Brugelette. Toute la Bretagne vous fut con- 
quise ; et votre nom restera longtemps en bénédic- 
tion sur les côtes et dans les landes de cette terre 
catholique où les caractères sont de granit comme 
le sol. Et quand votre Compagnie, étendant de plus 
en plus son action dans l'enseignement, lui eut 
donné pour couronnement les cours d'études spé- 
ciales pour la préparation aux Écoles de l'État , 
c'est vous , mon Père , qui fûtes appelé à dévelop- 
per à Paris cette institution , qui achève les autres. 
L'École Sainte-Geneviève, déjà très florissante, gran- 
dit encore sous votre sceptre, qui était une houlette ; 
et l'on vit la rue des Postes s'élever à cette incontes- 
table supériorité qui lui a valu et qui lui vaut encore 
tant de patriotiques hommages et tant de haines ja- 
louses. Je n'oublierai pas Amiens, où, tour à' tour 
et à la fois provincial et recteur, vous fûtes donné 
à Saint -Acheul et à la Providence, ramené ainsi par 
Dieu près du berceau de votre société en ce siècle , 
comme vous étiez ramené près de votre propre 



220 JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 

berceau et du foyer de votre grande et chrétieime 
famille. 

Vous n'en étiez pas encore à la dernière de vos 
étapes conquérantes. Vous aviez dans vos armoi- 
ries rhermine de Bretagne, le lis de France, vous 
y joignîtes le lion de Flandre. Je le sais, notre 
Saint -Joseph de Lille n'est que le dernier- né de vos 
nombreux enfants : minimus inter fratres. Mais il 
est raconté que Jacob aimait le dernier de ses fils 
plus encore que les autres, parce qu'il l'avait engen- 
dré dans ses vieux jours : quia senex genuerat eum. 
Comment se fait-il que, hélas I vous ne présidiez plus 
à sa formation*? Pourquoi avez -vous dû remettre à 
d'autres mains une charge dont personne n'a plus 
le droit de se plaindre que moi?... 

Hélas! des jours étaient venus où le bien s'appelle 
le mal et le mal le bien. L'enseignement libre était 
atteint : vous fûtes frappé, mon Père. Ils sont ici, 
près de vous, ceux qui furent vos défenseurs devant 
les conseils de cette Instruction publique, de laquelle 
cependant personne n'avait mérité mieux que vous. 
On l'oublia, mon Père; je n'ose rien dire de plus. 
Mais ces murs pourraient nous dire la garde fidèle 
du jour et de la nuit qui fut faite autour de vous par 
les pères de famille , avant l'heure déchirante de la 
séparation. Ce qu'alors vous ressentîtes , lorsque, 
à soixante -dix -sept ans, vous dûtes repasser en 
proscrit, en condamné, le seuil de la maison que 
vous aviez bâtie pour y vivre et mourir au miUeu 
de vos enfants, c'est le secret de Dieu. C'est à lui 



JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 221 

que VOUS avez offert ce sacrifice. Lui seul en sait le 
prix. 

N'avais-je pas raison de dire que votre destinée 
était la destinée même de l'enseignement chrétien , 
et votre histoire son histoire? Avec lui, le tiers au 
moins de votre vie religieuse s'est passé dans l'exil 
et dans là: persécution ; et c'est bien , certes , à vous 
que le Seigneur peut dire comme à ses apôtres 
fidèles : Vos estis qui permansistis mecum in tentor- 
tionihus meis; mais pour ajouter aussi que vous en 
serez, comme eux, récompensé en roi : Et ego dis- 
pono vohis, sicut disposuit mihi pater meus re- 
gnum. 

Déjà, d'ailleurs, plus d'un gage vous en a été 
donné; et il me semble que justement vous pouvez 
dire, mon Père, avec le Psalmiste, que votre vieil- 
lesse a connu , à côté de grandes amertumes, d'abon- 
dantes miséricordes : Et senectus mea in niisericor- 
dia uheri. C'en fut une que ce premier pèlerinage 
à ïtome, où Léon XIII se complut à reconnaître et 
à bénir le bon soldat du Christ, qu'il avait visité 
autrefois à Brugelette, où il avait passé la revue de 
sa jeune troupe. C'en fut un autre que l'honneur 
d'avoir été appelé à déposer votre suffrage pour 
l'élection de celui qui est, après le pape, votre 
second père selon Dieu, et d'avoir vu, placé sur le 
siège de David, du vivant de son père, le sage 
Salomon , dont le nom vénéré ne saurait être oublié 
en ce jour cher à tout l'ordre qui s'honore de 
vous. 



222 JUBILÉ SACERDOTAL JHJ IL P. PILLON 

Et nous aussi, mon Père, ne pourrions -nous 
prétendre à être pour vos cheveux blancs une 
consolation? Et ne ressentez -vous pas quelque 
douceur à nous voir tous , parents et enfants , ad- 
ministrateurs et directeurs, si unis, si résolus, à 
ce poste où vous nous avez transmis votre faction, 
et où votre ombre encore peut gagner des batailles? 
Non, c'est votre prière qui les gagne, mon révé- 
rend Père; et j'ai Wen des fois pensé que là, dans 
votre retraite, placé si près de nous, vous travail- 
liez encore puissamment pour nous, et que bien 
des grâces qui nous sont accordées par le Cœur 
de Jésus , avaient passé par le vôtre pour arriver à 
nous. 

Mais pardonnez -moi, je m'oublie. J'oublie que 
l'Écriture ne permet pas de longs discours en pré- 
sence des vieillards : Et ubi sunt senes, non muMum 
loquaris. A vous de parler, mon Père, mais de par- 
ler à Dieu. Allez donc lui porter ces souvenirs de 
cinquante ans et ces actions de grâces. Vous ne 
serez pas seul à les lui offrir : voyez ceux qui vous 
entourent et qui, pour ainsi dire, soutiennent de 
leurs vœux les bras de notre Moïse levés sur la mon- 
tagne/ A Dôle, à Brugelette, à Vannes, à Paris, à 
Amiens, à Lille, vous les appeliez vos enfants ; ils vous 
nomment encore leur père, et vous pouvez bien en 
retour les appeler, avec l'Apôtre, votre couronne et 
votre joie, flii dUectissimi, filii desideratissimi , 
corona mea et gaudiummeum, car, sous le change- 
ment des visages, les cœurs sont restés fidèles à 



JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 223 

tout ce que vous leur apprîtes à aimer et à servir. 
Tout à l'heure vous les verrez, ces enfants de Bru- 
gelette, blanchis par les années et les travaux d'une 
vie militante comme la vôtre, venir s'agenouiller 
ici à la Table sainte, et recevoir de votre main le 
Dieu que vous leur donnâtes au jour inoubUable de 
leur première communion, trouvant ainsi pour vous 
et pour eux, mon Père, le secret du plus divin 
des rajeunissements. 

D'ailleurs, voyez cette chapelle trop petite pour la 
foule des familles accourues afin de révérer en vous 
une paternité qui fut le complément et l'achèvement 
de la leur. Puis, derrière l'assemblée de ceux qui 
sont ici , voyez et comptez , si vous le pouvez , l'as- 
semblée de ceux qui y sont présents de cœur, et 
desquels nous avons reçu ces lettres en même 
temps si religieuses et si tendres, qu'elles font à la 
fois et prier et pleurer. Et au-dessus de la prière de 
vos innombrables élèves , entendez monter la voix 
de vos fils en religion, de vos pères et de vos 
frères, depuis Gemert jusqu'à Rome, formant en- 
semble un concert où votre nom se mêle à mille 
bénédictions. Enfin, plus haut encore, voyez l'as- 
semblée céleste des saints religieux de votre Insti- 
tut, martyrs, confesseurs, docteurs, et à leur tête 
Ignace, votre bienheureux père, qui vous ouvre ses 
bras. Puis, autour de lui, l'élite de ses disciples 
que vous avez connus, ces grands hommes de Dieu 
qui furent vos maîtres, vos amis ou vos compa- 
gnons d'armes : les Varin , les Guidée, les Dhruillet, 



224 JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 

les Gury , les Ravignan , les Olivaint , les Pontlevoy . . . 
Je ne puis les nommer tous. Mais, dans cette terre 
des vivants , il en est un du moins que votre cœur 
a distingué : c'est ce frère selon la nature qui avait 
voulu être votre frère en religion, et qui, novice 
encore, s'en fut cueillir la palme que son frère 
devait acheter au prix de si longs travaux. Des 
deux fils de Zébédée appelés le même jour à l'apo- 
stolat, vous fûtes, comme Jean, celui de qui le 
Seigneur a dit : ce Je veux que celui-là reste. » 
Puisse-t-il, nous Ten conjurons, le vouloir long- 
temps encore ! 

Voilà donc votre assistance invisible , immortelle. 
Les voilà tous qui, tandis que vous monterez ici, 
à cet autel de la terre, se presseront là-haut, autour 
de ce trône de FAgneau où saint Jean vit les vieil- 
lards se prosterner et déposer l'hommage de leurs 
couronnes. Gomme lui , de cette Pathmos où vous 
fûtes relégué a à cause de la parole de Dieu et du 
témoignage rendu à Jésus -Christ », vous pouvez 
les entendre qui, en vous regardant, se disent l'un 
à l'autre : « Réjouissons-nous, tressaillons de bon- 
heur et rendons gloire à Dieu, parce que voici les 
noces d'or de l'Agneau avec l'âme sacerdotale qui 
se prépare à renouveler la fête de son alliance : 
Gaudeamus et exultemus, et demus gloriam Deo, 
quia venerunt nuptise Agni , et uxor ejus pra^para- 
vit se. y> 

Père, ô Prêtre du Très -Haut, sacrifiez donc 
au Seigneur une hostie de louanges : il vous écoute, 



JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLÔN 225 

il VOUS contemple , car « le regard du Seigneur re- 
pose sur les vieillards », a dit l'Esprit- Saint. Unis- 
sez-vous à l'Église dans ce jour d'une fête si bien 
appropriée à la célébration de cet anniversaire, et 
redites les prières liturgiques de cette messe, rem- 
plie de si expressives significations. Vous y ferez 
mémoire de la nativité de Jésus au berceau , vous 
qui avez donné tant et de si illustres berceaux 
à TEnfant Dieu. Vous y ferez mémoire de saint 
Etienne martyr, vous qui afez souffert pour le 
nom de Jésus , et qui savez comment on pardonne 
et on prie pour ses persécuteurs. Vous y ferez 
mémoire de saint Jean, l'apôtre centenaire qui 
disait à ses disciples ce qu'à cent ans, mon Père, 
vous nous redirez encore : a Aimez-vous les uns 
les autres. t> 

Enfin vous célébrerez la fête des saints Innocents, 
qui est plus que jamais la fête de l'enfance chré- 
tienne, aujourd'hui que l'enfance chrétienne est 
persécutée pour la cause de Jésus. Ce Jésus qu'on 
veut tuer dans l'âme de ces innocents, déjà deux 
fois, mon Père, à l'exemple de Joseph, vous l'avez 
sauvé et conservé aux âmes au prix d'un long exil. 
Vous nous apprendrez à le sauver et à le conserver 
encore. Puis laissez-nous la confiance, — et c'est 
mon dernier vœu, — que « lorsque auront passé ceux 
qui en veulent à l'âme de l'enfant », comme Joseph 
aussi vous rentrerez à Nazareth. Je vous en ouvrirai 
la porte triomphale comme au vrai maître de la 
sainte famille ; et ma joie à son tour sera d'apprendre 

10* 



226 JUBILÉ SACERDOTAL DU R. P. PILLON 

alors que ces enfaats « vous sont soumis ]», et que, 
comme leur divin modèle, « ils croissent en âge, en 
sagesse et en grâce devant Dieu et devant les 
hommes. » Ainsi soit-il! 



XVI 

LE TROISIÈME CENTENAIRE 

DES CONGRÉGATIONS DE U TRÈS SAINTE VIERGE 

CÉLÉBRÉ A LILLE (mAI 1885) 



228 LE TROISIÈME CENTENAIRE 



Extrait du compte rendu imprimé. 

« Le 5 décembre 1884 ramenait un anniversaire cher 
aux Congrégations de la très sainte Vierge afGliées à la 
Prima Primaria, qui sont répandues dans TÉglise en- 
tière. Fondée en 1S63 par le P. Léon, professeur de 
grammaire au collège Romain, pour ses élèves, la Pre- 
mière Congrégation de la sainte Vierge avait prompte- 
ment suscité des imitations , non seulement dans les col- 
lèges de la Compagnie de Jésus, mais aussi parmi les 
catholiques de tout âge et de toute profession. Témoin de 
cette diffusion merveilleuse de l'œuvre conçue par le 
jeune jésuite flamand , le souverain pontife Grégoire XIII 
résolut de lui donner une forme stable» Par la bulle Om- 
nipotens Dei, datée du 5 décembre 1584, il érigeait ca- 
noniquement la Congrégation de l'Annonciation du collège 
Romain en Congrégation primaire, principale et mère 
des autres , avec pouvoir de s'affilier toutes celles créées 
ou à créer, et de leur communiquer les indulgences dont 
il venait de l'enrichir. 

« C'est le souvenir de cet heureux événement que Sa 
Sainteté Léon XIII a voulu consacrer, en accordant par le 
bref Frugiferas inter, donné en date du 24 mai 1884, 
une indulgence en forme de jubilé à gagner par tous les 
membres des Congrégations affiliées à la Prima Prima- 
rla, à la date fixée par leurs directeurs respectifs jusqu'au 
terme de l'année 1885. 

a Cette faveur pontificale et le grand souvenir qu'elle 
rappelle ne pouvaient passer inaperçus dans la ville de 
Lille. En effet, l'histoire religieuse de cette ville nous 
montre, groupées autour de l'église du collège de la Com- 
pagnie de Jésus, dédiée à l'Immaculée Conception, au- 
jourd'hui église de la paroisse Saint-Étienne, les cha- 
pelles dans lesquelles se réunissaient les sept Congréga- 



DES CONGRÉGATIONS DE LA SAINTE VIERGE 229 

lions d'hommes , de jeunes gens et d'enfants; Tune d'elles 
comptait jusqu'à quinze cents membres. 

« Le R. P. Sengler, dans une notice abrégée, rappela 
l'origine , les développements , les privilèges des Congré- 
gations de la sainte Vierge, et cette excellente brochure 
prépara le mouvement général dont le collège devint le 
centre. 

ce L'initiative de la célébration du Centenaire fut prise 
par M. le Supérieur et par les Directeurs des Congréga- 
tions, soit de cet établissement, soit de l'Association des 
anciens élèves, soit des étudiants de l'Universilé catho- 
lique. La basilique de Notre-Dame -de -la -Treille fut mise 
gracieusement à leur disposition pour la cérémonie d'ou- 
verture de la Neuvaine, le 1°^ mai, et pour les solennités 
de la journée de clôture, fixée au dimanche 10. Entre ces 
deux dates, un Triduum fut prêché par le R. P. Friscot 
aux Congréganistes , élèves et étudiants, dans la chapelle 
des Congrégations, au collège. Elle fut remplie chaque soir 
par un auditoire qui débordait au dehors. 

a Le dimanche 10 eut lieu la réunion générale pour la 
communion, dans le sanctuaire de Notre- Dame -de- la- 
Treille. Aux quatre Congrégations qui avaient suivi les 
exercices du Triduum s'étaient jointes les Congrégations 
des trois pensionnats dirigés par les Frères des Écoles 
chrétiennes, les Frères de Marie et les Frères de Saint- 
Gabriel. L'école Saint- Joseph s'y trouvait tout entière, 
ayant fixé à ce* jour- là son pèlerinage annuel à Notre- 
Dame -de -la- Treille. La messe fut célébrée par M«^ Bau- 
nard , qui distribua à plus de huit cents jeunes gens le 
Pain eucharistique, après avoir adressé à leurs âmes 
l'allocution qu'on va lire. » 



ALLOCUTION 



SUR LE DEVOIR DES CONGREGATIONS 



SUmu» timuL (Is. l, 8. 

Stemus simul, associon&>nous ! C'est le cri inspiré 
du prophète Isaïe, et il ajoute r/u'ainsi associés 
entre nous et en Dieu, il n'est pas d'ennemi que 
nous ne puissions alTronter et qui tienne contre 
nous : Quia est advrsarius meus? accédât ad me! 

Associons -nous, stemus simul! C'était le cri des 
Ages chrétiens. Par exemple, telle fut, au xm® siècle, 
la parole qu'un soir deux jeunes étudiants, venus 
d'Allemagne à Paris , Henri de Cologne et Jourdain 
de Saxe, prirent pour leur mot de ralliement au ser- 
vice de Dieu. C'est en se la redisant l'un et l'autre 
avec ardeur, que, cette nuit-là môme, ils vinrent 
prier ensemble à Notre-Dame, et là jurèrent de 
s'ennMer dans la congrégation que venait de fonder 
Dominique de Guzman, — une grande congrégation 
do Marie, elle aussi, — et qui allait devenir l'Ordre 
dos Frères prêcheurs. 

Associons -nous, stemus simul! C'est le cri qui 
semble s'échapper du lieu même où nous sommes. 
En effet, mes chers fils, n'était-ce pas ici, dans 



LE TROISIÈME CENTENAIHE DES CONGRÉGATIONS 231 

l'ancienne église Notre-Dame-de-la-Treille, qu'un 
jour, au x\'« siècle, un de vos ducs, Philippe le 
Bon, se présentait à la tête de trois cents gentils- 
hommes, l'élite de ses États de Flandre et de Bour- 
gogne, pour célébrer, devant l'autel de la Mère de 
Dieu , l'institution solennelle de cette chevalerie mi- 
Utaire et cathoUque qui devait s'appeler l'Ordre de 
la Toison d'or? 

Associons-nous, stemiis simul! C'est surtout le cri 
déchirant de notre détresse présente. Voici que la 
cité de Dieu est rainée par des sociétés souter- 
raines, qui de toutes parts se sont coalisées pour 
son efifondrement. Les méchants se sont universel- 
lement associés pour le mal : est-ce que nous n'al- 
lons pas nous associer pour le bien? Aux sociétés 
secrètes qui conspirent dans l'ombre, n'oppose- 
rons-nous pas une franche chevalerie, qui, elle 
du moins, manœuvrera à ciel ouvert, et combattra, 
visière levée et bannière déployée, pour l'Église et 
pour Dieu? 

Associons -nous, stemus simul! C'est plus que 
jamais le mot d'ordre de l'Église. C'est le pape, 
c'est Léon XIII, qui, à rencontre de la coalition 
croissante des apostats , vous demande de former la 
coalition des fidèles. Avant -hier il ressuscitait la 
milice des tiers ordres; hier il réveillait les con- 
fréries du Rosaire; et lorsque aujourd'hui encore il 
ouvre , pour le troisième centenaire qui nous ras- 
semble, le trésor des indulgences, ne semble -t-il 
pas vous dire, lui aussi, de sa grande voix : Ste- 



232 LE TROISIÈME CENTENAIRE 

7nu3 simul! « Tenons ensemble; vous, mes fils, 
avec moi, et nous tous avec Dieu? d 

Vous y répondrez, mes enfants. Tout à l'heure, 
quand j'entrais ici, élevant mes yeux vers Tautel, 
j*ai rencontré ces mots écrits autour du sanctuaire : 
Sic vinculum inter nos : « Faisons société ensemble.» 
Je ne vous apporte pas une autre parole que celle- 
là. Faisons de notre société une société de foi, d'es- 
pérance, de charité. C'est tout Fesprit, tout le but 
de l'Association dont vous êtes les membres. 



I 



Vous serez donc d'abord une société de foi. Vous 
fûtes originairement institués et voulus de l'Église 
pour ce dessein. Vous ne l'avez oublié : on était au 
xvi« siècle; le protestantisme débordait, avec le pa- 
ganisme renaissant , sur l'Occident tout entier. Vos 
pères se dirent alors : « La foi est en péril, son 
flambeau tremble sous le souffle de l'impiété con- 
jurée avec le libertinage ; défendons-le en le plaçant 
entre les mains de Notre-Dame, et faisons autour 
de lui bonne et fidèle garde. :» Ils firent ainsi, et la 
foi fut sauvée dans vos catholiques contrées. 

Mais la foi serait-elle en moindre péril dans notre 
siècle, siècle de doute à son matin, de négation à 
son midi, de blasphèmes à son déclin? On parle des 
ténèbres palpables dont le Seigneur châtia l'Egypte 
idolâtre et persécutrice de son peuple; mais les té- 
nèbres palpables ne sont- elles pas une des plaies 



DES CONGRÉGATIONS DE LA TRÈS SAINTE VIERGE 233 

de notre Egypte moderne? On va, on marche dans 
la nuit; c'est je ne sais quoi qui se meut sans savoir 
où il va : a negotio peramhulante in tenehris; on 
tâtonne à travers le défilé obscur de toutes les er- 
reurs, on se heurte à tous les mensonges, on se 
blesse à tous les obstacles. On se croirait entré dans 
cette nuit sans fin dont le poète menaçait les siècles 
d'impiété : Impiaque œtemam timuerunt sœcula 
noctem. Dans cette nuit, que du moins une étoile 
nous reste, Tétoile de la foi, et qu'elle rallume ses 
feux au foyer de cette autre Étoile, l'Étoile des nuits 
profondes et des mers orageuses, qui s'appelle 
Marie ! 

Vous serez donc premièrement les disciples de la 
foi. Et j'entends par ce mot, non une foi diminuée 
par des transactions qui ôtent à la vérité son nerf, 
à la doctrine sa pureté; j'entends une foi entière, 
vigoureuse, éclatante, telle que nous en recevons 
la lumière de l'Évangile, et de son réflecteur, qui est 
le Saint-Siège romain. Je n'entends pas davantage 
une foi mal assise, et conséquemment chancelante, 
parce qu'elle ne porte pas sur une science certaine ; 
j'entends une foi éclairée, qui non seulement* croit 
fermement, mais sait pourquoi elle croit. Enfin 
j'entends une foi pratique et effective , une foi qui 
ait non seulement une tête pour comprendre et un 
cœur pour sentir, mais un bras pour agir. La tête 
dans la lumière, le cœur dans l'amour et le bras 
dans la force : tel doit être le chrétien. Tels vous 
devez être, mes chers fils, non pas individuelle- 



234 LE TROISIÈME CENTENAIRE 

ment, mais collectivement, car c'est en chœur que 
vous , disciples de la foi et enfants de sa maison , 
domestici fidei, devez chanter le Credo, 

Vous serez davantage encore : vous serez, vous 
devez être les apôtres de la foi, les chevaliers de la 
foi. Je viens de vous dire de revêtir les armes de 
lumière, et je vous dis maintenant de vous servir 
de ces armes pour les conquêtes de Dieu. Ce n'est 
pas à votre âge qu'on reste, l'arme au repos , sur un 
champ de bataille. Ce n'est pas dans la nuit effrayante 
de ce siècle que cette jeune élite des soldats de 
Gédéon peut cacher la lumière et la retenir captive 
dans le respect humain, comme dans une argile 
opaque. Brisez le vase, élevez le flambeau, et faites 
la clarté , une grande clarté autour de vous. 

Il y a tant d'égarés , d'ignorants ou d'incertains 
dont les yeux appellent son bienfait! Comptez ces 
ouvriers, ces enfants, ces pauvres à évangéliser! 
Comptez ces écoles sans Dieu à remplacer, ces 
écoles chrétiennes à fonder ou à catéchiser ! Vôtre 
parole doit être la lumière du monde, comme votre 
exemple doit être le sel de la terre. Et quand je dis 
votre exemple, je n'entends pas celui d'une vertu 
vulgaire, d'une vertu telle quelle, mais d'une vertu 
éminente : votre condition le commande. Si, parmi 
vos frères chrétiens , vous ne pouvez prétendre au 
monopole du bien, vous, congréganistes, vous 
devez vous réserver le privilège du mieux. Étant 
une troupe d'élite, vous devez être dans l'Église 
une troupe héroïque. De même, quand je vous dis 



DES CONGRÉGATIONS DE LA TRÈS SAINTE VIERGE 233 

de faire de votre parole un flambeau, je n'entends 
pas que vous deviez prêcher et discuter : j'entends 
que vous devez vous prononcer et vous montrer. Je 
ne vous demande donc pas d'être de grands théolo- 
giens, je vous demande d'être de vrais chrétiens. 
Nos pères les martyrs ne discutaient pas, ils ne fai- 
saient pas de controverse, pas de polémique, pas 
de discours; ils ne disaient qu'une parole, une 
seule : « Je suis chrétien , » et c'est cette parole qui 
a converti le monde. 

Je viens de parler de martyrs. Eh bien, je vous 
dirai encore : Vous serez, vous aussi, et à votre 
manière, les martyrs de la foi. Qu'est-ce à dire? 
Témoins intrépides de la foi, vous saurez combattre 
pour elle, vous saurez souffrir pour elle. Ce n'est 
point à dire que vous ayez jamais, espérons-le du 
moins,, à verser votre sang pour vos convictions; 
vous n'aurez môme pas de coups à recevoir pour 
elles, je veux le croire encore. Mais vous aurez, et cela 
je l'affirme, des sacrifices à faire. Ce seront d'abord 
les sacrifices et les luttes du dehors , les sarcasmes, 
les affronts, les dérisions à subir; puis les défaites 
du bien , les triomphes du mal dont il vous faudra 
porter le spectacle démoralisant. Ce sera le scandale 
permanent de la vérité et de la justice, ou en capti- 
vité ou en minorité dans ce siècle. Est-ce tout? Vous 
connaîtrez surtout ce que j'appelle les sacrifices et 
les luttes du dedans : se combattre, se vaincre se 
priver, se gêner, enfin faire son salut à la sueur de 
son front; et au milieu d'un monde qui ne pense pas 



236 LE TROISIÈME CENTENAIRE 

comme nous, porter son isolement sans se laisser 
entamer par Feffrayante tentation de se sentir seul. 
Ah ! si devant cette tentation vous vous sentez 
faiblir, souvenez- vous, mes chers fils, qu'elle était 
seule aussi , seule sur le Calvaire , seule avec saint 
Jean , celle qui est votre Mère. Elle se tenait debout 
cependant : Stahat;'eX là elle semblait dire, elle 
aussi, à Tapôtre : Soutenons -nous, stemus simul! 
Faites comme elle, vous ses enfants. Laissez dire 
les scribes et les pharisiens , laissez faire les bour- 
reaux; mais tenez- vous ensemble, et tenez -vous 
debout. Stemus! 



II 



De plus , votre Congrégation doit être et elle sera 
une société d'espérance. Quand, il y a huit cents 
ans , saint Bernard vint consacrer vos pères à Notre- 
Dame, et placer sous son vocable votre abbatiale de 
Loos, il leur disait, à ces hommes, en leur parlant 
de Marie , qu'elle était leur espoir et la raison de 
leur confiance : hsec spes mea et ratio fiducix meœ. 
Il leur disait qu'en conséquence , dans les âges ora- 
geux, c'était vers cette Étoile qu'il fallait s'orienter 
pour retrouver le port : respice stellam, voca Ma- 
riam. Vos pères ne l'oublièrent pas ; et quand , au 
xvii^ siècle , ils consacrèrent leur ville à la Mère de 
Dieu, dans une solennité dont récemment ici même 
je célébrais publiquement le deuxième centenaire , 
ils inscrivirent sur leurs maisons, sur leurs ban- 



DES CONGRÉGATIONS DE LA TRÈS SAINTE VIERGE 237 

nières, partout : Spes cfvitatis, spes nostra, salve! 
Comment en serait- il d'autre sorte, mes chers fils? 
Nous avons perdu en ce siècle bien des motifs d'es- 
pérance; Tarc-en-ciel a pâli plus d'une fois à l'hori- 
zon de l'histoire contemporaine; notre boussole est 
affolée , tous nos pilotes sont déroutés , et des nau- 
frages nouveaux succédant aux naufrages ont en- 
glouti les dernières espérances de la France. Je 
parle de l'espérance terrestre; mais l'espérance cé- 
leste, celle-là subsiste quand même; Marie en tient 
l'ancre d'une main toute -puissante; et dans ce na- 
vire battu par des tempêtes renaissantes, il me 
semble la voir debout sur le tillac , nous rassurer, 
en nous disant, comme cette princesse française 
célébrée par Bossuet, que les « reines ne se noient* 
point ». 

Espérez pour vous d'abord : vous vous sauverez 
par Marie. Saint Bernard déclarait que l'épreuve en 
était faite : on ne se sauve pas sans elle , on ne se 
perd pas avec elle; c'était déjà alors l'expérience 
des siècles : Non est auditum a sœculo. En vérité, si 
Marie n'a jamais rejeté un seul de ses fils sup- 
pliants, et si comme au Calvaire, aux pieds du 
Christ rédempteur, entre le Ciel irrité et la terre 
coupable , elle n'a pas cessé d'être la mediatrix ad 
mediatorem, je vous le demande, est-ce qu'elle va 
se déjuger aujourd'hui, et commencer le délaisse- 
ment par vous, congréganistes , qui vous êtes don- 
nés à elle? 

Mais j'ajoute, mes chers fils, qu'en vous repose 



238 LE TROISIÈME CENTENAIRE 

aussi Tespérance du salut* pour le pays où vous 
êtes. D'abord, étant la jeunesse, n'êtes -vous pas le 
printemps, c'est-à-dire l'espérance dans sa plus 
belle fleur? Vous êtes plus que cela, car vous êtes 
la jeunesse chrétienne; et voilà pourquoi, nous 
prêtres qui vous connaissons et qui vtus avons 
comptés, nous ne saurions être du parti du déses- 
poir. Il est, hélas! trop nombreux ce camp de dé- 
couragés. Ils sont trop nombreux, même parmi les 
catholiques , ceux de qui l'espérance fléchit comme 
le roseau à chaque nouvel orage qui passe sur leurs 
têtes. Vous , mes chers fils, vous. Messieurs , vous 
saurez tenir bon contre l'hostilité, la défaite, la 
ruine même; et comme ces anciens Romains qui, 
vaincus, et voyant des remparts de leur ville la 
fumée du camp ennemi, remerciaient cependant 
leurs consuls de ne pas désespérer de la patrie, 
vous ne désespérerez jamais du royaume de 
Dieu. 

Laissez -nous donc, mes enfants, et espérer par 
vous, et espérer en vous, et espérer pour vous, 
car l'avenir est à vous. Notre-Seigneur, dans l'Évan- 
gile, a parlé du levain qui, mêlé à la masse, la fait 
fermenter jusqu'à ce que, croissant toujours, elle 
fournisse le pain nécessaire à la maison. Ainsi, 
chers congréganistes , mêlés à la société de vos com- 
patriotes, devez-vous être le ferment de la résurrec- 
tion pour tant d'âmes qui n'attendent que ce moment 
pour renaître. Notre-Seigneur dit que la main qui 
opère ce mélange et prépare ce pain de vie est la 



DES CONGRÉGATIONS DE LA TRÈS SAINTE VIERGE 23^ 

main d'une femme : Quod acceptum mulier abscon- 
dit... Cette femme, ce sera la femme par excellence, 
Marie; et par elle, mêlés à la masse de vos frères ^ 
vous la vivifierez. 

Et ne dites pas que vous êtes trop peu nombreux 
pour cela. Eh! mon Dieu! qu'était-ce aussi qu'une 
poignée de levain dans ces trois mesures de farine 
dont parle l'Évangile? Ne savez-vous pas d'ailleurs 
que ce sont presque toujours les petites troupes , 
quand elles tiennent bon, qui triomphent des 
grandes et changent la face des choses? Rappelez- 
vous votre histoire : c'était une petite troupe que 
celle de ces Hongrois à qui Marie -Thérèse, aban- 
donnée de tous, avait dit : ce Je remets entre vos 
mains la fille et le fils de vos rois. » Mais ils aimaient 
leur reine, qu'ils appelaient leur roi : Moriamur pro 
rege nostro Maria Theresia! et ils surent recon- 
quérir une patrie pour eux, une couronne pour elle. 
Mes chers enfants, ferons-nous moins pour Marie 
notre reine , et pour Jésus son fils et le fils du Roi 
des Cieux? 



III 



Enfin vous serez, chers congréganistes , une so- 
ciété de charité. Je n'entends pas par ce mot les 
œuvres aumônières auxquelles vous vous faites un 
devoir de contribuer. J'entends cette charité de qui 
notre Sauveur a dit : ce On vous reconnaîtra pour mes 



240 LE TROISIÈME CENTENAIRE 

disciples à cette marque que vous vous aimerez les 
uns les autres. » Vous vous aimerez, mes enfants, 
c'est la première parole; vous vous aiderez, c'est la 
seconde. 

Vous vous aimerez comme frères. Vous aimerez 
votre ordre, votre Congrégation comme une seconde 
famille. Vous en aimerez le passé, avec ses sancti- 
fiants et glorieux souvenirs; vous en aimerez le pré- 

« 

sent, ses sanctuaires, ses exercices, ses réunions, 
ses règles. Vous en aimerez l'esprit, qui est un 
esprit de perfection et de zèle au service de Dieu. 
On parle parfois de l'esprit de corps : ayez cet esprit 
de corps, vous les membres d'un corps dont la tête 
est le Christ. 

Vous vous aiderez comme frères. J'oserais dire 
que, dans l'ordre de l'assistance spirituelle, c'est 
une société de secours mutuels que la vôtre. Eh 
bien, il y a des heures où l'âme de votre frère a be- 
soin d'assistance; elle est dans la détresse. Par sa 
faute ou la faute d'autrui , ses ressources déclinent , 
il s'en va à sa perte ; il va faire banqueroute peut- 
être, banqueroute à la religion, à la vertu , à la foi. 
Ce va être une grande ruine et un scandale immense. 
Arrivez alors à lui, souvenez -vous que vous êtes 
son frère : Corripe fratrem inter te et illum. Un mot 
de vous peut-être, un nom d'autrefois, un souve- 
nir, une larme, un serrement de main, un regard : 
ce sera un trésor que vous lui aurez apporté, et 
vous aurez rétabli ses affaires pour le ciel. 

Ainsi irez -vous, mes chers congréganistes , en 



DES CONGRÉGATIONS DE LA TRÈS SAINTE VIERGE 241 

VOUS donnant la main, dans les chemins de la vie. 
Ainsi vous reconnaîtrez- vous partout et toujours 
à ce signe de ralliement : que vous êtes de Dieu 
d'abord, puis que vous êtes de Marie. Vous serez, 
dans la milice séculière de l'Église, ce le Régiment 
de la Reine, » comme on disait jadis. Vous vous en 
montrerez jaloux et vous en serez fiers. 

Et puis vous grandirez, et, ayant grandi en 
nombre, vous ferez de grandes choses. Par exemple, 
il m'est venu quelquefois en pensée que , si cette 
Basilique de Notre -Dame -de -la -Treille doit être 
achevée un jour, comme je n'en puis douter, elle le 
sera, comme l'étaient les sanctuaires du moyen 
âge , par l'action et le denier collectif d'une nom- 
breuse et puissante congrégation de Marie, em- 
brassant tous les catholiques d'une ville et d'une 
contrée. 

Maintenant avancez! venez, ô famille de frères, 
venez vous asseoir ensemble à une même table de 
famille, une Table divine. Autour de vous, au-des- 
sus de vous, auprès de cet autel, je vois les Saints 
congréganistes vos devanciers, dont la longue et 
brillante liste s'ouvre par saint Charles Borromée et 
saint François de Sales , pour se clore par le bien- 
heureux Berchmans. Mais non, elle n'est pas close. 
Vos noms y sont inscrits, et elle ne' se fermera 
qu'à ce grand jour où toute la Congrégation de 
Marie sur la terre, devenue l'innombrable et bien- 
heureuse Congrégation de Marie dans le Ciel , verra 
le Seigneur étendre sa main vers elle, en lui di- 

11 



242 LE TROISIÈME CENTENAIRE 

sant : « Voici ma mère et mes frères, car quiconque 
fait la volonté de mon Père qui est dans les cieux, 
celui-là est mon frère. » Et extendens manum ad 
discîpulos diocit : Ecce mater mea et fratres mei. 
Amen. 



XVII 

LA PROCESSION DU SAINT SACREMENT 

LE VENDREDI DU SACRÉ CŒUR 
i2 JUIN 1885 



Les processions du saint Sacrement avaient été inter- 
dites dans la ville de Lille par arrêté municipal. Qu^on 
nous permette de placer ici quelques vers par lesquels 
nous nous en plaignîmes alors à M. le Maire. C'est 
Jésus- Christ qui parle : 



LE DIVIN PRISONNIER 



Vous défendez , monsieur le Maire , 
Que je sorte de ma maison , 
Et votre arrêté vient de faire 
De ma demeure une prison. 

Quel crime ai-je commis pour être 
Enfermé comme un malfaiteur, 
Moi , votre Père , votre Maître , 
Moi, qu^on appelle le Sauveur? 

Je ne fais de mal à personne ; 
Mon amour rayonne en tout lieu ; 
Ce qu'on demande , je le donne. 
Ouvrez-moi , je suis le bon Dieu ! 

J'aime le peuple. Sur la terre 
Où je passai faisant le bien , 
Un pauvre ouvrier fut mon père, 
Et j'étais un bon citoyen. 

Lorsque, tous les ans, mon cortège 
De prêtres , de vierges , d'enfants , 
Semait des fleurs d'or et de neige 
Parmi les parfums et les chants, 

Je ne parcourais votre ville 
Que pour pardonner et bénir. 
Et la vieille cité de Lille 
Sous mes pas semblait rajeunir. 

Il est vrai, la place publique 
Me dressait un trône de roi ; 
Mais que craint votre politique 
D'un Prince de paix comme moi? 



C'est pourquoi, du temps de vos pères. 
Les bourgmestres, vos devanciers, 
En ce jour, avec des prières. 
Près de moi marchaient les premiers. 

Mais vous, vous me fermez la rue, 
Et vous la pavoisez , hélas 1 
Lorsque la hideuse cohue 
Fait un triomphe à Barabbas. 

Même vous supprimez l'escorte 
Qui , paisible , m'accompagnait 
Quand j'allais frapper à la porte 
Du moribond qui m'invoquait. 

Il faut qu'en secret je me glisse 
Auprès du lit du malheureux, 
El que j'évite la police , 
Comme si j'étais un lépreux. 

Ah ! quand Samarie infidèle 
Fit pareil outrage à son Dieu , 
Mes amis voulaient que sur elle 
Ma voix nt descendre le feu. 

Je n'en fis rien. Je plains, je pleare 
Ceux qui ne veulent point de moi , 
Et patiemment j'attends l'heure 
Qui les remettra sous ma loi. 

J'attendrai. Peut-être vous-même 
M'appellerez, pauvre mourant, 
Et vous apprendrez combien j'aime 
A me venger en pardonnant. 



C'est pour réparer cet outrage fait au saint Sacrement 
et pour dédommager la piété de nos élèves que nous dé- 
cidâmes de faire une procession annuelle dans nos gale- 
ries et nos jardins, le vendredi fête du Sacré-Cœur. La 
première fut magnifique. Nous en rendîmes compte ainsi 
le dimanche suivant : 



XVII 

LA PROCESSION DU SAINT SACREMENT 

LE VENDREDI DU SACRÉ CŒUR 
12 JUIN 1885 



ALLOCUTION A LA MESSE DU DIMANCHE 14 JUIN 

La journée de vendredi a été une belle journée. 
C'était bien la Fête-Dieu, la fête du cœur de Dieu, 
et ce cœur a dû être grandement content de vous. 
Ce n'est pas sans doute que cette fête et cette pro- 
cession limitées à notre collège, à nos galeries, à 
nos jardins , puisse se comparer à ce triomphe que 
naguère votre religieuse ville faisait à Jésus -Christ, 
parcourant en Roi de douceur vos rues et vos places 
publiques. C'était une fête incomparable que celle- 
là, mes enfants, et je n'oublierai jamais ce que j'ai 
vu ici dans les premières années de mon séjour 
parmi vous : toute une ville catholique, ses séna- 
teurs, ses magistrats, ses citoyens, ses prêtres , ses 
vierges , ses enfants se portant en masse sur les pas 
de ce Souverain invisible, dans la cité transformée 
en un jardin immense; et par ses chants, ses 
prières, l'hommage lige de tous les cœurs, faisant la 
cité de la terre semblable à la cité des Cieux. Mais 
puisque ce culte rendu à la majesté divine a été 



246 LA PROCESSION DU SAINT SACREMENT 

tenu pour un outrage aux puissances terrestres; 
puisque la présence de Dieu est devenue gênante 
pour la liberté des hommes; puisque son pacifique 
cortège est une conspiration et un danger politique; 
puisque déjà la menace, l'outrage, l'entrave et jus- 
qu'au blasphème se dressaient sacrilègement et im- 
punément devant ses pas, nous n'avions plus qu'à 
reprendre notre Jésus avec nous; et secouant sur 
les ingrats la poussière de nos pieds, avec Jésus 
nous sommes rentrés de Bethphagé à Béthanie*, 
du triomphe dans l'intimité. Et là, nous faisant un 
devoir, un bonheur de le consoler, nous lui avons 
dit : « Seigneur, pardonnez à votre peuple I » Puis 
nous lui avons protesté que nous , la famille de ses 
amis, nous lui ferions un peuple; et, conviant à le 
fêter ses disciples vraiment fidèles , pères , mères , 
prêtres et enfants, nous lui avons décerné une 
ovation domestique à laquelle a manqué la grande 
foule, mais à laquelle n'ont manqué ni les fleurs 
ni l'amour, ni l'encens ni les cœurs. 

En vérité, mes chers fils, notre Seigneur et Roi 
a dû sourire dans son divin Sacrement, lorsque sous 
ce dais si riche, si gracieux dont nous ombragions 
sa tête pour la première fois , il voyait votre pompe 
relijgieuse se déployer harmonieusement à travers 
nos cours parées pour son passage. Notre maison 
tout entière était devenue un temple. Et dans ce 
temple il y avait autant de tabernacles que vous 
étiez d'âmes , car vous aviez presque tous commu- 

* Matlh., XXI, 17. 



LA PROCESSION DU SAINT SACREMENT 247 

nié le matin. Pareils à ces disciples pour lesquels 
Jésus-Christ venait de multiplier et de distribuer le 
pain au désert, maintenant vous, chers communies, 
vous vouliez comme eux le prendre et Tacclamer 
pour Roi. Et quelle belle cour vous lui faisiez, vous, 
enfants desquels il a dit qu'à vous appartient le 
royaume des Cieux ! Je me rappelais, en vous voyant, 
cette belle .parole de Bossuet : « La magnificence de 
notre roi Jésus passe à de tels excès, qu'il ne veut voir 
à sa cour que des têtes couronnées. » Vos étendards 
de classe dressaient à travers le feuillage les devises 
de votre chevalerie, comme autant de protestations 
de fidélité à son service. Et quand il s'avançait 
parmi ces allées bordées d'arbustes fleuris , sous 
un ciel doré par la lumière du soir, aux derniers et 
doux feux d'un soleil près de disparaître , je me 
reportais à cet âge heureux où l'innocence et la 
paix habitaient le Paradis, duquel il est écrit que 
Dieu s'y promenait comme un père de famille dans 
son jardin : Deus autem amhulahat in horto. 

Et ce Dieu je le portais, je l'avais devant moi I Et son 
saint Sacrement reposait entre mes mains ! Quelle 
joie et quelle épouvante I Perdu dans ses rayons, noyé 
dans sa lumière, j'invitais à le bénir toute cette nature 
religieuse à qui je disais ces paroles des Livres ins- 
pirés : « fleurs, répandez pour lui la douce odeur 
de l'encens; fleurs, fleurissez comme le lis, donnez- 
lui votre parfum; feuillage, verdissez pour lui plaire; 
belle nature, formez un concert à sa louange, et bé- 
nissez le Seigneur dans les ouvrages de ses mains. » 



248 LA PROCESSION DU SAINT SACREMENT 

Quasi Libanus odorem suavitatis hahete; florete, flo- 
res, quasi lilhim, et date odorem, et frondete in 
gratiam, etcoUaudate canticuniy et benedicite Domi- 
num in operibus suis. (Eccli. xxxnc, d8-20.) 

Cependant là, si près de lui, je l'entendais, je 
lui parlais, je conversais avec lui face à face comme 
autrefois Moïse avec le Seigneur. Il me disait, 
comme à ses apôtres dans l'Évangile : « Laissez 
venir à moi les petits enfants. » Il me disait pour 
vous : « Gardez-vous bien de négliger un seul de 
ces petits , car leurs anges voient sans cesse la face 
de mon Père qui est dans les Cieu^. » Il me disait 
encore, et cela était pour moi : « Je suis le bon 
Pasteur; le bon pasteur donne sa vie pour ses 
brebis. » Il me parlait de la ville ingrate qui ne 
voulait pas le recevoir : « Jérusalem, Jérusalem 1 
si tu avais connu le jour de ma visite î » Il me par- 
lait par contre de ceux qui, en ce jour, lui faisaient 
ce grand accueil : « Aujourd'hui le salut est entré 
dans cette maison! d Et moi, confus, accablé de 
ma misère et de sa miséricorde, je lui répétais à 
chaque pas : « Seigneur, je ne suis pas digne que 
vous entriez dans ma maison; mais dites seule- 
ment une parole, et vos serviteurs seront guéris. » 
Je lui présentais ma jeune £simille ; je la lui consa- 
crais : t Me voici, moi et les enfants que vous 
m'avez donnés. ^ Je pensais à nos cœurs souffrants, 
à nos consciences blessées : « Seigneur, mon fils 
est paralytique, hélas! il ne marche plusl — Sei- 
gneur, voici que celui que vous aimez est malade ! » 



LA PROCESSION DU SAINT SACREMENT 249 

Je pensais à TÉglise de France, à l'Église catholique, 
à la chrétienté entière : « Seigneur, quand est-ce donc 
enfin que vous rétablirez votre règne dans Israël? » 

C'est ainsi que nous avancions par un parcours 
champêtre vers l'autel où s'élevait le trône du Roi 
des rois; et quand nous y fûmes montés comme 
sur un autre Thabor, je ne sus plus que lui dire : 
a Seigneur, nous sommes bien ici, dressons-y notre 
tente. » Ce fut le moment solennel; et lorsque, 
de là élevant le divin sacrement pour la bénédic- 
tion, je vis à genoux au pied de l'autel les véné- 
rables prêtres venus de nos paroisses, puis la cou- 
ronne des lévites avec leurs encensoirs, puis les 
enfants avec des fleurs, puis la double et triple 
ligne rangée de vos uniformes; puis, derrière vous, 
cette ceinture de vos pères et mères agenouillés sur 
la pelouse et priant avec vous, pour vous, j'eus 
une vision anticipée de ce que nous verrons un 
jour dans la Jérusalem céleste, lorsque nous appa- 
raîtra l'Agneau divin sur son trône, et qu'autour de 
lui se tiendront les adorateurs en robes blanches, 
tenant des palmes dans leurs mains, et que les 
vieillards se prosterneront devant sa face , et que 
tous ensemble chanteront : « AmenI Bénédiction 
et gloire , action de grâces , honneur et puissance 
à notre Dieu dans tous les siècles. Amen I j 

Mais Dieu, mes chers fils, ne donne pas de telles 
journées pour que l'impression s'en aiUe et s'éva- 
pore avec l'encens de l'autel et le son des can- 
tiques. Quand un prince a passé dans la demeure 

11* 



250 LA PROCESSION DU SAINT SACREMENT 

des hommes, un marbre commémoratif avec une 
inscription en perpétue le souvenir : Ad perpetuam 
rei memoriam. Notre empereur et roi Jésus a passé 
aujourd'hui parmi nos cours et nos jardins , il n'y 
sera plus oublié. Ces lieilx demeurent consacrés; 
nos récréations y seront désormais sanctifiées. Il 
aura parfumé l'air que nous y respirons; il aura 
béni de ses pas le sol que nous foulons; et c'est 
avec religion que nous parcourrons les lieux où 
ses pieds ont posé : Adoràbimus in loco ubi stete- 
runt pedes ejus. 

Et puis, pourquoi ne le dirais -je pas? un autre et 
saint espoir sort pour moi de cette journée, plus con- 
fiant que jamais. Lorsque les Patriarches avaient eu, 
dans quelque station de leur pèlerinage, la vision du 
Très -Haut, ils dressaient une pierre en ce lieu; ils 
y répandaient quelques gouttes d'huile, et ils se di- 
saient: « Ce lieu est saint, c'est la maison de Dieu. » 
Vere Dominus est in loco isto, et ego nesciébam. Non 
est hic aliudnisi domusDei et porta cœli. Cette pierre 
ainsi consacrée devenait alors un autel. Mes chers 
fils, une maison de Dieu, un temple à Jésus -Christ 
ne s'élèvera-t-il point perpétuel et durable au lieu 
où nous a été donnée sa visite d'une heure? Je lui 
en ai fait la prière. Puisse-t-il l'exaucer bientôt, et, 
nous accordant de lui construire un sanctuaire là où 
il a daigné accepter un reposoir, nous donner enfin, 
dans une demeure permanente , quelcjue image de 
ce Ciel dont celte tente n'était que la porte et cette 
fête un avant-goût. Ainsi soit-il! 



XVIII 



L'ÉDUCATION NATIONALE 



«... QuVt-on mis à la place de Téducation religieuse, que 
tant de bons esprits ont proclamée Décessaire? On a mis à la 
place, comme toujours, un mot sonore, retentissant, un de 
ces mots dont M. Thiers voulait parler quand il disait, dans 
Tenquête parlementaire sur le 4 septembre : « 11 y a des mo- 
ments dans notre pays où tout le monde dit une chose, la 
repète, finit par y croire; et, tous les sots se mettant de la partie, 
il n'y a plus moyen de résister. » 

<i On a dit : <« Nous donnerons une éducation nationale ! » 

il Qu'est-ce donc. Messieurs, que Téducation nationale? C'est 
un mot qui brille, qui fascine, qui étourdit... Mais qu'est-ce 
qu'il y a dedans ? Pour le savoir, le mieux est de le demander 
à ceux qui l'ont inventé, Condorcet, Lakanal, Michel Lepel- 
letier, Robespierre, Danton... dont les lauriers empêchent 
M. Ferry et M. Hérold de dormir, et dont M. Floquet répétait 
hier, à la Chambre : << Le premier acte de la Convention a été 
de constituer une grande éducation nationale, commune à tous 
les citoyens. » 

(( ... Or cette éducation soit-disant nationale, qu'était -elle, 
sinon le plus odieux des despotismes? Et quand je l'entends 
appeler de ce nom, qui évoque tous les grands souvenirs et 
qui rappelle tous les dévouements, je suis saisi d'une profonde 
indignation. 

« Nationale, et à quel titre? Je croyais, moi. Messieurs, que 
le sentiment national était celui qui embrasse dans un même 
culte toutes les traditions du pays, qui s'enorgueillit de toutes 
ses grandeurs, et qui, passionné pour sa gloire, ne consent pas 
plus à la rabaisser dans le passé qu'à la compromettre dans le 
présent et à la désespérer dans l'avenir. » 

M. LE COMTE Albert de Mun. 
Discours au Cirque d'été, 10 juillet 1879. 



XVIII 



L'EDUCATION NATIONALE 



DISCOURS 

Prononcé dans la solennité delà distribution des prix, le 3 août 1885, 

sous la présidence de Mgr Dennel, évéqne d'Arras, 

autrefois supérieur de Tancien collège Saint-Joseph de Lille. 



Monseigneur, 

L'arbre que vous avez autrefois planté et arrosé 
agrandi aujourd'hui; et combien il s'estime heureux 
et honoré que vous veniez vous asseoir un instant 
à son ombre! C'est beaucoup par votre bienfait qu'il 
a été transplanté sur ce sol nouveau, où les oiseaux 
du ciel, qui sont les âmes, sont venus en plus grand 
nombre s'abriter sous ses branches. 

Ce n'est pas, vous le savez, qu'il ne se soit res- 
senti du mauvais temps que nous traversons depuis 
quelques années. Il a été rudement secoué par l'ou- 
ragan; même un jour il a pu craindre d'être déra- 
ciné. Mais bientôt ses jeunes habitants, un moment 
envolés et ralliés aux alentours , sont revenus plus 



264 L'ÉDUCATION NATIONALE 

nombreux , confiants qu'ils étaient en Celui qui ne 
laisse pas un passereau tomber à terre sans sa per- 
mission. Et voici qu'ils se sont remis à vivre, à 
grandir et à chanter sans trop de souci, semble-t-il, 
de la tourmente et du vautour. 

Vous les connaissez presque tous, Monseigneur, 
il n'est pas un seul de leurs nids dont vous ne sa- 
chiez le nom. Eux aussi savent votre nom, cher à 
toutes leurs familles , et voilà pourquoi en ce jour 
notre joie à tous est parfaite ; car si vous êtes chez 
vous partout quand vous êtes à Lille, vous ne 
l'êtes nulle part davantage que lorsque vous êtes, 
comme ici , chez les enfants de vos enfants. 



I 



Et maintenant qu'il me soit permis de m'adres- 
sor à ces familles et aux aînés de leurs fils, pour 
une explication que je dois au temps présent. La 
question quej'aborde touche à l'honneur catholique, 
car il s'agit de savoir si, comme on se plaît à le dire 
dans certaines régions, il n'y a en France d'enseigne- 
ment national, d'éducation nationale que l'enseigne- 
ment oniciel, que l'éducation officielle, qui en con- 
tis(|ue le nom. 

Jo iw puis le croire, Messieurs. Je ne puis 
cn)iro qu'eu raison de notre christianisme, de notre 
cttthoUt'isnHS la nation à laquelle nous sommes fiers 
d'appartonir nous soit tellement étrangère, elle, son 
esprit, sou pn^ix'^s^ son passé, son avenir, qu'un 



L'ÉDUCATION NATIONALE 255 

autre enseignement puisse venir en face de nous 
s'adjuger le privilège exclusif de la représenter, en 
se faisant une réclame de ce titre de national qu'il 
affiche partout. 

A dire vr?ii, c'est même tout le contraire que je 
crois. Et si l'éducation véritablement nationale est 
celle qui comprend le mieux le génie, la tradition, 
l'honneur, la grandeur, les besoins d'une nation; 
si c'est celle qui, lui faisant le plus de bien, la porte 
au plus haut point de son développement, celle qui 
l'a formée, celle qui l'a conservée, celle qui seule 
la sauvera, alors je n'hésite pas à le proclamer, et je 
demande à le démontrer : en fait d'enseignement, et 
en fait d'éducation, il n'y a de national en France 
que ce qui est chrétien; c'est le sujet de ce discours. 

Et d'abord, il faut qu'on le sache, une nation ne 
doit pas se confondre avec le pouvoir qui la régit 
à telle heure ou dans telle crise accidentelle de son 
existence. Une nation , par son caractère, son esprit, 
ses croyances, sa vie morale enfin, déborde le 
cadre des événements çt des révolutions, et elle 
échappe à l'étreinte de ces régimes d'un jour. Les 
régimes passent, mais la race demeure; et c'est dans 
le génie de la race qu'il faut chercher ce fond natio- 
nal inahénable qui, sous les changements de formes 
et la succession des hommes , reste encore aujour- 
d'hui ce qu'il était hier et ce qu'il sera demain. 

Or, on l'a dit cent fois , le fond national en France 
est essentiellement rehgieux. La religion et la patrie 
ont formé dans Tâme de notre nation deux courants 



256 L'ÉDUCATION NATIONALE 

qui mêlent leurs eaux et coulent dans le même lit , 
creusé dans la main de Dieu. On ne tarit pas un de 
ces courants sans appauvrir Tautre. C'est à ce point 
que, parmi nous, déchristianiser les choses c'est 
les défranciser, si on me permet ce mot. 

Une pareille identification est aussi incontestable 
qu'elle nous est honorable, et un regard jeté sur les 
principales branches de l'enseignement classique 
nous convaincra que cet enseignement ne saurait 
être français qu'en demeurant chrétien. 

Je considère d'abord notre Littérature. Si par litté- 
rature nationale nous entendons celle qui, sortie du 
sein même de la nation, est l'expression de son génie 
et a fait l'honneur de son nom , nous en avons une, 
Messieurs, et nous pouvons en être fiers. C'est 
celle qui répond aux noms de Bossuet et de Fénelon, 
de Corneille et de Racine, de la Fontaine et de 
Sévigné; et combien d'autres encore qui , ensemble, 
ont constitué ce patrimoine littéraire sur lequel 
trois siècles ont vécu , en l'enrichissant chaque jour. 
Us n'avaient pas seulemei^t fait de la langue de la 
nation une langue immortelle, mais ils avaient fa- 
çonné, modelé à leur image l'esprit de la nation, 
en lui imprimant ce cachet de bon sens et de bon 
goût, de simplicité et de' grandeur, de dignité et 
d*aisance^ qui forment ce composé de rares perfec- 
tions que r£uix)pe saluait jadis du nom d'esprit 
français. 

C'était bien la littérature nationale, celle-là, celle 
d'une grande nation produisant un grand siècle. 



L'ÉDUCATION NATIONALE 257 

Mais alors elle parlait chrétien ; et je pourrais vous 
montrer que c'est à cause de cela qu'elle parlait si 
bien français. Depuis ce temps, le langage chrétien 
s'en est allé; mais le français est -il resté? est- il 
resté dans nos livres , dans notre presse , dans notre 
poésie , dans notre théâtre, dans notre tribune môme? 
Où en est la langue française, sa correction, ses 
formes, sa pureté, sa règle? Où en est l'esprit 
français, sa finesse, sa mesure, sa distinction, sa 
grâce? Où en est, dans les lettres, l'honnêteté 
française, la décence, la noblesse, le respect des 
autres et de soi-même? Où en est le goût fran- 
çais, et quelles œuvres « font les délices de 
la ville et de la cour »? comme on disait autre- 
fois. En vérité, quand est-ce qu'il convient mieux 
de redire la méprisante parole que Montesquieu 
jetait à ses tristes contemporains : « On ne saurait 
croire jusqu'où a été, dans ce siècle, la décadence 
de l'admiration. y> 

Cette admiration de décadence, nous l'avons vue 
portée, dans l'année où nous sommes, jusqu'à 
l'apothéose. Mais , dussé-je être accusé de blasphé- 
mer les dieux du jour, je ne puis me résoudre à 
reconnaître des muses nationales dans ces bac- 
chantes échevelées auxquelles on décerne le sacri- 
lèges honneurs du Panthéon. Cela n'est pas natio- 
nal , qui égare une nation , l'abaisse et la corrompt. 
Le violent, le forcé, le faux et le hideux ne seront 
jamais choses nationales en France. L'esprit public 
le repousse ; et voilà pourquoi l'enseignement pu- 



258 L'ÉDUCATION NATIONALE 

blic a beau faire, par toutes ses traditions et habi- 
tudes classiques, il demeure chrétien quand même. 
C'est ainsi que , dans le programme officiel de ses 
études, il n'a pu refuser ni le premier rang ni la 
plus large part à nos auteurs immortels des grands 
siècles croyants. Aussi bien quels autres eût -on pu 
mettre à la place qui fussent et de meilleurs maîtres 
et de plus dignes représentants de notre litté- 
rature? Mais n'est-ce pas là un aveu? et mainte- 
nir ces grands chrétiens au premier rang des pré- 
cepteurs de la jeunesse française, n'est-ce pas as- 
sez reconnaître qu'il n'y a de national en France que 
ce qui est chrétien? 

Si des Lettres je passe à V Histoire, particulière- 
ment à l'histoire de France, cette alliance indisso- 
luble de l'esprit national et de l'esprit chrétien 
s'impose plus impérieusement encore. Un grand 
évêque, le cardinal Pie, a prononcé cette parole : 
« Il y a deux choses qui n'en font qu'une en 
France : c'est le bon sens et le sens chrétien. Les 
écrivains modernes fondent en vain l'espoir d'abais- 
ser et de dépraver cet esprit national, ils n'y réussi- 
ront pas. Notre nation est née dans le baptistère de 
Reims; et les racines du pays baignent toujours 
dans les eaux de ce baptême. » Et, en effet. Mes- 
sieurs, notre tradition, notre gloire, nos expédi- 
tions, nos institutions, notre civilisation, ne sont- 
elles pas chrétiennes? Et dès lors peut -elle être 
autrement que chrétienne l'histoire de ce qu'on a si 
bien nommé les « Gestes de Dieu par les Francs »? 



L'ÉDUCATION NATIONALE 259 

N'est-ce pas le christianisme qui a tenu la plume 
pour en écrire les pages , depuis les Chansons de 
gestes et les grandes Chroniques de saint Denis, 
jusqu'à vos illustres chroniqpieurs de Flandre, 
Froissard et Comines, sans parler de tant d'autres? 
En outre et surtout, n'est-ce pas le christianisme 
qui seul possède la clef de notre destinée nationale, 
et nous en donne le sens? Et quel beau sens il don- 
nait à la mission de la France ! Quelle place il lui 
assignait dans la famille des nations! En consé- 
quence quelle fierté, quel respect et quelle fidélité 
à cette grandeur héréditaire il inspirait à ses fils ! 
A tous ces signes j'ai reconnu un enseignement na- 
tional. Mais je ne le reconnais plus dès qu'on en a 
banni ce qui éclaire tout, anime tout, relève tout. 
Pour qui n'écrit pas ou ne lit pas nos annales 
avec l'esprit de foi, l'histoire de France est une 
énigme , rien ne s'explique plus. Expliquez donc 
sans la foi Clovis et Charlemagne, et saint Louis, et 
Jeanne d'Arc, et Bayart, et les Croisades, et la 
Ligue, tout notre passé militaire, tout notre passé 
politique et intellectuel ! 

L'impuissance est manifeste ; et devant cette im- 
puissance il n'y avait qu'un parti à prendre, c'était 
de dénaturer les choses et de travestir les per- 
sonnes. On ne s'en est pas fait faute, et l'histoire 
est devenue, depuis soixante ans, « cette conju- 
ration contre la vérité d dont parle le comte de 
Maistre. Il y avait un autre parti : c'était de dire 
que l'histoire de France, comme la France elle- 



260 L'ÉDUCATION NATIONALE 

même, ne date que de 89, en reléguant dans Tombre 
commode des temps préhistoriques ces quatorze 
cents ans qui sont des siècles de ténèbres parce que 
la foi chrétienne en était le flambeau ! A ce thème de 
la nouvelle école on voit assez ce que l'histoire a 
gagné en vérité; on pressent ce que d'autre part 
elle gagne en moralité. On devine, par exemple, 
combien le patriotisme français doit profiter à ce 
dédain systématique de tout ce qui fut la France de 
nos pères. Aussi bien, voici que plusieurs s'en vont 
disant que désormais il n'y a plus de patrie, qu'il 
n'y a que l'humanité ; il n'y a plus de citoyens , il 
n'y a que des hommes ; et quels hommes ! Ils ont 
montré ce qu'ils valent et ce qu'ils font de la pa- 
trie , à certaines heures sinistres ; on ne s'en sou- 
vient que trop. D'autres, et en plus grand nombre, 
s'en vont répétant que ce la patrie est partout où l'on 
est bien » , ce qui veut dire qu*elle est partout où 
l'on s'amuse et où l'on fait fortune. Si ce sont là 
les conclusions pratiques de l'histoire telle qu'on 
l'a réformée, convenez qu'en cessant d'être chré- 
tienne elle n'en est pas devenue plus française pour 
cela; et laissez-moi m'en tenir d'autant plus forte- 
ment à ma conclusion : à savoir qu'en fait d'his- 
toire, comme en fait de littérature, il n'y a de national, 
en France, que ce qui est chrétien. 

J'en pourrais dire autant de la Philosophie, Nous 
avions la nôtre, en France; et quelle philosophie 
que celle qui s'en allait de saint Anselme à Des- 
cartes, de Descartes à Malebranche, en touchant, 



L^ÉDUCATION NATIONALE 261 

à travers les siècles , tous les sommets lumineux de 
l'intelligence humaine I Nous nous en sommes las- 
sés; nous lui en avons voulu, comme les fils de 
Jacob en voulaient à Joseph, parce qu'elle élevait 
ses regards plus haut que la terre, parce qu'elle 
lisait aux cieux, parce qu'elle était croyante, qu'elle 
faisait de la métaphysique. Ecce somniator venit; 
c'est une rêveuse, avons -nous dit; et nous l'avons 
d'abord précipitée, elle aussi, comme Joseph, dans 
une citerne , ce trou sans air de la psychologie dans 
lequel Théodore Jouffroy se plaignait d'étouffer; 
puis nous l'avons vendue à des maîtres étrangers. 
Hier c'était aux Allemands, à Kant, à Fitche, à 
Hegel; aujourd'hui c'est aux Anglais, à Herbert 
Spencer, à Darwin. Mais, pour être devenue anglaise 
ou allemande, notre philosophie en est- elle plus na- 
tionale pour cela? En est- elle plus lumineuse pour 
habiter sous les brouillards du Rhin et de la Tamise? 
En est-elle plus élevée pour être descendue du spi- 
ritualisme au matérialisme, de la pensée à l'instinct, 
et de l'ange à la bête?... Je n'insiste pas. Messieurs)^ 
mais vous me permettrez de vous demander si cette 
science alourdie, ce positivisme étroit, cette langue 
pédantesque et barbare, ressemblent en quelque 
chose à la langue, à l'élan, à l'esprit de la France? 
Tout cela nous ressemble à peu près comme l'oi- 
seau de nuit, la chouette, qu'Athènes avait. donnée, 
je ne sais pourquoi, pour emblème de la sagesse à 
sa Minerve païenne, ressemble à l'alouette gauloise, 
l'alouette du matin, qui, elle, monte et chante au 



262 L'ÉDUCATION NATIONALE 

soleil, nageant dans la lumière et la liberté. Encore 
une fois n'insistons pas; et de la philosophie comme 
de rhistoire et des lettres, nous sommes en droit 
de dire qu'elle n'est plus nationale dès qu'elle n'est 
plus chrétienne. 



II 



Je n'ai encore parlé que de I'Enseignement na- 
tional, ou de la formation intellectuelle de l'homme : 
rÉDUCATiON nationale ou sa formation morale est un 
autre grand domaine dont la hbre pensée et les 
corps officiels s'adjugent le monopole. A quels titres 
le réclament-ils? Je ne les examine pas, je ne les 
discute pas; mais j'oserai présenter les nôtres en 
regard des leurs. Vous prononcerez ensuite. 

L'éducation nationale est pour nous première- 
ment une éducation morale, Ahl sans doute on la 
veut bien pareillement morale dans une autre école ; 
mais par le même mot nous n'entendons pas abso- 
lument la même chose; et si, comme je le crois, 
nous tendons au même but, c'est par un autre 
chemin. 

Ainsi, tout d'abord, en tête de notre code de mo- 
rale nous ne plaçons pas les droits de l'homme; 
mais nous croyons plus juste de mettre les droits 
de Dieu. Si nous parlons quelquefois à l'enfant de 
la Uberté, nous l'entretenons plus souvent encore 
de l'autorité; et la soumission, non l'insurrection, 
est regardée par nous comme le plus saint des de- 



L'ÉDUCATION NATIONALE 263 

voirs. Tout en n'ignorant pas que l'homme n'est ni 
ange ni bête, nous mettons cependant l'ange fort 
au-dessus de la bête, et c'est pourquoi chez nous 
l'éthique l'emportera toujours sur la gymnastique. 
Encore moins remplacerons -nous la morale chré- 
tienne par la morale civique, laquelle ne repose 
sur rien; et nous continuerons de demander à 
l'Évangile ces vertus nationales qui furent les vertus 
de nos pères. 

Aussi bien cette vieille morale n'en est plus à 
faire ses preuves. C'est elle, et elle seule, qui de 
tout temps a donné à la France des hommes, de ces 
vrais hommes qui, à l'heure du péril, deviennent 
de vrais soldats, parce qu'ayant lu « qu'il ne faut 
pas craindre ceux qui ne tuent que le corps et ne 
peuvent perdre l'âme », ils sacrifient cette vie avec 
d'autant plus d'élan qu'ils comptent, comme ils 
disent, sur une vie de rechange. C'est elle qui lui 
a donné ces loyaux magistrats qui rendent des ar- 
rêts d'autant plus équitables qu'ils les prononcent 
devant Celui qui juge les justices. C'est elle qui 
lui a donné ces hommes publics, hommes d'État 
et hommes d'affaires, qui n'auraient eu qu'à se bais- 
ser pour ramasser des millions; mais « il eût fallu * 
se baisser », selon le mot de Berryer, et ils sont res- 
tés droits. Eh bien, morale pour morale, qu'on nous 
laisse préférer cette morale héréditaire qui aurait 
bien encore son utilité, même aujourd'hui. Nous ne 
croyons pas en cela désobliger la patrie, quand cette 
patrie est celle où jadis on se consolait d'avoir tout 



264 LȃDUGATION NATIONALE 

perdu, quand l'honneur restait sauf; et en cela 
encore, pour être vraiment nationale, notre éduca- 
tion morale devra rester chrétienne. 

L'éducation nationale est pour nous, en second 
lieu , une éducation religieuse. Nous sommes l'école 
de Dieu, et nous ne croyons pas à l'éducation de l'é- 
• cole sans Dieu. Je l'ai déjà proclamé précédemment 
dans cette enceinte, en une fête semblable; je ne 
reprendrai pas ce programme. Mais puisque aujour- 
d'hui, ici, il s'agit particulièrement de vertus natio- 
nales et de principes sociaux , je m'en tiendrai aux 
trois grands principes qui constituent, a-t-on dit, 
notre fond national, sous le nom de Liberté, d'Éga- 
lité et de Fraternité. Ils ne peuvent manquer d'être 
.présents à tous les esprits, car nous les avons 
inscrits sur tous les murs. Pour nous, chrétiens, 
nous les gravons dans le cœur de nos enfants, 
mais en ayant soin d'en demander d'abord le 
vrai sens à un maître qije nous avons placé à la 
tête de nos maîtres. C'est lui qui est notre grand 
maître de l'Université et notre ministre inamovible 
de l'instruction publique : Notre-Seigneur Jésus- 
Christ. 

Nous nous sommes donc souvenus que Jésus- 
Christ était venu pour rompre les fers des captifs et 
émanciper les esclaves du mal, délivrer les âmes 
par sa grâce, affranchir les esprits moyennant la 
vérité, et préparer des hommes libres en les rendant 
dignes de l'être; et nous avons fait de lui le maître 
de la vraie Liberté. Nous nous sommes souvenus 



L'ÉDUCATION NATIONALE 265 

qu'il avait appelé à lui les bergers et les mages, les 
petits comme les grands, les pauvres comme les 
riches, les serviteurs et les maîtres, les Juifs et les 
Gentils, les Grecs et les Barbares, leur ouvrant 
également ses bras pour les élever, les porter jus- 
qu'au trône du royaume des Cieux; et nous avons 
fait de lui le maître de la vraie Égalité. Nous nous 
sommes souvenus qu'il avait été l'ouvrier de Naza- 
reth, le compagnon des papvres, le divin médecin 
des malades , le consolateur des affligés , le nourri- 
cier des foules, et nous avons fait de lui le maître et 
le modèle de la vraie Fraternité. En cela nous 
n'avons feit que lui rendre ce qui était à lui, car il 
n'est aucune de ces choses qui n'ait été chrétienne 

t 

avant d'être française; et « le Christ, qui aime les 
Francs » , les avait mises dans l'esprit et les mœurs 
de nos pères avant que nous les eussions mises or- 
gueilleusement dans nos codes. Ces conquêtes mo- 
dernes, comme on les appelle, ont été d'abord des 
conquêtes chrétiennes; et s'il faut en remercier 
quelqu'un avant tous les autres, c'est celui dont 
François l^^ écrivait à sa mère , le soir de la bataille 
deMarignan, a qu'il fallait faire remercier Dieu, car, 
sans point de faute , il s'est montré bon Français. » 
Enfin l'éducation nationale, pour nous, c'est l'édu- 
cation catholique romaine. Mais là est le grand 
reproche, et l'objection capitale. Nous recevons 
notre direction d'au delà des frontières. Or une telle 
direction peut- elle être nationale? nous deman- 
dent les hommes du jour. Il est vrai que, en eflfet, 

12 



266 L'ÉDUCATION NATIONALE 

nous prenons le mot d'ordre de la vérité là où Jésus- 
Christ Ta mise. La voulant infaillible, nous ne l'em- 
pruntons pas aux assemblées issues du suffrage 
populaire et aux oracles du pouvoir. La voulant 
autorisée au for intime des âmes, nous ne la deman- 
dons pas aux puissances temporelles et aux corps 
constitués de l'enseignement d'État. Nous hésitons à 
jurer sur la parole des hommes, et notre indépen- 
dance consiste à ne vouloir recevoir nos croyances 
que de la main de Dieu. Voilà pourquoi nous allons 
au Vicaire que ce Dieu de toute vérité s'est donné 
sur la terre. Mais, bien que ce représentant de son au- 
torité habite au delà des monts , il n'est pas pour cela 
un étranger, loin de là. Il s'appelle le pape, c'est-à-dire 
le père; et depuis quand un père est-il un étranger 
pour sa propre famille? De plus il est reconnu que 
ce père a pour notre nation, qui est sa fille aînée, 
une prédilection qui n'a cessé de faire de lui notre 
meilleur conseil et notre plus solide appui. A quel 
cœur français peut- il donc être suspect? 

Enfin, de même qu'autrefois il a, lui et les évêques, 
fait la France de nos aïeux « comme les abeilles 
font leur ruche », de même encore aujourd'hui il 
tient seul entre ses mains les doctrines et les prin- 
cipes qui refont les sociétés, et pourraient remettre 
la nôtre à la tête des nations. Qu'on ne redise donc 
plus, à propos de notre enseignement, que nous 
faisons deux Frances séparées l'une de l'autre, 
deux nations l'une dans l'autre, sinon opposées et 
armées l'une contre l'autre. C'est nous, au con- 



j 



L'ÉDUCATION NATIONALE 267 

traire, qui sommes l'unité, mais Tunité dans la 
vérité. Le vrai patriotisme consiste à mener la jeu- 
nesse, c'est-à-dire l'avenir, à Celui qui fera la 
première de ces choses en lui donnant la seconde. 
C'est là, et là seulement, qu'elle prendra les leçons 
d'une éducation d'autant plus nationale qu'elle sera 
davantage catholique romaine. 

A vous d'y travailler, pères et mères de famille, 
en mettant au premier rang de vos sollicitudes le 
r^ne de Jésus-Christ dans l'âme de vos enfants. 
Un de ces derniers matins, ouvrant ma Bible, j'y lus 
ces mots énergiques, qui me frappèrent beaucoup : 
Regnantïbus impiis, ruinse hominum : ce Règne de 
l'impiété, ruines d'hommes. » 

Des ruines d'hommes. Messieurs, n'en sommes- 
nous pas entourés? Des âmes en ruine, des intelli- 
gences en ruine, des consciences en ruine, n'est- 
ce pas le spectacle universel? A quoi cela tient -il? 
Regnantïbus impiis. Rétablissez le règne de Dieu, 
et par le règne de Dieu les âmes et la société se 
relèveront de leurs ruines. 

Ce sera beaucoup votre ouvrage, à vous aussi, 
mes enfants. A vous de nous préparer de magna- 
nimes citoyens , en étant et en demeurant toujours 
de vrais chrétiens. Vous en avez l'ambition, et j'aime 
à rappeller un jour de cette année où vous en portiez 
très haut le témoignage. C'est il y a deux mois, 
lorsque la longue procession des enfants et des pa- 
rents faisait cortège au très saint Sacrement dans les 
jardins du collège. Devant l'autel chaippêtre rayon- 



/ 



268 L'ÉDUCATION NATIONALE 

nant de lumières, éclatant d'or et de fleurs, entouré 
d'encens, de prières et d'harmonies, vous éleviez 
les bannières de chacune de vos classes , avec leurs 
inscriptions militantes ou triomphantes. On pouvait 
en remarquer une où se lisaient ces mots : Pro Deo 
et Patria : « Pour Dieu et la Patrie. » C'était bien 
notre devise. La bénédiction divine est descendue 
sur elle; elle ne restera pas lettre morte, et l'on 
saura un jour, en vous voyant à' l'œuvre , que le 
vrai patriotisme est le vrai christianisme, et que les 
meilleurs enfants de la France sont les meilleurs 
enfents de l'Église et de Dieu. 






XIX 



LES OBSÈQUES DU R. P. PILLON 



Le R. P. Pillon, après avoir quitté le collège Sainl- 
Joseph, s^était retiré dans une maison voisine, au bou- 
levard Vauban, à la tête d^une petite communauté de ses 
religieux. C'est là qu'il vivait dans la retraite et la prière, 
entouré de la vénération universelle. 

Il n'apparaissait au collège que dans de très rares cir- 
constances. Il accepta seulement une fois de présider le 
banquet annuel des anciens, et il y fut l'objet d'un véri- 
table triomphe d'affection et de reconnaissance. 

S'étant rendu à Rome, en 1884, pour l'élection d'un 
Supérieur général de la compagnie de Jésus , le vieillard 
y ressentit la première atteinte du mal qui devait l'em- 
porter. 

Il revint en France, où il vécut encore quelque temps 
dans une douce préparation à la mort, qu'il sentait 
proche. Il remit tranquillement son âme à Dieu, le 
24 novembre 1885. 



XIX 

LES OBSÈQUES DU R. P. PILLON 

DANS L'ÉGLISE PAROISSIALE DU SACRÉ-CŒUR 

LE 26 NOVEMBRE 1885 



PAROLES PRONONCÉES AVANT L'ABSOUTE 

Dieu Ta rappelé à lui , ce père de la jeunesse et ce 
grand religieux! Lorsqu'il y a un an nous célébrions 
son jubilé sacerdotal, — avec quelle allégresse, 
vous vous en souvenez! — nous lui souhaitions les 
années de ce vieux Mathathias dont il nous retra- 
çait la vaillance dans ces combats soutenus pour la 
loi et pour la foi, au milieu de ses fils. 

Mais ce n'était pas ainsi que Dieu en avait décidé. 
Ce n'était pas non plus ce que lui demandait le ser- 
viteur fidèle qui aspirait à retourner vers lui. « Je 
suis prêt pour le grand voyage, » disait -il un 
des jours de ces vacances dernières , alors que , 
dans l'affaissement progressif de ses forces, il avait 
cru reconnaître comme la cloche funèbre qui son- 
nait son départ. C'est à cette époque qu'il demanda 
à être déchargé de la supériorité, lui que la nature 



272 LES OBSÈQUES DU R. P. PILLON 

et la grâce semblaient avoir fait pour le comman- 
dement. Le sacrifice fut entier, et Tunique sentiment 
qu'il manifesta fut la crainte que, par égard pour 
ses services exceptionnels, on ne lui laissât encore 
les honneurs d'une charge dont on avait consenti à 
lui ôter le poids. « Plus rien ici maintenant qui 
sente le supérieur, » disait -il en montrant les 
meubles de sa modeste chambre de religieux. 

De plus en plus on sentait qu'il se détachait de la 
terre pour tourner toute son âme vers le Ciel, où il 
touchait. La dernière fois qu'il dit la messe, soutenu 
par deux de ses pères, ce fut le jour de la Tous- 
saint , voulant fêter en ce monde ceux qu'il devait 
bientôt aller rejoindre dans l'autre. Puis, un de ces 
jours derniers , il se coucha tranquillement et s'en- 
dormit en Jésus du sommeil éternel : In pace in 
idipsum dormiam et requiescam. 

Mais que dis -je, mes frères? Oui, le corps était 
couché, mais l'âme restait debout, l'intelligence res- 
tait debout, le caractère et surtout le cœur restait 
debout. Tout fut grand dans cet homme, la mort 
comme la vie. Et laissant à d'autres la consolation 
de raconter un jour ce que fut cette vie, je veux 
vous dire quelque chose de ce que fut cette mort. 

C'était dans cette dernière nuit de mercredi à 
jeudi. On le veillait, et à chaque fois qu'il sortait de 
son sommeil , on surprenait sur ses lèvres des pa- 
roles d'une religion solennelle, profonde. Il semblait 
que toute sa vie, tout son magnifique passé avec 
ses souvenirs, tout le présent aussi avec ses affec- 



LES OBSÈQUES DU R. P. PILLON 273 

lions, se présentaient à lui pour recevoir son adieu 
et entendre ses volontés dernières. 

Il rappelait d'abord sa Compagnie de Jésus, cette 
société d'amour, comme il la nommait souvent avec 
saint François Xavier : Societas Jesu, soeietas amo- 
ris; et il citait les plus belles maximes de ses de- 
vanciers dans le gouvernement. 

Un moment ce fut Brugelette qui passa devant 
ses yeux. Il nomma la Belgique : « Il y a de la piété, 
de la foi dans ce pays, prononça gravement le malade. 
Il y a là de la vie et de belles traditions de famille. » 

Un peu de temps après on écoute, il parle encore. 
Il s'agit de nous maintenant, de notre Flandre mili- 
tante, de la jeune troupe que ce vaillant chef a formée 
à Saint-Joseph et qui en est sortie. Il semble qu'il 
leur parle, et on distingue ces mots : «Les jeunes 
gens d'élite doivent former un bataillon d'élite. » 

Puis tout à coup, plus tard, c'est l'image de la 
France qui vient le visiter : «Pauvre France! pauvre 
France! s'écrie-t-il. Enfin, nous sommes entre les 
mains de Dieu! » 

Monseigneur notre Archevêque avait, la semaine 
dernière, visité la résidence de la Compagnie, à Lille. 
Le vieillard mourant le revoit devant ses yeux, et en 
lui il révère une auguste représentation de l'Église 
de Dieu : « Je veux être présenté à Monseigneur! » 
dit-il avec autorité. « Mais que lui direz-vous, mon 
père? — Eh bien , je lui demanderai sa bénédiction, 
pour que j'entre le plus tôt possible en paradis. y> 

Ayant ainsi pris congé de ce qu'il avait de plus 

42* 



274 LES OBSÈQUES DU R. P. PILLON 

cher et de ce qu'il connaissait de plas grand en ce 
monde, on ne le vit plus occupé que de son âme et 
de Dieu. Ce qui lui revenait sans cesse dans le 
cœur, sur les lèvres, c'étaient les prières de la con- 
fession et de la communion. Il faisait le mouvement 
de se frapper la poitrine : Mea ctdpa, mea culpa, 
mea maxima culpa; et tout de suite il commençait à 
haute voix sa confession, que le Père Ministre devait 
le conjurer d'interrompre. Puis, à un autre moment, 
il se croyait à l'autel, il prenait le corps de Jésus- 
Cbrist, et avec un accent de religion indicible : Cus- 
todiat animam meam m vitam œtemam! Ce n'était 
pas du délire, c'étaient des élans de foi et d'enthou- 
siasme sacré. 

Il invoquait Marie; elle lui était présente, n re- 
prenait fréquemment et prononçait distinctement 
chacune des paroles de Y Ave Maria, en insistant 
sur la fin : nunc et in hora mortis nostrse. Amen. 
Enfin le grand religieux se tournait vers le père de 
la glorieuse £amille dont, depuis plus de soixante 
ans, il était l'indigne fils, comme il s'exprimait, et on 
l'entendait dire, comme en se jetant dans ses bras : 
« mon père Ignace, vous ne me repousserez 
pas! ï) 

Le lendemain, c'était le silence et ce qu'on croyait 
le sommeil; le soir, à cinq heures, 26 novembre, 
c'était la mort, la plus douce des morts. 

Dieu soit béni I il fait bien ce qu'il fadt. Et cepen- 
dant nous formions d'autres vœux et nous nourris^ 
sions d'autres espérances. Nous espérions. Sel- 



LES OBSÈQUES DU R. P. PILLON 275 

gneur, que vous rétabliriez votre royaume d'Israël , 
et que celui-là, votre disciple aimé, resterait parmi 
nous jusqu'à ce que vous vinssiez, et qu'il verrait 
votre jour et s'en réjouirait. Nous nous faisions une 
fête de le voir rentrer dans la maison dont on l'avait 
chassé; et j'en atteste ces autels, il n'y aurait pas 
eu pour nous , dans notre vie , de journée plus heu- 
reuse que celle où nous aurions remis entre ses 
mains la houlette que lui-même nous avait confiée, 
et que nous ne gardions qu'afln de la lui rendre 
un jour. 

Mais Dieu, qui Faimait, en avait jugé d'autre sorte. 
Il était temps que celui qui était de la Compagnie de 
Jésus sur la terre entrât enfin dans la Compagnie de 
Jésus dans le Ciel. Selon les divines promesses, il 
était temps que « celui qui avait légitimement et si 
longtemps combattu fût enfin couronné». Il était 
temps que « celui qui avait enseigné la foi de Dieu 
aux petits fût enfin salué grand dans le royaume 
des Gieux y>. Il était temps que « celui qui avait 
formé et instruit tant d'âmes brillât comme une 
étoile durant toutes les éternités ». 

Nous priions ici- bas pour le retenir encore; mais 
d'autres là-haut priaient pour le rappeler à eux. Ils 
ont été plus forts que nous , et je n'en suis pas sur- 
pris; ils sont si près de Dieu! C'étaient les saints 
qu'il invoquait dans sa dernière nuit : Ignace, Xavier, 
François Borgia, Régis, Gonzague, Stanislas, Rodri- 
guez, Berchmans. C'étaient ces autres saints, ses 
contemporains, et quelques-uns ses amis, dont il 



276 LES OBSÈQUES DU R. P. PILLON 

parlait tant de fois : Varin, Guidée, Ravignan, Oli- 
vaint, Pontlevoy, qui l'avaient précédé avec le signe 
de la foi et qui s'étaient endormis du sommeil de la 
paix. C'étaient aussi ses frères, ses fils et ses élèves 
de Brugelette, de Vannes, de Paris, d'Amiens et de 
Lille, jeunes gens ravis avant l'âge, sous les yeux 
de leurs parents, soldats tués à l'ennemi ou prêtres 
tués aux missions, pères de famille ou pères des 
âmes , martyrs de la foi ou martyrs du devoir, qui , 
l'ayant devancé dans le collège des élus, avaient hâte 
d'y revoir celui qui leur en avait fait désirer le 
bonheur et montré le chemin. 

Hâtez donc par vos prières , mes frères et mes fils , 
cette entrée et ce triomphe dont ces si grandes ob- 
sèques ne sont cependant qu'une lointaine et lan- 
guissante image. Aussi bien celui que nous pleurons 
ne nous est -il pas entièrement enlevé, et il nous 
reste encore quelque chose de lui. Il nous reste ses 
victoires, il nous reste ses fondations, dont nous 
sommes la plus jeune, et que, lui aussi, comme le 
guerrier Thébain, il aurait pu nommer ses filles im- 
mortelles. Il nous reste l'exemple de cette grandeur 
d'âme, à la fois sacerdotale et royale, qui le faisait 
ressembler à ce Melchisédech , roi de Salem et 
prêtre du Très-Haut, qui offrait au Seigneur le 
sacrifice du pain et du vin. Il nous reste l'exemple 
de cette bonté dans la force, de ce rayon de miel 
dans la bouche du lion, qui fut montré autrefois à 
un des juges d'Israël, et qui fut montré à notre 
génération dans cet autre Moïse, le plus doux 



LES OBSÈQUES DU R. P. PILLON 277 

comme le plus énergique entre tous les conduc- 
teurs de nos jeunes tribus dans le désert de ce 
siècle. 

Durant ces dernières années, notre Moïse, tou- 
jours devant Dieu sur la montagne de l'oraison 
ou de l'autel, ne cessait de lever les mains pour 
nous vers le Seigneur. Ah ! que de là haut encore il 
soutienne nos combats , nos interminables combats, 
en nous assurant la victoire ! 

Que de là haut il bénisse ses frères , sa société 
religieuse, au service de laquelle il est mort vaillam- 
ment, puisque c'est à son service, à Rome, qu'il fut 
atteint, pour la première fois, du coup dont le noble 
vétéran ne devait pas guérir. 

Qu'il bénisse ses ennemis et ceux de sa société, 
puisque, hélas! il en eut. Ils ne savaient pas ce 
qu'ils faisaient : que le Seigneur leur pardonne 
donc, et qu'il ne retourne pas contre ces infortunés 
la qualification et la condamnation qu'ils osèrent 
infliger à l'honneur de sa vie et à l'immaculée di- 
gnité de ses cheveux blancs ! 

Qu'il bénisse ces catholiques qui l'assistèrent 
alors, et qui aujourd'hui se pressent si nombreux, 
si unanimes dans leurs regrets et leurs hommages , 
près du cercueil de celui qui partagea avec eux les 
devoirs et le dévouement de la paternité. 

Qu'il bénisse nos enfants, qui furent toujours les 
siens; qu'il en bénisse les maîtres, qui se faisaient 
une gloire d'être ses fils , eux aussi , et qui en ont 
porté un si beau témoignage dans le deuil de cette 



278 LES OBSÈQUES DU R. P. PILLON 

journée, qui devrait être le deuil de toute la jeu- 
nesse catholique de France. 

Et pour moi aussi, mon Père, n'avez- vous pas 
encore une bénédiction? Vous étiez deux fois père 
pour moi , puisque vous étiez celui de mon âme et 
celui de mon collège. En cherchant le bienfait de 
votre direction, lumineuse et grande, j'avais voulu 
me faire et vous faire à vous-même la consolante 
illusion que par là vous gardiez encore, en quel- 
que manière, la direction de cette école, où du 
premier au dernier nous voulions tous être vôtres. 

Et voilà maintenant, ô père, que, comme Élie, 
vous êtes emporté au Ciel sur le char de feu de 
votre charité : Pater mi, Pater mi, currus Israël et 
auriga ejus! Et je ne vous verrai plus, et non am- 
plius videhat eiim; et votre disciple Elisée reste 
sans vous dans ce monde, qui en veut aux pro- 
phètes , et où naguère vous teniez tête à l'impiété 
d'Achab et à la méchanceté de Jézabel. Ah! du 
moins faites tomber sur moi votre manteau, et 
que, pareil à Elisée, il me soit accordé d'opérer 
quelques-uns de ces miracles de grâce qui font re- 
naître les enfants et qui les rendent vivants à l'É- 
glise, leur mère : Et dixit viduse : Toile filium tuum. 
Enfin que , suivant la même route que vous , j'aille 
vous rejoindre un jour, mais avec toute notre fa- 
mille; et là vous dire, comme Jésus disait à Celui 
qui l'avait envoyé : « Père, voici les fils que vous 
m'avez donnés, et aucun d'eux ne manque, aucun 
ne s'est perdu. » Ainsi soit- il. 



XX 



LA CONGRÉGATION DES SAINTS INNOCENTS 



Uécole Saint- Joseph possède cinq congrégations pour 
ses cinq divisions , chacune sous la conduite d^un direc- 
teur prêtre. 

Chaque congrégation constitue une véritable société 
organisée et complète. Elle a son préfet, ses assistants, 
son secrétaire, ses conseillers, ses autres dignitaires élus 
annuellement par les congréganistes. Elle a aussi ses 
règles, son conseil, son gouvernement, ses fêtes, ses pri- 
vilèges , mais surtout ses devoirs propres , qui sont ceux 
d'un corps d'élite. 

Dans l'économie générale du collège, la Congrégation a 
une action prépondérante. Elle est, de fait, le pivot sur 
lequel roule toute la vie morale, religieuse, disciplinaire 
de chaque division, qu'elle entraîne dans le bien. 

Les plus jeunes enfants, n'ayant pas jusqu'ici, parmi 
eux, le bénéfice d'une pareille association de piété et 
d'exemple, nous avons cru le temps venu d'en doter leur 
division. Le jour de l'inauguration, avant le salut, ont été 
prononcées les paroles suivantes : 



XX 



LA CONGRÉGATION DES SAINTS INNOCENTS 

ENTRETIEN POUR SON INSTALLATION 

28 DÉCEMBRE 1885 



Mes petits Enfants, 

Il y a bien longtemps que je me dis à moi-même : 
<t Pourquoi nos petits élèves de la cinquième divi- 
sion sont- ils les seuls dans le collège qui n'aient 
pas, comme les autres, leur congrégation à eux, 
avec ses fêtes, ses beaux saints, ses réunions, ses 
dignitaires, ses privilèges, et son directeur et père? » 
Ce qui voulait dire : a Pourquoi , dans ce bercail de 
Saint -Joseph, les agneaux de notre troupeau ne se 
grouperaient -il pas sous la houlette particulière de 
quelque saint berger ou sainte bergère du Ciel? » 
Voilà ce qui inquiétait votre berger de la terre. Car 
enfin, me disais-je encore, parce qu'ils sont jeimes, 
très jeunes, qu'ils n'ont encore que sept, huit, 
neuf ans, et qu'ils font seulement leur huitième, 
leur neuvième ou leur dixième, est-ce à dire qu'ils 
ne sont pas les amis du bon Dieu, même ses 



282 LA CONGRÉGATION DES SAINTS INNOCENTS 

meilleurs amis? Ah! qu'ils le sont bien plus et 
à plus juste droit que de vieux pécheurs comme 
nous ! 

Alors je me rappelai cette scène aimable de 
l'Évangile, où Ton voit les enfants, de tout petits 
enfants, se pressant dans le temple de Jérusalem 
autour de Notre- Seigneur, auquel ils s'obstinaient 
à crier et à chanter : a Honneur au fils de David I » 
Je me demandais ce que Jésus-Christ devait penser 
de cela, et je fus heureux de l'entendre répondre à 
ses disciples qui voulaient faire taire la voix par 
trop bruyante de ces innocents ce que rien ne valait 
la louange qu'il recevait de leurs lèvres », et que 
c'était pour lui une musique du paradis. 

Mes chers enfants, c'était leur dire qu'il les rece- 
vait dès lors pour ses congréganistes. C'est donc 
l'histoire de l'institution de notre congrégation des 
petits que cette histoire -là; votre premier berceau 
se trouve là sous les portiques du temple de Jéru- 
salem. Quelle belle origine vous avez ! 

Mais pourquoi donc le bon Dieu , lui qui est plus 
grand que tout, se plaît-il tant avec vous, qui êtes 
si petits? et pourquoi veut-il que nous, qui sommes 
ses ministres, nous fassions en cela comme lui? 
C'est là un bien haut mystère, mes très chers 
enfants! Je vais tâcher cependant de vous l'expli- 
quer de mon mieux en trois mots qui se ressemblent 
beaucoup , ce qui vous aidera à les mieux retenir : 
Dieu vous aime et nous vous aimons, parce que 
vous êtes Yinnocence , parce que vous êtes YvmpuiS' 



LA CONGRÉGATION DES SAINTS INNOCENTS 283 

sance, parce que vous êtes l'espérance. Que je serais 
heureux de vous le faire comprendre I 

Lorsque je dis premièrement que vous êtes Vin- 
nocence, je ne veux pas dire que vous êtes précisé- 
ment sans défauts; ce qui vous ferait de la peine, 
parce que vous croiriez que je veux me moquer de 
vous. Je sais bien que le péché n*a pas été sans ter- 
nir de quelques grains de poussière la fraîcheur de 
votre baptême ; mais ce n'étaient, j'aime à croire, que 
des grains de poussière. Si c'était, hélas ! le péché, ce 
n'était pas le vice; si c'était une tache, ce n'était pas 
un ulcère; et il en est de lui comme de cette tache 
d'encre que trop souvent, mes pauvres amis, j'aper- 
çois sur vos frais visages quand vous venez d'écrire 
vos devoirs : elle n'est qu'à la surface, et on l'efiFace 
vite. Le mal ne demeure pas en vous; ce qui demeure 
en vous, c'est la grâce franche d'un âge qui peut être 
tenté, mais qui n'a rien trahi, qui n'a rien profané; 
c'est une âme neuve, candide, une page blanche sur 
laquelle la main de Dieu peut encore écrire ce 
qui lui plaît; une fontaine dont le cristal reflète l'é- 
dat des cieux. c Si tu pouvais voir la beauté d'une 
âme en grâce avec moi, disait un jour Notre-Sei- 
gneur à sainte Thérèse , tu en mourrais d'amour I » 
Je le crois bien, ce serait à tomber à genoux; car 
c'est la présence de Dieu rendue visible parmi les 
hommes. A ce spectacle nous resterions suspendus 
dans le ravissement, et nous ne pourrions nous 
rassasier de voir cette ccdombe radieuse, agitant 
dans une allégresse divine les deux ailes de son 



284 LA CONGRÉGATION DES SAINTS INNOCENTS 

intelligence et de son amour, toutes les facultés de 
l'âme attachée à la Trinité sainte comme des abeilles 
attachées au sein d'une fleur... Mais Notre-Seigneur 
a tout dit d'une seule parole, lui qui lit couramment 
dans les âmes, mes enfants, comme vous lisez dans 
les livres; il a tout dit le jour où, appelant un petit 
enfant et le plaçant comme modèle au milieu de ses 
apôtres, il leur déclara que c'était comme cela qu'il 
fallait être pour lui plaire, et que quiconque parmi 
les hommes ne devenait semblable à cet enfant 
innocent ne pouvait prétendre à entrer dans le 
royaume des Cieux. 

Mais l'innocence est une plante qu'il faut cultiver 
et défendre pour qu'elle soit digne de ces complais 
sances divines. Les Livres saints la comparent à un 
lis éclatant de pureté et de blancheur, mais à un lis 
entouré, gardé par des épines. Qu'est-ce à dire, mes 
enfants? L'été dernier un beau lis avait poussé dans 
votre jardin; vous le visitiez, vous le soigniez, il 
embaumait vos sens , il faisait le plaisir de vos yeux. 
Mais il avait ses ennemis; il vous fallut le protéger, 
et on vous vit empressés à lui faire un rempart 
contre les atteintes du dehors. Et l'innocence, ce 
lis de votre âme, n'a-t-elle pas ses ennemis, elle 
aussi ? C'est l'insecte du péché qui voudrait la 
saUr; c'est la poussière du monde qui voudrait la 
ternir; c'est la dent du démon qui voudrait ronger 
sa racine et la faire périr. Qui vous aidera à la 
défendre? Ce sera la Congrégation, sa direction, 
ses instructions, ses bons exemples, ses grâces. 



LA CONGRÉGATION DES SAINTS INNOCENTS 285 

C'est elle qui sera autour de votre lis cette haie 
d'épines tutélaire, serrée, infranchissable, qui em- 
pêchera le pied du méchant de l'approcher, son 
contact impur de le souiller. Ainsi votre âme gran- 
dira, comme la fleur sur sa tige, haute, ferme, 
droite, à l'abri des insultes et des orages; et quand 
l'heure sera venue de la première communion, elle 
s'ouvrira, s'épanouira pour recevoir Jésus -Christ, 
<i qui se plaît parmi les lis » , comme le lis reçoit la 
rosée dans son calice sans tache. 

Je vous ai dit en outre que Dieu vous aime et que 
nous vous aimons parce que vous êtes Vimpuis- 
sance : c'est la seconde raison. Mais que veut donc 
dire ce grand mot? Il veut dire, mes petits enfants, 
qu'étant très petits, vous êtes très faibles, que par 
vous seuls vous ne pouvez rien, vous n'avez rien, 
vous ne savez rien , et que dès lors vous avez besoin 
de tout et de tous. Ne vous en plaignez pas toute- 
fois, car c'est par cette indigence môme que vous 
attirez sur vous les regards du Tout- Puissant, qui 
a pitié de vous. Mes petits enfants, ne dit- on pas 
que c'est la pente de l'amour de condescendre à 
ce qui est humble, et que le mouvement de la 
force c'est de s'incliner vers la faiblesse? Vous- 
mêmes vous aimez l'oiseau, l'animal, la plante, qui 
sont plus petits que vous et ont besoin de vous. 
Ainsi le Dieu très grand et très 4)on est attiré vers 
vous par votre petitesse même; et si de toutes ses 
créatures vous êtes les plus aimées, n'est-ce pas 
parce que, par la condition de votre âge, vous êtes 



286 LA CONGRÉGATION DBS SAINTS INNOCENTS 

les plus dénuées, et que, n'ayant rien par vous, vous 
attendez tout de lui? Il y va de sa gloire d'être alors 
tout pour vous : « Mon petit enfant, tu n'es que 
d'un jour, mais moi je suis l'éternité; mon pauvre 
enfant, tu es l'indigence, mais moi je suis la ri- 
chesse et la félicité; mon faible enfant, tu n'es qu'im- 
puissance, mais moi je suis la force et la suprême 
majesté. Viens à moi , tout ce que j'ai et tout ce 
que je suis, je l'ai et le suis pour toi. d Ce raisonne- 
ment de la bonté vous le connaissez, mes enfants , 
c'est le raisonnement d'un père; et qui est plus père 
que Dieu ? 

Eh bien, c'est principalement à la Congrégation 
que ce Dieu vous tient ce langage. C'est là qu'il vous 
ouvre ses bras, enfants infirmes, pour vous sou- 
lever; c'est là qu'il vous prend sur ses épaules, 
agneaux tremblants , pour vous porter : « Venez à 
moi, ô vous tous qui n'en pouvez plus, et je vous 
soulagerai! » Mes chers enfants, avez -vous vu, en 
images du moins, le tableau où un grand peintre, 
appelé Murillo , représente l'enfant Jésus à votre âge 
environ, marchant dans une belle campagne, entre 
Marie et Joseph, qui le tiennent chacun par la main? 
Voilà ce qui se fait ici. Le jour où vous entrez dans 
la Congré'gation, vous mettez votre main dans la main 
de puissances célestes qui soutiennent vos pas. Ne 
vous en séparez point, et vous ne tomberez jamais. 

Je vous ai dit qu'enfin vous étiez Yespérance, 
Gela me rappelle une parole adressée à Louis XV 
par une dame de la cour qui avait autrefois assisté 



LA CONGRÉGATION DBS SAINTS INNOCENTS 287 

à son sacre : a Ahl sire, lui dit- elle, c'est vous qu'il 
fallait voir alors! vous étiez beau, beau comme Tes- 
pérance. » Bien volontiers, mes enfants, j'en dirais 
autant de vous, vous que le baptême a sacrés rois 
du royaume des Gieux ; vous étiez alors et vous êtes 
encore aujourd'hui beaux comme l'espérance. N'êtes- 
vous pas, en effet, l'espérance de vos familles, l'espé- 
rance de l'Église, l'espérance de ce collège? Et vous 
étonnerez -vous dès lors si on vous aime comme on 
aime le matin, comme on aime le printemps? 

Mais encore faut- il que vous répondiez à cet 
espoir. Or c'est la Congrégation qui vous apprendra 
à le faire en vous inspirant l'émulation à grandir, 
à vous élever de vertus en vertus. Car, ne l'oubliez 
pas, vous êtes une troupe d'élite, vous êtes une 
chevalerie, vous devez vous y montrer sans peur 
et sans reproche, marchant à la tête de vos frères 
dans le combat de chaque jour pour le travail , la 
discipline, la rehgion, le silence, auquel vous con- 
vie l'exemple de Jésus votre frère. Lui aussi, lui 
surtout était beau comme l'espérance, le jour où les 
bergers, et les rois, et les anges, et le vieillard du 
temple saluaient en lui un Sauveur. Tournez la page 
de l'Évangile: « Et l'Enfant, est -il écrit, croissait 
en âge, en sagesse, en grâce et en force devanj 
Dieu et devant les hommes. » Voilà comment l'en- 
fant Jésus justifia ces présages ; voilà comment vous- 
mêmes vous les justifierez; et alors ce ne sera plus 
seulement l'espérance que vous serez, ce sera la 
vertu, ce sera le progrès. 



288 LA CONGRÉGATION DES SAINTS INNOCENTS 

Je sais que tout cela coûte , et ce que je vous 
prêche ici n'est rien moins que le sacrifice. Mais je 
sais d'autre part qu'il ne vous fait pas peur. Vous 
en êtes tous bien capables, si petits que vous soyez,, 
et ce n'est pas pour rien que vous avez choisi pour 
patrons de votre Congrégation des saints qui sont 
des martyrs. 

C'est ainsi que plus d'une fois on a vu de jeunes 
enfants désirer, chercher le martyre. On raconte, 
par exemple , de sainte Thérèse et de son frère Ro- 
drigue, qu'ayant votre âge ils s'étaient pris d'un si 
beau feu à la lecture de l'histoire des saints de 
l'ÉgUse primitive, qu'un jour tous deux partirent 
pour aller chez les Maures, qui étaient près de là, 
confesser Jésus-Christ et donner leur sang pour lui. 
On les rejoignit en chemin, et on les ramena tout 
pleurants à la demeure paternelle. Sainte Thérèse 
ne devait pas mourir du martyre du sang; elle 
devait mourir du martyre du cœur; elle devait vivre 
et mourir de l'amour de Jésus. 

Vivez de cet amour, endurez ce martyre, le 
martyre du devoir, et après une longue vie allez 
partager la couronne et les joies des Innocents, qui 
vous reconnaîtront pour leurs frères dans le Ciel. 



XXI 

BÉNÉDICTION DE LA PREMIÈRE PIERRE 

DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

LE 15 NOVEMBRE 1886 



13 



Au mois de novembre de Tannée 1885, la proposition de 
bâtir une chapelle qui remplaçât la chapelle provisoire établie 
dans l^étage supérieur du collège fut présentée à Messieurs les 
Administrateurs de la Société civile. Elle fut adoptée en consi- 
dération « du nombre croissant des élèves, qui réclamait cet 
(•tage tout entier pour les classes », et plus particulièrement 
en considération de la convenance qu'il y avait à donner à 
Notre-Seigneur une demeure plus digne. 

Au même jour il fut décidé qu'une grande Salle des séances , 
pour les réunions et fêtes du collège , serait construite séparé- 
ment au centre du jardin , aux frais de la Société civile. 

Quant à la chapelle, « M. le supérieur et MM. les Adminis- 
trateurs prenaient la confiance de faire appel à la générosité 
des familles dont les fils ont reçu ou reçoivent encore le bien- 
fait de réducation chrétienne à Saint-Joseph. » 

C'est dans ces termes qu'était conçue une lettre du 20 dé- 
cembre adressée à toutes les familles, au nom de M. le supé- 
rieur et de MM. Henbi Bernard, Ch. Verlet, G. Thery, 
L. Delcourt, Maurice Bernard, Administrateurs. 

Le 4 janvier 1886 furent commencées les visites et démarches 
auprès des familles par M. le Supérieur et un des Pères de la 
Compagnie de Jésus, pour inviter à la souscription, laquelle 
reçut partout très bon accueil. 

L'adjudication des travaux fut faite le 22 mai, à huit heures 
du matin, en présence de MM. les Administrateurs, après la 
prière au Saint-Esprit. M. Emile Rouzé, entrepreneur, se 
rendit adjudicataire aux conditions que signèrent les deux 
parties. 

Les travaux commencèrent le 24 mai , fête de Notre - Dame 
Auxiliatrice , sous la direction de M. Mourcou , architecte, qui 
précédemment avait construit le collège, et dont les plans pour 
cette chapelle avaient été mûrement élaborés sous le regard et 
avec l'aide du R. P. Préfet. 

La nécessité d'établir les fondations à une très grande pro- 
fondeur ayant retardé les premiers travaux, ce fut seulement 
le 15 novembre 1886 qu'ils arrivèrent à fleur du sol, et nous 
permirent de procéder à la bénédiction solennelle de la première 
pierre. 

Avant de se rendre à la construction , on se réunit d'abord 
dans l'ancienne chapelle, où M. le Supérieur adressa à l'as- 
sistance les paroles suivantes : 



XXI 

BÉNÉDICTION DE LA PREMIÈRE PIERRE 

DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

LE 15 NOVEMBRE 1886 



allocution avant la cérémonie 

Messieurs, 

Mes chers Enfants, 

Lorsque , il y a onze ans , la religieuse initiative 
des familles de Lille éleva ce collège à la plus grande 
gloire de Dieu et à l'honneur de saint Joseph , son 
serviteur, un regret dut se mêler à Tallégresse de 
Faction de grâces dar.s le cœur des pères et des fils. 
Le collège, il est vrai, se déployait magnifiquement 
dans ses grandes lignes harmonieuses, mais la cha- 
pelle manquait. On avait dû y suppléer par une 
vaste salle de l'étage supérieur, qui reçut provi- 
soirement cette affectation ; et le bon Dieu , notre. 
Père, fit en cette circonstance ce que parfois les 
pères et les mères de la terre font pour receyoir 
leurs enfants quand ceux-ci sont nombreux : il se 



292 BÉNÉDICTION DE LA PREMIÈRE PIERRE 

retira pauvrement et obscurément sous les combles, 
en laissant à ses fils bien -aimés la meilleure place 
de la maison. 

Ce n'est pas qu'on ne se fût réservé de lui dispo- 
ser un jour une demeure plus digne de lui. Le des* 
sein en était arrêté, en première ligne, dans la 
pensée des fondateurs comme des constructeurs; et 
le royal vieillard qui gouvernait ici, à cette époque \ 
pouvait bien dire, comme autrefois le roi David : 
« J'avais médité de bâtir un sanctuaire où repose- 
rait l'arche du Seigneur, et j'avais déjà tout disposé 
pour cela. » Cogitavi lU œdificarem domum in qua 
requiesceret arca Domini, et ad sedificandum om- 
nia prœparavi '. Même il en avait fait dresser les 
plans par avance, pour ses successeurs : Deditque 
David Salomoni descriptionem porticus et templi ^. 
Mais ce vaillant guerrier avait eu, lui aussi, trop 
à lutter pendant sa vie pour trouver la facilité 
d'élever un tel édifice, car la guerre était partout 
autour de lui et dés siens : Non potuit œdificare do- 
mum nomini Domini sui, pr opter hella imminentia 
per circuitum *; de sorte que ses yeux se fermèrent 
avant d'avoir vu s'élever la maison du Seigneur. 

Dieu et les hommes, mes Frères, nous pardonne- 
ront-ils d'avoir attendu dix années avant d'avoir osé« 
réaliser ce vœu et de nous être mis en devoir d'abri- 
ter décemment, dans la demeure de Saint -Joseph, 
Celui qui avait le droit d'y être logé le premierV 

1 Le R. P. Pillon, S. J., fondateur et premier recteur du 
collège.— 2 I Parai, xxviii, 2.— » Ibid, 11.— -* III Reg. v, 3. 



DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 293 

Ah! « c'est qu'il s'agissait de préparer une habita- 
tion non à un homme, mais à Dieu; » et nous pou- 
vions nous dire plus justement que Salomon : « Que 
suis- je, moi, pour bâtir une maison à mon Sei- 
gneur? » Et quantus ego sum, utpossim œdificareDeo 
domum * ? C'est qu'enfin le passé ne nous avait pas 
amassé et légué les trésors qu'autrefois David trans- 
mettait à son fils ^ Et il ne fallut. rien moins que 
vos volontés , mes Frères , rien moins surtout que 
les ordres de Dieu, pour nous faire correspondre à 
la voix intérieure qui nous pressait d'achever coura- 
geusement l'ouvrage commencé par nos pères : Con- 
fortare et perfice ^! 

Ce sont vos volontés, en effet, parents chrétiens , 
c'est vous, dont la confiance, grandissant quand 
même et à mesure que grandissait la tribulation de 
l'Église, nous amenait chaque année les recrues 
croissantes de vos fils , en nous demandant de leur 
donner une place que nous ne pouvions plus, 
hélas! leur fournir dans un collège devenu trop 
étroit pour leur nombre. C'est vous, dont les en- 
fants , envahissant successivement tous les refuges 
que nous leur cédions tour à tour, nous comman- 
daient de dilater le bercail à mesure qu'eux-mêmes 
venaient augmenter le troupeau. 

Et puis, vous le dirai- je? Dieu, lui aussi, nous 
faisait entendre secrètement ses ordres; et ces 
ordres, je le confesse, étaient presque des re- 

* II Parai, n, 6. — M Parai, xxix, 1. -, ' Md, xxviii, 10. 



29 'i BÉNÉDICTION DE LA PREMIÈRE PIERRE 

proches. C'était un reproche à mon cœur que la 
vue de ce lieu saint condamné à devenir, à chacune 
de nos réunions pubUques, im lieu d'exercices pro- 
fanes. C'était un reproche que la pensée de ce Dieu, 
notre hôte céleste, forcé, en ces occasions, de 
s'exiler momentanément de son tabernacle; un re- 
proche enfin que cet autel qu'il faliaitjà chaque fois 
dérober aux regards pour qu'en face, au même 
lieu , se dressât le théâtre de vos joutes scolaires. Et 
vous-mêmes, mes chers fils, ne demandiez- vous 
pas que tout fût saint et sans alliage dans le séjour 
à jamais consacré par le souvenir de votre première 
communion? Ah! sans doute je sais qu'ici surtout 
Dieu est un père; sans doute il ne peut lui déplaire 
que ses enfants s'exercent près de lui à des luttes 
qui sont encore pour sa gloire; et nous n'avions 
pas à craindre, j'aime à le penser, le fouet dont il 
poursuivit les profanateurs de son temple. Mais ce 
père est aussi le Dieu saintement jaloux qui ne veut 
pas de partage. Et enfin, — c'est une autre considé- 
ration, — n'avions- nous pas besoin que ce Dieu fit 
beaucoup pour notre sauvegarde, dans un temps où 
nous sommes sous le coup de tant de menaces? Et 
le meilleur moyen de mériter et d'obtenir qu'il prît 
notre collège sous sa protection, n'était-ce pas d'y 
fixer sa présence toute-puissante dans un sanctuaire 
moins indigne de sa majesté? 

Qu'avons-nous fait alors? Je prends encore le 
Livre saint. Il y est raconté que le prince qui con- 
struisit le temple de Jérusalem « comm^K?* par 



DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 295 

convoquer les principaux d'Israël, les chefs des tri- 
bus, et ceux, est- il dit, qui prœerant suhstantisB et 
possessiontbus régis K C'étaient les administrateurs 
de son domaine royal. Nous ne sommes pas rois 
autrement que par notre sacerdoce; mais ce que 
nous avons ici de vraiment royal, comme Salomon, 
c'est, à la tête des afifaires civiles de ce collège, un 
conseil de sages administrateurs que ce prince nous 
eût enviés , composé comme le sien des chefs auto- 
risés de nos tribus catholiques et des premiers du 
peuple : Principes Israël et duces tnhuum. 

Qu'ils soient donc ici remerciés tout d'abord : cela 
n'est que justice; car si , pour notre chapelle, nous 
sommes redevables à tous, c'est à eux seuls, c'est 
aux subsides votés par leur libérale administration 
que nous devons la construction simultanée de nos 
autres édifices scolaires, la grande salle des séances, 
les classes de musique, le gymnase, lesquels, s'éle- 
vant en même temps que la maison de Dieu, don- 
neront à ce collège son indispensable et monu- 
mental achèvement. Ils ont fait plus encore; et si 
notre confiance en votre rdigion, pères et mères 
de famille, nous prescrivait de vous réserver l'hon- 
neur d'être les fondateurs de l'église où va demeu- 
rer le Dieu de vos enfants , il est équitable de dire 
que nos sages conseillers, chacun en particuUer, 
nous en a donné un encouragement qui ne s'en 
tint pas aux paroles. Tel fut donc le résultat obtenu 
dans ce conseil oh le pouvoir temporel et le pou- 

* I Parai, xxviii , 1 . 



296 BÉNÉDICTION DE LA PREMIÈRE PIERRE 

voir spirituel se rencontrent toujours dans une si 
parfaite unanimité, qu'en vérité il ne nous permet 
guère de comprendre les antiques et célèbres que- 
relles du sacerdoce et de l'empire. 

Qu'est- il raconté encore dans le Livre sacré? Il 
est écrit que Ton fit un appel, pour la construction 
du Temple, aux chefs des familles et aux principaux 
des tribus, lesquels s'inscrivirent pour cinq mille 
talents d'or, qu'ils versèrent, en effet, pour bâtir la 
maison de Dieu : Polliciti sunt itaque principes fa- 
miliarum et proceres trihuum Israël, dederuntque in 
opéra domus Dei auri talenta quinque millia *. 

Vous avez fait de même, souscripteurs et dona- 
teurs; et que vous dirai -je ici qui puisse être égal 
à ma reconnaissance? Au moins dois -je proclamer 
que rien n'approche de votre libéralité, si ce n'est 
l'élan avec lequel vous l'avez exercée. En effet, ce 
ne sont pas quelques-uns seulement, c'est tous ou 
presque tous, parents, amis, anciens élèves, reli- 
gieux et séculiers, qu'on a vus s'empresser à appor- 
ter chacun sa pierre à l'édifice. Pour moi, je n'ou- 
blierai jamais l'accueil toujours obligeant et souvent 
chaleureux que j'ai reçu dans vos demeures, où 
j'allais demander un secours qui s'empressait de 
venir au-devant de moi; et je ne cesserai de remer- 
cier Dieu qui m'a fait connaître là, dans le secret de 
de vos foyers , tout ce qu'on trouve à la fois de bon 
cœur et de bonne grâce chez vos familles lilloises. Les 
uns voulaient bien nous dire qu'aucune offrande n'ac- 

, * I Parai, xxix, 6. 



DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 297 

quitterait la dette de leur reconnaissance pour l'édu- 
cation chrétienne donnée à leurs enfants; d'autres 
alléguaient des titres plus particuliers et plus intimes 
encore. C'est ainsi qu'on est en droit de dire de vous 
tous , comme des anciens fondateurs du temple de 
Salomon : « Le peuple témoigna sa joie de prendre 
de tels engagements, car c'était de tout leur cœur 
qu'ils faisaient cette offrande au Seigneur. y> Lseta- 
tusque est populus, cum vota promitterent , quia 
corde toto offerébant ea Domino *. 

Il ne nous restait plus qu'à faire finalement ce que 
fit le grand roi, s'il n'est pas trop ambitieux de 
chercher si haut ses modèles. « Le sage Salomon , 
est-il dit, choisit ses ouvriers parmi tout Israël -. » 
C'est dans toute la ville de Lille que nous avons choisi 
les nôtres, et le nom autorisé du chef de l'entre- 
prise nous en garantit le succès , car certes il n'en 
est pas à son début, loin de là, et tant d'églises dont 
il a le droit d'être fier lui eussent, au moyen âge, 
assigné un beau rang parmi ceux qu'on appelait les 
«c logeurs du bon Dieu ». Il est rapporté aussi que 
l'architecte du Temple, Hiram le Tyrien, était un 
homme très prudent, très instruit, très habile à pré- 
voir et à trouver ce que demandait l'exécution de son 
œuvre , bien secondé qu'il était par ses auxiliaires : 
Virum prudentissimum et scientissimum Hiram, 
qui soit adinvenire prudenter quodcumque in opère 
necessarium est, cum artificibus suis ^. Notre Hiram, 

1 I Parai, xxix , 9. 
« III Reg. V, 13 et 14. 

13* 



298 BÉNÉDICTION DE LA PREMIÈRE PIERRE 

à nous, a fait ses preuves ici même; et cette 
église, eu ajoutant encore k sa réputation, ne lui 
fera pas moins d'honneur que ne lui en fait l'édifice 
entier de ce collège dont il aura ainsi dirigé Fachè- 
vement comme il a présidé à son commencement. 
Ainsi l'ouvrage , tout entier signé de sa main, si 
j'ose dire, sera devant les hommes une de ses plus 
belles gloires, comme il sera un de ses grands mé- 
rites devant Dieu. 

Mais, en tête de tant de noms que devait procla> 
mer notre reconnaissance, ne faut-il pas mettre un 
nom qu'ici tous les cœurs prononcent? Et, à l'heure 
où nous allons poser et bénir la première pierre de 
notre église, puis -je oublier devant vous l'éminent 
religieux qui, depuis le premier jour, a été, lui 
aussi, la pierre fondamentale, la pierre vivante de 
ce collège dont, durant onze années, ou plutôt 
quinze années, soit ici, soit ailleurs, il a porté si 
fortement et si doucement le poids? Puis-je oublier, 
en ce jour, la grande paît qui lui revient spéciale- 
ment dans la conception , le plan , la direction pre- 
mière dç cette construction qui fut beaucoup son 
œuvre, hélas I la dernière œuvre de sa féconde et 
mémorable préfecture? Ah! que les anges gardiens 
de toute cette famille, qui est la sienne, aillent lui 
porter au loin cet hommage que jamais il ne m'au- 
rait permis de lui rendre en sa pré&ence. C'est celui 
d'une gratitude qui nous est commune à tous, pa- 
rents, maîtres et enfants, mais qui, j'ose bien l'afûr- 

« II Parai, ii, 1î5. 



DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 299 

mer, n'est nulle part gravée plus profondément que 
dans un cœur ami, qui, pendant six années d'impé- 
rissable souvenir, n'a cessé de battre ici à l'unisson 
du sien pour le bien de vos âmes. 

Encore un mot. J'entends dire : ce Mais Tentre- 
prise que vous faites, pour nécessaire qu'elle soit, 
n'en est- elle pas moins inopportune et téméraire? 
Pour que ses assises soient solides et qu'elle puisse 
se promettre un avenir durable, ne faudrait-il pas 
un sol moins bouleversé que le nôtre par les révo- 
lutions? » A cela, mes Frères, pour toute réponse , 
nous avons fait comme les ouvriers qui ont creusé 
ces fondations. Qu'ont-ils fait lorsque leurs fouilles 
n'ont trouvé qu'un terrain inconsistant et inondé? 
Ils ont creusé plus avant pour asseoir l'édifice sur 
le fond inébranlable que les eaux baignent encore, 
mais qu'elles n'entament pas. Ce fond, pour nous, 
c'est la foi et la confiance en Dieu. 

Oui, nous ne le savons que trop, c'est un temps 
d'incrédulité et de négation impie que le temps où 
nous vivons. Mais , précisément pour cela , n'est-ce 
pas le moment de porter haut l'affirmation de notre 
croyance, et, par un édifice qui en soit le témoignage, 
montrer quelle place royale notre École veut faire 
à Dieu, à l'heure où les méchants ont formé le des- 
sein de faire l'école sans Dieu? Oui, le temps que 
nous traversons est un temps de persécution et de 
menaces pires encore; mais n'est-ce pas par consé- 
quent le moment de protester de notre invincible 
confiance en Celui qui est plus fort que les princes 



300 BÉNÉDICTION DE LA PREMIÈRE PIERRE 

de ce monde, et dont le règne demeure quand 
celui des impies n'est plus? Oui, le temps où nous 
vivons est un temps d'apostasie et de blasphème; 
mais n'est-ce pas, pour cette raison, le moment 
d'élever à rencontre un monument de. notre amour 
et de notre adoration dans un temple qui, chaque 
jour, présentera au Seigneur ce fruit de nos sacri- 
fices unis au grand sacrifice réparateur du crime 
universel des hommes? 

Messieurs, c'est l'honneur de Dieu qui est en 
cause ici, mais c'est aussi le vôtre et celui de 
l'époque dont vous êtes les fils. Ce temple restera 
comme votre justification et celle du temps présent 
contre le scandale que la postérité pourra concevoir 
de lui. Qu'un jour, après des siècles et des siècles 
écoulés, les hommes de l'avenir viennent à retrou- 
ver ici et à ouvrir la pierre où nous allons inscrire 
le millésime de cette fondation : ils y liront que la 
fin de ce xix® siècle, dont f histoire est si sombre, a 
connu cependant des hommes de foi et de cœur, des 
hommes qui, « plus haut que leurs temps, » comme 
on l'a dit des Machabées, n'ont pas cédé à la tour- 
mente. Et alors, témoins du dénouement final, qui 
ne peut être autre que le triomphe de Dieu, ces 
arrière -neveux proclameront que vous avez bien 
fait; et le dernier mot de l'histoire sera à l'honneur 
de ceux qui se seront obstinés à croire , à agir, et à 
espérer contre toute espérance. 

Maintenant, mes Frères, mes enfants , partons I 
Allons placer cette pierre au lieu où s'élèvera l'autel 



DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 301 

du sacrifice. Nous y avons, renfermé , ad perpétuant 
rei memoriam, tous les noms que nous vénérons 
sur la terre et dans le Ciel. Nous y avons nommé, 
dans un acte authentique, le Souverain Pontife 
Léon XIII, aujourd'hui sagement et glorieusement 
régnant; le vénéré premier pasteur de ce diocèse, 
Mfi^"^ TArchevéque; les administrateurs civils de ce 
collège, le cher et vénéré Père provincial de la 
Compagnie de Jésus, les principaux bienfaiteurs 
ayant le titre de fondateurs de cette église, son 
architecte et l'entrepreneur des travaux , enfin touTs 
les maîtres aimés qui président ici à l'éducation de 
la jeunesse, afin que tous ces noms, perpétuelle- 
ment présents à Jésus -Christ sous son autel, lui 
portent chaque jour la prière que nous faisons pour 
tous. Nous y avons placé, gravée et ciselée dans 
l'argent et le bronze , l'effigie de nos célestes pa- 
trons et protecteurs, la sainte Vierge Marie, saint 
Joseph, saint Michel, les saints Anges gardiens, 
saint Ignace , saint François Xavier, saint Louis de 
Gonzague, saint Stanislas Kostka, saint Benoit 
Labre, ainsi que les médailles commémoratives des 
grandes manifestations de la vie de l'Église en ce 
siècle. Puissent tous ces noms bénis être autant de 
puissantes recommandations pour nous auprès de 
Dieu ! 

Et nous aussi, prions I Prions pour que le Sei- 
gneur mette la main à l'édifice, car c'est en vain 
que les hommes travailleraient sans lui. Prions 
pour qu'il accorde longtemps à nos travaux des 



302 BÉNÉDICTION DE LA PREMIÈRE PIERRE 

jours radieux et sereins : la sérénité dans le ciel , 
mais aussi la sérénité sur la terre, sur la terre de 
France surtout, secouée par tant de tren)i)lements et 
de tempêtes. Prions pour qu'il prête toujours santé, 
force et courage à ces vaillants ouvriers qui tra- 
vaillent pour lui; qu'il préserve chacun d'eux de 
toute chute, blessure et accident funeste, et qu'il 
donne là -haut asile, repos et bonheur à ceux qui 
lui auront construit cet asile ici- bas. Prions enfin 
pour que le Maître qui nous a donné de commencer 
Tentreprise nous accorde de la bien finir, et que cha- 
cun de nous voie le jour dont déjà nons pouvons dire 
avec l'allégresse de l'espérance: Laetatus sum in his 
quœ dicta sunt mihi, in domum Domini ibinius^! 
Qu'il se lève bientôt ce jour; et que, s'il est pos- 
sible, à la rentrée des classes, toute cette même 
assemblée se retrouve devant Dieu, non plus ici 
cette fois dans cette chapelle proviscôre , mais sous 
les voûtes et dans les nefs d'une spacieuse église , 
brillante de jeunesse, virginale de blancheur, en 
présence d'un autel consacré par le Pontife, entouré 
de nombreux enfants et de leurs anges gardiens 
visibles et invisibles, qui ensemble feront monter 
vers le Maître de cette demeure ce cantique de leur 
joie et de leur action de grâces : Beati qui habitant 
in domo tua, Domine, in sxcula sœculorum lauda- 
bunt te •. Bienheureux ceux qui habitent dans votre 
maison, ô Seigneur! Ils ne cesseront de vous louer 
dans les siècles des siècles. Ainsi soit-i^ 

' Psa!. cxxi, 1. — * PsaK lxzziii, 5. 



XXII 

CHARLES TANGHE 

ÉLÈVE DE PHILOSOPHIE 

RAPPELÉ A DIEU LE 28 DÉCEMBRE 1886 



« Heureuses, trois fois heureuses les âmes virginales 
que, dès le matin de leur jeunesse, Dieu prend pour son 
service, et qui, dans la marche grandissante de leur 
cœur, rencontrent de bonne heure le terme béni de l'absolu 
don de soi-même ! 

« vous, mes jeunes frères et amis, si au milieu du 
chemin de votre ardente jeunesse, et au sein même de 
votre ûère liberté, Jésus-Christ vous dit le mot éternel 
qui fait les apôtres : Viens, et suis-moi, comprenez que 
rhonneur qui vous est fait est grand; courbez la tête 
sous le poids d'une gloire trop sainte, et acceptez en 
tremblant, mais en aimant, cette couronne du sacerdoce 
qui a ses épines, comme celle de Jésus-Christ, mais qui 
n'ensanglante le front de l'homme que pour l'amour des 
hommes et pour la gloire de Dieu. » 

(L'abbé H. Perbetve. Son dernier discours à 
Véglise de la Sorbonne,) 



XXII 



CHARLES TANGHE 

ÉLÈVE DE PHILOSOPHIE 

RAPPELÉ A DIEU LE 28 DÉCEMBRE 1886 



PAROLES 

Prononcées dans la chapelle le dimanche de la Sexagésime. 

Vous souvenez-vous, mes enfants, d'un véritable 

« 

triomphe décerné, l'année dernière, au condisciple 
que nous pleurons? 

C'était le jour solennel de la distribution des prix. 
Nous venions d'y entendre la grande parole du R. P. 
Félix sur la Paternité et la Maternité dans V éduca- 
tion, et la musique qui annonçait ^l'appel des lau- 
réats n'avait pas réussi à étouffer en nous cette 
autre et supérieure harmonie de l'éloquence qui re- 
tentissait encore dans nos oreilles et dans nos âmes. 
Le tour était venu à la classe de Rhétorique de pré- 
senter ses vainqueurs, quand fut proclamé, au sein 
d'un silence plein d'attente , le plus grand prix de 



306 CHARLES TANCHE 

tous, le Prix d'honneur fondé par les anciens élèves 
et attribué au lauréat du discours latin. Ce lauréat, 
c'était lui, c'était Charles Tanghe, qui devait être 
rappelé sur ce théâtre de gloire plus d'une fois 
encore ; et le nom que vous applaudissiez , c'est le 
nom qu'on lit aujourd'hui sur une tombe modeste 
d'un des cimetières de Lille. 

Lorsque vous l'acclamiez descendant de l'estrade, 
couronné de lauriers et chargé de ses onze magni- 
fiques volumes % soupçonniez -vous que, moins de 
quatre mois après, ce triomphe se changerait pour 
lui en une pompe funèbre, et que Dieu, qui l'aimait, 
Dieu, au service duquel il voulait se consacrer, l'ap- 
pellerait sitôt, dans une autre et meilleure distribu- 
tion de prix, à recevoir une couronne qui serait la 
couronne de Tétemité? Voilà la vie, mes enfants; 
et je crois entendre votre ami rappelé à Dieu avant 
l'âge, disant conmie Joaathas, le jeune ami de David, 
condamné à mort le soir d'une victoire : GuMum 
gustavi paululum niellis, et ecce morior : « J'ai goûté 
uu peu de miel, et voici que je meurs 1 » 

Charles Tanghe était un enEmt de ce bon peuple 
chrétien dont votre ville possède tant de types excel- 
lents; mais nul autre, je crois, aussi particulier que 
cekii que je vais dire. 

J'ai lu, mes chers fils, dans l'histoire de l'Église, 
qu'il y avait au iv^ siècle un saint csJ^aretier, saint 
Théodote d'Ancyre, en Galatie, qui fut martyrisé 

1 Les Œuvres compUles et VHisioire du cardinal Pie, reliées 
et dorées. 



CHARLES TANGHE 307 

SOUS Dioclétien, et que les païens eux-mêmes, à 
cause de sa force d'âme , surnommaient « l'homme 
de bronze ». Or il est raconté que dans l'exercice 
de sa profession il trouva le moyen de se sanctifier 
lui-même et de sanctifier les autres , faisant de sa 
maison un asile de décence, d'honnêteté, de paix 
et de tempérance chrétienne. Nous sommes, hélas! 
loin de ces temps ; mais si quelque chose aujour- 
d'hui peut nous donner l'idée de cet édifiant ca- 
baret de la ville d'Ancyre, c'est bien certainement 
celui du Canon d'argent, à Lille, lequel n'a guère, 
que je sache, son semblable dans toute la France, 
où cependant, vous le savez, ces sortes d'établisse- 
ments ne manquent pas. 

Il y a donc à Lille un cabaret qui d'abord s'est &it 
une loi invariable d'être fermé le dimanche durant 
toute la journée, où le blasphème est interdit, où 
l'on ne lit que les journaux les plus religieux et les 
plus irréprochables, où l'on ne donne à boire qu'à 
ceux qui ont vraiment soif, en renvoyant les autres, 
et qui se ferme r^utièrement à neuf heures et demie 
chaquesoir. Inutile d'ajouter que ceux qui le tiennent 
sont des gens de religion et de vie chrétienne, com- 
mençant leur journée par aller chaque matin entendre 
la sainte messe, et ayant fait leur mission comme 
leur prcrf^ession de cette transformation chrétienne 
du cabaret, ce dont, il faut l'ajouter, ils se sont 
bien trouvés même temporellement Ayant cherché 
premièrement le T^ne de Dieu et sa justice , le 
reste leur a été accordé par surcroît. 



308 > CHARLES TANGHE 

Mais la grande bénédiction qui leur fut accordée, 
a la bénédiction spirituelle dans le Christ, j> ce fut 
la vocation sacerdotale du fils qu'ils avaient élevé 
dans la crainte de Dieu. Déjà, à l'école des Frères 
de la paroisse Saint -Etienne, on avait reconnu chez 
lui ce signe de prédestination. Le catéchisme pré- 
paratoire à la première communion révéla plus clai- 
rement encore l'appel divin au prêtre qui l'instrui- 
sait, et qui dès lors fut pour lui l'homme de la 
Providence. Charles portait si bien dans toute sa 
personne ce qu'entre nous nous appelons le fades 
euntis in Jérusalem, qu'au lendemain de cette sainte 
première communion, le charitable vicaire vint ofifrir 
aux parents de lui faire commencer les études libé- 
rales qui sont l'acheminement vers le sacerdoce. 
« Monsieur l'abbé , voici Charles , répondit le père 
avec l'énergique accent de l'homme de foi. Si le bon 
Dieu le juge digne d'être un prêtre et un bon prêtre, 
prenez-le. De mon côté, je ferai ce que je pourrai. » 

A quelque temps de là, après les vacances sco- 
laires, l'enfant était installé, matin et soir, dans la 
demeure et sous le regard de son maître, ou, pour 
mieux dire, sous le regard de Dieu; car chaque fois 
qu'il devait sortir pour son ministère , le prêtre lui 
disait : oc Charles , je vais m'absenter aujourd'hui 
pendant quelque temps; je ne serai pas ici, mais 
Dieu y sera et vous verra ! » Le même prêtre 
nous apprend qu'un jour, rentrant chez lui, il 
trouva son élève à genoux et en larmes devant une 
statue de saint Joseph , qu'il conjurait dej l'aider 



j 



CHARLES TANGHE 309 

à faire un devoir latin qui le mettait au désespoir. 
Gha/*les avait lu quelque part que Tintercession de 
ce puissant protecteur avait obtenu la grâce de 
faire de brillantes études à un jeune aspirant au 
sacerdoce comme lui. J'aime la réponse de son 
maître , parce qu'elle est une leçon d'énergie morale 
et d'immolation au devoir : « Charles, croyez- vous 
que saint Joseph va vous donner la clef de toutes 
les difficultés? Il serait vraiment trop commode à 
tout étudiant embarrassé dans son travail de n'avoir 
qu'à appeler le secours d'en haut pour être assuré 
de réussir à l'instant, et cette piété d'intérêt ne 
témoignerait pas d'un amour bien généreux pour 
Jésus- Christ et sa croix. Qu'il vous suffise, Charles, 
de bien faire votre prière, comme vous faites régu- 
lièrement, avant de vous mettre à l'étude. Après 
quoi, si vous y rencontrez quelque difficulté, ac- 
ceptez cette épine et ofifrez-la à Notre -Seigneur en 
esprit de pénitence. Puis, à la grâce de Dieul j> 

Un an seulement après ses études latines, ainsi 
bravement commencées et vigoureusement me- 
nées, Charles Tanghe entrait chez nous, dans la 
classe de cinquième, sous le toit de ce saint Joseph, 
qui le récompensait par là de sa confiance. 

Mais pourquoi chez nous? Était-ce bien le lieu? 
Ne se trompait-il pas de maison? Non, mes en- 
fants; et ici j'ai le devoir devons présenter quel- 
ques considérations qui vous feront mieux entrer 
dans l'intelligence de l'œuvre accomplie parmi nous. 

Notre collège sans doute n'est pas un sémi- 



310 CHARLES TANOHE 

naire, et presque tous un jour vous vous dirigerez 
vers les carrières du siècle auxquelles nous vous 
préparons et par une instruction qui fera de vous, 
j'espère, des hommes distingués, et par une édu- 
cation qui fera de vous, j'en suis sûr, des chrétiens 
accomplis. Telle est bien, enefifet, la destinée du 
grand nombre. Elle est très bell^, très honorable; 
et nous n'estimons pas qu'il y ait pour notre sacer- 
doce de ministère plus utile que celui d'y guider 
vos pas sur les traces de tant de grands catholiques 
vos pères. Cependant si, à côté de ceux qui vont 
demain devenir des hommes du monde, il en est 
d'autres parmi vous desquels le Seigneur lui-même 
veut être l'héritage, et qui, dans la lumière et dans 
la liberté, ont conçu l'idéal et magnanime dessein 
de se dévouer au service de Jésus- Christ et des 
âmes, je vous confesse, mes chers fils, que Jésus- 
Christ et les âmes me sont trop aimables pour que 
je ne félicite pas ces élus de leur vocation comme 
d'un privilège, d'une béatitude et d'une bénédic- 
tion. Il peut donc se présenter à nous avec confiance 
le jeune Samuel qui, au matin de sa vie, a entendu 
secrètement l'appel du Seigneur. Volontiers, nous 
lui ouvrirons libéralement une maison qui a tout 
ce qu'il faut pour être le vestibule du sanctuaire où 
il aspire. Il pourra faire quelquefois que la naissance 
et la fortune ne l'auront point placé aux premiers 
rangs de la hiérarchie sociale. Mais si néanmoins sa 
famille a gardé, dans une humble condition, cette 
fidélité de foi et de mœurs chrétiennes qui fait la 



CHARLES TANCHE 311 

noblesse surnaturelle du peuple; si Dieu règne à 
son foyer investi de dignité, de décence et d'hon- 
neur; si son nom, quoique sans éclat, n'en est pas 
moins sans tache : béni soit qui nous l'envoie, 
et que cet enfant de Dieu entre comme chez lui à 
l'école de Dieu ! A ces conditions personnelles et 
domestiques d'intelligence, de piété, de conduite, 
de travail et d'honnête éducation , il sera le bien- 
venu, et il ne se trouvera nullement déclassé parmi 
nous. Nous que Dieu a envoyé évangéliser les 
pauvres, nous n'aurons garde d'oubUer que c'est 
de la pauvre mais sainte boutique de Nazareth 
qu'est sorti le premier prêtre de la rehgion de 
la croix. Nous estimons d'ailleurs que la présence 
de tels jeunes gens dans un collège chrétien attire 
sur toute l'École les regards du Dieu de charité, 
et que ce Dieu nous sait gré, en particuher, de 
prélever sur les heureux auxquels il a attribué la 
graisse de la terre la dîme qu'il prélevait jadis 
sur les tribus d'Israël pour entretenir les fils de la 
tribu de Lévi. Eux-mêmes, s'ils ont répondu à la 
grâce des grâces, seront déjà parmi leurs frères le 
sel de la terre et la lumière du monde. Et il me 
plaît de penser que plus tard, lorsque le soldat, 
le magistrat, l'homme d'affaires rencontreront le 
prêtre qui fut leur condisciple , ce sera déjà beau- 
coup qu'une ancienne affection ait noué entre eux 
des liens que le respect sera venu consacrer en- 
suite; et, champions des mêmes causes, ils s'enten- 
dront mieux ensemble pour soutenir les mêmes 



312 CHARLES TANGHE 

combats lorsqu'ils auront fait jadis ensemble leurs 
premières armes. 

Du jour où Charles Tanghe fit son entrée parmi 
nous , sa vie vous appartient. Je n'ai donc plus à 
vous la redire, à vous ses frères de classe, ses Itères 
de division et de congrégation. Vous les avez vus 
s'écouler près de vous ces jours fidèles, où le flot 
succédait au flot si doucement que rien n'en ridait 
la surface, et où tout effarait l'image de cette belle 
paix que saint Augustin appelle la tranquillité de 
l'ordre. C'était bien l'ordre, en efifet, la régularité, 
la correction , l'exacte discipline en toute chose qui 
composaient le caractère que vous avez connu , mais 
tout cela assoupli, tempéré de bonté, d'aménité, de 
déférence, de délicatesse et de bonne grâce sou- 
riante. Je n'ai plus à vous parler de ses succès sco- 
laires, qui donnaient à TÉglise des espérances si 
solides. Comment en eût-il été autrement d'un éco- 
lier bien doué et diligent qui se levait régulièrement 
vers quatre heures ou quatre heures et demie tous 
les matins? Cela seul juge un homme et vous dit 
assez la trempe de cette âme virile. 

Mais ce que vous n'avez pas vu, ce que vous ne 
pouvez pas savoir, et ce que nous révèlent quel- 
ques lettres écrites à sa famille, ce sont les tré- 
sors intimes que cachait, sous une apparence si 
calme, ce cœur ardent de bon fils, de chrétien et 
d'apôtre. Ce sont, par exemple, les efifusions qu'il 
envoie au jour de la fête de son père, du village 
d'Orcq, en Belgique, où il passe, chaque année, les 



CHARLES TANCHE 313 

deox mois de ses vacances , et où la joie de se mêler 
aox travaux de la moisson , de voir les avoines ren- 
trées, les blés coupés, les gerbes liées, ne le con- 
sole pas de n'avoir point, chaque jeudi, dans sa 
paroisse la messe solennelle du très saint Sacre- 
ment. Ailleurs, au premier jour de l'an, ce sont des 
vœux tout religieux adressés à son père, mais 
attristés ce jour-là par le regret de ne pouvoir y 
joindre, écrit-il, une petite décoration qui lui ferait 
si grand plaisir. « Mais suivons, ajoute- t-il, le che- 
min qui nous a été tracé par notre Sauveur, et 
tâchons d'être humble comme il Ta été lui-même. » 
Ce sont plus tard quelques conseils très discrets, 
très tremblants qu'il s'excuse d'oser donner, lui si 
jeune, à son digne père, lui recommandant « d'user 
de modération, de faire toujours régner la paix dans 
la maison, en évitant les excès qui se commettent 
en si grand nombre parmi les hommes ; » puis de- 
mandant encore une fois pardon de son audace au 
nom de Celui qui a dit : ce Soyez miséricordieux 
comme votre Père céleste est miséricordieux. » Et 
encore ce court billet qu'il laisse dans la main de 
son père, le matin même du jour où il vient 
commencer . ici sa rhétorique : a Comme c'est 
aujourd'hui la rentrée, mon cher père, je vous 
demande de vouloir bien prier . pour moi tous 
les jours aux intentions importantes de ma vo- 
cation, de mes études et de mes examens, afin' 
que j'obtienne les lumières qui me sont néces- 
saires. y> 

14 



314 CHARLES TANCHE 

Vous le ferai-je observer en passant, mes enfants, 
comme j'en été moi-même le témoin à la fois charmé 
et édifié? Dans tous ces rapports de famille, l'auto- 
rité demeure entière au sein de la cordialité, et, de 
part et d'autre, c'est le respect qui ici inspire et 
domine tout. Non seulement, conune dajis toutes 
vos anciennes familles, le fils est fidèle à dire tou- 
jours vous à son père, mais ici le père, lui aussi, 
dit toujours votis à son fils, imprimant ainsi à leur 
mutuel entretien ce cachet supérieur et révérentiel, 
qui va, hélas! s'efTaçant chaque jour, mais qui n'en 
est pas moins celui de la religion comme de la 
distinction. 

Mais ce que je suis venu vous mettre sous les 
yeux dans ces quelques paroles, vous le devinez 
bien , ce n'est pas la vie uniforme d'un écolier, si 
parfaite qu'elle soit, c'est la mort édifiante d'un pré- 
destiné. 

Et d'abord, ne croyez pas qu'elle ait surpris votre 
ami et qu'il ne l'ait pas vu venir : le jeune chrétien 
y pensait de loin. Son petit cahier de retraite con- 
tient seulement quelques lignes écrites par lui chaque 
année; or presque toutes ces lignes se rapportent à 
un seul objet : sa mort, sa fin dernière. 

Voici ses réflexions de 1884; c'est la mort elle- 
même qui parle : « Je viendrai, — je viendrai bien- 
tôt, — je te surprendrai. » Puis ces résolutions 
prises en conséquence : « Je vivrai comme devant 
mourir, — je vivrai comme devant bientôt mourir, 
— je vivrai de manière à bien mourir. y> 



CHARLES TANGHE 315 

Dans sa retraite de 1885, qui fut sa dernière re- 
traite, il écrit tout d'abord ce mot de Notre- Sei- 
gneur : Estote parati : a Soyez prêts à me recevoir, 
car je viendrai comme un voleur. y> Ce qui lui fait 
ajouter : (l Soyons donc toujours disposés à paraître 
devant Dieu, et résistons avec courage aux tenta- 
tions. » Aussi bien, il est une chose qu'il redoute 
plus que de mourir, c'est de mal faire; et la devise 
qu'il a écrite en tête de tout ce recueil, sa devise, 
à lui, celle de sa vie tout entière, c'est celle-ci : 
Potius moH quant fœdari! 

Tel est le premier mot de ces pages; puis tel en 
est le dernier : Unum timeo peccatum : a Je ne crains 
qu'une chose, le péché. » Après quoi il se jette, 
par une vive invocation, dans le sacré cœur de 
Jésus, où Jésus s'apprêtait, en effet, à le recevoir 
pour l'éternité. 

C'était donc aux vacances de 1886. Le lauréat du 
prix d'honneur que vous aviez applaudi n'avait pas 
été moins heureux sur un autre champ de combat, 
celui de ses examens devant la Faculté de Douai : 
(( JAUons ensemble remercier Notre- Seigneur et la 
sainte Vierge, » avait- il dit aussitôt à ses compa- 
gnons de victoire. Et il les avait emmenés à l'église 
voisine. Mais l'ambition du noble enfant allait à de 
plus hauts bonheurs; et voici en quels termes le 
nouveau [bachelier en écrivait magnanimement [à 
son premier maître de latin, M. le curé de Floyon : 
a Grâces soient à Dieu! je suis bachelier à moitié. 
Si je n'avais pas réussi à cet examen, je ne me serais 



316 CHARLES TANCHE 

pas moins réjoui; car dans ce cas du moins je n'au- 
rais plus tardé à revêtir les saintes livrées du soldat 
de Jésus -Christ. Vous savez combien j'aspire à 
entrer dans cette milice, la plus noble de toutes et 
qui demande tant de vertus! Mais je resterai encore 
un an à Saint -Joseph par esprit de reconnaissance 
pour nos bons maîtres, à qui, après Dieu, revient 
tout l'honneur de ce succès. Ensuite j'entrerai dans 
cet asile béni du grand séminaire , pour y travailler 
généreusement à ma formation sacerdotale, d 

C'était son père qui avait dû modérer son impa- 
tience de partir pour le séminaire, en lui disant ces 
paroles : « Mon fils, ces Messieurs n'ont cessé d'être 
bons pour vous, obéissez à leurs conseils, et re- 
tournez vous préparer à votre second examen, afin 
d'être plus tard en mesure de faire plus de bien, 
en même temps que vous ferez honneur à votre 
collège. » 

Cette année de philosophie, il venait à peine d'y 
entrer lorsque, hélas! s'ouvrit pour lui cette autre 
école de sagesse dont un ancien a dit : <c Philoso- 
pher, c'est apprendre à mourir. » En octobre, un 
vomissement de sang, soudain et abondant, survenu 
au collège même, révéla la terrible lésion d'un orga- 
nisme qui allait achever promptement de se briser. 
Notre enfant ne fit plus que languir, à partir de cette 
heure, au sein d'accidents pareils qui le laissaient 
à chaque fois plus faible, plus exténué. Et nous tous, 
qui allions le visiter dans cette chambre ornée de 
ses couronnes, de ses prix, de ses souvenirs, de ses 



CHARLES TANGHE 317 

images sacrées, nous qui le contemplions, tantôt 
couché, tantôt assis, pâle, haletant, amaigri, mais 
souriant toujours , nous ne sortions de là qu'avec 
de douloureux et sinistres pressentiments, contre 
lesquels il ne nous restait plus d'autre refuge que la 
prière et la confiance en Dieu. Lui seul cependant 
s'était acharné à l'espérance : nous sommes telle- 
ments faits pour elle ! Et à dix-huit ans, au matin de 
la vie, on croit si difficilement que c'est déjà le 
soir! Mais, hélas! vers la fin de décembre, des 
syncopes réitérées nous avertirent que l'heure 
redoutée allait sonner : l'âme faisait déjà effort 
pour se délivrer de sa chaîne et s'envoler à 
Dieu. 

Mes chers fils, j'ai souvent remarqué, durant mon 
ministère, que les jeunes gens savent mieux mou- 
rir que les vieillards, lesquels, depuis trop long- 
temps accoutumés à la vie, ont d'autant plus de 
peine à en faire le sacrifice. Gela est spécialement 
vrai des jeunes gens chrétiens, et c'est bien d'eux 
que Tertullien était en droit de dire : Christiani ge- 
nus expeditum mort. Mais je dois entre tous cet 
hommage particulier aux enfants de ce collège, 
que, lorsqu'il plaît à Dieu de les rappeler à lui, ils 
lui répondent avec un élan qui va jusqu'à l'allé- 
gresse; et il me plaît d'y voir une bénédiction toute 
spéciale du saint Patron de cette école, qui est 
aussi le patron de la mort joyeuse entre les bras 
de Jésus. 

On allait en contempler le spectacle encore une 



318 CHARLES TANCHE 

fois, et voir par quelle belle porte un chrétien de 
votre âge sait sortir de la vie. 

Charles avait reçu le divin Viatique dans la vigile 
de Noël, et avec quelle religion ! Il semblait que 
Notre- Seigneur n'avait prolongé la vie de son enfant, 
durant ces trois mois de souffrance, que pour lui 
procurer la consolation d'expirer au pied de sa 
crèche. 

Le soir de cette solennité, les mêmes défaillances 
le reprirent, et si inquiétantes, que son père, s'ap- 
prochant de son lit, voulut l'avertir lui-même que le 
temps était venu d'appeler les derniers sacrements : 
« Charles, ne voudriez-vous pas recevoir l'Extrême- 
Onction? » Il regarda son père : « Pensez- vous, lui 
demanda- 1- il, que ce soit nécessaire? y> Et sans 
attendre la réponse , car il la lisait dans ses yeux : 
« Oui, dit- il, oui, mon père, je le veux, et du fond 
de mon cœur. » 

A partir du moment où il comprit ce que le Sei- 
gneur demandait de lui, Charles fut un autre homme. 
Sa résignation précédente se changea soudain en 
une allégresse qui ne se démentit plus pendant ces 
trois derniers jours; et sa conscience si droite se 
disposa à remplir ce grand et suprême devoir 
comme elle remplissait tous ses devoirs : avec une 
douce gravité que cette fois la grâce des divins 
sacrements enflammait par instants d'une ardeur 
toute céleste. Il accueillit en souriant M. le vicaire 
de la paroisse qui vint lui apporter la sainte onction 
des mourants. Il ne perdit rien des prières , aux- 



CHARLES TANGHE 319 

quelles il s'associait avec une piété qui transfigurait 
son visage. Et quand tout fut terminé : « Ah ! mon- 
sieur l'abbé, dit-il avec effusion, l'Enfant Jésus 
vient de me faire une grâce de choix pour le jour de 
sa naissance! » Il était alors environ dix heures du 
soir. Le prêtre l'ayant béni avant de le quitter, Charles 
le remercia encore : « Merci, dit -il, merci! d Et 
il se mit ensuite à prier en silence. Il entrait dans 
cette grande et continuelle prière qui fut celle de 
Jésus mourant : Factus in agonia prolixius orahat. 

Le lendemain dimanche, fête de saint Etienne, 
ce fut encore l'action de grâces qui continua. Son 
vénéré et cher professeur de rhétorique étant allé 
le voir, Charles l'accueillit par ces paroles : « Ah ! 
mon Père, je suis aux anges; j'ai reçu l'Extrême- 
Onction I d Rarement son maître l'avait vu dans ce 
rayonnement de joie : c'était surnaturel. 

Le même jour, cette action de grâces se tourna 
vers sa famille et vers tous ceux dont il se croyait 
l'obligé en ce monde. Il fit s'approcher de son lit 
ceux qui étaient présents : oc Je vous remercie, 
dit- il; je remercie mes chers parents de m'avoir 
bien élevé, d Et comme il les voyait pleurer autour 
de lui : « Il ne faut pas penser à moi seul, ajouta-t-il, 
il faut penser à tous les autres. Vous remercierez, 
reprit-il, tous ceux qui m'ont fait du bien, mes 
maîtres, et aussi tous ceux qui m'ont visité du- 
rant ma maladie. » Et un peu après : « Que je vous 
remercie, mon père, de m'avoir procuré la grâce 
de recevoir le sacrement de l'Extrême -Onction! 



320 CHARLES TANGHE 

Après la reconnaissance, la pénitence eut son 
tour : « Je vous demande pardon de toutes les 
peines que j'ai pu vous faire, dit- il très ému; je 
demande pardon à toutes les personnes auxquelles 
j'ai pu manquer dans le cours de ma vie. y> 

La nuit ctu 26 au 27 fut mauvaise ; on crut que ce 
serait la dernière pour lui. Mais Notre -Seigneur 
voulait qu'il célébrât sur la terre la fête de saint 
Jean, son second patron, et qu'il la célébrât sur le 
Calvaire avec lui, comme ce disciple aimé. La fièvre 
le dévorait; il avait le corps en feu; son regard était 
incertain, ses mains tremblotantes, sa respiration 
haletante; il n'avait plus qu'un souffle, et le méde- 
cin ne garantissait pas une heure de vie. Cependant 
l'âme restait tranquille; nulle inquiétude, nulle 
plainte. Il parlait peu , mais ses yeux priaient, con- 
tinuellement attachés à un tableau de la flagellation 
de Notre- Seigneur, placé en face de son lit de souf- 
frances. Quand, vers trois heures de l'après-midi, 
M. le vicaire vint le voir, il le trouva tenant en main 
son crucifix, qu'il essayait de temps en temps d'ap- 
procher de ses lèvres. Il lui demanda d'offrir ou 
plutôt de renouveler le sacrifice de sa vie, et il 
l'entendit qui répétait d'une voix faible mais nette 
ces invocations qu'il lui suggérait : « Jésus, Marie, 
Joseph, je vous donne mon cœur, mon esprit et ma 
vie... Saint Joseph, patron de la bonne mort, priez 
pour nous... Mon saint Ange gardien, veillez sur 
moi. D 

Vers les cinq heures, le prêtre lui dit : « J'entends 



CHARLES TANGHE 32! 

sonner le salut à l'église de la paroisse. Charles, je 
vais vous quitter pour aller recevoir, à votre inten- 
tion, la bénédiction du saint Sacrement. » Le mou- 
rant, levant ses yeux, le regarda doucement : 
« Monsieur l'abbé, je vous en prie, dit-il, ne partez 
pas, restez près de moi; il serait trop tard pour re- 
venir ensuite, je serais mort... » 

Le prêtre resta. Le voyant faiblir, il lui réitéra 
la sainte absolution, lui demandant d'avoir bonne 
confiance en Dieu : « Oui, lui répondit Charles avec 
l'accent d'un bienheureux, oui, j'en suis sûr, j'irai 
au Ciel... Maintenant je suis bien préparé..., j'ai tou- 
jours été préparé. y> 

Puis , d'un grand élan de cœur : « Je vais aller 
à mon Dieu! » s'écria-t-il. Il ajouta modestement : 
« Je ne serai pas au premier rang dans le paradis , 
je le sais bien, mais je serai toujours du nombre de 
ceux qui loueront le bon Dieu. » 

La communion l'attirait, et il aurait voulu la re- 
cevoir encore. Apercevant son oncle et parrain qui 
priait près de lui : « Mon oncle, préparez la petite 
table, lui dit -il, mettez une nappe blanche, placez 
dessus deux cierges; je vais communier. y> Le prêtre 
lui dit d'être calme, et que ce bonheur ne tarderait 
pas à lui être donné : c'était de la communion à Jésus 
dans sa gloire qu'il lui parlait ainsi. Il lui mit alors 
le cierge bénit entre les mains, et commença à réci- 
ter les prières des agonisants. Toute la famille était 
là , entourant le cher enfant et priant à haute voix 
pour son salut étemel. 

14* 



322 CHARLES TÂNGHE 

• Le soir de cette même journée, il lui vint au cœur 
la pensée d'offrir à ses père et mère ses souhaits de 
nouvel an : « Bonne année, répéta-t-il; que Dieu 
vous la donne heureuse, et plus tard son paradis I :» 
Et il leur tendit les bras. o. Mais, Charles, lui dirent- 
ils, ce n'est pas aujourd'hui le premier jour de 
l'an? — Je le sais; mais ce jour-là, je ne serai plus 
ici pour vous faire mes souhaits. » Toute la famille 
présente vint l'embrasser en larmes. 

Il ne cessait de prier, comme on le voyait à son 
regard et au mouvement de ses lèvres. Vers minuit, 
il eut une crise plus aiguë et que l'on crut être la 
crise suprême. Il devint plus calme ensuite, et, 
avec une entière présence d'esprit, se demandant 
s'il avait accompli toutes les promesses qu'il avait 
faites à Dieu en ce monde qu'il allait quitter dans 
un instant, il se ressouvint alors qu'il s'était engagé, 
s'il était reçu bachelier, à faire brûler six cierges à 
l'église de Saint -Michel, six à Saint -Vincent- de- 
Paul , six à Notre-Dame-de-Gonsolation. 

Il donna distinctement tous ces détails à son père : 
« Vous acquitterez fidèlement ma promesse, lui 
dit -il; vous irez pour moi dans chacune de ces 
églises, et vous y réciterez six Pater et six Ave. » 
C'était une heure avant sa mort qu'il parlait de cette 
sorte. 

Vers trois heures du matin, jour de la fête des 
saints Innocents, on l'entendit qui, près d'expirer, 
se mit soudainement à réciter tout au long, très 
distinctement et avec une grande foi. Notre Père et 



CHARLES TANCHE 323 

Je crois en Bien, dont il eut peine à achever les der- 
nières paroles. Il mourait en fils de Dieu et de 
l'Église. 

L'agonie était commencée. Le mourant serrait le 
crucifix dans une étreinte convulsive qui était aussi 
une étreinte d'amour. Son père priait à genoux : 
« Charles, lui dit -il, vous êtes un enfant de saint 
Joseph, je vais réciter les litanies de saint Joseph 
et lui demander qu'il vous délivre. — Oui, mon 
père, » répondit-il. Ce furent ces dernières paroles. 
Les litanies n'étaient pas achevées que la délivrance 
était venue : Charles avait cessé de vivre. 

Telle fut la mort du jeune chrétien, forte et douce 
comme sa vie. Cette matinée était celle de la fête des 
saints Innocents. L'Église se réveillait pour célébrer 
dans son office « ceux qui sont rachetés du milieu 
des hommes pour être de pures prémices offertes à 
Dieu et à l'Agneau rédempteur, parce qu'il ne s'est 
pas trouvé de mensonge dans leur bouche et qu'ils 
ont paru sans tache devant le trône de Dieu ^ » 
Elle faisait entendre dans ses chants liturgiques la 
voix de Rachel pleurant ses fils et refusant d'être 
consolée, parce qu'ils ne sont plus. » 

Et nous aussi nous pleurerons ce doux adolescent 
au regard tranquille et pur, au langage plein de bonté, 
dont les pieds se dirigeaient vers l'autel du Dieu 
vivant et « dont les vêtements avaient l'odeur de 
l'encens , » comme s'exprime l'Écriture. Mais nous 

* Apoc. XIV. In Feato SS. hxnoc. Ant. vu ad m Nocl. 



324 CHARLES TANCHE 

ne le pleurerons pas comme ceux qui n'ont point 
d'espérance, et nous ne serons pas moins forts, nous 
ses seconds pères et frères, que ceux dont le cou- 
rage a su baiser la main divine qui leur enlevait 
un tel frère et un tel fils. Nous avions l'habitude de 
le voir ici , dans ce sanctuaire , revêtu de la robe 
blandie des enfants du Seigneur, servir près de cet 
autel où il aspirait à monter un jour : nous nous 
nous accoutumerons à le voir désormais, avec sa 
robe virginale , près de cet autre autel où il tient 
l'encensoir et présente pour nous, ses amis et ses 
maîtres, c cette coupe d'or pleine d'aromates qui 
sont les prières des saints, b 

Et puis nous nous souviendrons de la parole qu'il 
se disait à lui-même et qu'il semble nous redire, à 
nous, par delà la mort : Estote parcUil Conune lui 
donc, nous tiendrons toujours libres et droites les 
routes par lesquelles nous irons le rejoindre, quand 
le signal nous en sera donné. Et pour cela, désor- 
mais héritiers de ses exemples, héritiers de ses 
armes, nous le serons aussi de sa chevaleresque et 
chrétienne devise : Potiiis mori quam fœdaril Ce 
que le Père Lacordaire traduisait énergiquement en 
ces termes : « Mieux vaut mourir que pourrir ! > 



XXIII 



LA FÊTE DES CRÈCHES 

AU COLLÈGE 
ET CHEZ LES PETITES SŒURS DES PAUVRES 



L'usage da collège est que, chaqae année, iNoSl, ane 
représentation de la grotte de Bethléhem soit construite 
dans chaque salle d'étude des cinq dinsions, et y demeure 
jusque vers le milieu de janvier. 

Ces orèehea, dont quelques-unes sont de TériUblas pe- 
tits monuments, et qui rivaliseat entre elles de pitto- 
resque et de bon goût, reçoÎTetit chaque jour la prière des 
leurs élèves. De plus, la charité des familles y eoToie 
nt tout ce mois des offrandes nombreuses et de toute 
re, destinées aui rieillards des Petites Saurs des 
Tes. 

irs le milieu de ce mois de la Sainte- Enfance, une 
réunit au pied de chaque crèche, à tour de râle, les 
;b d'une des divisions qui, en présence de M. le Supé- 
r et de tous leurs maîtres, célèbrent le mystère de 
s enfant par des poésies, des dialogues, des chants 
es pièces de musique préparés par eux-mêmes pour 
I gracieuse solennité. Elle se termine par la consé- 
ioo de la dinsion & l'enfant Jésus prononcée à genoux 
le Préfet de la congrégation. 

) jour de congé suivant, les congréganistes se rendent 
. les Petites Sœurs des pauvres, auxquelles ont été 
es tous les présents du mois, et une fête musicale et 
.ique, toute de circonstance, est offerte aux vieillards, 
' qui c'est une grande journée. Tout se termine par 
énédictioo du très saint Sacrement dans la chapelle 
Asile. 



XXIII 



LA FÊTE DES CRÈCHES 



REMERCIEMENT ET EXHORTATION A LA MESSE 
DU DIMANCHE SUIVANT 



Mes CHERS Fils, 

Cette semaine a été une bonne semaine , une se- 
maine de joie pour les pauvres , une semaine de 
mérites pour vous. Combien je vous en bénis I 
Vous avez réjoui le cœur de Jésus- Christ par une 
double fête : celle que vous lui avez donnée dans 
chacune de vos salles d'étude, au pied des crèches 
élevées par vos mains et enrichies de vos présents; 
celle que vous lui avez donnée chez les Petites 
Sœurs des pauvres , au milieu de ces vieillards que 
vous avez visités, servis, ravitaillés, rajeunis et 
charmés par vos dons et vos chants. Tout cela est 
bien chrétien; tout cela est bien digne de vous; et 
ceux qui comme moi vous aiment tous les jours, 
vous aiment au double ces jours-là. 

J'ai voulu vous le dire ce matin , j'ai voulu vous 
le dire ici. Et c'est ici, devant cet autel et en pré- 
sence de Dieu, que je viens vous féliciter de trois ou 
quatre choses qui ont fait d'une partie de ce mois 



328 LA FÊTE DES CRÈCHES 

de janvier, et particulièrement de cette dernière se- 
maine, un mois et une semaine si agréables à Dieu. 

Je vous félicite d'abord de ces belles grottes de 
Bethléhem, que vous aviez construites dans vos 
salles d'étude avec un art, une variété, un goût, 
une richesse même que n'avait guère connue l'étable 
de Bethléhem, mais qui faisait grand honneur à votre 
religion comme à l'ingénieuse industrie de vos 
maîtres. Je veux qu'ils soient remerciés, eux pre- 
miers, mes chers fils, eux qui ont employé à ces 
constructions vraiment architecturales non seule- 
ment les heures du jour, mais souvent celles de la 
nuit; à peu près comme ces bergers des montagnes 
de Judée dont nous parle l'Évangile de Noël, qui, 
la nuit encore, veillaient et s'occupaient du service 
de leurs troupeaux : Pastores erant vigilantes et 
eustodientes vigilias noctis super gregem suum, 

La seconde chose dont je vous félicite, et cela du 
fond du cœur, c'est la générosité de vos offrandes 
aux pauvres , ou mieux à Jésus présent dans la per- 
sonne du pauvre. De division à division et d'année 
en année, vous rivalisez à qui fera le mieux et 
donnera davantage. Et certes ce n'étaient pas les 
modestes présents des bergers que vous déposiez 
chaque jour aux pieds de l'Enfant Dieii, c'étaient 
bien plutôt les trésors des mages , des trésors vrai- 
ment royaux, dans lesquels il me plaisait de recon- 
naître, comme à Bethléhem, l'or, l'encens et la myrrhe. 

Et d'abord, demandez aux Petites Sœurs des 
pauvres, qui me l'ont dit à moi, quelle grosse 



LA FÊTE DES CRÈCHES 329 

somme d'or représentent ces montagnes de denrées, 
de vêtements, de linge, de sucre, de provisions de 
bouche, de vin, de bière par tonneaux, que petits 
et grands vous apportiez ou vous envoyiez ici tous 
les matins, dépouillant pour cela vos charitables 
familles, lesquelles, j'en suis sûr, ne demandaient 
pas mieux que d'être dévalisées pour un si noble 
usage, et par des mains si fidèles à la libéralité tra- 
ditionnelle de leurs pères. 

Et l'encens? c'était celui de votre prière que vous 
apportiez les uns après Jes autres aux pieds de cet 
Enfant divin , devant lequel vous demandiez à venir 
vous agenouiller au milieu de vos travaux, avec 
cette simplicité de foi et de piété qui me charme 
tant dans mes chers fils, parce qu'elle est la marque 
d'âmes qui vont à Dieu droitement, sans crainte et 
sans détour. 

Et la myrrhe? La myrrhe emblème de la mortifica- 
tion, je la retrouve, mes enfants, dans les sacrifices 
que vous vous êtes imposés tout ce mois , pour offrir 
à Jésus-Christ, chaque semaine, ce bouquet de Primes 
roses, ce faisceau de bonnes notes, ce parfum d'édifi- 
cation, cette somme de travail et d'efforts dont vous 
apportiez la résolution ou verbale ou écrite au pied du 
trône de paille d'où Jésus les bénissait. Eh bien , 
qu'on en pense ou qu'on en dise ce qu'on voudra , 
tout cela pour moi c'est le bien , le bien moral , le 
bien religieux, et par conséquent tout cela est bien 
à sa place dans l'école de Dieu. 

Tenez, une pensée m'est venue parfois à ce sujet. 



330 LA FÊTE DES CRÈCHES 

et je veux vous la redire. Je me suis demandé quel 
serait l'étonnement de quelqu'un d'étranger à ce que 
j'appelerais notre christianisme scolaire , de quelque 
personnage officiel, par exemple, se présentant dans 
une de nos salles d'étude, pendant ce temps de 
Noël, et se trouvant tout à coup en présence de ce 
déploiement de piété et de cette exposition de cha- 
rité, qui évidemment ne sont ni prescrits ni prévus 
par les programmes universitaires. 

Que dirait-il? Je ne sais. Mais s'il allait prétendre 
que de telles pratiques sont jpuériles et qu'elles n'ont 
rien à faire avec l'éducation, j'oserais lui répondre 
qu'au contraire c'est l'éducation du cœur que celle- 
là. Je lui dirais que c'est là, à cette école de la 
Crèche, que nos enfants apprennent à aimer Dieu, 
en contemplant tout le jour combien un Dieu les a 
aimés. Je lui dirais que c'est là que nos enfants ap- 
prennent à aimer le prochain, par l'exercice et 
l'exemple de l'aumône faite aux malheureux. Je lui 
dirais que c'est là que nos enfants apprennent à 
vaincre leur orgueil, leurs révoltes, leurs sensua- 
lités, en contemplant l'obéissance de Celui qui dans 
cette crèche s'anéantit jusqu'à prendre la forme 
d'esclave. Placée auprès de la chaire de votre pré- 
sident d'étude, mieux encore que sa vigilance, la 
crèche prêche le silence par le silence de Jésus. Et 
s'il est une voix qui sorte de ce berceau , c'est celle 
qui dit et redit l'aimable parole de l'Évangile : « Si 
vous ne devenez semblable à ce petit enfant, vous 
n'entrerez pas dans le royaume des Cieux. d 



LA FÊTE DES CRÈCHES 331 

Une autre chose dont j'ai à cœur de vous féliciter, 
c'est la fête qui a clos , dans chacune de vos salles 
d'étude, ce mois ou ces semaines consacrés à honorer 
la crèche de l'Enfant Dieu. La musique, l'éloquence, 
la poésie, ont rivalisé, ces jours-là, de bon cœur 
et de bon goût. J'aime , mes chers fils , que vous 
chantiez près de ce berceau sur lequel les anges 
ont chanté autrefois. J'aime que la poésie vienne 
célébrer ce mystère de Noël, si plein de poésie 
champêtre et de poésie divine. C'est le tribut de 
vos intelligences et les prémices de vos travaux que 
vous payez au Seigneur, après le tribut de vos au- 
mônes et de vos prières. Combien ces fêtes m'ont 
charmé, j'ai tenu à vous l'exprimer après chaque 
séance. D'autres ont dû vous le dire comme moi, 
mes chers petits enfants; car tous ceux qui y assis- 
tèrent s'en sont retournés ravi%, comme il est dit 
des visiteurs de la crèche de Bethléhem : Et omnes 
qui audierunt, mirati sunt de his qux dicta erant a 
pastorïbus ad ipsos. 

Enfin , la dernière chose dont je vous loue et vous 
bénis , c'est la distribution gracieuse que vous avez 
faite de vos aumônes opimes, dans la fête donnée par 
vous à l'Asile des Petites Sœurs des pauvres. Vous 
savez, mes chers enfants, si vous y êtes bien reçus ! 
On vous attend, on vous espère des semaines et des 
mois d'avance. On veut vous voir, vous entendre, 
vous lîarler, vous chanter même, car la reconnais- 
sance des vieillards tient à honneur de répondre à 
vos chants par leurs propres chants à eux. Je ne 



332 LA FÊTE DES CRÈCHES 

me porte pas garant que, de leur côté, tout y soit 
harmonie à l'oreille des hommes; mais ces couplets, 
si incultes qu'ils soient, sont ces prières du pauvre 
desquelles il est écrit qu'elles résonnent doucement 
à l'oreille de Dieu. 

Ne croyez pas, d'ailleurs, que le plus plus grand 
bienfait que vous apportez à ces bonnes gens soit 
celui de votre aumône : c'est bien davantage encore 
celui de votre présence. Ils se rajeunissent de votre 
jeunesse; vous leur êtes à la fois un souvenir et 
une espérance : un souvenir de leurs propres en- 
fants qu'ils ont vus à votre âge , mais moins heu- 
reux , moins fortunés que vous ; une espérance 
aussi : l'espérance que, vous montrant si secou- 
rables peureux, vous ne manquerez pas de l'être 
également pour ceux qui leur touchent de près et 
qu'ils ont laissés manquant de tout dans le monde. 

Mais que parlé -je de la reconnaissance qu'ils 
vous doivent? N'est-ce pas vous, au contraire, qui 
leur devez la vôtre? Et ces infortunés ne furent-ils 
pas, je vous le demande, vos premiers bienfai- 
teurs et vos premières bienfaitrices avant que vous 
ne devinssiez les leurs? Ils sont là aujourd'hui 
qui tendent la main vers vous ; mais oîi étaient-ils 
hier? Hier ils étaient chez vous et à votre service. 
Ils étaient dans vos fabriques, vos mines, vos ate- 
hers, vos terres; elles étaient dans vos maisons, 
à votre cuisine, à votre porte, à votre chevet peut- 
être. Ce sont vos ouvriers et vos ouvrières , vos ser- 
viteurs et vos servantes. Pour vous ceux-ci tis- 



LA FÊTE DES CRÈCHES 333 

saient la laine, le coton ou le lin, forgeaient les mé- 
taux ou travaillaient le bois; celles-là préparaient les 
aliments qui vous ont nourris et les vêtements qui 
vous ont couverts. Et si maintenant, tandis qu'ils sont 
pauvres, très pauvres, vous,vous êtes devenus riches, 
ne serait- ce pas à eux et à elles que vous en devez 
le bienfait? Ne serait-ce pas à leur travail de dix 
à douze heures par jour? Ne serait-ce pas à leurs 
fatigues , à ces rudes et longues fatigues dont leur 
âge porte aujourd'hui douloureusepaent le poids, et 
dont vous, mes chers fils , vous n'avez que la peine 
de recueillir déhcieusement le fruit? 

Je devais vous dire ces choses pour que vous ne 
soyez pas tentés d'intervertir les rôles. Mais la 
grande leçon de cette fête, le grand et sublime 
exemple, c'est la Petite Sœur elle-même. Mes chers 
enfants, qu'est-ce donc que notre pauvre denier 
auprès de ce don de soi-même, sans retour et sans 
réserve? Qu'est-ce donc que notre pauvre charité 
d'une heure, d'un instant, auprès de cette immola- 
tion de toutes les heures et de tous les instants du 
jour et de la nuit? Un de vos meilleurs maîtres a 
essayé d'en peindre la grandeur et la beauté dans 
une éloquente poésie doijit vous êtes venus ensuite 
redire les belles strophes et offrir l'hommage à ces 
filles de Dieu, lesquelles en ont souri dans leur 
humilité. Mais quel langage pourra jamais égaler 
la merveille de ce chef-d'œuvre de Dieu? 

Mes chers fils, peut-être un jour avez- vous 
désiré d'être témoins d'un miracle : eh bien, regar- 



334 LA FÊTE DES CRÈCHES 

dez la Petite Sœur, la vocation de la Petite Sœur, la 
charité d^ la Petite Sœur, l'héroïque mendicité de 
la Petite Sœur, la confiance en Dieu de la Petite 
Sœur, la multiplication universelle de la Petite Sœur, 
la vie et la mort de la Petite Sœur : là est le grand 
miracle de notre âge, miracle de Tamour de l'homme 
et de la puissance de Dieu. 

Cette leçon ne l'oubliez jamais, et la maison dont 
le chemin vous a été montré revenez-y encore, re- 
venez-y souvent. Car enfin, mes chers fils, il faut 
que vous le sachiez bien, ce que nous vous faisons 
faire par ces aumônes, ces sacrifices', ces visites, 
ces fêtes aux pauvres, c'est un apprentissage : l'ap- 
prentissage du plus noble métier qui soit au monde, 
celui d'homme de bien. Faites- en profession pour 
votre vie entière; et revenez, vous aussi, de l'Asile 
des pauvres comme il est dit que les bergers s'en 
revinrent de Bethléhem, louant et glorifiant Dieu de 
tout ce qu'ils avaient vu et entendu. Ce que vous 
aurez vu, c'est le pauvre aimé et servi, comme on 
aime, comme on sert un Dieu. Ce que vous aurez 
entendu, c'est le pauvre qui, étonné, confus de tant 
d'amour, vous en bénit , en bénit Dieu , et lui de- 
mande qu'il^vous le rende. 



XXIV 

LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

DE LA 80CIBTB DE jéSUS 



Une première et rude épreuve avait été infligée au col- 
lège Saint- Joseph par le départ du père Sengler, préfet 
des études, que son grand mérite désignait depuis long- 
temps pour remplir les plus hautes fonctions de sa Com- 
pagnie. 

Nous avions pu détourner ce coup une première fois, à 
la fin de Tannée scolaire 1885. Le T. R. P. Anderledy, 
Général de la Compagnie de Jésus, nous répondait le 
8 août : a Mon intention était, en effet, d'accord avec le 
père Provincial , de retirer le père Sengler. Mais en pré- 
sence des considérations que vous faites valoir, je n^hé- 
site pas à le laisser, et par le même courrier j^écris au 
père Provincial de maintenir le statu quo... » 

Mais cette année, durant laquelle on nous Tavait laissé 
et qu'il employa à de si grands travaux, n'était, hélas! 
qu'un sursis. Le 29 juin 1886, fête de saint Pierre, le 
P. Sengler nous informait qu'il était nommé Provincial 
de la province de Champagne. Tout ce que Ton put obte- 
nir cette fois fut qu'il ne nous quittât pas avant la distri- 
bution des prix. Telle était la réponse du T. R. P. Général 
au R. P. Braun , supérieur des jésuites de Lille : Novii 
jam Reverentia vestra me morem gessisse opiime de 
nobis merilo RR, DD. Baunard, et nominationem P. Seiv- 
gler ad XV Aitgusii distulisse... Non dubito quin DD. 
Baunard modice ferai qux secundum Instituti nostri ra- 
tiones et peculiari circumstantiarum gravitate ductiegi- 
mus, nostrosque solita benevolentia complectalur, et in 
regendo hoc magno collegio partes retineat..., etc. etc. 

Un des premiers actes par lesquels le nouveau Provin- 
cial mérita bien du collège, fut l'excellente nomination 
qu'il fit du père Ch. du Coetlosquet, un de ses anciens et 
plus chers élèves de Metz, pour lui succéder comme préfet 
des études. 

Il vint encore, au mois d'octobre, passer quelques se- 
maines à la Résidence de Lille, pour de là organiser notre 
rentrée des classes. Il nous promettait un autre et long 
séjour parmi nous aux vacances de Pâques. 

Mais Dieu en avait jugé autrement : il nous demanda 
un second sacrifice, et quel sacrifice!... Mais c'est Lui qui 
Ta voulu, et sur cette tombe, comme sur les autres, il faut 
écrire en pleurant et en adorant : Amen! 



XXIV 

LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

DE LA SOClÉTé DE JÉSUS 

ANCIEN PRÉFET DU COLLÈGE SAINT-JOSEPH DE LILLE 

PROVINOAL DE LA PROTINCB DB CHAMPAOIIB 

RAPPELÉ A DIF.(J LE JEUDI SAINT, 7 AVRIL 1887 



DISCOURS 

Prononcé au sorvice funèbre célébré pour son âme le samedi 80 ayril , 
dans réglise paroissiale du Sacré - Cœur. 



Mes Révérends Pères, 
Messieurs et Mesdames, 
Mes chers Enfants, 

Il s'est donc éteint loin de nous Thomme de bien 
et rhomme de Dieu, qui était pour notre collège, 
pour la Compagnie de Jésus, pour tant d'âmes qui le 
pleurent, cette lampe ardente et luisante dont parle 
l'Évangile ! Et voici qu'il ne nous reste plus, à nous 
qui n'avons pu recevoir ses adieux, qu'à redire la 
parole que Jésus prononçait sur son ami de Bé- 
thanie : Arnicas noster dormit : « Notre ami s'est 
endormi. x> 

15 



338 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLEk 

C'était bien , en effet , un ami pour vous tous qui 
êtes venus si nombreux lui payer aujourd'hui le tri- 
but de vos prières et de votre inconsolable recon- 
naissance. C'était votre ami, à vous, mes très chers 
enfeuits, qui ici depuis quinze ans <t avez été sa 
joie, et qui êtes maintenant sa couronne *, d C'était 
votre ami, à vous, pères et mères de famille, qui, 
dans l'œuvre de l'éducation de vos fils, trouviez 
réunies en lui toutes les fermetés avec toutes les 
bontés mises à votre service. C'était votre ami, sur- 
tout à vous , ses frères en religion , qui étiez deve- 
nus ses fils à un titre nouveau; car si le plus grand 
témoignage de l'amour, comme l'a dit le Seigneur, 
c'est de donner sa vie pour ceux qu'on aime, ne 
l'avez -vous pas vu, à peine nommé Provincial, 
vous livrer sans compter, dans d'épuisants travaux, 
toutes les forces, comme tous les trésors d'une vie 
qu'il finit par vous immoler tout entière? 

Et moi aussi, je l'aimais et j'en étais aimé. Lais- 
sez-moi donc revendiquer moins l'honneur que 
le devoir d'une amitié qui aspire à payer le tri- 
but de quelques paroles d'hommage à une âme 
si chère. Car, moi aussi, je puis dire avec saint 
Bernard pleurant sur son frère, que oc mes en- 
trailles sont déchirées et que j'ai perdu la moitié 
de ma vie. d Ce firère Gérard qui partageait avec le 
saint Docteur le gouvernement de l'abbaye de Clair- 



^ S. Paul, ad Phil. iv. i. Gharissimi et desideratissimi, gau- 
dium meum et corona mea, sic state ia Domino, charissimi. 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 339 

vaux, Bernard disait de lui : « mon cher frère, 
tu portais plus de la moitié de la charge, et, m'en 
laissant modestement les honneurs, tu prenais sur 
toi le plus lourd de l'ouvrage. Tu t'engageais dans 
toutes les difficultés, tu intricàbaris; et moi, grâce 
à ton bienfait, j'avais le loisir de vaquer au ser- 
vice de l'Église, à l'étude des choses de Dieu et 
à l'enseignement de mes disciples et de mes fils. 
Et comment ne l'eusse -je pas fait en toute sécurité, 
lorsque je te voyais à l'œuvre , toi qui fus ma main 
droite, la lumière de mes yeux, la parole de mes 
lèvres, cette vraie parole du « juste qui n'exprime 
que la sagesse et qui ne prononce que le bon 
jugement*! » 

Bernard disait encore, et je puis bien dire avec 
lui : fic Vous savez , vous , ô mes fils , ce qu'il était 
pour tous, et vous savez ce qu'il était spéciale- 
ment pour moi. J'étais faible, et il me soutenait; 
j'étais timide et hésitant, et il m'affermissait; j'étais 
lent à l'action, et il m'excitait; j'étais oublieux et 

1 Bernardi m Cant, sermo XXVI, \iel%: Merito ex eo pen- 
debam totus qui mihi totum erat. Solum penè relinquerat mihi 
provisoris honorem , nam opus ipse faciebat : ego vocitabar 
abbas , sed ille prserat in soUicitudine* — Tu intricàbaris , et 
ego tuo beneûcio ferialu&sedebam mihi, aut certe diTinis obse- 
quiis occupabar, aut doctrinœ ûliorum utilius intendebam. Gur 
enim securus non eseem , cum te scirem agentem foris manum 
dexteram meam, lumen oculorum meorum, pectus meum et 
linguam meam ? Et quidem indefessa manus , oculus simplex , 
pectus consilii, liDgua loquens judicium , sicut scriptum est : 
0$ justi meditabitur sapieniiam, et lingua ejus loqueiur judi-- 
cium, Ps. XXXIX. 



340 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

imprévoyant, et il m'avertissait. Comment m'es -tu 
ravi, comment es -tu arraché à mon affection, 6 
âme de mon âme et cœur selon mon cœur ^ ! » 

Mais à ces plaintes douloureuses sur la mort de 
son frère, Bernard trouvait du moins une consola- 
tion : c'est qu'il avait été le témoin édifié de ses der- 
niers instants, et que, conune ille raconte, <l revêtu 
des habits sacerdotaux, il avait récité sur lui les 
prières de l'Église et jeté la terre sur ce corps qui 
était rendu à la terre. » Une pareille consolation ne 
nous a pas été donnée; et c'est au jour même où 
nous nous réjouissions de l'espérance de le recevoir 
et de le posséder pour plusieurs semaines que tout 
à coup éclata la foudroyante nouvelle. Nous ne le 
savions pas malade, et il venait de recevoir les der- 
niers sacrements! 

C'était le jour du jeudi saint. Réunis devant l'autel, 
vous vous disposiez, mes chers fils, au pieux exer- 
cice du Chemin de la croix lorsque, d'un cœur brisé 
mais encore confiant, je dus vous prévenir du mal- 
heur qui nous menaçait, et je vous demandai de 



^ Idem. Jbid, 4 : Scitis , o filii , quam justus sit dolor meus , 
quam dolenda plaga mea. Ceroitis nempe quam fidus cornes 
deseruit me in via hac qua ambulabam , quam vigil ad curam, 
quam. non segnis ad opus , quam suavis ad mores. Quis ita 
mihi pernecessarius 7 Gui œque dilectus ego? Dolete, qusso, 
vicem meam, vos quibus base nota sunt. Infirmus corpore eram, 
et ille portabat me; pusillus corde eram, et confortabat me; 
piger et negligens, et excitabat me; improvidus et obliviosus, 
et commonebat me. Que mibi avulsus es ? que mihi raptus e 
manibuB, bomo unanimis, bomo secundum cor meum 7 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SEN6LER d4i 

pousser vers Notre- Seigneur Jésus- Christ, victime 
et rédempteur, ce cri de l'Évangile : « Seigneur, 
voici que celui que vous aimez est malade I ^ Mais, 
hélas 1 déjà, à cette heure, notre Père n'était plus ; 
et le lendemain, vendredi saint, il me fallut rece- 
voir et vous porter à vous-mêmes un coup plus 
cruel encore, en venant vous annoncer, du pied du 
saint autel dépouillé et en deuil, que c'en était 
fait : tout était consommé. 

C'est donc loin de nous, à Reims, loin de son 
cher collège, loin de la ville de Lille, qui lui devait 
tant et qui se fût portée en foule à ses obsèques , 
qu'il avait expiré. C'est là que le jour suivant il était 
inhumé, le soir du samedi saint, aux premières 
Vêpres de Pâques, aux premiers chant de YAlle^ 
luxa, sans qu'aucun de nous eût eu le temps d'aller 
se joindre au cortège de ses frères et de ses amis , 
comme s'il avait lui-même recherché pour sa mort 
cette humble obscurité qui lui avait été si chère 
pendant sa vie. Et nous, qui ne devions plus le 
revoir en ce monde, nous n'avions plus, pour nous 
consoler, que la parole que les anges du sépulcre 
disaient aux disciples éplorés : Surrexit, non est 
hic : « Il est ressuscité, il n'est plus icil Ne cherchez 
plus parmi les morts Celui qui est vivant, et rap- 
pelez-vous de quelle sorte il a conversé avec vous 
quand il était encore dans sa patrie terrestre *. y> 

^ S. Luc. xxiT, 5, 6 : Quid quœritis yiyeotem cum mortuis? 
Non est hic , surrexit : recordamiai qualiter locutus est vobis 
cum adhuc in Galila&a esset. 



L-. 



342 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

£h bien, oui, nous nous rappellerons ses paroles, 
ses actions; nous recueillerons les souvenirs d'une 
vie si édifiante. Mais comment pourrons-nous le 
faire? Qui nous donnera de percer ce double et 
triple voile dont son humilité recouvrait ses vertus , 
et qui n'était transparent que pour le regard de 
Dieu? Aussi bien cette vie si pleine dans sa brièveté 
se résume- 1- elle en deux mots : se dévouer et 
s'oublier. Et soit qu'on le considère, comme nous 
allons le faire, se donnant à Jésus -Christ dans 
un mystère ineffable d'oblation, d'union et d'im- 
molation , soit qu'on le voie se consacrer au service 
des hommes dans l'œuvre de l'éducation ou de 
l'administration , c'est partout le môme dévouement 
et le même renoncement. Mais c'est en cela même 
qu'il présente en sa personne ce type si accompli de 
perfection religieuse, sacerdotale et pastorale dont 
le spectacle journalier a été une des grâces insignes 
de notre existence, et dont je voudrais retracer 
quelque image à vos yeux. 

D'abord il se donna à Dieu. Fils de cette terre 
d'Alsace qui a toujours fourni à l'Église, comme 
jadis elle fournissait à la France ses meilleurs sol- 
dats, Antoine Sengler y apparaît dès ses premières 
années comme un pur enfant de grâce et de lu- 
mière. Il dut beaucoup à sa mère, de laquelle il 
écrivait plus tard : « Je ne puis me rappeler sans 
attendrissement que c'est du ministère de ma si 
bonne et si pieuse mère que vous vous êtes servi , 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SEN6LER 343 

ô mon Dieu , pour m'inculquer, dès ma plus tendre 
enfance, le devoir de sauver mon âme. Rendez-le- 
lui, ce bienfait, maintenant que vous l'avez appelée 
dans votre éternité. C'est pour moi que vous l'aviez 
faite si boniie et si pleine de foi. Oh! que vous ai- 
miez donc mon âme, puisque, ^dès mon berceau, 
vous me prépariez tant de moyens de me conduire 
à vous I » 

Ce chemin du devoir et du salut, il résolut dès 
lors de s'en écarter jamais. La veille de sa confir- 
mation, après s'être confessé, il disait à un ami, 
au sortir de l'église : « Nous allons voir maintenant 
si nous ne pouvons pas vivre sans péché! » C'est 
lui aussi qui disait à sa plus jeune sœur, quand 
elle revenait de se confesser : « Ma petite sœur, 
plus de péché ! » Tout jeune enfant on le voyait 
marcher en tête des pèlerinages à Notre -Dame - 
des-Neiges et à Notre-Dame-du-Chêne. C'est lui qui 
chaque soir récitait la prière et le chapelet à sa 
famille et aux gens du voisinage , auxquels il faisait 
aussi la lecture de la vie des Saints. Il était tenu 
par tous pour l'ange de cette chrétienne et patriar- 
cale maison de huit enfants dont il était le plus 
jeune, deux garçons et six filles, dont cinq furent 
religieuses, quatre chez les Sœurs de Saint-Vinoent- 
de-Paul et une à la Divine Providence. Plus tard , 
l'écolier le plus discipUné du collège de Schlestadt, 
puis du petit séminaire de Strasbourg, le plus stu- 
dieux, le plus pieux, le plus souvent acclamé, le 
plus chargé de couronnes, et le plus modeste en 



344 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

même temps, c'était lui. Le membre le plus cha- 
ritable de la Conférence de Saint -Vincent - de - 
Paul et le visiteur le plus apostolique des pauvres, 
le catéchiste le plus zélé des soldats de la garni- 
son, c'était encore lui, que ces hommes, par re- 
connaissance, avajent soin de reconduire le soir à 
sa maison , pour profiter plus longtemps de son en- 
trelien. 

 dix -sept ans il entra dans la Compagnie de Jé- 
sus par cette porte de l'innocence et de Tamour de 
Dieu qui avait vu passer les saint Louis deGronzague 
et les saint Stanislas, auxquels on le comparait. Il 
fut la fleur du noviciat comme il avait été celle du 
séminaire, du collège et du foyer domestique. On 
respirait autour de lui la bonne odeur de Jésus- 
Christ; et un contrat qu'un jour il signa, à Saint- 
Acheul, entre lui et un jeune novice expirant, nous 
laisse voir combien lui-même avait dès lors la tête 
et le cœur dans le ciel. 

Ses premiers vœux prononcés, on l'envoya au 
collège de Saint- Clément de Motz, pour y professer 
la classe de troisième, et bientôt l'on s'étonna de 
l'ascendant à la fois respectueux et affectueux que 
cet adolescent possédait sur ces enfants dont, par la 
jeunesse de son visage, il semblait presque le frère. 
Successivement on le fit passer des classes de gram- 
maire aux classes de httérature, et son autorité 
grandit avec le prestige d'un mérite qui n'avait 
d'égal que son humilité. Une classe d'humanités qui 
ne comptait pas moins de soixante-trois élèves, 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 345 

puis une classe de rhétorique qui en avait qua- 
rante-six, purent être conduites par lui, en 4864 
et 4865, à des succès éclatants, sans que pendant 
ces deux années une seule punition eût jamais 
été donnée ni méritée. « Gomment avez -vous pu 
obtenir ce résultat? » lui demandait un de ses 
confrères dix ans plus tard. — « C'est que, répondit- 
il, jamais je ne suis entré une seule fois en classe 
sans avoir fait une visite au saint Sacrement. » Il 
écrivait lui-même, au souvenir de ses débuts dans 
le ministère de la régence : « Qui m'a donné la har- 
diesse de me présenter à la Compagnie de Jésus , 
d'y pouvoir faire la classe durant tant d'années, 
alors que je ne pouvais pas môme dire le Veni 
sancte Spiritiis sans émotion? C'est la seule con- 
fiance en Dieu. Aussitôt la prière feiite , je me sen- 
tais un autre homme. Ah! si je regardais davantage 
Notre- Seigneur 1 » 

A Rome, où on l'envoie faire sa théologie, il se 
plonge avec amour « dans les profondeurs du 
Christ , 3> et il y devient un véritable maître dans 
a cette science suréminente de la charité de Dieu, ». 
comme s'exprime saint Paul. Aussi bien c^est pour 
mieux aimer qu'il désire s'instruire davantage. Il 
écrivait ensuite : « Qui cognosdt te, Deus, amat 
te et seipsum ohliviscitur. Que cette parole de saint 
Augustin est vraie! Et moi je vous connais si peu, 
si peu, mon divin Sauveur! Et je désire tant vous 
aimer, ô mon bon Maître ! Donnez-moi de vous con- 
naître de plus en plus, afin de vous aimer davantage, 

15* 



346 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

et puis de me dévouer tout entier à vous faire con- 
naître, aimer et servir! » 

Il fut fait prêtre à Rome , dans la semaine sainte 
de Tannée 4869. Il avait alors trente-trois ans , 
rage qu'avait Jésus -Christ lorsqu'il monta à l'autel 
du sacrifice de la Croix. C'est à l'occasion de son 
sacerdoce que, pour la première fois, il nous est 
donné de lire, pour ainsi dire, dans le livre inté- 
rieur de son âme. De précieuses « Notes spiri- 
tuelles » livrent à son directeur les pensées de ses 
retraites de 1869 à 4884. Je déclare que jamais je 
n'ai rien lu de plus admirable que cette centaine 
de pages, même dans l'histoire des saints. A la 
veille du grand jour, le futur prêtre s'est voué à 
toutes les humihations dans des termes qui effeayent 
par leur magnanimité. Oserai-je vous les redire?... 
« Que cent fois le jour ma pauvre nature défaille en 
ses propres infirmités ; que cent fois par jour le 
rouge me jaillisse au front et me couvre de confu- 
sion à la face de mes firères et des étrangers; que 
sur moi tombent l'indifférence, le rire et le mépris, 
à cause de mes défauts, de mes incapacités, de mes 
misères ; 6t cent fois par jour, tout en ressentant 
cet état de délaissement, de solitude et de rebut, je 
bénirai votre nom , ô mon Dieu crucifié , et je dirai 
merci! » Mais c'est là même, c'est dans cet état d'in- 
firmité, qu'il trouvera, comme l'Apôtre, la raison de 
sa puissance, cum infirmor, tune potens sum; et sa 
confiance ajoute : « Et puis , malgré cela , si l'obéis- 
sance me dit de marcher, d'agir, de parler pour 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 347 

VOUS , ô Seigneur Jésus , et pour les âmes chéries , 
en votre nom je marcherai, j'agirai, je parlerai, 
escorté de mes faiblesses , mais appuyé sur votre 
vertu , et espérant ainsi contre toute espérance^ 
Voilà mon programme pour toute ma vie de prêtre, 
ô Sauveur Jésus I Aidez-moi à le remplir jusqu'au 
dernier souffle de mes jours. » 

Ce fut sur l'autel de sa première messe, célébrée 
le saint jour de Pâques, 28 mars 1869, à six heures 
et demie, dans l'église du Gesu, à la CapeUetta de 
son bienheureux Père Ignace, que le jeune prêtre 
déposa ce programme de sa vie. Il s'y offrait conune 
victime avec la Victime di\dne qu'il immolait : t Je 
le sens, note-t-il à la suite, je le sens, ma main 
tremble en écrivant ces mots; mes lèvres se prêtent 
avec peine à prononcer cette prière : c'est la nature 
qui a peur. Néanmoins, ô Jésus, mon amour cru- 
cifié, donnez -moi de souffrir, de souffrir quelque 
chose, de souffrir beaucoup pour votre nom. Avec 
votre grâce, fiât! fiât! » 

Le même jour, il formula sur le papier, et, comme 
il s'exprime , il <t grava en traits ineffaçables :» deux 
demandes qu'il avait faites, le matin, au Seigneur 
descendu entre ses mains. Après quoi il prit cette 
feuille et la plaça sur lui pour la porter toujours , 
m afin que chaque jour, dit -il, Jésus, venant dans 
mon cœur, trouve ce papier sur ma poitrine comme 
un monument perpétuel de ma confiance illimitée. i> 
La première demande qu'elle contient est que chaque 
jour, à chaque fois qu'il célébrera le saint sacrifice, 



348 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

Dieu lui accorde qu'il le fasse dans les mêmes dis- 
positions qu'en cette matinée de sa première messe, 
ou plutôt dans des dispositions de plus en plus con- 
formes à celles de l'âme de Jésus, d La seconde 
demande est celle de pouvoir célébrer tous les jours 
de sa vie ; « Oui, tous les jours de ma vie, sans 
exception aucune; dusse -je me traîner tout brisé 
à l'autel, pourvu que je puisse y rester une demi- 
heure, pour vous y offrir, ô Jésus victime, à la 
gloire de votre Père, et en sacrifice d'expiation 
pour ma pauvre âme et les âmes de vos fidèles!... » 
Toute cette semaine pascale respire ce saint en- 
thousiasme. On y voit le nouveau prêtre aller por- 
ter sa messe de sanctuaire en sanctuaire, comme* 
pour rendre chacun de ses saints de prédilection 
témoins de son bonheur et garants de ses ser- 
ments. A Sainté-Marie-Majeure, il célèbre dans 
la chapelle de la Madone de saint Luc, où il re- 
mercie Marie de « trente -trois ans et demi de 
tendresse maternelle, et où il lui recommande 
ardemment ses trois sœurs , seuls et derniers dé- 
bris qui lui restent sur la terre d'une famille jadis 
si nombreuse 1 d A Saint -André du noviciat, il cé- 
lèbre sur le corps de saint Stanislas Kostka , auquel 
il rappelle leur pacte firaternel, qui date de près de 
quinze ans : a II y a quatorze ans et demi, ô mon 
aimable frère , que dans la retraite d'Issenheim, sous 
les platanes du jardin, devant votre statue, je vous 
prenais pour patron 1 » Mais c'est avant tout à Saint- 
Pierre de Rome, dans la crypte du Vatican, sur le 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 349 

corps du Prince des apôtres, qu'il a voulu, dès le 
lundi de Pâques, célébrer sa seconde messe. «C'est 
là, dit-il, que son cœur l'a pressé d'aller prier pour 
le saint-père Pie IX, pour le Saint-Siège, pour le 
concile du Vatican qui va bientôt s'ouvrir, pour tous 
les défenseurs de Rome et de la Papauté, pour la 
Compagnie de Jésus en particulier, afin qu'elle soit 
tout entière au service du Pape, dût-elle être écra- 
sée sous le coup de ses ennemis! Ainsi soit-il, 
ô Pierre, ô mon chef, à la vie, à la mort! » 

Un an après, 4870, le Père Sengler, de retour en 
France, passa à Saint-Acheul Tannée de probation, 
qui complète et perfectionne les deux années de 
noviciat, et que, pour cette raison, l'Institut de 
saint Ignace appelle le troisième an. Elle s'ouvre par 
une grande retraite qui dure trente jours. Pen- 
dant cette retraite, notre cher Père note jour par 
jour toutes ses impressions, avec une fidélité et 
une sincérité qui mettent son âme sous nos yeux. 

* 

De vous dire les ascensions spirituelles de cette 
âme durant ce mois trop court de sanctification, ce 
serait un discours infini , car il faudrait vous lire 
toutes ces pages écrites dans « ce feu de la méjiita- 
tion D dont a parlé le prophète. Je vous avoue que, 
quant à moi, je n'ai jamais mieux compris que par 
cette lecture le travail de transformation surnatu- 
relle qui s'opère, pour une âme livrée généreuse- 
ment à la grâce, dans ce moule des exercices spi- 
rituels de saint Ignace, où ce fils d'Ignace, il est 
vrai, se plonge jusqu'au fond. Notons que le mois 



350 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE 8EN0LER 

de sa retraite est ce mois de décembre 1870, durant 
lequel on se bat tout autour de lui , aux environs 
d'Amiens. Mais il s'est dit à lui-même dès le pre- 
mier jour : « Ingredere totiÂS. Pour entrer ainsi 
tout entier, il y a un sacrifice à faire , parfois bien 
grand, dans l'état actuel de la France; mais Dieu 
me donnera une plus grande grâce pour le fsdre; et 
puis mon affaire, à moi, c'est une bonne retraite, 
comme c'est la meilleure manière de servir mon 
pays. D Rien donc ne le distraira de cette autre ba- 
taille qu'il livre pour l'assaut du royaume des Cieux ; 
et lui, ce fils de l'Alsace, dont l'ardent patriotisme 
porte dans son cœur toutes les angoisses de l'heure 
présente, ne se permet pas môme, ne fût-ce que 
quelques secondes , d'écouter de sa fenêtre les rou- 
lements du canon qui lui viennent des champs de 
Dury et de Bapaume. 

Quand le retraitant sort de là il ne s'appartient 
plus : il est tout possédé , tout captivé par le Christ, 
tout chargé de chaînes de son saint amour. C'est 
à la lettre que je puis le dire ; car je lis , par 
exemple, qu'en l'honneur de Jésus garrotté par 
ses ))Ourreaux, ce pénitent du Christ a résolu et 
obtenu de porter désormais une chaîne qu'il se 
mettra, dit-il, soit aux reins, soit au bras, qu'il gar- 
dera chaque jour, du moins jusqu'au déjeuner^ et 
qu'il reprendra à chaque fois, autant que possible, 
qu'il devra se rendre au parloir ou au confession- 
nal : « C'est chose incroyable, écrivait -il ensuite, 
quelle consolation cette chaîne me cause, combien 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENOLER 35t 

de bonnes pensées cette petite soufQrance me pro- 
cure... Pour les autres pénitences, je verrai un peu 
plus tard. » 

Mais il est une autre chaîne, une chaîne invisible, 
chaîne d'or et de diamant, qui plus que jamais va 
l'attacher à Jésus -Christ : c'est la chaîne de la con- 
formité au bon plaisir de Dieu. « Ita, Pater» Oui, 
mon Père : » telle est la devise qu'il s'est choisie 
tout d'abord en entrant dans cette retraite décisive. 
Or ce lien sacré, il a résolu de le serrer par un nœud 
désormais indissoluble. Il y a dix ans que cette pensée 
est descendue en lui; il la reprend, il la pèse, il la 
porte devant Dieu, il la soumet à son directeur; il 
s'encourage, il s'effraye, il s'examine, il s'essaye, 
car la chose est si grave I Longtemps la natiu*e se £sdt 
peur, l'humilité elle-même s'épouvante et lui dit : 
« N'est-ce pas au-dessus de tes forces? Pourras-tu 
tenir ta promesse? Et si tu ne la tiens pas, n'est-ce 
pas téméraire à toi de t'engager à une pareille chose ? 
Gela est pour les saints, mais pour toi... ]» Cepen- 
dant Jésus lui-même fait retentir sa voix dans le fond 
de son cœur : « Les seuls mots que j'entendis, rap- 
porte-t-il, furent ceux-ci: « Que crains-tu? Pour- 
quoi hésites- tu? Ai- je hésité à mourir pour toi? 
Perd-on à être généreux avec moi? Marche en avant, 
je serai avec toi! » Déjà l'amour le presse, et il 
écrit tout enflammé : <ic Je m'engage dans une lutte 
qui sera longue et pénible. Mais puis -je faire autre- 
ment? Dilexit me et tradidit semetipsum pro me. Et 
qu'est-ce que mon sacrifice auprès du sien? mon 



352 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

divin Sauveur, le motif principal, je dirai presque 
le motif unique de ma détermination, c'est celui de 
vous plaire : vous plaire, ô mon Sauveur, et glori- 
fier votre Père I » Enfin, après quinze jours de 
prières et de larmes, après dix ans de désirs, la 
grâce et l'amour l'emportent; et un jour, saint jour 
de dimanche, le dix- neuvième jour de sa retraite, 
' il écrit transporté : « Je reviens de la chapelle le 
cœur rempli d'une joie et d'une consolation intimes 
et tranquilles, mais aussi des plus douces que j'aie 
jamais goûtées. C'est le bonheur de ma première 
communion, du jour de mes vœux et de ma pre- 
mière messe. Que le bon Dieu est bon de se mon- 
trer si sensible à la misérable ofErande de sa pauvre 
créature I » 

Or, cette offrande qu'il vient de faire , prosterné 
devant le Tabernacle, et qui le rend si heureux, 
cet acte solennel sur lequel j'insiste tant, parce qu'il 
donne la clef de la conduite de toute sa vie, qu'est- 
ce donc, chrétiens? qu'est-ce donc? C'est un vœu, 
un vœu sublime, « le vœu de faire toujours et en 
tout ce qui plaira davantage à Dieu, à l'exemple de 
Jésus -Christ. » Qux placita surU ei fado semper. 
C'est « l'obligation jurée , et sous peine de péché , 
conmie il s'exprime encore, de servir toujours 
le bon Dieu de son mieux, même dans les plus 
petites choses. » C'est le vœu du plus parlait , 
quoique ce dernier mot sonnt mal à l'oreille de 
son humilité. C'est le vœu du Père de la Colom- 
bière, le vœu de sainte Thérèse, car il s'est dit 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 353 

comme elle : « Toujours recevoir et ne jamais don- 
ner, c'est un martyre! — Elle avait bien raison, 
ajoute-t-il aussitôt, et je commence à le sentir. 
Mais puisque le rien que je suis je puis le donner et 
que Dieu daigne l'accepter, je veux lui jeter d'un 
seul coup ma pauvre vie tout entière. Je donne si 
peu, qu'en vérité je n'en aurai pas moins le martyre 
de sainte Thérèse. » Vous avez reconnu, mes frères, 
l'âme agrandie de l'enfant qui disait la veille de sa 
confirmation : a Nous allons voir si nous ne pou- 
vons pas vivre sans péché I » 

Mais concevez-vous bien. Messieurs, ce qu'est un 
tel engagement et ce qu'il a d'héroïque? Jl ne suffit 
pas à ce chrétien que les vœux du baptême l'obligent 
aux commandements de Dieu et de l'Église ; il ne 
suffit pas à ce religieux que les vœux de sa profes- 
sion l'enchaînent à la pratique des conseils évàngé- 
liques : ce chrétien, ce religieux, ce prêtre ne se 
sent pas encore assez près de Jésus- Christ. Et voilà 
qu'à l'exemple de quelques saints, les plus parfaits , 
il veut y joindre spontanément une nouvelle obliga- 
tion qui astreigne chacun de ses actes intérieurs et 
extérieurs au plus grand agrément de la volonté 
divine, telle qu'elle lui est connue par l'Évangile, 
l'Église, les constitutions ou les instructions de son 
Institut, les prescriptions de ses supérieurs et celles 
de sa conscience. Et cela non pas seulement par ré- 
solution ou par simple promesse , mais par vœu , 
c'est-à-dire par un engagement religieux, solen- 
nellement juré devant la Majesté divine, et qu'il 



354 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE 8EN6LER 

fitudra tenir inviolablement et continuellement, sous 
peine de péché, sous peine de parjure , sous peine 
des châtiments que le paijure entraine pour ce 
monde et pour l'autre, mais aussi avec la joie que 
par là Jésus -Christ sera plus glorifié, son amour 
mieux reconnu, son règne mieux procuré, son cœur 
plus satisfait. En vérité, Messieurs, n'est-ce pas là 
le plus splendide degré de beauté morale où la grâce 
puisse porter l'humanité régénérée par le sang de 
Jésus -Christ? 

Le formidable vœu dont il récitait la formule 
chaque jour, Umité.d'abord comme essai à quelques 
mois, puis renouvelé sans interruption d'année 
en année, puis pour la vie tout entière, ne cessa 
plus d'enlacer le disciple à son Maître. Il écrivait 
que (( là était pour lui la source de la paix et du 
bonheur^ ^. 

Les hommes purent voir désormais ce que c'était 
que l'âme et ]sl vie d'un homme ainsi engagé au meil- 
leur plaisir de Dieu. C'était une vigilance, une atten- 
tion sur lui-même qui ne laissait place à aucune 
surprise ; un regard de l'âme perpétuellement éveillé 
sur ce qui était le plus beau, le plus sage, le plus 
saint; une précision, une exactitude, une ponctua- 
lité qui faisait chaque chose à son moment, de la 
meilleure manière, avec toute la perfection dont 
elle était capable , et qui rappelait Celui de qui il 
est écrit : Bene omnia fecit. Une r^^ularité qui éta- 

^ Sur 06 Vceu du plus agréiMbU à Dieu, voyez les médiUtioiis 
et délibérations do R. P. Sengler, à VAppendiee. 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 356 

blissait partout en lui et autour de lui cette « tran- 
quillité de Tordre d dont saint Augustin fait la défi- 
nition de la paix. Donc une paix imperturbable au 
sein de tous les travaux, de toutes les difficultés, 
de toutes les contradictions et persécutions, et cette 
étonnante possession de lui-même qui n'était que 
son absolu assujettissement à l'empire de Dieu, une 
égalité constante de caractère et de conduite, un équi- 
libre harmonieux de toutes les facultés, une mesure 
de langage , une gravité de tenue , une douceur de 
commerce qui donnaient l'image d'un grand sage 
parce que c'était celle d'un vrai saint. Avec cela la 
bienveillance, la discrétion, la bonne grâce, la ré- 
serve modeste achevant en lui cette distinction que 
le monde ne donne pas. En tout, une âme envelop- 
pée par le surnaturel qui imprime son cachet céleste 
sur tout ce qu'elle est, ce qu'elle dit, ce qu'elle 
fait : n'est-ce pas ce que nous avons vu? Et en le 
voyant ainsi, ne preniez- vous pas l'idée de ces 
beaux lacs placés sur les montagnes , vastes , pro- 
fonds, limpides, qu'éclaire la lumière d'en haut, qui 
reflètent la beauté du ciel, que ne soulève aucun 
orage, dont un souffle ride à peine la surface serine, 
qu'encadre l'ombre discrète des bois , et qui répan- 
dent autour d'eux la fertilité, le bonheur et la vie? 
Désormais, plus que jamais, cet esclave volon- 
taire du bon plaisir divin était ce serviteur prêt 
à toute bonne œuvre dont parle l'Évangile. « Me 
voici, s'écrie- t-il, Ecce servus tuus, servies tuus et 
filiifs ancïllx tuœl La dernière place partout et tou- 



356 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

jours et en tout, voilà la mienne. Je dois non seule- 
ment l'accepter avec reconnaissance, mais y courir 
de moi-même et y rester avec joie* Si l'on veut bien 
m'admettre au degré de coadjuteur, merci, ômon 
Dieu! merci, ô Jésus, mon divin capitaine! merci, 
ô sainte Compagnie ma mèrel Si les dispositions du 
Père Provincial, du Père Recteur, du Père Ministre 
me mettent au-dessous de tous les autres, merci, 
ô mon Dieu I merci, ô Compagnie de Jésus! Jamais 
donc je ne me plaindrai, toujours je tâcherai d'être 
intérieurement et de me montrer extérieurement 
content, joyeux, heureux... » 

Entre les emplois auxquels l'obéissance religieuse 
allait le consacrer, il en eût souhaité un qui l'en- 
voyât au loin travailler, souffrir et mourir pour Jésu&- 
Christ! C'avait été autrefois sa première ambition 
d'enfant et d'adolescent. C'est aujourd'hui la première 
requête, humble et discrète, de cette lettre écrite, 
le 30 décembre 1870, au R. P. Pillon, alors provin- 
cial : (( Si je trouvais en moi la moindre aptitude 
aux missions , avec quelle allégresse je me présente- 
rais! J'en donne pour garant à Votre Révérence 
l'empressement avec lequel je partirais sur l'heure, 
si elle me jugeait capable de rendre quelque service 
à nos frères de Chine! » Toutefois présentement il 
se croirait coupable de témérité et de présomption 
en osant prétendre à de si sublimes travaux. Cepen- 
dant, a comme il lui est dur de se présenter les 
mains vides devant son Provincial , il a pensé que 
les supérieurs étant parfois embarrassés de trouver 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 357 

des surveillants ou professeurs de grammaire, il 
pourrait, faute de mieux et pour prouver du moins 
sa bonne volonté , se mettre chaque année à la dis- 
position du Père Provincial, pour le cas où il pour- 
rait se servir de lui à cet effet. — C'est, conclut -il, 
ce que je viens faire par cette lettre auprès de Votre 
Révérence, la priant d'avoir cette hunjble démarche 
pour agréable, et d'en prendre note, afin qu'à la 
première occasion j'aie le bonheur de voir par l'eflfet 
qu'elle ne lui a pas déplu. «> 

« La charité de Jésus-Christ le presse ». tellement 
qu'à cette époque, apprenant qu'un Père de la Com- 
pagnie, homme d'une grande valeur, était grave- 
ment malade, il demande la permission de s'ofirir 
à Notre -Seigneur pour mourir à sa place : « Je 
serais au comble du bonheur si Notre -Seigneur 
daignait accepter une vie si misérable et si peu utile 
que la mienne, pour laisser à sa chère Compagnie 
un homme qui peut lui rendre de si grands services. 
Si donc Votre Révérence n'y trouve pas d'incon- 
vénients, je ferai demain mon offrande à Notre- 
Seigneur, en me jetant, du reste, pour mon éter- 
nité, entre les bras de son infinie miséricorde. Vous 
savez le peu que je suis, mon Révérend Père, et 
vous n'ignorez pas tout ce qu'est le cher Père ma- 
lade. Que du moins, par ma mort, je puisse être 
de quelque utilité à la Compagnie ma mèrel )» Un 
post-scriptum ajoute : « Le Père Instructeur du troi- 
sième an m'a dit de ^laisser cela entre les mains du 
bon Dieu : fiât! » 



358 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

Le 2 février 1872, le Père Sengler prononçait ses 
vœux de profès. Sa dernière parole à Dieu fut celle- 
ci : « Que je sois à jamais votre compagnon fidèle , 
toujours pauvre, toujours chaste, toujours obéis- 
sant; pauvre d'une pauvreté parfaite, chaste d'une 
chasteté angélique, obéissant d'une obéissance à 
toute épreuve. Il y aura à soufifrir, tant mieux ; s'il 
faut mourir, mieux encore. Vous serez toujours là : 
votre Cœur sera sur mon cœur. J'aurai toujours 
votre corps pour me mortifier, votre sang pour me 
désaltérer. Avec cela je marcherai en avant vers le 
Ciel! » 

Voilà comment le Père Sengler s'était donné à 
Dieu. J'ai dû vous dire ces ardeurs et vous mon- 
trer ces élans , parce que c'était la chose de lui 
qu'on connaissait le moins. Et cependant n'en pou- 
vions-nous pas soupçonner quelque chose? En 
voyant toutes ses puissances si contenues en Dieu , 
si fidèles à Dieu, ne pouvions- nous pas penser qu'il 
les avait assujetties d'une manière spéciale au do- 
maine divin? En le voyant accomplir avec tarit de 
perfection ses actions de tout le jour, les petites 
et les grandes, n'aurions -nous pu deviner qu'il en 
avait fait le vœu? Tant de force dans l'action ne sup- 
posait-elle pas une mystérieuse vie d'union et de 
contemplation? 

Mais quelle était cette action? S'étant ainsi donné 
à Dieu, comment se donnait -il aux hommes? C'est 
une seconde face de son âm^ et de sa vie; et je 
puis en abréger le tableau devant vous, car ce sont 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 359. 

VOS propres souvenirs que j'aurai à redire; et, sur 
ce terrain du collège Saint- Joseph où cette seconde 
partie du discours nous transporte, votre main fut 
dans la sienne pour la culture de Tâme de vos chers 
enfants. 

t. 

C'est en 1872 que le R. P. Pillon, entrant en pos- 
session du collège naiss£urit de Lille, en confia la 
préfecture à celui qui récemment lui demandait de 
daigner le prendre, faute de mieux, pour une classe 
de grammaire ou une surveillance d'étude. Le Père 
Sengler courba la tête sous la conduite de Dieu : 
ce Qu'il est donc bon de se laisser conduire par la 
divine Providence! écrivit -il dans la mémorable re- 
traite qui l'y prépara. Comme elle m'a bien mené , 
et à mon insu, au collège d'abord, puis au petit 
séminaire, et ensuite dans la Compagnie; et dans 
cette même Compagnie, à travers le noviciat, le 
juvénat, la surveillance, la régence, la philosophie, 
la théologie, jusqu'à Rome; de Rome à Saint- 
Acheul, de Saint- Acheul à Metz... Courage donc 
pour l'avenir. Je la retrouverai à Lille, aussi amou- 
reuse que par le passé; qu'elle me retrouve aussi 
docile! » 

C'est bien envers vous surtout qu'elle se montra 
amoureuse, la Providence qui vous le donna, enfants 
et familles de Lille. A peine cet homme de petite 
taille, et qui, comme saint Paul, pouvait dire de 
lui-même: prœsentia autem corporis infirma, â-t-il 
paru dans l'externat de la rue de la Barre, qu'on sent 



360 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

que l'autorité, Tordre, la discipline, l'esprit de piété, 
le travail y régneront avec lui. Le collège, sous son 
impulsion, prend bientôt de tels accroissements, 
qu'une seule maison ne suffit plus , et l'on doit y 
joindre celle qu'occupait, presque en face, l'établisse- 
ment des Dames religieuses de Saint-Maur. Le Père 
Sengler est l'âme cachée de ces entreprises pour la 
gloire de Dieu , et l'on commence à comprendre ce 
qu'il y a d'élan et d'ardente initiative dans cet 
homme timide. 

Cependant l'enseignement traditionnel, en France, 
est menacé par des innovations révolutionnaires. A 
la fin de l'année 4872 , un nouveau plan d'études 
présenté et imposé par M. Jules Simon, ministre de 
l'Instruction publique, fait à l'esprit moderne le 
sacrifice du vers latin, du thème latin, de la disser- 
tation latine, du discours latin dans les cours clas- 
siques, le tout dans l'intérêt prétendu des langues 
vivantes et des sciences positives; et même, qui le 
croirait? de l'éducation nationale! C'était un vrai 
coup d'État dans renseignement secondaire. Ainsi 
l'ont nommé d'ailleurs amis et ennemis; et sous ce 
titre, le Père Sengler écrit d'abord dans les Études 
de sa Compagnie, puis publie en brochure une 
cinquantaine de pages qui sont bien ce qu'on a dit 
de plus fort , de plus sensé et de mieux démontré 
sur ce sujet, d'une actualité sans cesse renaissante. 
Ce coup d'État, c'est le coup de la mort pour l'édu- 
cation littéraire en France, et, par contre -coup, la 
mort de toute éducation libérale. Il le prouve éner- 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 361 

giquement dans une série de propositions solide- 
ment enchaînées, à savoir : qu'à toute société, et à 
celle de la France en particulier, il faut une aristo- 
cratie intellectuelle ; — que cette aristocratie intel- 
lectuelle ne se forme que par l'éducation libérale ; 
— que l'éducation libérale est essentiellement 
fondée sur les études littéraires et philosophiques; 
-r- que la base de toute éducation littéraire et philo- 
sophique c'est l'étude des langues anciennes; — 
que l'étude des langues anciennes, pour être effi- 
cace, réclame avant tout l'exercice de la composi- 
tion latine. La conclusion qu'il en tire est que, 
M. Jules Simon réduisant à néant la composition 
latine, cette réforme ruine l'étude des langues de 
l'antiquité, abaisse l'instruction littéraire, paralyse 
l'essor de l'éducation libérale, et empêche la forma- 
tion de cette aristocratie des inteUigences que la 
France réclame et quelle ne trouvera certes pas 
dans ces écoles amoindries. » S'il y a,vait à ré- 
former, le Père Sengler indique en quoi il fallait 
le faire, et il l'indique en homme pratique et en 
homme supérieur. Nulle réplique n'était possible 
à cette démonstration, d'une rare vigueur de ton 
comme de raisonnement. La brochure, distribuée 
à tous les députés et à tous les membres du Con- 
seil supérieur de l'Instruction pubHque, porta la 
conviction dans les esprits compétents, et le plan 
d'études ne put tenir devant cette défense si ferme 
et si calme de ce qui était la tradition , l'honneur et 
l'espérance intellectuelle de la France. 

16 



362 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

Les fêtes cependant s'entremêlent aux études 
dans le collège Saint -Joseph. Et comment ne pas 
mentionner cette magnifique procession de Notre- 
Dame-de-la-Treille du 21 juin 1874, dans laquelle^ 
mes chers enfants, vos aînés firent une figure si 
• remarquée. Des groupes historiques avaient été con- 
çus et organisés par le Père Préfet, qui vous en 
expliqua l'ordonnance et le symbolisme dans une 
brochure qu'il vous dédiait et qui se terminait par 
cette exhortation : « En faisant reparaître au milieu 
de votre cité tous ces grands hommes qui ont 
donné de si magnifiques preuves de leur piété en- 
vers Marie, vous aurez fait entendre, avec la voix 
des siècles , une voix plus éloquente : celle de votre 
exemple. » 

Mais les deux maisons de la rue de la Barre ne 
suffisaient plus à contenir les élèves qui affluaient 
de plus en plus à l'externat placé sous cette main 
magistrale. Il fallait construire ailleurs, et construire 
grandement. Le choix et l'achat du terrain, les né- 
gociations avec les autorités, le plan des construc- 
tions, tout se concerte et s'exécute sous l'inspira- 
tion discrète, mais toujours écoutée, de cet homme 
modeste, en qui chaque nouvelle nécessité qui se 
produit révèle des connaissances et des aptitudes 
nouvelles. Rien ne coûte à son dévouement; et on 
le vit une fois partir soudainement pour Florence 
auprès du R. P. Général de la Société de Jésus, afin 
de lui soumettre et expliquer les plans du futur édi- 
fice; puis repartir aussitôt, et, sans s'être arrêté 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 363 

nulle part, ni en Italie ni en France, rentrer à Lille, 
où il était de retour après quatre jours. 

A deux années de là s'élevait, au sein de terrains 
encore inoccupés, le premier de ces vastes éta- 
blissements scolaires dont TUniversité catholique 
de Lille a été le second, et qui ensemble, attirant 
autour d'eux de belles constructions alignées sur 
de vastes avenues , font maintenant de ce quartier 
le plus magnifique et le plus monumental de la cité. 
Aux grandes lignes de l'édifice, à l'ampleur de ses 
proportions, à la symétrie de son ordonnance, à la 
sage prévoyance de ses distributions , à la lumière 
abondante de ses ouvertures, vous avez reconnu 
l'esprit large, ordonné, lumineux et pratique du Père 
Sengler : c'est l'image de son âme. L'entreprise était 
hardie , les temps étaient pleins de menaces : bâtir 
alors un collège libre n'était-ce pas, Messieurs, bâtir 
sur un volcan? Quelques-uns se le demandaient. 
Mais qu'est-ce que l'Église de France aurait fait 
depuis cent ans, qu'aurait fait surtout la Compagnie 
de Jésus, si elle eût attendu pour agir la faveur 
du pouvoir et le lever de jours prospères? 

On s'installa à la rentrée de 4876, et c'est là que 
nous allons voir le Père Préfet se livrer en grand 
à ce ministère duquel il a écrit lui-même : « Je 
veux plus que jamais me dévouer à la gloire de 
Dieu, en me dépensant tout entier à mon office, en 
donnant à mes supérieurs, à mes inférieurs, à tous 
ceux qui me demandent appui, lumière et conseil, 
tout mon temps , toutes mes forces , tout mon savoir, 



364 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

toutes mes ressources, en ne gardant pour moi 
que les humiliations; afin que mon âme, dégagée 
de l'attache à tout bien terrestre , dégagée des satis- 
factions de Tamour- propre, croisse en humilité et 
soit tout entière à Dieu. Ahl si, comme le bienheu- 
reux André Bobola, je pouvais être saint Préfet!... » 

Voilà son programme; Ta-t-il rempU? Nous a-t-il 
tout donné? Je vous le demande d'abord à vous, 
mes chers collaborateurs, pour qui sa direction était 
si précieuse et son commandement si honnête? 
Soit qu'il vous adressât la parole en public dans ces 
inoubliables conférences pédagogiques éclairées par 
sa méditation et par son expérience, soit qu'il orga- 
nisât l'enseignement et l'office de chacun de vous 
dans un ordre où il y avait une place pour chaque 
chose et chaque Chose à sa place , soit qu'il vous 
communiquât ses observations d'un accent où le 
respect s'unissait à l'affection, ne sentiez -vous pas 
que cet homme était à vous sans réserve? N'entre- 
voyiez -vous pas dans sa personne l'idéal de l'éduca- 
teur chrétien? Et votre vie de maître comme votre 
vie de prêtre n'avait -elle pas en lui constamment 
sous les yeux comme une page vivante de l'Évangile? 

Ne se donnait- il pas à vous, parents qui veniez 
puiser auprès de lui les conseils d'une paternité qui 
éclairait la vôtre ou qui la fortifiait? « Ma porte, 
écrivait -il dans une de ses retraites , sera toujours 
ouverte aux maîtres et aux élèves. Pour les parents 
de même : je me rendrai au parloir sans retard, 
sauf impossibilité absolue. Tout à tous, pour Notre- 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 365 

Seigneur et comme Notre -Seigneur ! » C'était à 
tous sans doute qu'il faisait ce bon accueil ; mais 
si, même aux heures de travail et de silence qu'il 
s'était réservées , et durant lesquelles il avait donné 
l'ordre de ne pas l'appeler, la visite qu'on lui annon- 
çait était celle d'une personne qui, par son état 
moins fortuné, ses malheurs domestiques, ses dif- 
ficultés dans l'éducation de ses enfants, ses revers 
de famille ou les insuccès scolaires de ses fils^ se 
recommandait spécialement à la charité du prêtre , 
la consigne donnée était levée en sa faveur, et tout 
était aussitôt quitté pour la recevoir. Qui que vous 
soyez d'ailleurs, vous l'avez vu entrer pour vous 
dans ce parloir où il portait tant de gravité reli- 
gieuse dans son maintien, tant de sûreté dans sa 
parole. Là il vous écoutait, puis il vous répondait 
au sujet de votre enfant, sur ses notes, ses places, 
sa conduite , ses dispositions , avec une telle préci- 
sion comme avec un tel intérêt, que vous eussiez 
cru qu'il n'avait à s'occuper que de ce seul et 
unique élève dans la maison. Il semblait impossible 
de rencontrer un pasteur qui connût aussi bien nomi- 
natim, distinctement chacune de ses brebis. Quand 
vous vous retiriez d'auprès de lui, souvent il avait 
proféré très peu de paroles , mais il avait dit tout ce 
qu'il fallait dire, et vous aviez senti qu'il vous avait 
parié dans la lumière de Dieu. 

Ne vous a-t-il pas tout donné, surtout à vous, 
mes enfants? Ne vous a-t-il pas prodigué tous les 
trésors de son esprit, de son temps, de son cœur? 



366 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

Cet esprit si étendu, si clair, si méthodique, si solide 
surtout, ne vous i'a-t-il pas donné dans ses ouvrages 
scolaires : grammaires des langues anciennes, gram- 
maire historique française, éditions classiques dont 
les annotations témoignent moins encore de l'excel- 
lence de son goût que de son souci de votre foi et 
de votre vertu? Cet esprit, qui était ouvert à tous 
les rayons des connaissances humaines, ne rem- 
ployait -il pas dans le travail incessant de vos 
examens, de vos concertations, de vos composi- 
tions, se faisant petit avec les petits et grand avec 
les grands, et, de la classe de dixième à celle de 
philosophie, se trouvant partout à Taise et partout 
chez lui? 

Et son cœur? Ahl il est possible que vous n'en 
ayez pas senti les battements qu'il comprimait; car 
son affection, à lui, se défendait de l'effusion. Il en 
était de son cœur comme du foyer d'une machine, 
lequel met tout en mouvement, mais en demeurant 
caché. Il vous aimait plus et mieux que vous ne 
serez jamais aimés; mais ce qu'il aimait en vous, 
c'était ce qui ne se voit pas : l'immortel agrément 
de la vertu; ce qu'il exigeait de vous, c'était ce qui 
ne plaît pas : l'accomplissement du devoir et l'exac- 
titude de la discipline. Aimer, pour lui , c'était ser- 
vir. Il vous prodiguait ses soins, et quant à ses 
tendresses , il les gardait pour les heures où il por- 
tait vos âmes dans ses prières devant Dieu. 

Mais là, quel élan de cœuri quelle abondance de 
charité! Écoutez cette prière; elle est du 16 sep- 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 367 

tembre 4877, à la veille de la rentrée pour la sixième 
année du collège Saint- Joseph : € Dieu, je vous la 
consacre, cette année, en mon nom, et, autant que 
je puis, au nom de tout le collège. Vous voyez avec 
quelle ardeur et quel dévouement tous nos maîtres 
et frères s'apprêtent à entrer bientôt dans la car- 
rière. Soutenez, développez, sanctifiez cette noble 
ardeur et ce beau dévouement; couronnez ries par 
des grâces de sainteté répandues en abondance sur 
tous nos compagnons d'armes qui combattent dans 
ce collège, et sur tous les enfants que vous allez nous 
confier. Que tous, les plus grands surtout, s'affer- 
missent dans votre foi et dans votre saint amour. 
Allumez dans plusieurs la sainte flamme du dévoue- 
ment apostolique; choisissez parmi eux des prêtres, 
des religieux; choisissez parmi eux des apôtres dans 
le monde, et qu'ils soient en grand nombre et tous 
selon votre cœuri » Ce qu'il demande à la fin de la 
même prière , c'est que les deux tiers au moins des 
élèves de rhétorique et de philosophie soient reçus 
bacheliers : « Si vous m'accordez tout cela, je 
m'engage à célébrer trente -trois messes en l'hon- 
neur des trente -trois années durant lesquelles votre 
divin Cœur a battu d'amour ici -bas; et puis moi- 
même, de plus en plus dévoué à votre service! » 
Voilà son amour, à lui : le zèle et le sacrifice. 

Il vous a donné son temps , son plus riche trésor* 
Et vous savez, mes enfants, s'il en était avare. Par 
une distribution qui tenait compte non seulement 
des heures, mais des minutes, il en trouvait pour 



368 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

tout : pour l'étude , pour la lecture , pour la corres- 
pondance, pour la composition de ses savants ou- 
vrages, et même, je ne puis l'oublier, pour la cor- 
rection des ouvrages des autres. Il en avait pour 
les conseils administratifs de nos Facultés catho- 
liques, dont il était un des membres à la fois les 
plus discrets et les plus écoutés , et auxquels il ap- 
portait cette lumière et cette paix qui étaient comme 
l'atmosphère de cet homme de Dieu. Mais il en avait 
spécialement pour vous, ses chers élèves du col- 
lège; et si vous voulez savoir avec quelle générosité 
il vous le livrait à tous, lisez ces lignes de ses re- 
traites : « Le sacrifice prompt et généreux de mon 
temps en général, et de chaque parcelle en particu- 
Her, pour le service de mes frères, a toujours été 
pour moi un des plus pénibles , à cause d'un amour 
excessif sans doute que j'ai pour le travail. Mais 
depuis que j'ai terminé mes études et que je me 
trouve engagé dans ma charge, à chaque instant, 
pour ainsi dire , j'ai à faire le même sacrifice , me 
tenant toujours prêt et prompt à être à la disposi- 
tion de tous et de chacun... Ego autem lïbentissime 
impendam, et superimpendar ipse pro animahus 
vestris, » 

Cependant un moment vint où il ne s'agit plus 
seulement d'élever les enfants chrétiens, mais où il 
fallut les défendre. Vous vous souvenez de la néfaste 
époque de l'exécution des Décrets contre les reli- 
gieux. Un matin du mois de décembre 1880, le Père 
Sengler s'étant rendu, comme à l'ordinaire, auprès 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 369 

du Père Recteur afin de prendre ses ordres , le Père 
Pillon lui dit, en lui montrant un papier : a Aujour- 
d'hui, jour de sa fête, saint François Xavier vient 
de m' envoyer une grande grâce : je suis cité à com-' 
paraître devant le Conseil académique de Douai. » 
Déjà le Père Préfet, assisté d'un comité d'éminents 
jurisconsultes , avait tout employé pour aider à la 
défense juridique du Père Recteur. Il y avait môme 
tellement dépensé sa santé, qu'un moment, en 
octobre, contraint de s'aliter, il avait inspiré de sé- 
rieuses alarmes pour ses jours. Mais Dieu savait 
que nous avions encore besoin de ses services; et 
vous pûtes le voir à l'œuvre, lorsque, frappé dans 
son chef, le collège dut se transférer immédiate- 
ment au boulevard Vauban , en même temps qu'il 
demandait à cette église du Sacré-Cœur une hospi- 
talité dont le souvenir reste éternel dans notre re- 
connaissance. 

Ahl sans doute ce sera votre immortel honneur, 
parents catholiques de Lille, de n'avoir pas voulu 
qu'un seul de vos fils manquât à notre appel. Et 
avec quelle courageuse unanimité nous vous vîmes 
alors, bravant les frimas d'un rigoureux hiver, nous 
arriver chaque matm nous amenant vos enfants , 
dans la neige, sur la glace, et parfois môme portant 
les plus jeunes dans vos bras ! Mais cet honneur sera 
aussi et par-dessus tout celui de l'homme intrépide 
et imperturbable qui , aidé de notre Père Ministre , 
improvisait en trois jours un asile à plus de cinq cents 
écoliers , y faisait transporter pupitres , livres et 

16* 



1 



370 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENQLER 

cahiers par les élèves eux-mêmes marchant en rang 
sous ses ordres , trouvait place pour tous les ser- 
vices comme pour toutes les personnes, recrutait 
et formait un personnel dirigeant, enseignant et 
surveillant, presque tout entier nouveau, mettait 
partout Texactitude, la discipline, le travail, sans 
exclure la gaieté, et finalement déconcertait, par le 
miracle de cette surhumaine opiniâtreté, Tadmi- 
nistration académique elle-même, qui, sans doute 
embarrassée devant toute une ville d'un coup duquel 
elle tirait si peu de profit et si peu de gloire , vint 
nous suggérer elle-même de rentrer dans ce grand 
collège dont la solitude forcée lui était un reproche, 
je n'ose dire un remords. 

Maintenant voulez-vous savoir où le modeste 
héros de cette campagne pour Dieu va demander un 
peu de repos, après cette année de combat? Du 22 
au 29 août 1881, on le trouve, comme saint Jean, 
sur le Cœur de Jésus, dans une retraite qui l'inonde 
de joies surnaturelles dont il fait le sujet de <c mille 
actions de grâces ». Écoutez, et apprenez les misé- 
ricordes de Dieu pour ceux qui le servent : « Il me 
semble, 6 mon Dieu, témoignent les Notes spiri- 
tuelles , que , pendant ces huit jours de solitude et 
de prière , vous ayez voulu me faire oubher toutes 
les fatigues de Tannée par vos divines consolations. 
Quelles douces larmes jaillissant sans effort sous la 
seule pression de votre amour 1 Quelle vigueur nou- 
velle vous avez peu à peu fait couler dans mon âme 
épuisée et presque défaillante! heures bénies où 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 371 

mon cœur, admis à converser avec votre Cœur 
sacré , ô mon Sauveur, y épanchait ses douleurs , 
ses craintes, ses espérances, ses désirs! Heures 
trop tôt finies , du moins vous me laissez un goût 
du Ciel tel que je ne l'avais pas encore connu jus- 
qu'ici. Vous me laissez un amour de mon divin 
Maître qui , ce me semble , à l'heure qu'il est , loin 
de craindre les dangers et les fatigues, les app^e 
de tous ses désirs. Tout entier à vous, ô Verbe 
bien*aimé, mon Dieu et mon Roi, et au poste que 
vous voudrez, au poste où je suis ou à tout autre, 
et tant que vous voudrez , avec votre grâce je reste- 
rai, je travaillerai, je lutterai, je succomberai, s'il 
le faut, mais pour vaincre et triompher avec vous 
dans les siècles des siècles. Ainsi soit -il, ô mon roi 
Jésui^! y> 

Le caractère de cet homme vraiment rare était la 
force : la force dans l'amour de Dieu et le sacrifice 
à Dieu; la force dans l'action et le dévouement, 
comme nous venons de le voir; mais aussi la force 
dans le renoncement et l'abnégation. C'est un autre 
côté de son âme. 

J'ai dit qu'il y avait chez lui quelque chose qui 
marchait de pair avec le don de soi, c'était l'oubli 
de soi; et, en effet, je n'ai jamais connu personne 
qui fît moins de bruit en faisant plus de bien. Il 
effaçait son action derrière l'obéissance qui avait été 
son attrait presque originel, comme il nous le révèle 
lui-même : « J'ai été, écrit -il, porté à témoigner 



372 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

vivement ma recomiaissance au bon Dieu de Tesprît 
d'obéissance que, depuis mon enfance, sa grâce a 
profondément gravé dans mon cœur; du respect 
de l'autorité qu'il m'a donné et qu'il avait déjà si 
fort développé en moi , du temps que j'étais dans 
le monde, pour ma mère et mes supérieurs spi- 
rituels, et surtout, depuis que je suis dans la Com- 
pagnie, pour mes supérieurs religieux, pour notre 
saint-père le Pape par-dessus tous les autres. Quelle 
grâce insigne I De là, en grande partie, ma paix, ma 
sécurité et mon bonheur dans ma vocation. » 

Ce respect et cette obéissance qui, comme il 
l'écrit encore, s'appliquaient à voir Dieu dans ses 
supérieurs, prenaient les traits de la piété la plus 
tendrement filiale envers le R. P. Pillon : « Je m'é- 
tudierai, écrit-il, à faire plaisir en tout au R. P. Rec- 
teur, l'entourant de mes soins et cherchant à lui 
rendre sa tâche facile. Sa charge, son âge, sa 
santé, ses bienfaits, tout m'en fait un devoir im- 
périeux. De plus, n'est-il pas pour nous Notre- 
Seigneur Jésus -Christ? Ce que je ferais pour Notre- 
Seigneur, je le ferai pour un si bon Père Recteur. » 

Le même esprit de déférence et d'humble sou- 
mission le faisait courir au-devant des observations, 
des remontrances même. Un jour, par exemple, à la 
fin d'une retraite, ayant demandé au Père Recteur 
de lui écrire ses remarques sur sa manière d'agir, 
il les reçut et leur fit ce religieux accueil : « J'ai 
ouvert la réponse de mon supérieur comme une 
lettre envoyée par Notre- Seigneur Jésus-Christ lui- 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENQLER 373 

môme, à genoux, en la baisant avec respect et en 
protestant d'avance de ma soumission entière et de 
ma filiale reconnaissance , quel qu'en fût le con- 
tenu. y> Et comme, dans ce contenu, on en avait 
usé vigoureusement avec lui, comme il convenait 
d'agir avec un religieux si avide de vérité et de per- 
fection : a Le coup a été dur, écrit- il dans ses 
Notes, mais c'est la main d'un père , d'un vrai père. 
Je lui en ai une profonde et éternelle reconnais- 
sance. Bénie soit la Compagnie qui sait donner aux 
supérieurs une franchise aussi forte et aussi efficace 
pour la guérison de ses enfants! » Goûte que coûte, 
il fit donc immédiatement le sacrifice demandé. 
Puis, présentant au Seigneur son cœur ainsi broyé 
pour l'amour de lui : « Êtes- vous content, mainte- 
nant, ô mon doux Jésus? Il me semble que c'est là 
tout, absolument tout. Bénissez -moi, et ces résolu- 
tions avec moi. » 

Mais si ces i^entiments d'obéissance sans réserve 
se légitimaient parfaitement envers un homme tel 
qu'était le R. P. Pillon, ils ne s'imposaient pas pareil- 
lement, loin de là, envers un autre supérieur qui ne 
lui était pas préposé par son Institut, que lui avait 
donné l'infortune des temps, et que d'ailleurs ses dis- 
positions personnelles , le respect des droits acquis, 
le sentiment de la juste confiance dont jouissait à Lille 
la Compagnie de Jésus, et bientôt sa propre et crois- 
sante admiration pour la sagesse et la sainteté d'un 
si excellent Préfet, inclinaient envers lui à une dé- 
férence qui n'était que justice. Mais au regard de 



374 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

Tautorité, le Père Sengler ne faisait pas acception 
de personnes, et il ne se prévalut de cette situation 
et de ces dispositions que pour exagérer les délica- 
tesses d'une reconnaissance dont je ne cesserai de le 
bénir chacun des jours de ma vie. En toute chose il 
ne manquait jamais de consulter celui-là même qui 
reconnaissait avoir tout à apprendre de lui; et son 
initiative la plus déterminée se subordonnait tou- 
jours à une dépendance qui tenait à laisser aux 
autres tout l'honneur des résultats dont il avait le 
premier mérite devant Dieu. Si je n'étais ici per- 
sonnellement, trop en cause , j'aimerais à vous l'a- 
conter cet eflEacement de lui-même, cette obligeance 
secourable, cette charitable indulgence, ce désinté- 
ressement de toute estime humaine qui ne permet- 
tait pas même à la reconnaissance de lui payer sa 
dette sous une forme quelconque. Il avait la louange 
en horreur; et si, dans l'inaltérable unanimité de 
pensée et de sentiment qui , pendant six années , 
a jété notre force et notre consolation , un jour fut où 
une dissonance vint déranger ce concert, ce fut 
celui où, dans quelqu'une de nos séances publiques, 
je laissai aller mon cœur aune allusion aux services 
de cet homme , a qui n'ignorait rien, qui n'omettait 
rien, qui n'oubliait rien, qui n'oubliait que lui- 
même. » Encore eut-il bientôt raison de moi sur ce 
point; car lorsque ensuite il vint, confus et suppUant, 
me trouver pour se plaindre et de mes paroles et de 
vos applaudissements , et que je vis dans ses yeux 
une larme prête à tomber sur son visage rougissant. 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 375 

je sentis bien que j'avais été coupable envers lui , 
coupable de lèse-modestie, et désormais le respect 
me commanda le silence. 

Par tous ces dons et ces services rendus depuis 
quinze ans au collège et à la ville, l'autorité lui 
avait été donnée immense, incontestée, au dedans 
comme au dehors : « Le Père Préfet l'a diti » On 
ne se fût pas même avisé de discuter sa parole. 
Dans cet intervalle, de grandes œuvres avaient été 
accomplies : le collège s'était enrichi de prêtres et 
maîtres distingués; l'unité s'était établie et fortifiée 
chaque jour; la famille de nos enfants n'avait cessé 
de grandir; une succursale avait été fondée pour les 
classes des petits , et ainsi le nombre de nos élèves 
avait dépassé six cents. C'était, semble -t- il, pour le 
Père l'heure, sinon de se reposer, du moins de 
jouir de' son œuvre; mais Dieu lui préparait alors 
d'autre destinées. 

Vous m'excuserez, mes Révérends Pères, si, par 
mes insistances auprès de votre très vénéré Père 
Général, J'ai retardé d'une année le bonheur que 
vous eûtes de voir notre Père Préfet placé à la tète 
de votre province religieuse. Vous me le pardonne- 
rez facilement, vous, mes chers fils, quand vous 
vous souviendrez que c'est durant cette année qu'il 
prépara, avec le concours de notre conseil d'admi- 
nistration, la construction de notre chapelle, de 
notre salle de séances, et mit ainsi la dernière main 
à l'édifice de ce collège qui du commencement à 
la fin est entièrement de lui. 



â76 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

Mais enfin, le 30 juin dernier, je reçus la lettre 
suivante qu'il m'écrivait d'Amiens, et où vous re- 
connaîtrez son âme tout entière : a Le bon Dieu 
m'a appelé aujourd'hui à Amiens pour me donner 
une bien lourde croix. Je ne puis la refuser de sa 
main. Ce qui me la rend plus douloureuse encore, 
c'est (pie je me vois obligé de vous demander de 
m'aider à la porter. La séparation que nous redou- 
tions Tannée dernière paraît inévitable, et je suis 
réduit, — telle est la disposition de la Providence, 
— à me faire votre suppliant , à vous prier, au nom 
de votre amour pour Notre -Seigneur, de votre 
amour pour notre chère Compagnie, de votre amour 
pour la bonne ville de Lille et de ses si chers enfants, 
d'accepter aussi cette part de la croix qui me vient 
du Ciel. Quel déchirement pour moi I Je redoute le 
moment du retour, et néanmoins je dois le désirer. 
Dieu le veut ainsi, et il nous aidera à tout arranger 
pour sa plus grande gloire. Pardon de la grande 
peine que je ne puis vous épargner, et conservez- 
moi votre bonté et tout votre affectueux attache- 
ment. Je suis à vous , plus que jamais et plus que 
je ne saurais dire, en Notre -Seigneur qui adoucira 
vos peines , je l'espère. » 

Notre Père Préfet était nommé Provincial de sa 
Compagnie pour la province de Champagne. C'était 
inéluctable. Il me suppliait d'être son Simon le 
Cyrénéen; je courbai, ainsi que lui, ma tête sous la 
croix. 

La chose était secrète encore et ne devait être 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 377 

portée à la connaissance des Pères qu'au dernier 
jour de la congrégation provinciale, qui se réunit 
à Lille. Ce jour-là, 10 août, le Père Préfet, avant 
de se rendre à cette assemblée, alla se mettre à 
genoux devant le Supérieur de sa Résidence, le 
vénéré Père Braun : ce Vous étés instruit, lui dit-il, 
de ce qui va avoir lieu pour moi dans un instant. 
Vous n'ignorez pas non plus ce que je suis et com- 
bien j'ai besoin de la grâce de Dieu. Je vous prie de 
daigner me donner votre bénédiction. » 

Vous savez le reste. Messieurs. Vous savez les 
regrets unaniSaes des familles, des maîtres et des 
enfants, à la nouvelle de ce départ; vous savez le 
don que notre Père, avant de nous quitter, nous fit 
d'un homme de sa droite et d'un fils de son cœur 
pour le remplacer; vous savez ses dernières sollici- 
tudes pour nous, l'organisation de notre rentrée 
scolaire, l'ordonnance suprême de nos construc- 
tions, et d'autres choses encore. Il nous suivait de 
loin avec prédilection : c'était son repos et déjà son 
allégresse de penser qu'il se retrouverait parmi nous 
aux fêtes pascales. Pâques devait être pour lui le 
grand passage du temps à l'éternité. 

Le R. Père Sengler pressentait qu'il dépasserait 
peu sa cinquantième année. Il en était averti d'abord 
par l'état de sa frêle santé, laquelle, au contraire, 
nous pouvions croire très robuste, en la voyant 
suffire à un«i énorme travail, et résister à tant de 
secrètes mortifications. Mais il n'en était rien; et on 
lit dans une de ses méditations de 1876, sur le 



378 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

mystère de la croix : « Pendant ma contemplation 
du soir sur Jésus chez Caïphe, j'ai senti des dou- 
leurs incroyables : mon corps était tout brisé, dans 
les articulations surtout. J'ai .tâché d'unir cela aux 
souflBrances de Jésus mon Sauveur... Il y a si long- 
temps que j'apprends à souffrir, et je le sais encore 
si peu ! Depuis mes premières années de collège , 
il n'y a presque pas de jour où je n'aie eu ou la tète, 
ou la poitrine, ou la gorge, ou les dents, ou le 
corps tout entier en proie à la douleur, et le bon 
Dieu sait avec quçlle violence souvent!... Puisqu'il 
me faut me résoudre à souffrir, à porter jusqu'à la 
tombe mon pauvre corps déjà tout cousu d'infir- 
mités et en proie à toutes les atteintes de la douleur, 
je veux au moins le faire de tout cœur pour le bon 
Dieu , souffrant de bonne grâce et joyeusement avec 
mon divin Sauveur couronné d'épines et cloué à la 
croix pour l'amour de moi... » 

Un autre avertissement lui venait du peu de temps 
qu'avaient vécu ses frères et sœurs , lesquels avaient 
quitté successivement cette terre à quarante -cinq, 
à quarante- sept, à cinquante -trois ans. « Or voici, 
se disait- il en 4876, que j'en ai quarante et un 
passés. Soit donc dix ou vingt ans encore. Qu'est-ce 
que cela? Et puis l'éternité I bienheureuse éter- 
nité 1 Quoi! sitôt I Courage, mon âme, va de l'avant I 
Commande au corps, dompte -toi, dépense-toi. Ne 
vois -tu pas Jésus debout à la droite do son Père et 
agitant déjà la couronne au-dessus de ta tête? > En 
1880, dans une autre retraite, faite au boulevard 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SBNGLER 379 

Vauban durant la dispersion : c J'ai déjà quarante- 
cinq ans, écrit-il. Ces dernières années qui me 
restent, que sont -elles en comparaison de l'éternité? 
Courage, mon âme, sers ton Dieu avec généro- 
sité! Fallût -il pour cela marcher à travers le fer 
et le feu , la prison ou la mort, le Ciel en vaut la 
peine. > 

Quand le Ciel l'appela il était prêt. Revenu malade 
de Châlons, il s'alita le 29 mars, soudainement ar- 
rêté dans ses travaux incessants pour le gouverne- 
ment de sa province. Bientôt une fluxion de poi- 
trine se déclara avec une violence qui ne permit plus 
l'espoir. 

On entrait dans les jours de la semaine sainte. Le 
malade, d'abord trompé sur la gravité du mal, com- 
prit bientôt qu'il fallait mourir. Il mena cette der- 
nière affaire doucement et simplement comme les 
autres. « La maladie, la mort, écrivait-il un jour, 
viennent à nous avec un visage d'ami. Obi si je 
pouvais m'habituer à les recevoir de même avec un 
visage d'ami! Ce serait bien juste, puisque le bon 
Dieu me les envoie pour me tendre la main et 
m'élever à Lui! » 

Durant ces journées de souffrance, uni constam- 
ment à Dieu, il priait à haute voix quand personne 
n'était là ; mais il se contentait de prier des lèvres 
et à voix basse dès qu'on s'approchait de son lit. 
Ses yeux étaient levés au ciel. Durant quelques ins- 
tants de délire, les mots de communion et d'Imma- 
culée Conception furent entendus. Le jeudi saint. 



380 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

8 avril, le saint Viatique et TExtrême- Onction lui 
furent apportés. Il enveloppa de son regard la sainte 
Eucharistie, qu'il reçut en pleine connaissance et 
avec une grande ardeur. Il était onze heures du 
matin, l'heure où ici, mes enfants, notre procession 
se rendait de cette chapelle au reposoir du très saint 
Sacrement. Le mourant priait toujours; ses traits 
avaient revêtu une expression angélique. Sentant la 
fin approcher, il fit effort pour joindre ses mains, 
qui restèrent ainsi unies jusqu'après son trépas. 
Puis, vers midi et demi, premières Vêpres du ven- 
dredi saint, il s'éteignait sans agonie : son âme était 
avec Dieu. 

Auprès de son lit se dressait, depuis cinq jours, 
une belle et grande palme qu'on lui avait apportée, 
le jour des Rameaux , à l'issue de la messe. Il l'avait 
reçue avec allégresse et l'avait fait placer dans sa 
chambre près de lui. Elle y resta durant sa courte 
maladie; puis, quand on l'ensevelit, on la déposa 
fidèlement à sa droite; elle repose dans son cercueil. 
Il entrait donc dans l'autre vie, emportant avec lui 
le corps de Jésus- Christ qu'il venait de recevoir, et 
la palme du triomphe de son divin Roi. 

Un jour, étant à Rome, le Père Sengler, visitant 
les salles du Vatican , s'était extasié devant le chef- 
d'œuvre de Raphaël, la Transfiguration. Le visage 
de Jésus glorieux l'avait ravi. Un an plus tard , dans 
sa grande retraite, il se le rappelait encore, et il 
écrivait : « Vous voir, ô mon Dieu , vous voir I Ah ! 
si jamais, comme quelques saints, j'avais eu le 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 381 

bonheur, l'ineffable bonheur de vous voir, de vous 
contempler un instant seulement! Mais j'en serais 
mort de bonheur... Que du moins, par votre grâce, 
la foi produise en moi ce que votre vue produisait 
en vos saints, en attendant le Cieil L'attente sera 
longue, dure, accablante; mais je sais que vous y 
êtes , et je patienterai. Pour charmer et soutenir ma 
pauvre âme pendant le reste de mon pèlerinage, je 
lui remettrai devant les yeux la Transfiguration de 
Raphaël, où vous m'êtes apparu si beau, si divin. 
J'en suis encore dans le ravissement. Non, jamais 
plus sur la terre je ne verrai votre adorable visage 
si beau des glorieux reflets de votre âme bienheu- 
reuse, toute pénétrée elle-même des rayons de la 
divinité. Et si telle est l'image, quelle dut être la 
réalité! Et si telle fut votre transfiguration, quelle 
dut être votre résurrection : Beati qui viderunt; 
heati et qui vidëbuntt Par votre grâce. Seigneur, 
j'en serai, je verrai votre gloire. Maintenant déjà 
je le sais, je le crois, et ce m'est un commence- 
ment de bonheur. » 

Père, oui, vous en serez de cette immortelle 
compagnie des heureux , et tout nous fait estimer 
que vous en êtes dès à présent. Sans doute nous 
prions et nous prierons encore pour votre béati- 
tude; mais permettez- nous la confiance que déjà 
nous sommes exaucés, et que cette beauté divine 
dont l'image vous ravissait, vous la contemplez 
aujourd'hui face à face ! Vous prépariez parmi nous 
un temple à Jésus -Christ, et nous aimions à vous 



382 LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 

voir en combiner vous-même toutes les propor- 
tions, semblable à cet aoge que l'Apocalypse nous 
représente tenant en main un mètre d'or, dont il 
mesure les murailles delà cité de Dieu. Mais si Dieu 
ne vous a pas laissé le temps de voir s'élever dans 
les airs les colonnes de notre édifice terrestre, nous 
voulons croire que sa justice miséricordieuse vous 
a introduit dans ce temple étemel qu'illumine la 
clarté de sa face et dont « la lampe est l'Agneau }» 
resplendissîant de gloire. 

Là vous aurez retrouvé tous ceux que vous avez 
aimés , honorés ou servis. Vous y aurez retrouvé 
vos religieuses sœurs, ces épouses du Christ, qui 
avaient, comme vous, choisi « cette bonne part qui 
ne leur sera pas enlevée ». Vous y aurez retrouvé 
vos pères et frères en religion, et, en particulier, ce 
vénéré Père Recteur dont le bonheur est complet, 
puisque, là-haut comme ici-bas, il vous a maintenant 
près de lui. Vous y aurez retrouvé ces jeunes et chers 
élèves du collège Saint- Joseph , aimables et pieux 
enfants qui, cueillis dans la fleur de l'âge, de l'espé- 
rance et de la distinction, s'en sont allés orner les 
autels du Seigneur. Vous y aurez enfin retrouvé 
tant d'hommes de bien et de foi de cette ville de 
Lille qui, la semaine dernière encore, envoyait vers 
la patrie un de ceux dont vous me faisiez admirer 
davantage la belle âme et le grand cœur*. 

Ahl nous ne vous plaignons pas, car vous vous 

* M. Edouard Leport. Tout Lille sait ce que ce nom rap- 
pelle d*aimable charité, de douce sagesse et de sainteté. 



LE RÉVÉREND PÈRE ANTOINE SENGLER 383 

êtes enrichi de tout ce que nous avons perdu. Mais, 
ô Père, souffrez que d'un cœur afOigé, quoique sou- 
mis, nous nous plaignions nous -môme, nous à qui 
manquent aujourd'hui votre conseil, votre force, 
votre sagesse, votre profonde tendresse, et cette 
douceur de votre présence qui nous faisait com- 
prendre combien il est bon de vivre auprès des 
amis de Dieu. Une consolation nous reste néan- 
moins : c'est d'abord la pensée que de là-haut vous 
veillerez encore sur notre famille; puis c'est la 
chère espérance que vous êtes allé nous y pré- 
parer une place , et que nous vous rejoindrons un 
jour dans ce beau paradis qui sera trouvé plus beau 
encore en l'immortelle société d'hommes tels que 
vous. Ainsi soit-il. 



XXV 

LETTRE 

AUX ENFANTS DE LA PREMIÈRE COMMUNION 



17 



M. le Supérieur ayant reçu, le mardi 7 juin 1887, un 
télégramme lui annonçant la mort de son père, vieillard 
nonagénaire, décédé pieusement, le matin du même jour, 
avait dû se rendre immédiatement dans sa famille, à 
Bellegarde (Loiret). 

G*est de là quUl adressa à la hâte la lettre suivante aux 
enfants du collège qui se disposaient à faire, le jeudi sui- 
vant, leur première communion. Elle fut lue publique- 
ment, en présence des parents et des enfants, le jour de 
cette solennité, dans la réunion de Paprès-midi. 

Que ceux qui la trouveront reproduite ici daignent se 
souvenir, dans leurs prières, de Tâme de M. André'Sébor 
stien Baunard, afin que le Seigneur Jésus fasse miséri- 
corde à son humble serviteur et lui donne le repos éternel. 



i 



XXV 

LETTRE 

ADRESSÉE PAR M. LE SCPÉRIECR 

ADX ENFANTS DE LA PREMIÈRE COMMCMON 

LE MERCREDI 8 JUIH 1887 

VEILLE DE CETTE SOLENNITÉ 



Bellegarde [Lotrel), ce S juin 1887. 

Mes PETITS Enfants, 

Je ne puis résister au désir de vous écrire, et c'est 
près du lit de mort de mon père que je le fais. 

Je sais bien que les grandes douleurs sont muettes 
et doivent l'être ; mais si profondément absorbé que 
je sois par la mienne et par celle de ma famille , il 
m'est impossible, d'oublier cette autre famille qui 
m'est bien chère , elle aussi : ma famille spirituelle 
du collège de Lille. Je ne puis vous oublier, vous 
surtout, mes Benjamins, dont il a fallu m'éloigner 
inopinément à la veille du jour où vous seront 
données , dans la communion, les joies anticipées 
du royaume des Gieux. Je ne voqs ai donc pas quit- 
tés par le cœur, mes petits enfants, et ici, à cent 
lieues de vous , mes yeux tout pleins de larmes s'en 



388 LETTRE 

vont de ce lit funèbre, où repose doucement ce 
vieillard de quatre-vingt-dix ans que j'ai tant vénéré 
et aimé, vers cet autel où nos soixante-huit enfants 
vont recevoir demain matin pour la première fois 
Celui qui est « la Résurrection et la Vie ». 

C'est à peine, hélas! si j'ai pu seulement vous 
entrevoir un instant, lorsque lundi dernier, sur le 
seuil de votre retraite, je suis venu vous visiter 
et vous féliciter de la si bien commencer. Vous 
vous souvenez qu'alors je vous rappelais cette cé- 
lèbre parole de Christophe Colomb à son équipage : 
« Trois jours, et je vous donne un monde; » et l'ap- 
pliquant à vous, je vous disais ensuite avec une plus 
haute espérance que lui : « Trois jours, et je vous 
donne un Dieu! » Ce Dieu que je vous promettais, 
vous le recevrez demain , mais ce ne sera pas moi 
qui aurai l'honneur de vous le distribuer; et votre 
père a dû laisser à un autre plus heureux le soin 
de rompre le Pain des anges , comme le pain de la 
parole, à ses petits enfants. Plaignez - moi 1 

Voici que déjà ce soir, veille du grand jour, une 
première grâce vous sera donnée» C'est l'heure où 
chaque année nos enfants de la retraite, après avoir 
reçu l'absolution, et avant de se retirer chacun dans 
sa famille, viennent, rangés en couronne, s'agenouil- 
ler devant nous , et nous demander de leur pardon- 
ner et de les bénir. Que de grand cœur ce pardon et 
cette bénédiction je vous les envoie, mes enfants! 
Mais je vous les envoie de loin , et un bonheur me 
manque : celui de les déposer moi-même sur vos 



AUX ENFANTS DE LA PREMIÈRE COMMUNION 389 

têtes; celui aussi de lire dans vos yeux et sur vos 
fronts cette paix de l'absolution descendue dans vos 
âmes. Elle sera si parfaite, cette paix ! Et j'aurais 
goûté tant de consolation à vous dire, comme Jésus 
aux premiers communiants du Cénacle : Vos tnundi 
estis :€\ous êtes purs ! » Mais, plus heureux que lui, 
j'aurais pu ajouter que vous du moins vous l'êtes 
tous, et que notre Cénacle ne connaît point de Judas. 

Après cela, deux fois bénis et deux fois pardon- 
nés par Notre-Seigneur Jésus-Christ et par votre 
Supérieur, je vous aurais remis à la bénédiction 
de vos pères et de vos mères, qui sont les prêtres 
et les prêtresses du foyer domestique. Ce que je 
vous aurais dit de vos devoirs envers eux, je ne le 
sais pas au juste, mes enfants; mais jamais et nulle 
part je n'ai senti le besoin de vous recommander de 
les aimer et de les honorer, comme je le sens aujour- 
d'hui , devant les restes inanimés de celui qui jadis 
m'a béni, petit enfant comme vous, en pareil jour, 
et qui ne me bénira plus désormais en ce monde. 

Ne l'oubliez donc jamais : après l'état de grâce de 
votre âme avec Dieu , il n'y a rien de plus précieux 
que ce que j'appellerais l'état de grâce de votre 
cœur avec ceux qui sont ses représentants auprès 
de vous. Restez dignes d'être bénis par eux chacun 
des jours de votre vie; et préparez à votre avenir la 
meilleure des satisfactions : celle de pouvoir vous 
dire, quand ils ne seront plus, que vous leur aurez 
fait l'existence douce et heureuse, si longue que 
Dieu la leur ait accordée , de sorte qu'à leur der- 



390 LETTRE 

nière heure ils n'auront eu que des actions de 
grâces à vous adresser, parmi leurs embrassements 
et leurs adieux. 

Et demain, mes petits enfants, ce sera le beau 
lendemain de cette soirée de grâce, ce sera le grand 
jour, le jour inoubliable, le jeudi de la Fête-Dieu, 
deux fois Fête-Dieu pour vous, qui êtes invités à la 
fête et à la table de Dieu. Et tandis que moi, ici, bien 
loin, sur la lisière de la forêt d'Orléans, dans ma 
bourgade natale, je verrai le cortège funèbre s'arrê- 
ier à la porte d'une modeste maison, pour réciter 
sur celui qui va la quitter à jamais les suprêmes 
prières de l'Église; là- bas, au Collège, chez vous, 
un autre cortège, tout joyeux des joies du ciel et de 
la terre, s'avancera vers l'autel où s'accomplira la 
rencontre eucharistique des plus heureux des en- 
fants avec un Père qui ne meurt pas ! 

J'y suis par la pensée. Il me semble vous voir 
arriver processionnellementau moment de la messe, 
vos cierges fleuris à la main , et de nos vastes cor- 
ridors tout inondés de lumière vous avancer vers la 
chapelle où se presse la foule de vos parents et de 
vos amis. Il me semble vous entendre chanter tous 
ensemble, de vos voix moins fraîches encore et 
moins pures que vos âmes , ce psaume du Laudate 
pueri Dominum qui, sur votre passage, retentira 
dans bien des cœurs. . 

Que j'aurais été heureux, à cette heure divine, 
d'aller au-devant de vous, avec vos prêtres et vos 
maîtres, comme les prêtres et les lévites paient 



AUX ENFANTS DE LA PREMIÈRE COMMUNION 391 

jadis au-devant du jeune prince Joas, pour la fête de 
son sacre et de son couronnement! Que de grand 
cœur je me serais associé à l'attendrissement de vos 
familles quand elles vous retrouveront là tout illu- 
minés et transfigurés par les exercices de la re- 
traite, comme Marie et Joseph retrouvèrent l'enfant 
Jésus après trois jours passés dans le Temple au 
milieu des Docteurs! Que volontiers j'eusse laissé 
mon âme s'en aller tout entière vers les vôtres, dans 
quelques paroles que le bon Dieu m'aurait mises sur 
les lèvres pour vous présenter, comme le saint Pré- 
curseur, Celui qui a ôté le péché de ce monde : Ecce 
AgnusDei! Ecce qui tollit peccatum mundi! 

Et puis quels spectacles pour qui les voit avec des 
yeux chrétiens ! L'ineffable mystère s'accomplissant 
en vous : la sainte Communion, et « le Corps de 
Notre -Seigneur Jésus- Christ venant garder votre 
âme pour la vie éternelle ». Et vous, entrant déjà 
en possession de cette vie par un pacte immortel 
avec la vertu et la grâce. Et vos parents qui prient 
comme on prie pour son enfant, et à qui Dieu ré- 
pond cette parole de son Évangile : a Si vous ne 
devenez semblables à ces petits, en faisant ce qu'ils 
font, vous n'entrerez pas dans le royaume des 
cieux. » Et eux, venant, en effet, se presser alors 
aux sources de la vie, mais cette fois ne s'y présen- 
tant qu'après vous, pour honorer votre préséance 
de jeunes rois de cette journée : Talium est enim 
regnum cœlorum. Et puis vos condisciples se suc- 
cédant au même banquet, où ils forment votre suite, 



392 LETTRE 

comme ces frères de Joseph dont les gerbes devaient 
s'incliner devant la gerbe glorieuse de leur plus 
jeune frère. Et quoi encore? Au-dessus de vos têtes, 
rassemblée invisible, mais réelle de ceux qui ne 
sont plus, vos ancêtres, vos aïeux, votre père ou 
votre mère peut-être, vos maîtres disparus, et en 
particulier celui dont la mort récente aura été pour 
moi le premier grand deuil d'une année qui m'aura 
enlevé coup sur coup un si vénérable ami et un si 
bon père. Je vois tout cela d'ici , mes chers enfants 
de Lille : vos agapes du matin , vos serments du 
soir, les anges qui les entendent, Marie qui les re- 
çoit; et jusqu'à ces cachets de première communion 
que je me réserve de signer et de vous distribuer à 
mon retour, heureux d'être le notaire de l'acte solen- 
nel, du contrat de la nouvelle alliance qui constate 
vos droits à l'héritage du royaume des Cieux. 

Tous ces souvenirs m'entraînent; et pourtant il 
faut que je m'arrête, car je sens que mon cœur n'est 
plus maître de lui. Pardonnez-moi si, devant ces 
images sacrées, je sens venir des larmes. Je me re- 
proche presque de les laisser tomber sur un autre 
objet de tendresse que celui qui est là étendu près de 
moi. Et toutefois , j'en suis sûr, il ne m'en voudra 
pas, mes petits enfants, de m'attendrir sur vous, 
môme à côté de lui ou de ce qui reste de lui; car 
j'ai lieu de croire que maintenant lui-même prie là- 
haut pour vous. Il menait une vie si droite, cet 
homme de travail et de résignation, qui à tout événe- 
ment et contre tous les coups du sort n'avait qu'une 



AUX ENFANTS DE LA PREMIÈRE COMMUNION 393 

réponse : A la volonté du bon Dieu! Il a fait une fin 
si pieuse, il a tant de fois redemandé le crucifix, 
qu'il ne se lassait pas de baiser, priant des lèvres , 
pendant que Ton récitait le chapelet près de lui, 
répétant le nom de Jésus, jusqu'à ce que, joignant 
les mains en silence, il rendit à son Dieu Tâme du 
plus honnête homme et du plus humble chrétien que 
j'aie connu. 

Et puis vous ne lui étiez pas étrangers, loin de là ; 
il vous aimait déjà à travers le cœur de son fils aîné 
devenu votre père; et il n'y avait pas une semaine où 
dans notre fidèle correspondance de tant d'années , 
il ne s'informât de tout ce qui concernait ma famille 
de Saint- Joseph , dont il avait fait la sienne par son 
affection. Mais combien plus ne doit-il pas vous 
aimer aujourd'hui qu'il se sent redevable à vos 
prières! Car quand même, au départ, je n'en aurais 
pas reçu la promesse écrite de plusieurs d'entre vous, 
je vous connais assez bons fils pour me tenir assuré 
qu'aucun de vous n'a oublié l'âme de mon père 
devant Dieu. Ce m'est un grand sujet de confiance, 
mes très chers enfants; et, puisque je devais avoir 
la grande douleur de le perdre, du moins faut-il que 
je regarde comme une consolation miséricordieuse 
qu'il se soit endormi l'avant-veille du jour où tant 
de bons cœurs vont porter son souvenir dans leur 
communion, comme l'âme du pauvre Lazare fut 
portée dans le sein d'Abraham par les Anges. 

Mes chers fils, je vous quitte pour me rendre 
auprès de ma mère, alitée de fatigue dans la pièce 

17* 



3^4 LETTRE AUX ENFANTS DE LA PREMIÈRE COMMUNION 

voisine. Elle a quatre-vingt-six ans, et la vieillesse, 
qui lui a laissé toute sa tête et tout son cœur, a 
afiaibli presque tout le reste. Le brisement qui vient 
de rompre une union de soixante-trois années n'est 
guère fait pour ranimer ce petit souffle d'une vie 
à laquelle d'ailleurs elle n'est plus guère attachée. 
Je vous dis cela comme à mes enfants bien-aimés, 
afin que vous priiez pour elle : ce sera comme si vous 
le faisiez pour moi , qui vous en bénis par avance. 
Et vous, soyez heureux, mes petits enfants, 
soyez-le longtemps! Gardez longtemps les joies de 
l'innocence et de la première communion ; gardez 
longtemps aussi les joies de la famille, en conser- 
vant ceux qui vous la rendent si aimable. On se sent 
devenir soudainement si vieux le jour où, dans ce 
monde, il n'y a plus personne qui vous appelle 
encore mon enfant l Cela veut dire que je suis triste, 
très triste, et qu'il faut avoir une pieuse compas- 
sion de ma tristesse. Vous en êtes la meilleure con- 
solation, vous tous tant que vous êtes, petits et 
grands, parce que vous m'êtes une affection qui me 
rajeunit sans cesse de votre propre jeunesse. Aussi 
m'est-elle devenue une nécessité, comme l'antiquité 
appelait ces nobles attachements; et à mesure que 
les liens se brisent ou se dénouent au foyer de 
ma famille, je sens davantage le besoin de res- 
serrer ceux par lesquels Jésus -Christ a daigné 
m'attaçhef au foyer de son Église , particulièrement 
en vous donnant à moi et en me donnant à vous ad 
convivendum et commoriendum , à la vie, à la mortl 



XXVI 



LE SERVICE 



RêvB ET ESPOIR. — « Messieurs, quel rêve saisit l'esprit, quand 
on songe à ces jours de 1789 1 

« Supposez qu'au milieu de cette universelle décadence du 
XTiii* siècle, au sein de cette société livrée au plaisir et à Tincré- 
duUté, en face de ce peuple rongé par la souffrance; supposez que 
quelques hommes se soient levés, jeunes, brillants par le rang, 
nntelligence et la fortune, capables d^exercer autour d^eux une 
juste influence, qui, frappés des signes avant -coureurs d'une 
catastrophe prochaine , émus de pitié pour tant de misères et 
sentant bouillonner dans leurs veines le vieux sang des croisés , 
se soient jetés tout à coup entre les grands et les petits, mon- 
trant la croix de Jésus- Christ, et demandant en son nom la 
justice, la paix et la charité. Ecoutez- les parler au peuple : 

« J*ai posé la main sur ton cœur, et j^en ai compté les batte- 
« ments. J*ai coniui l'injustice qui pèse sur toi ; mais je me suis 
« détourné d'elle et je t'en délivrerai; car je sais le secret de 
« ton salut, c'est mon Dieu et le tien qui me l'a révélé. Viens, 
« mets ta main dans la mienne, et retournons ensemble à sa 
c loi méconnue. •> 

« Écoutez, écoutez encore. « Amis, parents, compagnons de 
<« jeunesse, que faites-vous de votre temps, de votre fortune et 
« de votre autorité? Regardez ce peuple, comme il est loin de 
« vous ! Ne savez-vous pas que vous n'avez reçu tous ces dons 
« de Dieu qu'en échange d'une charge à remplir, charge de 
« justice, de patronage et de protection ? Oubliez-vous de quel 
M sang vous sortez et quelles traditions vous ont faits ce que 
« vous êtes? Et si le nom de votre Dieu et le souvenir de vos 
« pères ne suffisent plus pour vous rendre à vous-mêmes, n'en- 
« tendez -vous pas l'orage qui menace, et ce flot montant de 
« colère et de vengeance qui va tout à Pheure vous atteindre et 
« vous briser?... » 

« Supposez que les hommes passionnés, serviteurs enthou- 
siastes de la vérité et de la patrie qui tenaient ce langage, se 
soient levés pour le confirmer par l'autorité de leur exemple et 
l'ardeur de leur dévouement; supposez qu'ils aient entraîné 
dans leur œuvre tout ce qui gardait au cœur l'amour de Dieu 
et le culte de l'idéal, écrivains, orateurs et poètes dégoûtés de 
ce siècle abaissé et avides de nobles sentiments, et dites -moi 
ce qu*aurait pu être leur influence, dites -moi quel cours au- 
rait pu prendre ce mouvement de générosité qui emportait les 
âmes, et ce qu'aurait pu devenir l'assemblée de la nation con- 
voquée au milieu de cet enthousiasme ? » 

« Quel rêve, Messieurs, et quel siècle que celui qui aurait 
pu s'appeler, au lieu du siècle de la Révolution, le siècle de la 
restauration du règne de Dieu. 

« Eh bien , ce rêve , c'est le nôtre ! » 

M. le comte Albert de Mun , 
au Congrès de Liège, octobre 1886. 



XXVI 



LE SERVICE 



DISCOURS 

Prononcé à la distribution solennelle des Prix de Técole libre 
Saint- Joseph de Lille, le samedi 30 juillet 1887. 



Monsieur l'Arghiprêtre * , 

Votre présence à ce siège , en une pareille fête , 
nous apporte et un honneur dont nous nous félici- 
tons et une joie dont nous vous remercions. Vous 
étiez 'particulièrement désigné pour l'occuper, mon- 
sieur TArchiprètre, par le souvenir des beaux jours 
durant lesquels vous dirigiez avec une si haute 
sagesse une de nos plus grandes éeoles ecclésias- 
tiques. Permettez cependant que nous y attachions 
une signification d'un ordre supérieur, et que nous 
y voyions l'expression d'une pensée qui ne cesse de 
présider à notre œuvre scolaire. C'est la pensée de 

^ M. le chanoine Lasne, archiprêtre, curé -doyen de Saint- 
Maurice à Lille, ancien supérieur du collège Notre-Dame à 
Valenciennes , président de la distribution solennelle des prix. 



398 LE SERVICE 

rétroite solidarité qui unit notre ministère d* éduca- 
teurs de la jeunesse au ministère des vénérés pas- 
teurs de nos paroisses. Aussi bien estimons -nous 
n'avoir d'autre mission, messieurs les Curés, que 
celle d'être vos précurseurs et vos auxiliaires auprès 
de l'élite de vos troupeaux, vous préparant de notre 
mieux des hommes de zèle comme de foi qui non 
seulement suivront votre direction, mais encore 
seconderont votre action parmi leurs frères. C'est 
à quoi je les exhorterai spécialement aujourd'hui, 
et tel est le fond même du discours dont, à ce titre, 
je vous devais l'hommage. 



Messieurs , 
Mesdames , 
Mes chers Enfants, 

Demain, les aînés d'entre vous seront sortis du 
collège, et en tète des devoirs dont ils devront être 
les modèles dans le monde, il en est un dont je me 
reprocherais de ne pas les instruire. Ce devoir, 
qu'on médite trop peu , porte un nom qui peut-être 
vous paraîtra insolite ; mais, dût-il vous surprendre 
par sa nouveauté , je l'appellerai tout de suite par 
son vrai nom : Le. Service. 

Je sais à qui je parle, et, certes, ce n'est pas vous, 
jeunes fils de l'Évangile , qui serez tentés d'attacher 
l'idée de quoi que ce soit de bas et d'humîliant 
à un nom que l'Évangile a placé si haut dans l'hon- 



LE SERVICE 399 

neur. Le jour où le plus grand des maîtres a déclaré 
qu'il était venu dans le monde pour servir, que telle 
était sa mission propre, veni ministrare , ce jour-là 
le service devint non plus seulement chose noble , 
mais chose divine, et son nom prit rang définitive- 
ment parmi les plus beaux noms de la langue chré- 
tienne. Entendez comme elle s'exprime. Dans la 
société spirituelle, l'exercice du sacerdoce s'ap- 
pelle le ministère, c'est-à-dire le service de Dieu et 
de l'humanité; et le plus élevé des ministres dans 
la hiérarchie ecclésiastique s'appelle lui-même « le 
serviteur des serviteurs de Dieu. » Dans l'ordre mi- 
litaire, l'exercice d'un dévouement qui va jusqu'au 
sacrifice de son sang et de sa vie s'appelle simple- 
ment et excellemment « le service d. Dans l'ordre 
civil et administratif, les fonctions diverses qui en 
constituent l'organisme vivant portent dans leur en- 
semble le nom de « services publics d. Enfin, au 
faîte du pouvoir, ce qui touche de plus près à la 
souveraineté , c'est encore le « ministère »; les pre- 
. miers dignitaires d'un pays sont a ses ministres d , 
c'est-à-dire ses serviteurs, les serviteurs de ses 
intérêts avant de l'être des leurs; et ceux-là seuls 
sont dignes d'en recevoir le mandat et d'en porter 
le nom qui l'entendent dans ce sens. 

Ce n'est d'aucun de ces services ou fonctions 
officielles de Tordre ecclésiastique, militaire, civil, 
administratif ou politique que j'entends vous parler 
ici, comme vous le pensez bien. Mais il en est un 
autre que ne vous imposera aucune loi positive. 



400 LE SERVICE 

dont VOUS ne recevrez le mandat que de votre propre 
volonté , mais dont vous n'avez pas moins contracté 
l'obligation au regard de votre conscience et de 
Celui dont elle est l'organe auprès de vous. C'est le 
service public de vos frères, par le dévouement ef- 
fectif aux œuvres du bien et du vrai dans la société. 
Et quand je dis service public, je veux déjà par 
ce mot vous faire entendre qu'il ne suffit pas de 
l'exercer seulement dans votre for intérieur, soit le 
for domestique, soit même le for professionnel. Cela 
c'est le devoir privé, et à celui-là je suppose avec 
une juste confiance que vous serez et demeurerez 
premièrement fidèles. Oui, sans doute, là, au foyer, 
vous serez de bons fils , de bons pères , de bons 
maîtres, de bons chrétiens même, si, pour l'être 
réellement, il suffit à chacun de l'être pour son 
seul compte. Mais ne devez -vous pas l'être aussi 
pour le compte des autres? Pouvez- vous en con- 
science vous soustraire à la part d'action et d'in- 
fluence qui est requise de vous par la patrie ca- 
tholique comme par la patrie fi^ançaise? Et, non 
contents de faire votre salut et vos affaires, n'avez 
vous pas , dans la mesure de vos ressources et de 
vos forces, à prendre en main les affaires de la vé- 
rité et de la justice en ce siècle? Enfin, ce qui re- 
vient au même, en outre et au-dessus de vos inté- 
rêts propres, n'avez- vous pas à pourvoir à de plus 
généraux : les intérêts sociaux, moraux et religieux 
du milieu et du temps où Dieu vous a fait vivre? 
Telle est, mes chers fils, la question capitale qui se 



LE SERVICE 401 

dresse devant vous, sur le seuil de la carrière où 
vous entrez demain. 

Je voas avoae que je n'en connais guère de plus 
grave que celle-là, et voilà pourquoi sans doute je 
la retrouve partout sur les lèvres ou sous la plume 
des catholiques les plus éminents de notre époque. 
c Cela est triste à dire, écrivait un jour mélanco- 
liquement le cardinal Pie. Depuis le temps que nous 
avons des collèges catholiques, des cercles catho- 
liques, de conférences de Saint -Vincent-de-Paul, 
qu'est- il sorti de là? Des jeunes chrétiens sans 
doute, et en assez grand nombre, qui opèrent leur 
salut en se comportant bien, je l'espère, du moins. 
Mais des esprits fermes, mais des caractères mâles, 
mais des hommes pratiques qui prennent en [main 
les afTaires et qui mènent les hommes... qui nous en 
donnera? 

Eh bien, s'il plaît à Dieu, nous en donnerons au 
pays, nous en donnerons à l'Église. Et vous serez de 
ceux-là, vous nos chers enfants , si vous voulez com- 
• prendre que ce service public,tout volontaire qu'il est , 
vous crée une obligation qui vous étreint de toutes 
parts; et que vous y soustraire par mollesse, par 
égoïsme ou par indifférence, c'est manquer à l'hon- 
neur de votre tradition, aux lois de votre religion, aux 
devoirs de votre éducation et de votre position, à 
l'intérêt moral de votre préservation, et enfin à la 
noble tâche de régénération qui doit être l'ouvrage 
de la jeunesse chrétienne, et dont un compte rigou- 
reux vous sera demandé par Dieu et par la société . 



402 LE SERVICE 

Et d'abord, Messieurs, lorsque je considère tout 
ce qui se fait parmi vous, tout ce que j'ai ici sous 
les yeux depuis dix ans, le double sentiment qui 
s'empare de moi c'est celui de l'admiration, puis 
celui de l'épouvante : de l'admiration pour le pré- 
sent, de l'épouvante pour l'avenir; de l'admiration 
pour vous et de l'épouvante pour vos fils, en vue de 
la réputation qu'ils auront à soutenir et de la suc- 
cession qu'ils auront à recueillir et à faire valoir. 
C'est qu'en effet. Messieurs, une rare fortune d'hon- 
neur est échue à votre province et à votre cité; et 
celui-là peut-être est mieux placé qu'un autre pour 
en parler avec désintéressement qui , étranger par 
sa naissance à votre belle contrée, n'est ensuite 
devenu vôtre que par le bienfait de votre adoption 
et par le lien sacré de son affection. 

Du reste , que pourrais-je dire qu'on ne proclame 
en tout lieu? et qui ne sait la place à part que vous 
occupez sur la carte delà France catholique? Oui, il 
y a dans cette France une frontière dont le nom, déjà 
grand dans l'ordre des choses matérielles, devient 
de jour en jour plus grand dans l'ordre des choses 
morales. Il y a entre la patrie de Pierre l'Ermite et 
celle de Godefroy de Bouillon, dans le pays même de 
cette dynastie des Baudouin, conquérants et empe- 
reurs latins de Gonstantinople, une terre où persiste 
toujours l'esprit des antiques croisades, et où le cri 
<( Dieu le veut! » éveille toujours les mêmes ardeurs 
contre l'infidélité , sinon contre l'infidèle. Il y a, au 
çein de ses plaines profondes , riches d'hommes et 



LE SERVICE 403 

de moissons, qui n'ont pour bornes que l'horizon 
sans bornes de l'Océan, un rempart religieux sur 
lequel le drapeau de Jésus -Christ se tient toujours 
debout. C'est là, c'est de ce côté qu'aux heures dou- 
loureuses ou anxieuses de la patrie chrétienne, on 
se tourne comme vers le lieu des fortes initiatives, 
des fières et sages résistances , des revendications 
ardentes de la foi et du droit, dont le règne, s'il 
doit nous revenir, nous reviendra de là. Là, dans 
l'esprit public, un besoin de rénovation sociale et 
catholique qui semble devancer et déjà préparer le 
mouvement régénérateur de l'avenir. Là d'immenses 
associations de foi et de charité, de vastes institu- 
tions d'enseignement de tout degré, des œuvres qui 
font l'édification et l'étonnement des hommes , sans 
compter celles plus nombreuses qui ne sont per- 
mises en spectacle qu'à Dieu et à ses anges. Là sur- 
tout des hommes de foi qui sont des hommes de 
zèle , pour qui l'honneur d'être chrétien est tenu 
pour inséparable du devoir d'être apôtre , chez qui 
le légitime et intelligent souci de la chose privée 
n'a pas étouffé la sollicitude de la chose publique , 
et qui, ayant cherché premièrement le règne de 
Dieu et sa justice, ont montré visiblement comment 
Dieu savait ajouter le reste comme par surcroît. 

Or maintenant, mes chers fils, qu'allez-vous faire 
de ces exemples, de ces œuvres, de ces traditions, 
de tout ce patrimoine spirituel de vos pères , duquel 
vous hériterez demain? Lorsque demain ce ce poids 
immense de gloire », selon l'expression de l'Apôtre, 



404 LE SERVICE 

suspendu sur vos têtes, y descendra comme une 
couronne qui sera en même temps ime charge, com- 
ment la porterez -vous? Aussi bien, quoi qu'il ar- 
rive, une chose est certaine : c'est que ces grandes 
choses ne vivront que si vous les faites vivre. Le 
tout est donc de savoir si vous serez les dignes fils 
de ceux qui ont fait votre race si grande et si hono- 
rée , ou si vous serez de ces fils qui aiment mieux 
renoncer à une succession qui leur pèse que de 
faire honneur à leur nom, au prix de généreux 
sacrifices. Le tout est de savoir si , dans cette inter- 
minable bataille pour Dieu et la patrie, les troupes 
d'aujourd'hui, bientôt arrivées au soir de leur chaude 
journée, seront demain, grâce à vous, remplacées 
par des troupes fraîches qui décideront du succès. 
Le tout est de savoir si vous avez compris pratique- 
ment que « noblesse oblige », et si vous saurez 
garder ou même relever le rang que l'opinion a dé- 
cerné à votre blason régional. Il est beau entre tous 
votre blason, à vous : sur votre écusson de Flandre, 
vos pères ont placé un lion. C'est bien! et autrefois 
les rugissements de ce lion ont rempli l'Occident et 
fait trembler l'Orient. Mais le tout, vous dis-je, est 
de savoir si vous voulez être de ces lions au cœur 
vaillant, auxquels les Livres saints comparent ce 
Macchabée qui fut lé sauveur de son peuple : Simi- 
lis foetus est leoni in operihus suis; ou bien si vous 
vous résignerez à n'être que de ces lionceaux dont 
Job a dit que la vue du combat leur fait peur et les 
met en déroute : Catuli leonis dissipcUi sunt. 



LE SERVICE 405 

Je viens de m'adresser à votre honneur; mais 
j'aime mieux m'adresser maintenant à votre reli- 
gion, car je sais qui vous êtes. Assurément, — et ce 
m'est une grande douceur de le dire, — votre reli- 
gion est profonde, votre foi éclairée , votre piété fer- 
vente, mais nous entendons bien que ce ne soit pas 
une religion inerte ou égoïste. La foi que nous vous 
enseignons, c'est le principe de l'action; la piété 
que nous vous inspirons, c'est le mobile de l'action. 
Mais l'action elle-même, l'action dans le service 
des hommes comme dans le service de Dieu , voilà 
le terme où nous attendons votre christianisme pour 
y reconnaître cette religion de laquelle saint Paul 
a dit que « le royaume de Dieu n'est pas dans la 
parole, mais dans la vertu et les œuvres ». 

Regardez- en une image, et souvenez- vous d'une 
parole divine qui l'explique. Lorsque, il y a quelques 
années, nous avons placé, à chaque extrémité de 
la galerie par laquelle vous nous arrivez chaque 
jour, une verrière qui, dès votre entrée, vous rap- 
pelât vos devoirs, nous avons bien mis d'un côté 
Jésus bénissant les enfants, comme une vive et 
charmante représentation de vos communications de 
piété avec lui; mais de l'autre côté nous avons tenu 
à représenter Jésus assis , dès l'âge de douze ans , 
au milieu des docteurs , les écoutant discuter et 
expliquant lui-même les choses de la loi, les pré- 
parant à la prochaine rédemption d'Israël , et ré- 
pondant à Marie que désormais, pour lui, la grande, 
la souveraine affaire sera de s'occuper des intérêts 



406 LE SERVICE 

de son Père. Oportet, il le faut : c'est le mot de 
votre divin modèle. Oportet, vous l'entendez : il y a 
donc obligation pour vous comme pour lui de vous 
mettre de bonne heure au travail du salut public. 
Si pieux que soit l'intérieur de votre Nazareth, si 
parfaite que soit chez vous l'édification de la sainte 
Famille, une heure vient où il faut sortir de ce mi- 
lieu de douce paix et porter le témoignage de la pa- 
role et des œuvres dans l'assemblée des hommes. 
Oportet, il le faut; et de toutes les illusions la plus 
funeste serait celle qui consisterait à reléguer sa 
prétendue religion dans le secret de sa conscience 
ou dans le secret de son foyer, en se feiisant je ne 
sais quelle quiétude mystique de ne se point occuper 
de tout le reste, quand ce reste c'est le salut de 
l'Église et de la société î 

"Ah! sans doute l'Église réprouve une initiative 
qui ne serait pas réglée par une juste obéissance 
à la direction de ses chefs ; mais d'autre part elle re- 
quiert le concours de toutes les vaillances, quel que 
soit l'habit qu*elles revêtent , pourvu qu'elles soient 
discipUnées et rangées sous la loi. Car enfin le 
christianisme n'est pas l'abstentionisme; et nous 
aurons toujours trop de ces chrétiens de nom qui 
ont de bons sentiments, même de pieuses habi- 
tudes, mais qui se désintéressent de toute action 
publique par une prudence dans laquelle il nous est 
impossible de voir autre chose que la méconnais- 
sance de notre grande religion. Nous la comprenons 
d'autre sorte, cette religion de Jésus. C'est la forte 



LE SERVICE 407 

religion du dévouement et du sacrifice, la religion 
de Celui qui ce s'est livré pour nous par amour, qui 
s'est anéanti en prenant la forme d'esclave » : nous 
ne reconnaissons donc pour ses vrais disciples que 
ceux qui s'oublient eux-mêmes pour se donner aux 
autres. C'est la religion de la compassion miséri- 
cordieuse et secourable, la religion de Celui qui « a 
pitié de la foule » et qui nourrit les afiEamés, qui ouvre 
ses deux bras à tous ceux qui travaillent et qjii sont 
affligés, et qui leur dit : « Venez à moi ! » Nous ne re- 
connaissons donc pour ses vrais disciples que ceux 
qui, à son exemple , ouvrent leurs bras aux travail- 
leurs, aux opprimés, aux pauvres, aux enfants, aux 
ignorants, aux infirmes, aux malheureux, aux pé- 
cheurs, pour leur refeire une vie qui mérite ce nom. 
Que si elle est la religion de la patrie céleste, elle n'en 
est pas moins celle de la patrie terrestre ; la rehgion 
de Celui qui a pleuré sur Jérusalem, et qui eût 
voulu rassembler ses enfants sous ses ailes pour les 
abriter contre les aigles romaines qu'il voyait déjà 
venir. Nous ne reconnaissons donc pour ses vrais dis- 
ciples que ceux qui, sur les maux de la France 
comme de l'Église, versent, eux aussi, des larmes, 
et plus que des larmes, des remèdes. J'ajoute que 
c'est dès lors la religion du combat, la religion de 
Celui « qui est venu apporter non la paix, mais le 
glaive ». Et voilà pourquoi nous voulons que la na- 
tion que nous essayons de préparer en vue de l'ave- 
nir soit une nation armée pour la défense de sa 
cause. Quand nos jeunes gens quittent l'école, ils 



408 LE SERVICE 

emportent d'auprès de nous, comme les soldats de 
Gédéon, une épée au côté, une trompette dans une 
main et im flambeau dans l'autre. Mais encore faut-il 
qu'ils veuillent et sachent s'en servir, que l'épée ne 
demeure pas consignée au fourreau, que la trom- 
pette ne demeure pas perpétuellement muette, ni le 
flambeau caché dans son enveloppe d'argile. Brisez 
l'argile, faites la lumière, sonnez la charge, tirez 
l'épée : a: Le glaive de Dieu et de Gédéon! » tel est 
notre mot d'ordre. Il y va de votre salut et de celui 
de votre peuple. 

Des hommes de cœur, des hommes de bien, des 
hommes de dévouement, des hommes d'action et de 
sacrifice : voilà donc, mes chers fils, les chrétiens 
que vous serez. Même vous le serez plus que 
d'autres; et si vous désirez savoir ce que nous 
attendons de vous, je vous dirai, avec saint Paul, 
que nous voudrions vous voir à la tête de tout ce 
qu'il y a de plus excellent dans ce siècle : de tout 
ce qu'il y a de vrai, quœcumque vera, de tout ce 
qu'il y a de respectable et d'adorable, qtiœcumque 
sancta, de tout ce qu'il y a d'aimable aussi , quœ- 
cumque amdbilia, de tout ce qu'il y a d'honorable, 
quœcumque honœ famœ, de tout ce qui fait la gloire 
soit de l'homme de mérite, soit de l'homme bien 
élevé, si qua virtus, si qua laus disciplinœ, hsec 
cogitate. Vous l'avouerai-je, mes enfants? je me 
sens parfois à votçe endroit des ambitions de mère ; 
l'ambition de cette mère de l'Évangile qui voulait 
voir ses deux fils à la première place dans le royaume 



LE SERVICE 409 

du Maître. Je voudrais, moi aussi, que nos jeunes 
catholiques fussent non seulement les plus pieux, 
mais encore les plus instruits, les plus distingués, 
les plus considérés, les plus puissants des hommes 
de leur pays et de leur âge, non pour qu'ils en 
soient plus vains, mais pour qu'ils en soient plus 
utiles; car j'espérerais ainsi que, leur mérite en tout 
genre forçant l'entrée de tous les centres d'action 
ou d'influence, cercles, corporations, conseils pu- 
blics, corps savants, grandes associations, ils y 
porteraient, plus haut encore que l'honneur de leur 
propre nom, l'honneur du nom de Jésus et l'avance- 
ment de son règne dans notre société. 

Maintenant je ne m'adresse plus à votre foi de 
chrétiens; je considère, mes chers fils , votre condi- 
tion sociale; et, je vous le demande, pourquoi Dieu 
vous a-t-il fait une position privilégiée de naissance, 
d'honneur, de fortune ou d'influence, si ce n'est pour 
que vous exerciez sur les hommes une action qui 
pût porter plus loin en descendant de plus haut? 
Pourquoi surtout Dieu vous a-t-il donné cette édu- 
cation, cette instruction de choix qui, pendant huit à 
dix ans, vous a fait passer par tous les degrés de la 
connaissance littéraire et scientifique, sinon pour 
que sur ce faîte vous allumiez un phare? 

Car enfin vous n'avez pas la présomption de 
croire que tous ces dons gratuits d'une Provi- 
dence libérale, ces trésors de savoir humain et de 
grâces divines , de loisirs et de richesses , de consi- 

18 



410 LE SERVICE 

dération et d'estime toutes faites, vous ont été dé- 
partis comme un simple ornement destiné à la 
parure de votre propre personne. Encore moins 
êtes-vous tentés, je pense, d'y voir seulement un 
instrument d'ambition , d'orgueil et de plaisir. Ah ! 
connaissez mieux la beauté de votre mission. Bossuet, 
je crois , compare quelque part les rois et les grands 
à des fontaines publiques qui doivent répandre leurs 
eaux bienfaisantes autour d'elles. Je ne vous déso- 
bligerai pas, je pense, en vous comparant aux 
princes, et en vous disant que, vous aussi, vous 
n'êtes fontaines que pour devenir ruisseaux. De par 
votre position comme de par votre religion, vous 
avez charge d'âmes, et vous n'êtes pas plus libres 
de vous soustraire à cette charge que ne l'est un 
soldat de quitter sa faction ou un magistrat son siège. 
C'est la consigne de Dieu. 

J'ai hâte d'ajouter que c'est la consigne pour tous, 
et que ce devoir d'état est votre devoir à tous. Aussi 
bien, tous tant que vous êtes, par là même que vous 
êtes ici ou que vous en serez sortis , vous constitue- 
rez ce qu'un grand économiste de nos jours a 
nommé ce les autorités sociales d. Et ne vous imaginez 
pas, par exemple, qu'un tel titre n'appartienne qu'à 
ceux qui l'ont reçu de leur nom, de leur race ou de 
la considération du passé de leurs pères. Dans un 
temps et dans un pays d'égalité comme le nôtre, 
l'autorité devient de plus en plus personnelle; et 
c'est par droit de conquête qu'il faut regagner 
aujourd'hui ce qui ne vous arrivera plus transmis 



LE SERVICE 411 

par droit de naissance. Ne croyez pas davantage que 
cette mission , avec les devoirs qui y sont attachés , 
ne regarde que ceux pour lesquels elle revêt un ca- 
ractère officiel et professionnel, littérateurs, publi- 
cistes, orateurs et savants; mais elle incombe à tous 
ceux qui, à un titre quelconque, sont préposés à 
leurs frères, dans le monde des affaires comme dans 
celui des lettres, et elle s'impose au n^ociant et 
à l'industriel au^i bien qu'à l'avocat et au profes- 
seur. N'allez pas vous dire non plus que cela ne con- 
cerne que les riches, et que pour y réussir il faut 
une grande fortune. Non, et j'aime sur ce sujet 
cette parole d'un contemporain, philosophe et homme 
public , qui quelquefois exprime des vérités chré- 
tiennes comme s'il était chrétien : « C'est un dicton 
populaire que pour donner il faut avoir, écrit M. Jules 
Simon. C'est là im faux proverbe, un proverbe sans 
vérité et sans cœur. Il ne devrait pas avoir cours 
dans la patrie de saint Vincent de Paul. Pous donner 
il ne faut qu'aimer. Peut-être aussi pour savoir 
donner faut-il avoir souffert. » Si à ces paroles, 
Messieurs, vous me permettez d'ajouter que pour 
aimer et pour donner il faut espérer et croire, le 
philosophe aura raison sur tout le reste. Enfin ne 
vous faites pas cette autre illusion de penser que 
l'autorité dont je parle ne procède que des qualités 
supérieures de l'esprit, et qu'il faille du génie pour 
faire du bien aux hommes. Combien ce serait se 
tromper! Une telle puissance est bien plus l'ouvrage 
du dévouement que celui de l'intelligence ; car, en 



412 LE SERVICE 

définitive, les hommes ne se donnent qu'à ceux qui 
se sont donnés à eux. Là est toujours la grande su- 
périorité , parce que c'est celle du cœur. 

Eh bien , mes chers fils, ne voulez-vous pas qu'elle 
devienne la vôtre? Et vous qui savez comprendre, 
penser, vouloir, parler, ne saurez -vous pas aimer? 
Vous vous honorez d'appartenir à ce que l'on ap- 
pelle « les classes dirigeantes d. Je vous en félicite; 
mais, je vous le demande, serait-ce. pour diriger un 
cheval , une meute , un canot , un bal , une masca- 
rade, que ce grand titre vous est conféré? Non, 
jeunes hommes du monde, vous n'êtes pas, vous ne 
devez pas être une troupe de parade : vous devez 
être l'état -major de l'armée du salut. Derrière vous 
il y a des milliers et des milliers de vos frères qui , 
n'ayant ni le savoir, ni le temps , ni la puissance 
que vous avez reçus , non pour vous , mais pour 
eux attendent de vous une direction de laquelle 
dépend la victoire, ou la défaite dans la grande ba- 
taille morale dont vous êtes les chefs. Mais si les 
chefs ne sont pas là, si cette armée n'a personne qui 
se mette à sa tête, comme j'entends qu'on s'en 
plaint quelquefois; si, au lieu d'être à votre poste, 
vous êtes à vos plaisirs , à votre luxe , à vos courses, 
à vos chasses, à vos jeux, à vos festins, à votre 
égoïsme de jouissance et de fortune, votre déchéance 
est décrétée : commencée par le mépris, elle se con- 
sommera par la sécession; on se retirera de vous; 
ce sera la séparation sociale en attendant la guerre 
sociale. Et alors à qui pourrez-vous vous en prendre ? 



LE SERVICE 413 

Mais non, laissons ces choses. Je ne veux plus 
voir, en tout ce sujet, que votre âme que j'aime; et 
parce que je l'aime et que je veux son salut , je me 
sens pressé de vous dire que le moyen peut-être le 
plus efficace de vous sauver vous-mêmes, c'est 
encore de vous employer beaucoup à sauver les 
autres. Dans un siècle comme le nôtre on ne se sauve 
pas plus seul qu'on ne se perd seul : c'est un 
entraînement dans un sens ou dans l'autre; il faut 
prendre parti , et si vous ne vous enrôlez pas au ser- 
vice du bien, j'ose vous prédire qu'hélas I vous su- 
birez bientôt la servitude du mal. 

J'affirme, d'autre part, que rien n'est plus capable 
d'assurer votre persévérance que cette action pu- 
blique, parce que d'abord elle vous engage, parce 
qu'ensuite elle vous soutient, parce qu'enfin elle vous 
aguerrit; et je dois ajouter : parce que ce service 
de la cause de Dieu est devant Dieu un mérite qui 
vous apporte une grâce de force et de résistance 
dont aucun âge, surtout le vôtre, ne saurait se pas- 
ser. De plus, c'est là, c'est dans cette palestre sacrée 
qu'au contact des hommes, de leurs besoins, de 
leurs souffrances, de leurs ignorances, de leurs 
fautes même, les intelligences s'instruisent, les 
caractères se trempent, les petits intérêts s'abdi- 
quent, les petits orgueils s'abaissent, les cœurs 
s'élèvent et s'épurent , et l'homme se façonne pra- 
tiquement à cette virilité d'esprit et de conduite, 
d'où la vertu elle-même tire son nom : virtus. 

Je ne dis rien là qu'on ne sache : l'expérience en 



414 LE SERVICE 

est faite ; et s'il y a, à Lille comme ailleurs, plus qu'ail- 
leurs peut-être, une jeunesse qui grandit au milieu 
des périls et des séductions, dans l'honneur immaculé 
d'une conscience pudique, c'est que, selon la parole 
de saint Vincent de Paul, « mettant sa chasteté sous la 
garde de sa charité, y> elle s'est livrée au service de 
toutes les œuvres catholiques; et que, forte contre 
elle-même de toute la force de l'amour qu'elle a 
voué à Jésus- Christ, à ses pauvres, à ses enfants, 
à son Église, à ses ministres, à ses autels, elle a 
trouvé là le secret de présenter au monde, qui s'en 
étonne, l'intégrité d'une vie consacrée par l'effet de 
cette action purifiante comme celle d'un sacerdoce. 
Que si , à côté de cette jeunesse vaillante et mili- 
tante, il s'en rencontre une autre qui mène ce que 
son euphémisme appelle la vie élégante , et ce que 
nous appelons , nous , la vie fainéante et pire encore, 
vous savez bien. Messieurs, que ce n'est pas dans nos 
conférences, nos comités, nos congrès, nos éghses, 
que vous la rencontrez. Mais aussi, par contre, 
qu'a-t-elle fait de cette fleur de l'âme qui faisait 
dire à Rousseau lui-même qu'un « jeune homme 
qui, à vingt ans, a conservé son innocence, est, à 
cet âge , le meilleur, le plus aimable et le plus heu- 
reux des hommes? » Qu'art -elle gagné à rejeter le. 
bouclier tutélaire de la charité au plus fort du cortibat? 
Pauvres désœuvrés qui sont, hélas I des vaincus en 
déroute. Vous voyez leur oisiveté , et vous dites , en 
parlant d'eux, qu'ils foulent du matin au soir la 
poussière de vos boulevards; mais nous, nous 



LE SERVICE 415 

voyons autre chose, et nous disons d'un trop grand 
nombre qu'ils piétinent dans la boue... Mais laissons 
ces secrets aux larmes inconsolables de ceux qui 
aiment les âmes. 

Entre les deux jeunesses que je viens de dépeindre, 
y en a-t-il une troisième, qui, se prétendant chré- 
tienne dans la vie privée, se dispense de l'être 
dans la vie publique, et qui, se défendant de se 
mêler à l'action, trouve plus commode et plus sage 
de garder vis-à-vis des œuvres sociales et reli- 
gieuses une sorte de neutralité? — la neutralité sur 
un champ de bataille! — Je ne sais; mais, en vé- 
rité, si de tels chrétiens existent, que voulez- vous 
que j'en dise et quelle place leur assignerai -je dans 
la mémoire des hommes? Cette place, je l'ai trou- 
vée dans le grand poème du Dante. Je l'ai trouvée 
dans ce troisième chant de son Enfer, où il repré- 
sente, gémissant sourdement sous un ciel lourd et 
éternellement brumeux, qui n'est ni le jour ni la 
nuit, ces neutres dont il dit avec un amer dédain : 
« Tel est le sort des tristes âmes de ceux qui ont 
vécu sans mériter le mépris et sans mériter la 
louange. Elles sont mêlées au chœur de ces anges 
qui ne surent ni être rebelles à Dieu ni lui être 
fidèles , mais qui ne furent que pour eux seuls. Le 
Ciel les a chassés, parce qu'avec eux il eût été 
moins beau; et le profond enfer ne les reçoit point, 
parce que les coupables en auraient quelque gloire... 
Le monde qui les a vus n'en a gardé aucun sou- 
venir; la miséricorde et la justice les dédaignent 



416 LE SERVICE 

également. N'en parlons plus, mais regarde et 
passe ^ » 

Mais vous, mes chers fils, vous ne serez pas de 
ceux-là; vous appartenez, grâces à Dieu, à cette 
noble jeunesse catholique française qui a déjà fait 
ses preuves , en inscrivant son nom sur plus d'une 
page illustre de l'histoire moderne. C'est la page des 
premières conférences de Saint-Vincent-de-Paul; 
c'est la page des conférences de Notre-Dame d,e 
Paris; c'est la page des zouaves du Pape et des vo- 
lontaires de l'Ouest; c'est aujourd'hui la page des 
Cercles catholiques et des associations ouvrières. 
De grands efforts ont donc été faits de nos jours : 
qu'on en fasse de plus grands encore. Qu'au lieu de 
rester isolés, ces efforts se généralisent, et que 
chaque chrétien comprenne et remplisse son devoir 
pubUc comme il remplit son devoir privé: alors quel 
avenir nous serait réservé, et de quelle régénération 
le spectacle nous serait donné ! 

C'était , Messieurs , le tableau qu'en octobre der- 
nier notre grand orateur catholique français , M. le 
comte de Mun, présentait éloquemment au Congrès 
des œuvres à Liège. Se reportant en imagination 
à un siècle en arrière, il supposait, au sein de la 
société décrépite du xviii® siècle, quelques jeunes 
chrétiens comme vous, se jetant généreusement 
entre les grands et les petits , montrant aux uns et 
aux autres la croix de Jjésus-Ghrist, demandant en 

^ Infemo, Canto III, 8 et seq. 



LE SERVICE 417 

son nom la justice, la paix et la charité, et par 
l'entraînement d'une parole rendue irrésistible par 
l'exemple ^ parvenant à refouler ce flot impur d'im- 
piété et d'immoralité pour faire prendre un cours 
nouveau aux idées et aux choses, et cela vers l'an- 
née 1789, à l'heure décisive où la nation était con- 
voquée dans ses comices, pour décider de la marche 
et de la destinée de la France et du monde ! 

« Quel rêve! » disait l'orateur qui, lui, pratique 
si magnifiquement ce qu'il dit. Eh bien , mes jeunes 
amis, ce qui n'a été qu'un rêve et n'a laissé qu'un 
regret pour le xviii® siècle , il ne tient qu'à vous et 
à d'autres d'en faire une splendide réahté pour ce 
xx« siècle qui va se lever bientôt, et qui recevra de 
vous sa physionomie et son caractère propre. Pour 
cela, que faudra-t-il faire? Je n'ai plus qu'à vous le 
rappeler, ce sera ma conclusion. 

Jeunes chrétiens, vous dirai- je, tout en étant et 
demeurant les hommes du devoir privé, du devoir 
domestique, du devoir professionnel, soyez en- 
core et toujours des hommes du devoir pubUc. Ne 
croyez pas toutefois l'avoir rempli suffisamment, 
même lorsque vous aurez payé de votre bien, si 
vous n'avez payé en môme temps de votre personne. 
Soyez des hommes d'œuvres, en commençant par 
celles qui sont de votre âge, de vos forces et de 
votre position. Allez d'abord aux plus proches, à 
celles de votre paroisse , de votre quartier, de votre 
commune et de votre cité : il y a tant d'institutions 
de charité , de religion , d'enseignement , de propa- 

18* 



418 LE SERVICE 

gande, de conservation sociale qui se réclament de 
vousl Ce seront ensuite, si vous le pouvez, les 
œuvres de votre belle province et de votre région 
qu'il faut rendre de plus en plus compacte dans la 
défense de la justice, de la foi et de la société. Ce 
seront enfin, si Dieu le veut, les œuvres de la 
patrie; car vous vous ferez une règle de ne jamais 
refuser de prendre votre part de service de la chose 
publique dans le conseil ou dans l'action, soit qu'il 
s'agisse d'administrer ou de représenter un village , 
soit qu'il s'agisse de délibérer des lois dans le parle- 
ment, si le mandat de vos compatriotes vous en 
confère le lourd et périlleux honneur. 

Ainsi votre éducation aura porté ses fruits. Ainsi 
vos traditions , votre religion , votre situation , votre 
conscience morale auront fait sur tous les points 
une réponse digne d'elles. Ainsi aurons-nous formé 
des hommes complets , qui en même temps seront 
des hommes utiles. Ainsi pourrons -nous fonder 
sur les fils l'espérance du salut qui a si longtemps 
déçu les vœux de leurs pères. 

C'est à cet avenir, mes enfants, que tous vous vous 
préparerez ici, dès votre jeune âge, par le double 
travail de la culture de votre cœur et de la culture de 
votre esprit. Vous comprendrez, en effet, que pour 
être appelés à l'honneur de rétablir le règne de 
Jésus -Christ dans la société, la première condition 
est de commencer par l'établir fortement en vous- 
mêmes par la fidélité à sa foi et à sa loi. Vous com- 
prendrez, en second lieu, que pour combattre les 



LE SERVICE 419 

ignorances, rectifier les erreurs, dissiper les préju- 
gés, la condition nécessaire est d'être soi-même au 
courant des principales questions de l'ordre reli- 
gieux, historique, moral et social; et que savoir 
raisonner, savoir parler, savoir écrire, c'est avoir 
revêtu l'armure indispensable à tout bon soldat de 
Dieu, de l'Église et de l'humanité. 

Dirigez vers cette noble fin toute la conduite de 
votre vie d'études et de vertus, et laissez -moi, en 
finissant, vous en présenter un exemple qui vous 
touche de près. 

Mes chers fils, il y a cent ans bientôt, un jeune 
écolier comme vous étudiait près d'ici, à Saint-Omer, 
puis à Douai, dans un collège des Jésuites, et il 
s'y faisait honneur par la force et l'éclat de ses 
premières études. C'était un jeune Irlandais, fils 
d'une famille catholique qui comptait dix- sept en- 
fants, et il était venu chercher sur le continent 
français l'enseignement orthodoxe que lui refusait 
le despotisme anghcan qui pesait sur son cher et 
infortuné pays. Nous n'étions guère plus heureux en 
France à cette époque : c'était en 91 et 92. Ce double 
poids de l'oppression de sa patrie et de la nôtre, en 
tombant sur cette jeune âme, en faisait parfois 
jaillir des éclats de cette éloquence véhémente et 
entraînante dont cet honjme devait être le prince 
dans ce siècle; et il se disait déjà que la parole, 
dont le don lui était visiblement octroyé de Dieu , 
serait entre ses mains la massue d'Hercule dont il 
briserait un jour les entraves de son peuple. Ce 



/*23 LE SERVICE 

souci de la chose publique, on le sentait dès lors si 
généreux et si puissant dans ce jeune homme d'es- 
pérance, que le recteur du collège, le docteur Sta- 
pylton, écrivait en ce temps-là à l'oncle de son 
élève : « Si Daniel ne joue pas un grand rôle dans le 
monde , jamais de ma vie je n'aurai été plus trompé 
que cette fois. » 

Ce fut à la date lugubre du 21 janvier 1793, 
qu'à l'âge de dix- huit ans, l'âge de nos bacheliers, 
l'adolescent quitta la France et reprit à Calais la 
route de l'Irlande. Or, à trente années de là, l'éco- 
lier du collège de Douai , devenu « le grand agita- 
teur, le roi mendiant de l'Irlande, » ainsi qu'on 
l'appelait, arrachait à l'Angleterre le biil d'émancipa- 
tion de sa pauvre patrie. C'était le 25 mai 1829 que 
le député de comté de Glare faisait entrer enfin 
l'Irlande en sa personne dans ce parlement de la 
Grande-Bretagne, qui était fermé à tout député 
catholique depuis trois cents ans. C'était dans ce 
même jour que , refusant le serment aux trente-neuf 
articles de l'Église établie, il fondait du même coup 
la liberté religieuse et la liberté politique de ses 
compatriotes. Et tandis que la Chambre, encore 
palpitante sous le coup de sa parole , délibérait sur 
le sort de l'Irlande et le sien , lui , retiré dans un 
angle de cette salle du palais dont sa voix venait 
d'ébranler la coupole, égrenait son chapelet et négo- 
ciait la victoire avec la Reine du Ciel. Mais déjà la 
victoire lui était assurée; et, acclamé du nom im- 
mortel de libérateur, il pouvait aller redire à l'as- 



LE SERVICE 421 

semblée unanime de ses électeurs cet hymne de la 
délivrance : c Hommes de Clare , vous savez que la 
seule base de la liberté est la religion; vous avez 
triomphé, parce que votre voix, qui s'est élevée 
pour la patrie, s'était d'abord exhalée en prières vers 
le Seigneur. Maintenant les chants de liberté se font 
entendre dans nos campagnes; cessons parcourent 
les vallées, rempUssent nos collines, murmurent 
dans les eaux de nos fleuves; et nos plaines, d'une 
voix de tonnerre, crient aux échos de nos mon- 
tagnes : L'Irlande est libre! » 

Mes chers fils, heureux mille fois qui peut sauver 
un peuple! Mais ne puissiez- vous sauver qu'un vil- 
lage, qu'une famille, qu'une âme enfin, ce serait 
encore chose si grande, que pour elle il faudrait 
donner sa vie sans regret comme une goutte d'eau. 



XXVII 



DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 



La chapelle ou église du collège Saint -Joseph est un édiûce 
de style roman, à trois nefs, d^un grand aspect et d^une très 
belle harmonie de proportions. 

Elle forme une des ailes de rétablissement dans le sens du 
boulevard Vauban. Des jardins, une cour plantée, un petit 
bois Pentourent dans toute son étendue. 

Elle mesure 17 mètres de largeur et 43 mètres de longueur. 
Un vaste vestibule y donne entrée par Tintérieur du collège. 
Elle est desservie par une double sacristie très vaste, qui 
communique au sanctueire par un passage sous le campanile , 
au chevet de l'église. 

La hauteur de la grande nef est de 24 mètres sous toit et 
de 21 mètres sous voûte. Cette nef et les deux nefs latérales 
sont éclairées par 43 grandes fenêtres. 

Un triforium à arcades géminées règne autour de la partie 
supérieure de Tabside, et se continue extérieurement par une 
galerie de même style faisant communiquer la chapelle et les 
sacristies avec le premier étage de la maison. 

Deux tribunes superposées, très profondes, occupent le fond 
de Téglise , qui peut donner facilement place à deux mille per- 
sonnes dans les solennités publiques. 

Un rayonnement de huit chapelles demi -circulaires, avec 
leurs autels, règne autour de l'abside. 

Dans le sanctuaire, pavé de beaux marbres, s^élève le maître 
autel en pierre sculptée ; c'est un ouvrage monumental et d'un 
beau travail. Au-dessous de la table de Tautel est représentée 
en haut relief la sainte Cène , d'après Léonard de Vinci. Le re- 
table porte deux sujets : d'un côlé saint Joseph à Nazareth , 
de Tautre saint Joseph mourant. Enfin, au-dessus, les saints 
patrons de la jeunesse aux pieds de la mère de Dieu. 

La bénédiction de la chapelle fut faite le dimanche 18 mars , 
par M. le supérieur, délégué à cet effet par Msr Tarchevêque 
de Cambrai. La cérémonie de l'inauguration fut remise au sur- 
lendemain 20 mars. Elle fut sanctifiée le matin de ce jour par 
la communion générale des élèves à une première messe, puis 
solennisée par une grand'messe sympbonique, à laquelle assis- 
tèrent MM. les administrateurs, plusieurs doyens de la ville, 
les principaux pères de la Compagnie de Jésus et un grand 
nombre de familles. 

 l'évangile, M. le Supérieur prononça les paroles suivantes: 



XXVII 

DÉDICACE ET INAUGURATION 

DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 



DISCOURS 

Prononcé dans la nouvelle église, le 20 mars 1888. 



Messieurs , 

Mes révérends Pères, 

Mes chers Fils, 

Que Dieu est bon pour nous! C'était le cri d'amour 
et de reconnaissance de l'ancien peuple de Dieu, 
lorsqu'il montait, par tribus, les degrés de son 
Temple, au chaijt des miséricordes éternelles : 
Confitemini Domino quoniam bonus, quoniam in 
xtemum misericordia ejus! Et nous qui venons de 
franchir pour la première fois le seuil d'un sanc- 
tuaire qui achève si magnifiquement l'œuvre com- 
mencfée ici il y a plus de quinze ans, nous aussi 
nous ne trouvons sur nos lèvres et dans nos cœurs 
que ce cri d'action de grâces : ce Que Dieu est 
boni D 

Il y a donc quinze ans passés qu'une grande fon- 



/i26 DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

dation se faisait en ces lieux, au sein d'une sorte de 
solitude, forte de la seule espérance et de la con- 
fiance en Dieu. C'était en des jours déjà pleins d'in- 
certitudes et de menaces, comme vous vous en 
souvenez. Aussi, dès qu'on vint à connaître qu'en 
dépit de la malice des temps , la Compagnie de 
Jésus allait placer ici un établissement qui surpasse- 
rait encore par ses proportions celui du siècle der- 
nier, ce fut un branlement de tête général parmi 
ceux qui ne voient les choses de Dieu que du côté 
de la terre. Comme aux jours où Néhémie rebâtissait 
Jérusalem , on se récria en disant : « Et que veulent- 
ils donc faire, ces aveugles, ces insensés? Quid fa- 
dunt Judxi imhecilles? Croient -ils que la société 
moderne va les laisser en paix : Num dimittent eos 
gentes? Sont -ils sûrs du lendemain? car enfin est-ce 
là une entreprise d'un jour? Num sacrificahunt et 
complehunt una die*? » D'autres disaient encore, 
comme on lit au même livre : « Laissez-les faire ; 
qu'ils bâtissent! Puis, quand ils auront terminé, les 
renards, c'est-à-dire les habiles, viendront et pas- 
seront par-dessus tout, s'empareront de l'ouvrage. » 
JEdificent : si ascenderit vulpes, transiliet murum 
eorum lapideum. 

Cependant eux laissaient dire, mais ils se con- 
fiaient dans le Seigneur. C'est la grâce particulière 
de la Compagnie dont je parle d'espérer contre toute 
espérance, et de marcher toujours, même au re- 
bours des temps, en ne s'appuyant que sur Dieu, 
dont elle cherche la gloire par-dessus tout le reste. 



DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 427 

<L Parce qu'on se moquait de nous, est-il écrit au 
même livre, nous avons prié le Seigneur, et nous 
nous sommes dit : ce Dieu combattra pour nous, tra- 
ce vaillons donc pour Lui. » De^ls noster pugnahit 
pro nohis; et nos ipsi faciamus opusî 

Finalement, Messieurs, la confiance eut raison, 
et je n'en suis pas surpris , car la confiance en Dieu 
met l'homme en possession de la toute -puissance de 
Dieu. Pendant quinze années d'orages, l'arbre 
grandit, s'enracina, porta des fleurs et des fruits; et 
je ne sais combien d'oiseaux, qui sont les âmes des 
enfants, vinrent faire leurs nids sur ses branches. 
N'en cherchons pas l'explication dans la prudence 
des hommes : les hommes ne sont rien ici. Au con- 
traire, c'était miracle que, n'étant portée par rien 
de ce qui d'ordinaire porte les œuvres d'ici-bas, 
cette institution vécût, s'accrût et prospérât dans ce 
vide absolu de tout soutien terrestre. Vous le dirai-je? 
A cet égard, notre collège Saint -Joseph me fit sou- 
venir plus d'une fois de cette première maison de 
saint Joseph, sa maison de Nazareth, dont il est 
raconté qu'un jour, au moyen âge, arrachée de ses 
fondements, elle se trouva soulevée et transportée 
dans les airs par des mains invisibles. C'était la 
main des anges qui la soutenait ainsi. Et nous, pour 
soutenir cette École , n'avions-nous pas la main des 
puissances célestes? N'avions-nous pas, pour nous 
porter, des anges invisibles , pieux enfants , saints 
religieux, prêtres fervents, ou grands hommes de 
bien qui , remontés au Ciel , avaient pris sous leur 



428 DÉDICACE DB LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

garde cette maison d'une famille qui avait été la 
leur? Il me semble, mes chers fils, que vous les 
pourriez nommer. 

Tandis que, ferme sur ces appuis, Tédifice spiri- 
tuel, quoique bâti sur un volcan, ne cessait de 
monter, Tédifice matériel restait encore inachevé. Je 
vous ai dit, l'an dernier, à la bénédiction de la pre- 
mière pierre, nos douleurs de père, nos répu- 
gnances de prêtre, lorsqu'à chacun de nos exercices 
publics nous étions condamnés à voir la même 
chambre haute servir de chapelle le matin et de 
salle de séance littéraire le soir. On ne pourra pas 
croire plus tard, et dès aujourd'hui on a peine à se 
figurer, que nous ayons pu faire ainsi pendant 
quinze ans! Et puis, dans cet intervalle, nous avions 
grandi en nombre , et il fallait trouver de la place 
pour toutes ces jeunes âmes , qui n'étaient pas que 
des âmes... 

On y pensait, mes chers fils; un homme surtout 
y pensait : celui qui pensait à tout , vous vous en 
souvenez. Il ne devait pas y penser inefficacement, 
car c'était un homme de Dieu , et il y pensait devant 
Dieu. Messieurs nos vénérés et chers administra- 
teurs se rappellent le jour où, de concert avec lui, 
nous leur fîmes à ce sujet notre première ouverture 
et notre proposition. Ce que nous leur dîmes alors , 
c'était à peu près ce que Néhémie disait aux chefis 
du peuple de Dieu pour les engager à bâtir leurs 
remparts au lendemain de la dispersion : « Il est 
clair que la main du Seigneur est avec nous, et c'est 



DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE /|29 

une bonne main que la sienne. Levons-nous donc et 
bâtissons! Le Dieu du Ciel lui- môme se mettant de 
la partie , nous n'avons plus qu'à lui apporter nos 
services. Ainsi , à l'œuvre, et commençons ! » Et in- 
dicavi eis manum Dei quod esset ^Jbona mecum. Et 
aio : Surgamus et œdificemusl Deus cœli ipse nos 
juvat, et nos servi ipsi sumus.,, L'Écriture ajoute 
qu'à ce discours les fidèles d'Israël se résolurent à 
l'entreprise. Et confortatse sunt manus eorum in 
honoK II n'en fallut pas tant pour décider les 
hommes dont nous attendions les ordres : ne sont- 
ils pas les hommes de bien que vous savez? 

Maintenant la chose est faite. Et que l'action de 
grâces en remonte d'abord à vous, pères et mères 
de famille , religieux et religieuses , anciens élèves, 
femmes chrétiennes et charitables, bienfaiteurs et 
bienfaitrices de toute fortune et de tout rang , qui , 
par vos largesses, petites ou grandes, avez voulu 
honorer Dieu en vous honorant vous-mêmes. Ces 
murs, qui d'âge en âge porteront témoignage de 
votre charité, porteront pareillement témoignage de 
votre foi. Ils attesteront que pour vous le mot d'é- 
ducation signifie premièrement religion. Ainsi avez- 
vous compris la formation de vos fils; et si vous 
avez voulu , au prix de vos sacrifices , que de tout 
cet établissement la chapelle fût l'édifice et le plus 
haut, et le plus grand, et le plus beau, c'est que 
vous savez et vous voulez faire savoir aussi à vos 

1 II. Esdr. II, 18, 20. 



430 DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

enfants que le plus grand des êtres et le plus saint 
c'est Dieu : D. 0. M. 

Puis, grâces soient rendues ensuite à ceux qui 
ont employé leur travail à cette œuvre et qui l'ont 
faite si belle! Ah! je sais bien, mes Pères, que si 
j'en veux trouver le premier inspirateur, là où il est 
maintenant, c'est du côté du Ciel qu'il me faut 
lever les yeux. Hélas! ce seraient pour moi des 
yeux mouillés de larmes!... Que n'est -il ici celui 
dont toutes ces pierres chantent le nom, et combien 
il manque à nos cœurs ! Quelle digne récompense 
lui eût apportée ce jour dont il aurait accepté une 
part de joie pour lui , mais dont , suivant son habi- 
tude, il eût réservé toute la gloire pour d'autres. 
Seigneur, il est donc vrai que vos vraies récom- 
penses sont plus haut que ce monde, et qu'ici -bas 
il y a quelque chose de plus grand que de triom- 
pher : c'est de préparer des triomphes qu'on ne voit 
pas et qu'on ne partage pas ! 

Les triomphes de ce jour, volontiers et justement 
l'ami que nous pleurons vous les eût- il décernés, 
à vous, messieurs les architectes, entrepreneurs et 
patrons qui avez été soit la tête, soit le bras de cette 
grande construction. Les Livres saints nous montrent, 
l'un à côté de l'autre, l'artiste et l'architecte, pas- 
sant le jour et la nuit à méditer leur ouvrage, dessi- 
nant chaque sculpture , ne se lassant pas de faire et 
de refaire leurs plans , mettant leur cœur tout entier 
à reproduire un beau type, et finissant, à force de 
veilles, par enfanter un chef-d'œuvre : Sic omnis 



DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 431 

faher et architectus noctem tanquam diem transigit, 
sculpit signacula sculptilia, et dssiduitas ejus variât 
picturam. Cor suum dahit in similitudinem pictu- 
rse, et vigilia suaperflciet opus \ 

Certes, vous ne retrancherez rien de ce dernier 
éloge, perficiet opus, vous qui aujourd'hui pouvez 
juger de Tédifice que vous avez sous les yeux. Est-ce 
que ces lignes harmonieuses ne montent pas vers le 
Ciel? Est-ce que ces courbes de Tabside ne semblent 
pas se rejoindre pour couronner le Très-Haut? 
Est-ce que ces voûtes élancées ne chantent pas le 
Gloria in excelsis Deo? Est-ce que ces quarante 
fenêtres et davantage ne vei'sent pas la lumière de 
tout le firmament sur Celui « qui a placé sa tente 
dans le soleil? » Est-ce que cet autel d'une struc- 
ture si belle, si noble, si riche, si délicate, où le 
ciseau a fait revivre les scènes évangéliques les plus 
émouvantes , ne vous semble pas ce trône céleste de 
l'Agneau où Jésus -Christ habite in splendorihus 
sanctorum? Enfin ces murailles éclatantes d'une 
virginale blancheur, du pavé à la voûte , ne vous 
apparaissent -elles pas comme la robe de l'Épouse 
mystique dont parle l'Apocalypse : Veneruntnuptise 
Agni, et uxor prseparavit se, et datum est ei ut 
cooperiat se hyssino candenti et splendido? Et cette 
journée où Jésus vient habiter sous ce toit, n'est-elle 
pas celle de la solennelle célébration de ces noces? 

Mais un autre jour viendra qui lui apportera une 

^ Ëccli. XXXV m, 28. 



432 DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

nouvelle parure; et ce sera alors cette Reine glo- 
rieuse que le Psalmiste a représentée in vestitu 
deaurato, drcumdata varietate. Percez le voile de 
Tavenir, devancez des temps qui peuvent être des 
temps encore éloignés , mais dont votre charité peut 
faire des temps plus prochains, et admirez la riche 
transfiguration que la main de l'art a opérée dans 
ces lieux. 

A cette première tribune, voyez se dresser un 
grand orgue dont la voix puissante, proportionnée 
à rédifice, va pouvoir pénétrer dans la profondeur 
de ces nefs, remplir la hauteur de ces voûtes. 

Anticipez sur les années, et voyez les fenêtres, les 
quarante-trois fenêtres de cette église, présenter au 
soleil leurs vitraux étincelants, où sont écrits , avec 
toutes les couleurs de Parc-en-ciel, les chants variés 
d'un vaste poème qui se déroule à tous les étages 
de rédifice. 

Dans ces hautes baies de l'abside supérieure qui 
s'incline si gracieusement au-dessus de l'autel du 
sacrifice , lisez , sur autant de verrières , l'histoire 
du sacrifice dans la succession des temps. D'un 
côté les sacrifices prophétiques de l'ancienne loi : 
ceux d'Abel, d'Abraham et de Melchisédech ; de 
l'autre côté l'unique sacrifice de la nouvelle loi 
dans ses expressions diverses : la cène, la messe, le 
triomphe céleste de l'Agneau mystique. Et, au 
centre de tout, le sacrifice central de Jésus -Christ 
en croix, reliant entre eux le passé, le présent, 
l'avenir. 



DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 433 

Mais voici un sujet immense qui va se déployer 
sur les vingt-huit fenêtres de la grande nef et des 
ne& latérales. Cest l'histoire de tous les enfants et 
adolescents glorifiés dans la Bible, l'ÉvangUe et les 
annales de l'Église. En haut d'abord, d'un côté, 
est la galerie des enfants de l'ancien Testament : 
Joseph berger, Sanfiuel dans le temple, David vain- 
queur du géant, Joas couronné roi, le fils de la 
Sunamite ressuscité, Daniel expliquant les songes , 
le jeune Macchabée martyr. De l'autre côté, ce sont 
les enfants et adolescents de l'Évangile, à la suite 
du divin Enfant de Bethléhem , de Nazareth et du 
Temple de Jérusalem : l'enfant que Jésus place au 
milieu des apôtres, le fils de la veuve de Naïm qu'il 
ressuscite, l'enfant dont il bénit les pains et les pois- 
sons, l'adolescent qu'il regarde et qu'il aime, saint 
Jean qu'il fait reposer sur son cœur, les enfants du 
Temple qui lui chantent Hosanna... Je ne sais si 
je m'abuse. Messieurs, mais dans ces têtes d'en- 
fants et de jeunes gens que déjà mon espérance voit 
se détacher sur ces hauteurs, ne reconnaissez- 
vous pas les types les plus aimables qu'a consacrés 
le pinceau de Raphaël et des grands maîtres? Et 
ne pouvons-nous espérer qu'en nous efforçant de les 
reproduire fidèlement, nous pourrons approcher de 
l'idéal de beauté où ces princes de l'art se sont élevés? 

La trilogie se poursuit et s'achève sur les quatorze 
fenêtres inférieuses.' Là ce sont les* enfants et les 
adolescents ^ans l'histoire de l'Église : l'acolyte 
Tarcisius, Origène enfant, saint Basile et saint 

«9 



434 DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

Grégoire de Nazianze, saint Augustin, saint Benoit, 
rÉcole palatine de Charlemagne, Godefroy de Bouillon 
élevé par la bienheureuse Ida sa mère , saint Thomas 
d'Aquin recevant le cordon angélique, saint Louis 
et Blanche de Castille, saint François de Sales étu- 
diant à Paris, saint Louis de Gonzague communié 
par saint Charles Borromée, saint Vincent de Paul 
précepteur des Gondi, le duc de Bourgogne avec 
Fénelon... Entre ces sujets et d'autres semblables, 
il nous faudra choisir, mais au sem de quels tré- 
sors! 

Les six chapelles absidales, avec leurs six ver- 
rières, sont réservées aux saints de la compagnie 
de Jésus : Ignace, Xavier, Louis de Gonzague, 
Stanislas Kostka, Rodriguez, Berchmans. Ce col- 
lège, déjà marqué par toute sa décoration du cachet 
général des collèges chrétiens, portera ainsi autour 
de son sanctuaire le cachet plus spécial de ceux qui 
en ont été les fondateurs et les pères. De la sorte 
toute justice sera accomplie. • 

La même pensée, — et ce fut originairement la 
vôtre , Messieurs nos anciens élèves , — nous com- 
mandera de placer de chaque côté du chœur deux 
marbres commémoratifs portant les noms vénérés 
du premier père Recteur et du premier père Préfet 
de cette maison : c'est une dette de cœur. 

Enfin deux grandes compositions rempliront le 
transept de Tifhage du Roi et de la Reine de ce 
lieu. Le sacré Cœur d'un côté et la Vierge Marie 
de l'autre, ayant à leurs pieds nos enfants et 



DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 435 

notre coUège, régneront au-dessus des grands 
autels latéraux , dans deux verrières qui achèveront 
dignement une galerie tout illuminée par eux^ si 
j'ose dire. 

Messieurs , irai-je jusqu'au bout ? Cet « amour de 
la beauté de la maison de Dieu > dont se glorifiait le 
prophète, obtiendra- 1- il grâce pour moi auprès de 
vous? Et, après ces vitraux, un mot de désir et 
d'espérance me sera- 1- il permis en faveur de cette 
longue frise qui, de la tribune au sanctuaire, court 
au-dessus de ces arcades? La nudité de ces murs 
ne vous invite-t-elle pas à les revêtir quelque 
jour de peintures éloquentes qui donneront à cette 
église son caractère propre, sa signification et sa 
vie? 

Nous n'en avons pas cherché le sujet bien loin de 
nous. Il y a moins de trois ans, nous célébrions 
solennellement à Lille le trois centième anniversaire 
de la fondation des Congrégations de la sainte 
Vierge; or, comme chacun sait, les Congrégations 
sont, dans notre collège, le plus puissant mobile 
de notre vie morale, disciplinaire, religieuse. Nous 
nous sommes donc dit : Plaçons ces trois siècles de 
l'histoire de la Congrégation sur les parois de cette 
église. Formons- en, par groupes successifs et con- 
tinus, une longue procession qui s'en ira du 
XVI® siècle à la fin du xixe; du pape Grégoire XIII, 
qui l'institua canoniquement, à Pie IX et à Léon XIII, 
qui se sont fait honneur de lui appartenir. Dans ce 
défilé des fils de Marie il y aura place pour les illus- 



f-^ 



436 DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

trations catholiques de tous les genres, de tous les 
âges, enrôlés dans l'innombrable association. Ce 
sera vraiment la fleur de l'humanité moderne, fleur 
de vertu , fleur de génie. On y verra, par ordre des 
temps, des papes comme Urbain VIII, Alexandre VII, 
Clément X, Innocent XI, Innocent XII et le grand 
Benoît XIV. Parmi les rois, on distinguera Ladis- 
las IV, Jean-Casimir et Sigismond III , de Pologne. 
Parmi les empereurs, Ferdinand II et Ferdinand III 
d'Autriche; et combien d'archiducs et de princes du 
sangl Le génie de la poésie y sera représenté par le 
Tasse, un des premiers admis dans l'association. 
Le génie de l'éloquence y paraîtra sous les traits de 
Bossuet et de Fénelon; le génie militaire, sous les 
traits du grand Condé et de Villars; le génie de la 
peinture , dans la personne de Rubens ; le génie de 
la science, dans celles de Laennec, Cauchy, Réca- 
mîer, Cruveilher, tous congréganistes. Parmi des 
centaines de cardinaux et d'évéques, on prendra les 
plus illustres, depuis le cardinal de Larochefou- 
cauld jusqu'au dernier archevêque de Lyon, le 
cardinal Caverot. L'ordre du clergé y paraîtra dans 
ces hommes de Dieu qui s'appelèrent Olier, Émery, 
le Père Eudes, et de nos jours le saint curé Desge- 
nettes. Notre siècle y reconnaîtra l'héroïque Pimo- 
dan et le saint homme de Tours. 

Mais ceux qui brilleront entre tous les autres, 
comme des fleurs vivantes dans ce jardin de Marie, 
ce sont les saints canonisés que la Congrégation 
a fait germer en tout lieu. Vous les nommerai-je? 



DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 437 

Charles Borromée, François de Sales, Camille de 
Lellis, François Solano, Pierre Fourrier de Mattain- 
court, Alphonse de Liguori, Grignon de Montfort, 
Léonard de Port-Maurice, Jean-Baptiste Rossi, sans 
compter tous les saints modernes de la Compagnie 
de Jésus. Qu'un jour vienne où, sous le pinceau de 
quelque nouvel Hippolyte Flandrin, cette proces- 
sion se mette en marche ici , sur cette firise , avec 
sa Reine en tète; que tous « ces fils de la Femme 
forte, comme s'exprime l'Écriture, se lèvent ici 
devant Elle et célèbrent ses louanges. ]& Alors rien 
ne manquera plus à la parure du temple, alors ces 
murs parleront, alors cette église vivra; et il nous 
sera montré quelque chose de semblable à ce qui 
apparut à saint Jean, lorsqu'il vit « la fiancée, l'é- 
pouse de l'Agneau », c'est-à-dire l'Église, la société 
des saints, « descendant du Ciel, revêtue d'un éclat 
divin. » Sponsam, uxorem Agni,,, civitatem san- 
ctam Jérusalem , descendentem de cœlo a Deo haben- 
tem claritatem Dei, 

Mais que vous ai -je dit, mes chers fils? Et cette 
beauté architecturale de l'édifice, et cette décoration 
artistique de ses murailles , qu'est-ce que tout cela, 
grand Dieu ! auprès du divin Trésor du ciel et de la 
terre qu'elle possède maintenant? Il y a trois jours 
encore, ce n'était qu'une construction comme une 
autre, que vous étiez en droit de traiter sans hon- 
neur, parce qu'elle était sans divinité. Mais ce matin, 
en votre présence, une grande chose s'y passa qui 
l'a transfigurée. Je montai à cet autel portant le 



438 DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

pain et le vin, et le mystère sacré s'accomplit là, 
entre mes mains , pour la première fois. A un mo- 
ment solennel, vous tombâtes à genoux, je pro- 
nonçai les paroles qui font ce qu'elles disent; moi- 
môme je me prosternai , et quand je me relevai ce 
lieu avait changé non de face, mais de caractère. 
C'était un lieu consacré. J'ouvris les yeux de la foi , 
et à cette clarté d'en haut que de merveilles m'ap- 
parurent et me ravirent à la fois d'épouvante et 
d'amour I Jésus- Christ était près de moi : il venait 
de descendre chez nous, pour se fixer parmi nous. 
Cette maison de pierre c'était le Cénacle, c'était déjà 
presque le Ciel. Avec Jésus j'y vis entrer Marie, 
Joseph à ses côtés : c'était devenu la maison de la 
sainte Famille. Louis de Gonzague, Stanislas, Berch- 
mans accoururent en frères se mêler à vos rangs. 
Les anges vinrent faire la garde du saint lieu, se voi- 
lant la face de leurs ailes et chantant le Sanctvs au- 
tour du tabernacle. La majesté du Seigneur remplit 
le sanctuaire, et alors , toute autre splendeur s'effa- 
çant devant la lumière de son visage , je ne vis plus 
rien que Lui, et je ne sus plus que me dire avec le 
patriarche : « En vérité, que ce lieu est grand et 
•redoutable I c'est la maison de Dieu et la porte 
du Ciel ! » 

Alors j adorai, je priai le Seigneur. Je le priai 
comme Salomon, lorsque, au sein de la nuée 
qui remplissait le Temple au jour de sa dédicace , 
il eut introduit l'Arche d'alliance dans le Saint 
des saints qu'il venait de lui préparer. Je le priai 



DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 439 

pour VOUS, bienfaiteurs et bienfaitrices, afin qu'un 
jour il vous reçoive dans une demeure autrement 
belle encore que celle que vous lui ouvrez en ce 
jour. Je le priai aussi pour vous, hommes d'art ou 
hommes de labeur, qui avez dépensé à cette œuvre 
plus d'une année de votre pensée ou de vos forces. 
Aussi bien, dans cette église du charpentier de 
Nazareth, devant cette représentation de Jésus ou- 
vrier travaillant dans la boutique de Joseph son pa- 
tron, comment vous eussé-je oubliés, chers ouvriers 
de toute profession, vous que j'ai vus ici porter si 
patiemment le poids du jour et de la chaleur? 

Mais c'est surtout pour vous que j'ai prié , mes 
chers fils. Pour vous, je me suis souvenu de ces 
paroles qu'il y a deux jours la sainte liturgie mettait 
sur mes lèvres dans les prières de la bénédiction de 
cette église : ce Seigneur, par votre grâce, purifiez 
ce temple de toute souillure, et conservez -le tou- 
jours pur. y> Per infusionem gratiœ] tuaa ah omni 
inquinamento purifica purificatumque conserva. Et 
si vous voulez savoir de quelle souillure j'ai de- 
mandé la préservation , et quelle requête principale 
j'ai déposée ce matin sur ce nouvel autel, entendez- 
le, la voici : c'est que jamais, jamais, une commu- 
nion sacrilège, une seule, ne vienne profaner ce 
sanctuaire, déshonorer cette table divine, et que ce 
nouveau Cénacle ne connaisse jamais de Judas! 

Maintenant disons adieu à cette ancienne chapelle 
de notre second étage que nous venons de quitter. 
Bientôt elle ne sera plus une maison de prière ; mais 



440 DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

nous n'oublierons pas que, nous et nos aînés, nous 
y avons passé douze années de bénédiction devant 
la face du Seigneur. Pendant ce temps , combien de 
fois la miséricorde divine ne s'y est-elle pas signalée 
envers nousl Ce n'était sans doute qu'un humble 
et rustique Bethléhem ; mais pour combien d'entre 
nous ce Bçthléhem n'a-t-il pas été la maison de 
Pain ! Que notre reconnaissance lui demeure donc 
fidèle, et gardons -lui à jamais cette mémoire atten- 
drie qu'un cœur bien né aime à garder aux lieux 
de ses commencements et de sa pauvreté. 

Mes chers fils, il y a juste sept ans, presque à 
pareil jour, que le 25 mars 1881 nous étions heu- 
reux de reprendre possession cette pauvre chapelle, 
après trois mois du douloureux éloignement que 
vous savez. Puissent de pareilles épreuves nous 
être désormais épargnées. J'en ai maintenant la con- 
fiance ; car le prophète Aggée nous apprend que le 
moyen de les écarter de nos têtes, c'est précisément 
le moyen que nous venons de prendre : rendre à 
Notre-Seigneur la gloire de son temple, pour que 
lui-même nous rende toutes ses faveurs d'autrefois *. 

Qu'il nous rende donc la paix avec la liberté ; et 
alors quel fleuve de bénédictions va sortir de cet 
autel et se répandre au loin sur les générations de 
l'avenir! Que de saintes et que de grandes choses 
vont se passer ici! Que de consciences redressées! 
que de vertus inspirées I que d'intelligences éclai- 
rées ! que de vocations décidées I que de carrières 

1 Aggée, I. 4-11. 



DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 441 

qui du pied de cet autel vont prendre leur direction 
à travers le temps jusqu'au rivage de Féternitél Que 
de larmes de repentir, que de larmes de joie sur- 
tout vont couler sur ces dalles, de génération en 
génération ! 

Je les vois, ces générations, les unes après les 
autres, venir chaque année nous amener ici leurs 
enfants et petits -enfants, au jour solennel de la 
messe du Saint-Esprit. Je vois se succéder les 
premières conmiunions , et les fils de vos fils venir 
former la couronne autour de cet autel, comme 
des rejetons de l'olivier autour de la table du 
Père. Je vois les confirmations nous apporter ici 
les dons de TEsprit de Dieu, et vos arrière-neveux 
venir courber leurs fronts , avant le combat de la 
vie, sous la main pontificale qui fera de ces en- 
fants des hommes et de ces chrétiens des soldats. 
Je vois les degrés de cet autel se couvrir chaque 
année d'une moisson de couronnes déposées par 
de pacifiques vainqueurs aux pieds de Jésus-Hostie, 
à qui seul appartient gloire et bénédiction. Enfin je 
^vois les prêtres succédant aux prêtres, monter 
chaque jour à ces autels, d'où, forts de la force de 
Dieu, ils descendront pour aller s'immoler, eux 
aussi, et se dévouer corps et âme à vous élever, 
à vous servir... 

Douces et fortifiantes images! Laissez -moi, mes 
chers fils, en enchanter mes yeux et en consoler 
mon cœur; mon cœur en a besoin. N'y semez pas 
des nuages qui les assombriraient par de tristes pré- 



442 DÉDICACE DE LA CHAPELLE DU COLLÈGE 

visions que toute mon âme repousse. Laissez-moi 
respérance que, moi aussi, bien longtemps je mon- 
terai à ces autels où je pourrai encore vous distri- 
buer souvent le Pain de vie. Laissez-moi la confiance 
que longtemps, si Dieu le veut, je monterai à cette 
chaire où chaque dimanche je rompais pour vous 
le pain de la parole. J'avais toujours nourri dans 
mon cœur un désir, le désir du roi David : édifier 
pour ma part une maison qui fût la sienne : cogi- 
tavi ut aadificarem tihi domum. Ce désir de toute 
ma vie de prêtre est exaucé aujourd'hui. J'en con- 
serve un second : comme David, moi aussi, « j'ai 
demandé au Seigneur la douceur d'habiter avec 
vous cette maison tous les jours de ma vie. » J'es- 
père qu'il l'exaucera. Après cela, je n'aurai plus à 
former qu'un vœu suprême : celui d'entrer avec 
vous dans ce Temple éternel où « Dieu sera dans 
tous » , durant les siècles des siècles. Amen. 



APPENDICE 

A L'ORAISON FUNÈBRE DU R. P. SBNGLBR 

PAGB 354 

LE VŒU « DU PLUS AGRÉABLE A DIEU » 

Délibéré et émis dorant sa retraite de trente jonrs du troisième an, 

en décembre 1870. 



Nous avons cru devoir placer ici la succession des médita- 
tions, lumières et résolutions du R. P. Sengler sur ce grand 
objet, moins en vue de nos jeunes enfants qu^en vue des âmes 
religieuses, qui toutes y trouveront une solide édification^ et 
plusieurs une direction très sage, très méthodique et très élevée, 
dans la manière de procéder à leur élection spirituelle. 

... Cinquième jour. — « Comme, par la grâce de Dieu , 
je yeux absolument assurer le salut de mon âme, et, pour 
cela, prendre tous les moyens nécessaires ou utiles, dès 
que le bon Dieu me les fera connaître , j^embrasse la pra- 
tique de toutes règles, les petites comme les grandes, de 
toute l'énergie de ma volonté, et, je Pespère, avec une 
vraie et entière sincérité. 

« Il y a longtetnps déjà que Pidée m'était venue d'en 
faire le vœu : Notre -Seigneur sans doute me Pavait 
inspirée. J'ai différé fsurtoutj dans la crainte que mon 
confesseur ne me rebutât en me voyant incapable 
d'une telle perfection. Me voici au troisième an auquel je 



444 APPENDICE A L*ORAISON FUNÈBRE DU R. P. SENGLER 

renvoyais toujours Texécution d'un dessein qui semblait 
ne venir que de Dieu pour le bien de mon âme. N'est-ce 
pas maintenant le temps favorable pour le faire, et le bien 
faire? Si ce n'est pas maintenant, quand donc? Jamais 
certainement. J'y penserai très mûrement , 6 mon Dieu ! 
je vous demanderai votre lumière ; vous ne me la refu- 
serez pas. J'en conférerai avec le R. P. Instructeur, au- 
quel vous donnez grâce pour me diriger : sa décision 
sera la vôtre. Si c'est là votre volonté , assistez-moi aussi 
pour bien assurer jusqu'aux moindres détails. Que tout 
vienne de vous pour se soutenir par vous ! — J'ai passé 
toute ma méditation sur ce point... » 

Neuvième jour. — a A propos de la xv^ règle de notre 
Institut, relative à l'entière observation de toutes nos 
Constitutions, puisqu*au tribunal de l'éternité je serai 
jugé d'après cette règle qui embrasse toutes les autres, 
pourquoi ne prendrais -je pas les moyens les plus sûrs 
pour leur donner toute la rectitude et la perfection vou- 
lues? Plus j'astreindrais mon âme à cette règle divine, 
plus elle y serait fidèle. Si donc à l'obligation générale 
qui me lie déjà j'ajoutais l'obligation spéciale et plus 
étroite du vœu, qu'est-ce que j'y perdrais? Quels incon- 
vénients ou quels dangers pour mon âme? A-t-elle à re- 
douter un lien nouveau qui l'untt plus étroitement , plus 
fortement à Dieu, à sa vocation, à sa perfection? Je n'y 
vois que des avantages , et de très grands : un stimulant 
perpétuel de tous les jours, de tous les instants; un se- 
cours spécial de Notre- Seigneur pour cette obligation 
nouvelle et spéciale ; et sans doute aussi un regard plus 
amoureux de Dieu, de Notre -Seigneur, *de sa très sainte 
Mère , de saint Ignace , des saints de la Compagnie , sur 
ma pauvre âme, et, partant, de leur part un soin plus 
empressé de mon avancement spirituel. 

« Je ne vois pas encore comment il faut établir les con- 



SON VŒU DU PLUS AGRÉABLE A DIEU 445 

ditioDS et les détails de cet engagement, afin que mon 
âme en soit aidée et non embarrassée, et que par consé- 
quent rétrécissant, pour ainsi dire, sa voie, elle puisse 
du moins y marcher à Taise et sans trouble. Notre -Sei- 
gneur m*éclairera sur tout cela. 

« Mais dès maintenant il fallait consigner ici] Tattrait 
de la grâce; car il me semblait bien hier, en réfléchissant 
sur ces paroles : Ecce sto ad oslium et pulso, que c^était 
là ce que Notre- Seigneur attendait depuis longtemps et 
demandait enfin de moi. Je )i^ai pas sans doute la vertu 
du Père de la Golombière , ou de tels autres qui ont fait 
ce vœu ; mais Notre-Seigneur exige-tril que, pour le faire, 
il faille pouvoir Tobserver avec la môme perfection? Je 
Tobserverai dans ma mesure ; le bon Dieu n^en demande 
pas davantage : perfectionis quod divina gratta consequi 
possimtAs, (Reg. xxi.) Je pense à tout cela avec calme et 
grande confiance , malgré ma faiblesse. N^est-ce pas là un 
signe de Dieu? En attendant, je prierai, je réfléchirai, je 
proposerai au R. P. Instructeur, et puis nous verrons ce 
qu'il y a de mieux in Domino,,. » 

Douzième jour. — « Hier, en me promenant pendant la 
récréation de midi , le diable, — car j'ai bien vu par la 
fin que c'était son ouvrage, — a cherché à me troubler 
et à abattre mon courage, surtout, je crois, en vue du 
vœu dont je m'occupe depuis deux jours. Il me représen- 
tait donc tout ce qui me manquait du côté des qualités 
naturelles, du talent, du savoir-faire, de la manière de 
traiter avec les autres, de la vertu. Puis, profitant sans 
doute d'un petit malaise corporel et d'une faiblesse de 
poitrine un peu plus sensible, il me faisait voir la vie, 
du moins la vie active et utile à la Compagnie, comme finie 
pour moi, la mort comme ne pouvant tarder longtemps. 
Toutes ces choses m'ont un peu attristé, inquiété. Non 
que je craigne la mort; mais la pensée d'avoir si peu 



4i6 APPENDICE A L*ORAISON FUNÈBRE DU R. P. SENGLER 

serri la Compagnie me causait un vrai chagrin. Tout 
cela tendait évidemment à détourner mon âme de la sé- 
rieuse application nécessaire pour assurer Pavenir, comme 
si cela n^en valait plus la peine. Par la grâce de Dieu, j^ai 
fini par voir le piège, et chassant toute inquiétude par un 
acte de conformité à la volonté divine , par rapport à ma 
santé , à mes qualités et défauts et à ma mort , j^ai pris la 
résolution, tout en tâchant de me tenir toujours prêt à la 
mort, d'arrêter mon plan de vie comme si j^avais à rap- 
pliquer pendant cinquante ans et plus. » 

MÊME JOUR. — « Il faut absolument que je pourvoie à 
la perfection religieuse dans les petites choses pour tout 
le reste de ma vie et dans cette retraite même. Tous les 
saints me le crient; Notre -Seigneur me presse; PËsprit- 
Saint ne saurait être plus explicite. Donc, motifs pour 
lesquels il faut que je m'applique définitivement et con- 
stamment à faire bien, très bien, les occupations delà 
vie ordinaire : 1^ sauvegarde infaillible mais nécessaire 
de mon âme , de mes vœux ; 2^ préparation nécessaire 
aux grandes choses ; 3^ moyen indispensable pour arriver 
à la sainteté , à la perfection ; 4<> moyen de procurer pour 
toute Téternité une grande gloire à Dieu , et à moi plu- 
sieurs degrés de bonheur ; 5^ exemple de la vie ordinaire, 
mais sublime de la sainte Famille à Nazareth ; 6^ enfin , 
et par*dessus tout. Notre- Seigneur me le demande, je 
n'en puis douter; aurai-je le cœur de le lui refuser, à 
lui , ce bon Sauveur qui m'a tant aimé , qui iradidit se- 
metipsum pro me? 

« Non , c'en est fait, 6 mon bon et si aimable Sauveur! 
A défaut de tout autre motif, votre amour me suffirait ; 
il sera toujours du moins le principal. Je viserai donc 
en toute chose à la perfection , ou plutôt à la perfection 
de toute chose, pour vous plaire et reconnaître par ce 
petit retour votre amour pour moi. » 



SON VŒU DU PLUS AGRÉABLE A DIEU 447 

Treizième jour. — (h La p&i^feciion tout entière, voilà 
ma devise , mon cri de guerre , mon but : il faut que je le 
poursuive. La perfection en toute chose , id quod est opti- 
mum, la perfection dans Tobservation de toutes mes^ 
règles, des petites comme des grandes, selon qu^il est 
demandé par la xv® règle : Omnes constanti anim^ inr 
cumhamua ut nihil perfectionis.,, in absoluta omnium 
constitutionum observations., prxtermiltamus. Je suis 
bien compris parmi les omnes, et le livre sur lequel je 
serai jugé ce sera celui de nos omnes constitutiones, et Ton 
demandera Vabsoluta observatio. Voilà ce que je devrai 
m^en assurer, coûte que coûte. G^est là, ce me semble, le 
vœu que Dieu me demande. Sa grâce m^assistera. De moi- 
même, c'est impossible, absurde d'y penser. Mais plus je 
suis misérable et imparfait, plus je suis obligé de compter 
sur Dieu qui me Tiospire , et de m'appliquer aux moyens 
nécessaires pour y être fidèle. Je réfléchirai encore, et 
surtout je prierai. » 

Quatorzième jour. — Gomme , en me promenant pen- 
dant la récréation de midi , je réfléchissais sur le vœu du 
Père de la Colombière et sur le moyen de l'imiter, je vins 
à penser tout à coup que si je le faisais cela plairait fort 
à la très sainte Vierge. 

« Quant au vœu du Père de la Golombière, les explica- 
tions qu'il ajoute au sujet de certaines règles me pa- 
raissent fort sages, mais je ne crois pas que cela me 
convienne. Je voudrais quelque chose de plus simple , de 
plus net, de plus dégagé, et qui, par là même, pût en- 
lever plus puissamment ma volonté. Des explications de 
ce genre deviendraient facilement, ce me semble, pour 
moi, du moins, des restriclions , et je n'en veux apporter 
aucune, aucune absolument. He serais-je pas tenté sou- 
vent de me dire : Ai-je voué jusque-là? Puis-je aller jus- 
qu'à ce point? Source de troubles de conscience et de 



448 APPENDICE A L»ORAISON FUNÈBRE DU R. P. SENGLER 

lâchetés trop bien colorées ! Pour tout cela , je voudrais 
vouer tout simplement de faire en toute chose ce que je 
jugerai le plus parfait, selon nos règles, bien entendu, 
et dans Tesprit de nos constitutions. C^est d'ailleurs le Ad 
majorem Dei gloriam de mon bienheureux Père, la fin 
propre et spécifique de la Compagnie. •• » 

Seizième jour. — « Cette manière de me donner au bon 
Dieu me platt fort, me console beaucoup et me donne du 
cœur ; car par là : 

a 1® Je ne réserve rien , rien absolument. C'est ce dont 
mon cœur a besoin ; voilà pourquoi , dès ma première en- 
fance, je voulais me faire prêtre, partir pour les mis- 
sions ; c'est ce qui m'a conduit au noviciat ; c'est lorsque 
je faisais cela que j'étais le plus heureux, même en lut- 
tant. 

a 2<> Je ne fais autre chose que prendre enfin au sérieux 
la règle quinzième du sommaire... nihil perfectionis 
praelermitlamus. C'est là ce que je voue, ni plus ni 
moins. 

« 3^ Par là même je mets en sûreté toutes mes règles , 
les petites comme les grandes; car, par le vœu môme, 
j'entends bien tout d'abord vouer l'observation de toutes 
les règles , et l'observation la plus parfaite qu'il me sera 
possible... 

a 4® J'imite le plus parfaitement que je puis Notre-Sei- 
gneur Jésus -Christ, dont toute la vie se passa à faire ce 
que son Père voulait , et comme il le voulait : qux pla- 
cita sunt ei (Patri) fado semper. Ce sera ma devise, que 
je puis remplacer par cette autre plus brève et équiva- 
lente : Ita, Pater. Qu'il s'agisse de me résigner ou bien 
de me dévouer : Fiat! Ecce venioî 

a 5® Comme en pratiqua le plus parfait est générale- 
ment ce qui est le plus humble , le plus bas , le plus cru- 
cifiant pour la nature , en le choisissant autant qu'il me 



SON VŒU DU PLUS AGRÉABLE A DIEU 449 

sera possible, j'accomplis d'abord les règles douzième et 
treizième du sommaire touchant la mortification et Pab- 
négation en toutes choses, surtout dans les emplois bas 
et pénibles ; mais surtout j'entretiens et je fortifie dans 
mon cœur la tendance au troisième degré d'humilité , qui 
est l'esprit le plus pur de la Compagnie et qui fait l'es- 
sence du Jésuite. C'est, comme dit la règle douzième, le 
chemin le plus sûr, après la prière, pour arriver à ce 
désir franc et ardent des mépris , par amour pour Jésus- 
Christ. 

a 6® J'évite nécessairement la tiédeur et les maux qui 
en sont la suite ; comme aussi les défauts plus ou moins 
liés avec une vertu vulgaire, tels que la susceptibilité, la 
nonchalance, Tbabitude détestable d'agir par manière 
d'acquit ou par routine, une vie sans gêne, de laisser-* 
aller, de mollesse ou de sensualité, etc. 

« 1^ Je puis vraiment compter sur la grâce du bon 
Dieu. 

<c B^ Enfin je puis aussi espérer quelque peu l'amour de 
Notre-Seigneur Jésus-Christ. 

a C'est bien par amour pour ce divin Sauveur que je 
m'engage dans cette lutte, qui sera longue et péijible. 
Mais puis-je faire autrement? DUexit me et tradidil se- 
meiipsum pro me. Et qu'est-ce que mon sacriQce auprès 
du sien?... 

« Sans doute, 6 mon Dieu, c'est pour sauver ma pauvre 
âme rachetée de votre sang que vous m'avez inspiré ce 
vœu, et c'est pour mettre mon salut en sûreté que je le 
fais. Mais le motif principal, je dirais presque le motif 
unique (tant il absorbe tous les autres), c'est pour vous 
plaire, c'est pour vous plaire, 6 mon très doux Sauveur, 
et pour glorifier votre Père. 

« Et maintenant, si j'ose demander encore quelque 
chose, non pas en retour de ce que je vous offre, mais 
comme gage de votre bienveillante acceptation, c'est cette 



450 APPENDICE A L'ORAISON FUNÈBRE DU R. P. SENGLER 

grâce que je désire et que je vous demande depuis si 
longtemps : la grâce d^aimei: et de désirer les mépris et 
les opprobres pour votre seul amour, 6 mon amour cru- 
cifié pour moi, et de les aimer comme vous-même vous 
les avez aimés et embrassés pour moi... Je vous le de- 
mande, les larmes aux yeux, et plus encore dans le 
cœur, par Marie, ma Mère bien -aimée, à laquelle vous 
ne pouvez rien refuser... Marie, ma Mèrel faites vio- 
lence au cœur de votre divin Fils pour un pauvre pé- 
cheur. » 

MÊME JOUR. — « L'obligation de mon vœu sera la même 
que celle des vœux religieux et des vertus chrétiennes, 
légère ou grave , suivant la matière. G^est un bon stimu- 
lant que de me voir obligé enfin d^aimer le bon Dieu de 
mon mieux, sous peine de péché. Je le vois, c'est grave, 
et cela mérite réflexion. Mon âme n'est pas sans an- 
goisses : n'est-ce pas au-dessus de tes forces? pourras-tu 
tenir? Et si tu ne tiens pas, n'est-ce pas téméraire à toi 
de penser à une pareille chose? Cela est pour les saints; 
mais pour toi!... 

Je vais recommander la chose à Notre -Seigneur pen- 
dant ces trois jours à l'autel. Dimanche, je l'espère, il 
aura parlé à mon cœur, et sa parole, comme d'ordinaire, 
sera claire, suave et forte... » 

Dix- HUITIÈME JOUR. — a Depuis la messe d'hier, un 
grand calme s'est établi dans mon âme. J'avais, à diffé- 
rentes reprises, mais surtout à la communion, élevé mon 
cœur vers Dieu, et conjuré Notre -Seigneur 4e m'aider 
dans cette action solennelle de mon projet de vie. Pen- 
dant l'action de grâces, je frappai de nouveau à son cœur, 
pour qu'enfin il daignât me faire sentir sa volonté. Au 
milieu de mes soupirs et de mes larmes, j'écoutais au 
fond de mon âme. Les seuls mots que j'entendis furent 



SON VŒU DU PLUS AGRÉABLE A DIEU 45 1 

ceux-ci : « Que crains- tu? Pourquoi hésites-tu? Ai-je hé- 
sité à mourir pour toi? Perd -on à être généreux avec 
moi? Marche en avant, je serai avec toi! » Je priai en- 
core, et les mêmes pensées me reviennent, en me rem- 
plissant, comme la première fois, de consolation et de 
courage. J'étais persuadé que Notre-Seigneur voulait que 
je me donnasse à lui par ce vœu, et je finis mon action 
de grâces avec la certitude que la lumière se ferait aussi 
incessamment sur les points secondaires. » 

Le soir. — «Au commencement de la méditation , 
ridée de mon vœu me revint à Tesprit. Je l'examinai en 
tout sens devant Notre-Seigneur; il me donna des lu- 
mières inattendues, accompagnées dMne paix, dMn con- 
tentement, d'un bonheur qui me jetaient dans Téton- 
nement. 

« Voici, en résumé, ce que je vis : 

a D'abord, qu'il fallait que je fisse ce vœu; que Notre- 
Seigneur m'aiderait; que ce vœu ne serait aucune cause 
de trouble pour ma conscience, et qu'au contraire il me 
donnerait enfin la paix et la joie qu'on ne trouve que 
quand on est tout entier au bon Dieu; et que, comme 
c'est une tendance qui date de plusieurs années et dont 
la seule pensée m'anime au bien , je ne devais pas douter 
qu'elle ne vînt de Dieu. 

<c Ensuite, qu'il n'y aurait pas même lieu de le limiter 
pour le temps, comme pour le prendre à l'essai; mais 
qu'il fallait d'un seul coup et avec confiance jeter à Notre- 
Seigneur toute ma vie; que je pourrais cependant le 
laisser toujours à la discrétion de mon confesseur ou de 
mon Supérieur, prêt à écouter leur voix dès qu'ils croi- 
raient devoir en Notre-Seigneur suspendre ce vœu ou le 
briser entièrement. 

« Dans la manière de l'envisager ou de le formuler, je 
me suis dit qu'il valait mieux remplacer le mot le plus 



452 APPENDICE A L'ORAISON FUNÈBRE DU R. P. SENGLER 

parfait par celui-ci : ce qui plaira davantage au bon 
Dieu, à l'exemple de NotreSeignetir Jésus-Christ. DV 
bord cette expression « h plus parfait » me semble trop 
abstraite, un peu dure, froide, sèche, propre à resserrer 
le cœur, et aussi trop bien sonnante pour Pamour-propre ; 
Tautre, au contraire, me met tout de suite en présence 
du bon Dieu et de Notre -Seigneur. Elle m'invite à agir 
envers le bon Dieu comme un enfant bien ne envers un 
père qu'il aime et dont il est aimé; elle me présente 
Notre-Seigneur, mon adorable modèle , mon chef et mon 
soutien tout- puissant, toujours devant moi et à mes 
côtés : j'ai si grand besoin de ne le jamais perdre de vue, 
surtout pour marcher droit et ferme dans le troisième 
degré d'humilité I Enfin cette formule me paraît porter 
avec elle les motifs principaux de ce vœu, les plus ca- 
pables d'agir sur ma volonté, et de l'emporter avec autant 
de suavité que de force vers tout ce qui est bien, et le 
bien le plus parfait : Tamour de Dieu et l'amour de 
Notre-Seigneur Jésus-Christ. C'est le Quœ placila sunt 
ei facto semper de Notre-Seigneur; comme encore son 
Ita, Pater; et son Ecce venio, ut faciam, Deus, volun- 
tatem tuam. 

a Je viens de trouver le vrai mot dans Vlmitation 
( III, 15) : Da mihi hoc semper desiierare et velle quod 
tibi magis acceptum est et carius placet ! 

«... Il me semble : 1° que pour bien observer ce vœu, 
je n'ai qu'à continuer ce que je fais depuis assez long- 
temps en le perfectionnant et en retendant à toutes les 
rencontres, ce que j'omettais parfois; avec le stimulant 
de cette obligation, et surtout avec la grâce plus abon- 
dante sur laquelle je compte, je pourrai être fidèle; 2<> que 
maintenant Dieu va être véritablement mon Père, et moi 
son enfant; que je commence véritablement à être le 
disciple, le compagnon de Jésus. Cela me remplit de 
joie. 



SON VŒU DU PLUS AGRÉABLE A DIEU 453 

« Pour assurer la parfaite observation de ce vœu, voici 
les choses que, pour le moment, je crois nécessaires ou 
utiles : 

« 1® Je le déposerai dans le Cœur adorable de mon divin 
Sauveur, afin qu'il daigne le faire agréer à son Père, puis 
Pagréer lui-même et le prendre sous sa divine garde. 

« 2® Je prierai la très sainte Vierge , saint Joseph, mon 
saint Ange gardien, de m'aider, à cet effet, de leur inter- 
cession auprès de Dieu. 

« 3^ Tous les jours , à la sainte messe ou pendant l'ac- 
tion de grâces , je le renouvellerai pieusement avec mes 
autres vœux de religion. 

flc 4<> Tous les dimanches, je ferai ma méditation sur ce 
vœu. 

« 5<* A la récollection du mois, ce vœu fera un des 
points principaux de ma revue, et, dans mon compte de 
conscience à mon confesseur, j'en ferai une mention spé- 
ciale, ainsi que dans ceux que je rendrai au R. P. Supé- 
rieur et au R. P. Provincial. 

« 6^ Je ferai toute ma vie, mais surtout cette année et 
les premières qui suivront, une étude spéciale, appro- 
fondie, amoureuse toujours et pratique de nos règles 
d'abord, ensuite de tout l'Institut, afin de savoir parfai- 
tement et pour toujours toutes mes obligations et le véri- 
table esprit dans lequel il faut les remplir. Pour cela, je 
me servirai encore des conseils et des exemples des reli- 
gieux les plus parfaits. 

« 1^ Je me confesserai de tous mes manquements, soit 
pleinement, soit demi -pleinement délibérés, et je m'en 
punirai par une double pénitence, soit privée, soit pu- 
blique, accusant la faute au réfectoire, si elle peut l'être. 

« Il faut que je me garde des moindres imperfec- 
tions. » 

Dix-neuvième jour. Dimanche.— « Après toutes mes 



454 APPENDICE A L'ORAISON FUNÈBRE DU R. P. SENGLER 

réflexions, mes prières et mes larmes, je demeure tou- 
jours dans la persuasion que le bon Dieu attend ce vœu 
de moi , que le Seigneur le bénira et m'en adoucira beau- 
coup la pratique, que je n'ai rien à craindre et tout à 
espérer, et que par conséquent je puis, sans témérité et 
sans imprudence, aller en avant, que même je le dois. 

« Par la grâce de Notre -Seigneur Jésus- Christ, je suis 
prêt à le faire, si Votre Révérence, qui est ma dernière 
ressource, le juge à propos pour ta gloire de Dieu. 

a Je le ferais, dès aujourd'hui, pour huit jours, non 
point par défiance, mais afin que Pexpérience m'apprenne 
ce qu'il y aurait à élucider ou à préciser davantage. 
A Noël , je le ferai pour toute la vie. » 

MÊME JOUR. — a Je rcvicus de la chapelle le cœur 
rempli d'une joie et d'une consolation intimes, tran- 
quilles, mais aussi des plus douces que j'aie jamais goû- 
tées. C'est le bonheur de ma première communion, du 
jour de mes vœux et de ma première messe. Que le bon 
Dieu est bon de se montrer si sensible à la misérable of- 
frande de sa pauvre créature ! 

« Après m'être donc prosterné aux pieds de Notre-Sei- 
gneur, et après avoir réveillé ma foi en la présence réelle 
de son humanité sainte et de sa divinité dans le saint ta- 
bernacle, je lui ai offert, avec l'agrément du R. P. In- 
structeur, mon vœu pour huit jours, à peu près dans les 
termes suivants : 

« Mon divin, mon bon et aimable Sauveur, vous êtes 
là véritablement présent avec ce corps, cette âme, cette 
divinité qui apparurent d'une manière à la fois si douce 
et si majestueuse sur le Thabor, au milieu de vos dis- 
ciples et sur le Calvaire, et qui maintenant rayonnent 
d'une si grande gloire dans le ciel. Et moi , pauvi'e et in- 
digne pécheur, je suis à vos pieds, et vous m'y souffrez 
avec bonté , et vous m'encouragez à vous faire l'offrande 



SON VŒU DU PLUS AGRÉABLE A DIEU 455 

de mon pauvre cœur. Recevez- le donc pour le présenter 
tout entier à votre divin Père. Agréez , et faites-lui agréer 
le vœu que je fais en ce moment entre vos mains à sa 
divine Majesté, pour durer jusqu^au jour de Noël, à neuf 
^heures du matin (à moins que je ne Taie déjà renouvelé 
alors pendant les messes de ce jour), de faire toujours 
et en tout ce qui lui plaira davantage, à l'exemple de 
Jésus-Christ, son Fils bien-aimé. 

« Ce que je promets là de faire n'est que justice, je le 
sais ; et, si je n'avais pas été si ingrat, j'aurais dû le faire 
depuis le premier usage de ma raison. Mais enfin je veux 
rendre à mon Créateur la gloire qui lui est due, à mon 
Père Tamour filial qu'il attend de son enfant adoptif , et 
à vous , mon divin Jésus , le retour que votre amour pour 
moi demande depuis si longtemps. Et c'est encore vous 
qui m'aiderez à acquitter ma promesse. Votre amour seul ' 
m'a poussé à cet acte qui serait téméraire, surtout de ma 
part, si je ne comptais entièrement sur votre grâce. Que 
votre grâce donc me soutienne et remporte encore ce 
triomphe sur les misères de ma nature. 

a Dimanche prochain, j'espère pouvoir renouveler ce 
même vœu au pied de votre crèche, mais ce sera pour la 
vie. Ah ! si ces pauvres étrennes' pouvaient vous plaire , 
quel bonheur pour moi !... » 

Vingt -DEUXIÈME jour. — « Voici le quatrième jour de 
mon vœu. Par la grâce de Notre-Seigneur, je ne vois rien 
en quoi j'y aie manqué tant soit peu volontairement. J'y 
vais bien simplement, en tâchant de profiter des occa- 
sions qui se présentent pour faire, comme je l'ai promis, 
ce qui me paraît le plus agréable au bon Dieu et à Notre- 
Seigneur. Le matin, pendant l'action de grâces de ma 
messe, je renouvelle ce vœu avec les autres, en me pro- 
posant de bien l'observer, et en jetant un coup d'œil sur 
la journée, afin de voir s'il n'y aurait pas quelque circon- 



456 APPENDICE A L'ORAISON FUNÈBRE DU R. P. SENGLER 

stance particulière où j*aurais à le mettre en pratique. 
Aux deux examens, je regarde en ce quoi j'y ai pu ou 
manquer ou être fidèle... 

« La parole de Notre- Seigneur à la bienheureuse Mar- 
guerite-Marie au sujet de son yœu m^a plu beaucoup, et 
j'en espère beaucoup de facilité pour Taccomplissement 
du mien : « L'unité de mon amour te servira dans la mul- 
tiplicité des actions , » Contra effusionem ad exteriora. 
(S. Bernard.) — Ubicumque fueris tuus esta; noli te 
traders , sed accommodare.,, » 

Vingt-cinquième jour. — « Hier et ce matin, je me suis 
occupé de mon vœu. Une faute de dissipation commise 
hier m'a donné de vagues frayeurs pour ma fidélité à 
venir. En rentrant dans ma chambre, vers deux heures 
et quart, je m'approchai de la fenêtre pour la fermer, et, 
en la fermant, la pensée me vint d^écouter un instant 
pour m'assurer si la bataille continuait. Tout en voyant 
vaguement que ce n'était pas bien et qu'il valait mieux 
faire le sacrifice de cette petite curiosité, comme je l'avais 
fait pendant et depuis la récréation , je me raisonnai en 
sens contraire, me disant : Si je sais que le danger con- 
tinue, je prierai avec plus de ferveur. Ce disant, je m'ar- 
rêtai deux secondes , je croîs , jusqu'au premier coup de 
canon; puis je pris mon bréviaire, sans y penser davan- 
tage. Plus tard, la pensée me vint que j'avais été lâche, 
qu'il aurait été mieux de ne pas céder; que j'avais manqué 
à mon vœu de faire toujours et en tout ce qui est le plus 
agréable à Dieu; que c'était une faute vénielle, légère, 
tant qu^on voudra , mais une faute ; puis que de pareilles 
circonstances se présentant souvent, surtout dans la vie 
active, je tomberais continuellement; qu^en conséquence 
il vaudrait mieux ne pas faire mon vœu et me contenter 
d'une simple résolution dans le même sens, ou au moins 
de restreindre le vœu aux choses de quelque conséquence; 



j 



SON VŒU DU PLUS AGRÉABLE A DIEU 457 

en tout cas qu^il fallait attendre, et que c'était une témé- 
rité à moi de viser à une perfection si haute, etc. 

« Mais je compris bientôt que c*était là une tentation 
du diable qui voulait me décourager. Je n^ai pas cru de- 
voir lâcher prise si facilement. J^ai réfléchi, j'ai prié de 
nouveau avec ferveur. Enfln j'ai reconnu que les préten- 
dues difflcultés alléguées n'en étant pas, en réalité, la 
seule chose que j'eusse à faire c'était de m'humilier de 
ma faute, d'en demander pardon à Notre- Seigneur, et de 
me relever avec un courage nouveau et une ferveur re- 
doublée. 

«c Cependant, par respect pour la Majesté divine, à la- 
quelle surtout il ne faut promettre que pour tenir, dans 
le but aussi d'opposer une barrière infranchissable aux 
craintes vaines et aux scrupules que le démon cherche- 
rait à m'inspirer, et de raviver sans cesse ma ferveur 
première, je crois qu'il est mieux, d'ici à quelques mois , 
de le faire jour par jour, d'une messe à l'autre. Plus tard 
je verrai mieux ce qui me convient davantage. Ainsi l'af- 
faire est faite, par la grâce de Dieu. » 

RÉSOLUTIONS de ma grande retraite, 1870. 

a Pour votre amour, ô Jésus, et appuyé sur votre grâce : 

a Je ferai tous les matins, à la sainte messe, pour 
durer jusqu'à la messe du lendemain (en attendant que 
je mérite de le faire pour toute la vie), le vœu de faire 
toujours et en toute chose ce qui me paraîtra plaire da- 
vantage à la divine Majesté, selon votre propre exemple, 
disant avec vous : Quœ placita sunt ei facto semper ; — 
Ita, Pater; — Ecce venio. 

a C'est là ma résolution capitale ; elle renferme le vœu 
de mes règles. 

« Je tâcherai de l'exécuter avec toute l'énergie de mon 
âme, dans le sens surtout du dévouement et de l'abnéga- 
tion, conforme au troisième degré d'humilité; et cela dès 

20 



458 APPENDICE A L'ORAISON FUNÈBRE DU R. P. SENGLER 

maintenant, afin que Thabitude de ces deux vertus fonda- 
mentales s^enracinent tellement dans mon cœur, que le 
choc des tentations qui m'attendent, loin de Tarracher ou 
de rébranler, ne fasse que la raffermir. » 

A la suite de ces résolutions de 1870, on lit les simples 
lignes ajoutées successivement à la marge : 

« Le 19 mars 1871 , fait pour un an. 

« Le 19 mars 1872, renouvelé pour un an. 

« Le 19 mars 1873, renouvelé pour un an. 

« Item jusqu'en 18B1, puis années suivantes... » 



FIN